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Les contorsionnouistes

 

Dans toute cette campagne du référendum ce qui a été publié, jusqu'ici, de plus politique le fut dans « L'Express », sous le crayon de deux dessinateurs, l'un qui se croit communiste, l'autre qui se dit anarchiste. Le dessin de Jean Effel représente trois panneaux électoraux portant trois « oui » dont les i sont surmontés d'une colombe, d'un bonnet phrygien et d'un croissant et d'une étoile, lequel dessin intitulé « oui, mais avec des points sur les i », exprime avec candeur tout le creux de la pensée des gens qui, du PCF à diverses variétés de socialistes et de radicaux, prétendent assortir leur « oui » de réserves aussi diverses qu'inutiles. Le dessin de Siné, lucide lui, exprime la même chose, en figurant une demi-douzaine de personnages exécutant des contorsions et cabrioles variées, avec chacun un « oui » à la main. Dans le dessin d'Effel, il y a ce que nos gens prétendent, dans celui de Siné, il y a ce qu'ils font.

Toute la gauche, à la remorque de de Gaulle depuis bientôt quatre ans, se trouve placée avec ce référendum dans la situation la plus humiliante où elle se soit jamais trouvée. Ne parlons pas du Parti Socialiste qui depuis 1958 a fait voe d'allégeance à de Gaulle et dont les quelques protestations de pure forme ne sont prises que pour ce qu'elles sont. Mais le PCF avait pu au moins, dans les référendums précédents se réfugier derrière un « non » qui ne l'engageait guère, mais faisait bien. De Gaulle se moquait éperdument d'avoir quelques millions de « non », au contraire cela légalisait en quelque sorte, cela démocratisait ses 70 ou 80 % de « oui » et, par là, la façon dont il était arrivé au pouvoir. Le PCF en acceptant de participer au référendum en reconnaissait la valeur et par là, la légitimité. Il livrait bataille sur le terrain parlementaire au lieu de la livrer dans la rue, ou à l'usine. Et de Gaulle ne pouvait qu'y gagner. Mais, publiquement au moins, le PCF se donnait des allures d'opposant. Aujourd'hui, les blés sont coupés, et de Gaulle encaisse la traite. C'est lui qui a signé les accords d'Evian, et le PCF ne peut maintenant pas refuser de dire « oui », à moins de refuser le référendum.

C'est cette triste situation à laquelle le PSU veut échapper en recommandant de déposer dans l'urne un bulletin « oui » ou « non », mais annulé par une mention du genre « oui à la paix, non à de Gaulle ». En réalité le PSU veut seulement tirer parti sur le plan électoral du discrédit que le « oui » risque de procurer au PCF Cette réponse normande ne signifie pas que le PSU refuse le nouveau plébiscite et préconise aux masses d'autres formes de lutte que la lutte parlementariste. Il s'agit simplement d'un appel démagogique afin de se trouver démarqué du PCF et du PS lors des prochaines élections que de Gaulle a promises à tout son monde.

Ce sont, en fait, ces prochaines élections législatives qui inspirent la campagne des différentes formations politiques. Chacune d'elles s'attribue les mérites de la paix. L'UNR parce qu'elle est le parti de de Gaulle, le Parti Socialiste parce qu'il n'a pas cessé de le soutenir et le Parti Communiste Français parce qu'il prétend l'avoir contraint à signer. D'ailleurs, c'est au nom de ces élections prochaines que le PCF fait accepter le « oui » à ses militants.

Le plus comique serait que ces élections n'aient finalement pas lieu. En effet, cela ne dépend pas de tous ces gens, mais de de Gaulle, et uniquement de lui. Pour qu'elles aient lieu prochainement, il faut en effet que de Gaulle dissolve l'actuel Parlement. Il a laissé entendre qu'il le ferait, mais il ne l'a pas affirmé. Il n'est pas exclu de sa part que ce sous-entendu, normand lui aussi, n'ait eu pour objet que d'obtenir de tous ces gens qu'ils se mettent publiquement, officiellement, et manifestement, à sa remorque. Si vous êtes gentils, vous aurez droit à des élections législatives ! On voit là les limites de l'opposition de tous ces gens, PSU compris. Leur opposition, ils ne l'exercent que dans le cadre fixé par de Gaulle.

De fait, de Gaulle dissoudra, ou pas, l'Assemblée selon qu'il estimera que cela lui est profitable ou pas. C'est-à-dire profitable à l'UNR et peut-être au Parti Socialiste. En effet, grâce à l'UNR il dispose à l'Assemblée, parlement bâillonné s'il en fut, mais parlement quand même, d'une confortable majorité. Seulement, il doit normalement y avoir des élections renouvelant ce Parlement dans le courant de l'année prochaine. Il peut donc se demander s'il n'a pas intérêt à provoquer des élections immédiatement, alors qu'il dispose du prestige du cessez-le-feu en Algérie et du « oui massif », plutôt que d'attendre un an et devoir procéder à des élections dans des circonstances peut-être moins favorables.

C'est à la réponse que donnera de Gaulle à ce calcul-là que sont suspendues les espérances de la gauche française, inutile croupion d'un parlement-croupion.

 

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