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Les comités d'entreprise
Les luttes menées par les appareils syndicaux, et plus souvent l'absence de lutte, démontrent de façon criante que les syndicats ne veulent pas affronter le patronat et le Gouvernement. Leur rapprochement et leur fusion avec le pouvoir d'État est manifeste depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Les appareils sclérosés que sont les syndicats vivent en commensaux du pouvoir d'État, et n'agissent que dans les limites qu'il leur a tracées.
Les syndicats eux-mêmes sont parfois amenés à lutter contre cette tendance et essaient alors de défendre une existence autonome, mais la pratique de la collaboration de classes et du compromis ne peut que faire perdre pied aux militants syndicalistes, qui se réclament en principe de la lutte de classes, mais pratiquent de fait la collaboration de classes. C'est ainsi qu'en dépit de la direction CGT, plusieurs dizaines de sections CGT ont signé des « contrats d'intéressement ». La CGT a beau faire de grandes déclarations contre l'association capital-travail, elle a dû, dans une conférence nationale tenue l'année dernière, « dénoncer » toute idée de « participation à la gestion qui est un leurre en régime capitaliste et s'appuie sur le thème éculé de l'association capital-travail » ; elle a attiré la vigilance des militants sur les dangers que représentent les « commissions de salaire au sein des comités d'entreprise, sur les préambules d'accords d'entreprise tendant à lier les travailleurs, sur les discussions sous une forme quelconque des formules dites de participation aux bénéfices, d' » intéressement » des travailleurs à la marche de l'entreprise »... etc, etc.
Cependant, tout en tirant la sonnette d'alarme, la CGT explique comment doit fonctionner un bon comité d' entreprise sur le plan loisirs, hygiène, cantine et colonies de vacances. Et une bonne partie de militants syndicaux continuent à s'enliser dans le marais des comités d'entreprise.
Ces derniers ont un rôle beaucoup moins important qu'en 1945, époque où il fallait « reconstruire l'économie ». De nos jours, une circulaire du 23 décembre 1960 sur « l'intéressement des travailleurs à l'accroissement de la productivité » donne aux comités d'entreprise le rôle « d'intermédiaires entre la direction et le personnel ». Mais ils ne retrouvent pas pour cela leur magnificence de leur belle époque, celle du « produire d'abord, revendiquer ensuite ».
La fin de la guerre suscita dans l'ensemble de la classe ouvrière un immense espoir, non seulement de voir se terminer le terrible cauchemar, mais aussi de s'orienter vers une vie meilleure telle que nous n'en avions jamais connu. Un peu partout, profitant du désarroi dans lequel la guerre avait plongé les classes possédantes, les ouvriers s'organisèrent spontanément pour remettre en route l'économie délabrée et prendre en mains leur propre sort. Cela ne dura pas longtemps, car les organisations dites ouvrières, au lieu d'aider ce mouvement à s'orienter dans la voie de la libération sociale, s'allièrent avec la bourgeoisie pour le conduire sur la voie opposée, celle de la collaboration de classes.
Le 22 février 1945, le gouvernement provisoire institua les comités d'entreprise par une ordonnance où l'on peut lire : « Le grand mouvement qui a libéré la France de l'ennemi n'a pas été seulement un mouvement de libération nationale : il a été également un mouvement de libération sociale ». Et plus loin : « Aussi bien, dès la libération du pays, des comités de production ou des comités de gestion se sont-ils constitués spontanément dans de nombreuses usines ».
Bien sûr, le plus souvent, ces comités étaient dirigés par des représentants qui n'avaient nullement l'intention de les conduire dans une voie révolutionnaire. Mais tant que ces comités n'étaient régis par aucune loi, il existait toujours une possibilité pour que les travailleurs en chassent les dirigeants, et se servent des comités qu'ils avaient formés pour mener eux-mêmes leurs propres luttes sociales. C'est pourquoi, l'exposé des motifs précise : « Le moment semble venu de légaliser et de généraliser l'existence de ces organismes ». Contrôler les comités d'usine existants ou ceux qui pourraient se former en les emprisonnant dans les cadres des textes légaux qui n'avaient même pas force de loi puisqu'ils émanaient d'un gouvernement provisoire n'ayant pas été élu par le suffrage universel, voilà à quoi visait l'ordonnance du 22 février 1945.
Cette ordonnance définit clairement les attributions du comité d'entreprise : « Ces comités ne sont pas, dans le domaine économique, des organismes de décision. Les comités d'entreprise ne seront que consultatifs sauf en ce qui concerne la gestion des oeuvres sociales ».
