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- Lutte de Classe n°43
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Les États désunis d'Occident
On se souvient qu'après une interview retentissante du général de Gaulle pendant laquelle Monsieur Pflimlin souffrit dit-on, le martyre en entendant parler des « mythes, des fictions, des parades » de l'Europe supra-nationale et ironiser sur le « Volapuck intégré », les cinq ministres MRP avaient remis leur démission du gouvernement.
Puis, d'anciens représentants de la défunte IVe République, de Monsieur Guy Mollet à Monsieur Barrachin, en passant par Monsieur Pflimlin, ont lancé une offensive aussi résolue que verbale pour expliquer leur conception originale de l'Europe. Enfin, tous les députés « européens » ont manifesté avec leurs pieds, lors du débat sur la politique extérieure, en quittant spectaculairement l'Assemblée.
Quelles que soient les raisons subsidiaires, en particulier, cette agitation, il reste certain que la politique étrangère du régime tant vis-à-vis des USA et de l'OTAN que de l'intégration européenne pose de sérieux problèmes et soulève de vives controverses dans le personnel politique de la bourgeoisie française.
Le régime gaulliste, en effet, a décidé de remettre en cause le statu quo dans les rapports qui définissent l'alliance des pays occidentaux depuis 1945. Là, devant le danger soviétique, les bourgeoisies européennes ruinées par la guerre se mirent sous la protection de l'écrasante puissance des USA Avec le plan Marshall, puis l'OTAN, celle-ci rétablit l'Europe sur le plan économique et militaire. La solidarité des impérialistes devant le danger commun prenait le pas sur les antagonismes, en particulier coloniaux, qui couvaient.
Dans la nouvelle alliance, chacun obtenait une importance proportionnée à ses possibilités. La domination des USA qui se taillaient la part du lion dans les commandements et les organismes économiques, restait incontestée. L'Angleterre, impérialisme sur le retour, mais pourvu de jolis restes, devenait le brillant second et l'interprète privilégié du reste de l'Europe auprès du grand allié. D'une part, la France aux prises avec d'importantes difficultés dans son empire colonial qui immobilisaient son armée, et une instabilité ministérielle doublée de difficultés économiques, et d'autre part, l'Allemagne amputée d'un tiers de ses possibilités humaines et politiques, formaient avec l'Italie et le Benelux, l'armature docile de l'alliance atlantique, remettant entre les mains des USA et dans une moindre mesure de l'Angleterre, le soin de la défense commune.
Divers systèmes d'unification qui permettaient de souder politiquement et de renforcer économiquement l'Europe, en atténuant ses antagonismes larvés, furent tentés avec l'appui et sous la pression des USA, qui voulaient discipliner au maximum les différents impérialistes nationaux sous leur houlette, dans l'intérêt général de l'impérialisme et en particulier du leur. Après l'échec de la CED la Communauté Européenne joue ce rôle.
Les différentes bourgeoisies et leur personnel politique, des sociaux-démocrates aux démocrates chrétiens, etc., semblaient résignées et conscientes de la nécessité d'une soumission au leadership américain dans le cadre des institutions atlantiques et européennes.
Avec l'arrivée de de Gaulle au pouvoir, l'équilibre fut rompu. De Gaulle qui a une haute idée des possibilités de l'impérialisme français, hostile donc à une domination absolue des USA, réclamait dans un mémorandum la réorganisation de la formation d'un conseil de grandes puissances : France, Angleterre, USA qui assurerait la direction effective de l'alliance. L'impérialisme français demandait une place privilégiée comparable à celle de la Grande-Bretagne. Ce fut un tollé général, les autres petites puissances n'admettaient pas qu'il y ait dans l'alliance « des piliers et des colonnes ». De Gaulle marqua sa mauvaise humeur aux USA, plus que réticents, en créant des difficultés à l'intégration militaire dans l'OTAN (flotte française retirée, fusées américaines refusées). Les coups d'épingles se multipliaient. Pour appuyer ses ambitions nucléaires, de Gaulle refusait de fournir les divisions classiques destinées à jouer le rôle de piétaille d'une armée américaine gardant le monopole des armes nobles, et il décidait la création d'une « force de frappe » française. Son importance militaire reste faible, mais son importance politique est beaucoup plus grande, car elle impose pratiquement la présence de la France à tout tournant et son accord pour tout traité partiel (les seuls possibles) de désarmement.