L'exposé des motifs insiste sur les droits (sic) des comités d'entreprise qui peuvent proposer des mesures tendant à améliorer le rendement et à accroître la production ; il insiste également sur le fait que le comité d'entreprise ne saurait avoir un caractère revendicatif et il termine en indiquant : « qu'il est indispensable d'associer les organisations syndicales à la grande oeuvre de rénovation de l'industrie française ».
Un peu plus d'un an après, fut votée la loi 46.1065 du 16 mai 1946 qui modifiait quelque peu l'ordonnance du 22 février 1945. On présenta cette loi aux travailleurs comme un élargissement des droits des comités d'entreprise. En effet, cette loi supprimait l'interdiction antérieure en ce qui concerne les questions de salaires. Désormais, les comités d'entreprise pourront s'intéresser aux problèmes des salaires de l'entreprise, mais ainsi que le faisait remarquer le ministre « communiste » Croizat dans sa circulaire d'application du 31 juillet 1946 : « Il doit se placer sur le plan de l'entreprise et aborder les questions de salaires sous leur aspect économique. C'est en tenant compte des possibilités économiques et financières de l'entreprise et aussi des conditions techniques dans lesquelles elle fonctionne que le comité sera amené à étudier les questions de salaires. » Ainsi Croizat imposa aux comités d'entreprise de se placer du point de vue de la marche de l'entreprise, c'est-à-dire du point de vue du patron et non du point de vue des besoins des ouvriers.
Tant que, grâce au « produire d'abord », les dirigeants ouvriers aidèrent le patronat à reconstruire son industrie, celui-ci favorisa au maximum la marche des comités d'entreprise. A cette époque, les moyens matériels du comité d'entreprise servirent à répandre des tracts dans les usines, mais comme ces tracts demandaient aux ouvriers de retrousser les manches, le patronat ne s'en plaignit pas.
En 1947, les ouvriers ne purent plus se contenter des slogans publicitaires des comités d'entreprise et dos syndicats. Il leur fallut entrer en lutte pour riposter à la diminution constante de leur pouvoir d'achat. Les saltimbanques des comités d'entreprise et des syndicats furent impuissants à endiguer la lutte des ouvriers bien que, malheureusement, ils réussirent à la freiner considérablement. Mais à ce moment-là, le patronat jugea que ses valets ne remplissaient plus leur rôle et il les écarta de plus en plus. Le rôle des comités d'entreprise fut alors limité au rôle de gestion des oeuvres sociales.
D'ailleurs le patron peut légalement réduire ce champ d'activité, c'est le cas entre autres de Citroën, où le patron gère lui-même ses oeuvres sociales. Mais la plupart du temps le patron a jugé qu'il pouvait encore utiliser les comités d'entreprise pour ce travail-là.
Les oeuvres sociales ne sont pas une activité rentable et le patron, détenant la clé du coffre-fort, a souvent préféré utiliser l'énergie des militants. Dans le cas où ils se corrompraient à la recherche de bonnes places ou de pots de vin, c'est encore le patron qui en tire avantage en déconsidérant les militants « malhonnêtes ».
Si donc au début de leur création, les comités d'entreprise ont servi à la bourgeoisie pour reconstruire le pays, à l'heure actuelle, ils sont utilisés à la gestion de ses oeuvres sociales.
Pourquoi les syndicats et surtout la CGT acceptent-ils de faire un tel travail ? C'est que les 1 % de la masse salariale qui constituent les fonds attribués au comité d'entreprise représentent une certaine puissance financière sur l'ensemble du pays qui fait que ceux qui les gèrent se voient offrir des possibilités - qui n'ont rien à voir avec la lutte de classe - et une puissance non négligeable du point de vue économique et social. D'autre part, les quinze heures accordées aux délégués pour assumer ces tâches permettent aux syndicats de trouver les militants - et encore difficilement - qui leur feraient défaut s'il en allait autrement, (cas de Citroën en particulier).
C'est en fait grâce à cela que les appareils syndicaux existent. Sans ces multiples fonctions (appointées) ils seraient inexistants. Le patronat préférerait-il supprimer complètement les comités d'entreprise ? Certainement. De la même façon qu'il préférerait qu'il n'y ait pas du tout de syndicats. Mais entre ce qu'il souhaite et les problèmes sociaux auxquels il doit faire face, il préfère composer avec les appareils syndicaux qui lui permettent de faire contenir les colères des travailleurs.
Les travailleurs ne doivent pas craindre de perdre les 1 % de la masse salariale que le patronat verse au comité d'entreprise, car il s'agit seulement de la prime d'assurance contre les conflits sociaux qu'il paye aux syndicats. Cela n'est d'ailleurs pas très cher payé car la moindre lutte gréviste lui coûte infiniment plus. Cela n'est beaucoup que pour les appareils syndicaux pour qui, comme pour les compagnies d'assurance, ces « primes » sont indispensables.