La Communauté Européenne allait donner à de Gaulle un autre levier. Si la totalité de l'Europe continentale acceptait l'idée de Marché Commun, l'impérialisme anglais, le seul à avoir quelques possibilités de manoeuvre et d'indépendance, se refusait à aliéner sa liberté de mouvement, à se discipliner, malgré une forte pression des USA Après avoir tenté d'imposer une zone de libre échange très lâche, puis créer un bloc de sept nations rival du Marché Commun, il dut finalement y solliciter sen entrée.
Cette absence momentanée de la Grande Bretagne permit à la diplomatie gaulliste de tenter de prendre la tête d'une Europe qui jouirait d'une relative indépendance vis-à-vis des USA Ainsi naquit la querelle des tenants de l'Europe des États, opposés aux tenants de l'Europe supra-nationale. Ceux-ci n'espéraient évidemment pas supprimer les États, ils savaient bien, et de Gaulle dans sa conférence de presse l'a rappelé, que jamais les bourgeoisies française, allemande, etc... n'accepteraient une décision violemment opposée à leurs intérêts sans une guerre pour détruire l'État national. Mais, ils acceptaient de renoncer à une politique étrangère indépendante au nom des intérêts généraux de l'Occident.
L'Europe des États au contraire laissait une totale liberté aux différents États, mais entendait créer une alliance politique resserrée entre les pays européens à l'exclusion des USA.
Au début, les projets gaullistes, qui suivaient la crise provoquée dans l'OTAN furent accueillis plutôt fraîchement. Les autres pays d'Europe ne se souciaient ni d'accepter le leaderdership français, ni de se brouiller avec les USA. L'Allemagne était violemment intégrationniste politiquement, et économiquement compétitive, voulait élargir le Marché Commun au maximum. C'est avec la crise de Berlin et devant l'hostilité manifestée par la France aux négociations, que l'impérialisme allemand, hostile à tout compromis dont il ferait les frais, se rapprocha petit à petit jusqu'à permettre la création d'un axe Paris-Bonn au grand dam des autres puissances européennes, Pays-Bas et Benelux en particulier. Concrètement, la controverse portait sur la création d'un secrétariat politique regroupant les membres de la Communauté Européenne. Les intégrationnistes voulaient un projet où jouerait la règle de la majorité et qui ne toucherait pas aux secteurs déjà intégrés (forces armées réservées à l'OTAN et économies réservées aux Communautés déjà créées CECA, etc). De Gaulle, au contraire, désirait des commissions économiques, politiques, militaires, dont discuteraient les chefs d'États, prenant les décisions à l'unanimité, en tentant de créer une politique commune indépendante dans tous ces domaines.
Mais la Belgique et la Hollande firent échouer le projet. Elles ne voulaient en aucun cas d'une Europe dominée par un arc Paris-Bonn et réclamaient soit une intégration qui assure rait un contrôle US, soit à défaut, une entrée de la Grande Bretagne, garantie de leur indépendance ; d'où l'apparente contradiction entre la volonté unificatrice et le refus de la première étape proposée par de Gaulle. Depuis, les négociations marquent le pas. L'entrevue Mac Millan - de Gaulle a permis un sondage réciproque. De Gaulle chercherait-il en posant des conditions inacceptables à empêcher l'adhésion de la Grande-Bretagne au Marché Commun ou bien veut-il la faire payer au maximum ? L'Angleterre, favorable à l'Europe des patries, car elle veut se lier au minimum, serait-elle autre chose que l'alliée inconditionnelle des USA dans le Marché commun ?
Quant aux USA, par la bouche de leur président Kennedy, dans une conférence de presse ils remirent les choses au point. L'Europe ne peut de toute évidence se passer des forces armées américaines avant de longues années et les décisions politiques resteront proportionnelles à l'importance de l'engagement militaire et économique. Cela garantit le leadership des USA
La pression us tant à rome qu'à bonn, qu'à la haye ou bruxelles, a un autre poids que celle de de gaulle et il reste improbable qu'il ait gain de cause. mais il est certain que la politique gaulliste affaiblit et divise l'alliance atlantique, aussi effraye-t-elle une partie des hommes politiques de la bourgeoisie française qui la taxe d' aventurisme et serait prête à céder aux u.s.a. plutôt que de prendre le risque d'affaiblir l'occident.