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- Lutte de Classe n°65
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Le mur de la résignation
En septembre 1939, près de 360 000 juifs habitaient Varsovie. Peu après la prise de Varsovie une série de mesures spéciales dirigées contre eux étaient rendues publiques. Elles avaient pour objectif la ruine économique politique et sociale des israélites, avec leur liquidation physique comme résultat inévitable. Le quartier juif de Varsovie fut mis en quarantaine : Adam Tcherniakov, un des anciens chefs de la communauté juive fut convoqué à la Gestapo le 4 octobre 1939 et reçut l'ordre de constituer un nouveau conseil juif (Judenrat) qui devait recruter les brigades de travail réclamées par l'occupant, maintenir l'ordre à l'aide d'une police juive, lever les impôts etc... Une année se passa avant que le ghetto ne fut crée. Il fut projeté dès novembre 1939 mais les juifs varsoviens réussirent à en détourner la menace au moyen d'une forte somme d'argent, à la fin avril 1940 on apprit que le premier ghetto avait été créé à Lodz, la principale ville industrielle de Pologne. Les choses devinrent plus claires : on assistait à l'avènement d'un nouveau Moyen-Age.
La construction du ghetto de Varsovie prit la majeure partie de l'année 1940. Au début le quartier juif fut entouré de fils barbelés et de palissades. En septembre un mur de 2 m 50 de hauteur commença à s'élever autour du quartier et il fut achevé l'été 1941. Quand il prit forme il entourait un rectangle de 2 km de longueur sur 600 m de largeur coupé en deux par une rue « aryenne » surplombée d'un pont qui permettait le passage entre les deux parties. Il comprenait 1500 immeubles groupés en une centaine de pâtés de maisons. En Octobre 1940, les 80 000 non-juifs habitant le quartier sous quarantaine durent le quitter en l'espace de 2 semaines ; leurs logements furent occupés par les 140 000 juifs qui avaient résidé hors de ce quartier. Le 16 novembre 1940 le ghetto fut officiellement crée. En janvier 1941, 380 000 juifs l'habitaient : la densité y était neuf fois plus élevée qu'à l'extérieur, en mai de la même année, ils seront 430 000. Les conditions sanitaires sont horribles ; on s'entasse à douze par pièce, l'eau et l'électricité sont régulièrement coupés, le typhus se répand à une allure vertigineuse et les vaccins coûtent une fortune. La famine commence à sévir : la ration alimentaire est d'à peine 800 calories par jour.
Pour les Allemands la situation est délicate, ils craignent la possibilité d'une révolte du ghetto qui risquerait de s'étendre à tout Varsovie. Ils empoisonnent donc, avec succès, les relations entre juifs et polonais « chrétiens » d'autant plus facilement d'ailleurs qu'il y a en Pologne de fortes traditions anti-sémites. Puis ils se tournent vers les juifs. En créant le Conseil Juif ils veulent leur donner l'impression que le ghetto est destiné à durer de nombreuses années et que dans l'immédiat ils n'ont rien à craindre pour leur vie et ils y réussissent. La chronique du ghetto de Ringelblum écrite au jour le jour l'atteste : pratiquement jusqu'à la fin la signification de la déportation demeurait un mystère pour la majeure partie des juifs.
Très rapidement le Conseil Juif devient le lieu de rencontre des plus riches qui sont persuadés qu'en payant ils n'ont rien à craindre. Grâce à des pots de vin ils obtiennent de la Gestapo des postes au Conseil, des concessions exclusives pour le ghetto (par exemple Kohn et Heller obtiendront le tramway). Leur dirigeant Tcherniakov adopte la devise « Se taire, ne pas raisonner ». Pour se faire respecter, le Conseil crée la Police Juive forte de 1700 agents recrutés parmi des fils de « bonne famille ». Les Allemands promettent aux policiers juifs que les membres de leur famille ne seraient pas inquiétés. D'autre part le Conseil Juif demande et obtient l'autorisation, pour parer à la situation alimentaire catastrophique, de faire un emprunt auprès des banques allemandes, garanti par les comptes juifs bloqués, (comme dans la meilleure société capitaliste). Parallèlement au lumpen prolétariat allemand au pouvoir avec le parti nazi, la Gestapo mettra au pouvoir au ghetto les souteneurs, voleurs et assassins en créant la Police des treize pour lutter « contre la fraude ». Cette police deviendra l'organisation N°1de maîtres-chanteurs ; toute puissante pour délivrer contre argent comptant dispenses de travail obligatoire, rations alimentaires.
Chez les plus déshérités la démoralisation est terrible à un tel point que lorsque deux juifs se rencontrent l'un dit à l'autre « L'un de nous deux travaille certainement pour la Gestapo ! » (Ringelblum - Chronique du ghetto.) A la fin 1941 les enfants crèvent comme des mouches, de faim, de froid, de privation. Les cantines gratuites ravitaillent 100 000 personnes. 5 000 juifs se portent volontaires pour aller travailler en Allemagne, 10 000 pour la Pologne car « Les nouvelles des camps ne sont pas trop mauvaises. Cela encouragera nombre de gens à se présenter à l'embauche (Chronique du ghetto ». 20 000 juifs poussés par la faim iront volontairement à l'Umschlag (la place des déportations) car dans les camps « on mange mieux ».
Lorsque la Police juive commencera à assassiner ceux qui s'opposent à elle, certains prendront sa défense : « Tu respectais bien les agents polonais, pourquoi ne respectes-tu pas les agents juifs ? » (Chronique du ghetto). Ce monde de morts vivants a ses souteneurs, ses putains, ses bourgeois, ses flics et ses légalistes. Les bruits les plus fous circulent. Lancés par les allemands ou par des imaginations échauffées ? Les deux sans doute. Un jour on annonce la paix pour le mois prochain, un autre jour la possibilité d' obtention de visas pour l'Amérique, la Suisse, puis l'augmentation des rations. Les Allemands promettent la vie sauve aux ouvriers « productifs » travaillant pour les ateliers de la Wehrmacht. Enfin, il promettront à chaque atelier sa priorité de survie sur les autres ateliers, puis aux hommes la priorité sur femmes et enfants, les bons ouvriers sont opposés aux mauvais. « Ils resserraient constamment le cercle, ils (allemands) dupaient sans cesse, ils disaient que les déportations étaient terminées, afin d'empêcher toute révolte » (Chronique du ghetto). On créa la garde du travail, sorte de maîtrise autorisée à diriger les ateliers et à sauver la vie de ses membres et celle de leur famille. Pour lutter contre l'apathie qui se manifestait, une presse clandestine, (principalement sioniste, communiste et socialiste) se créa. Elle ne proposa à aucun moment, l'insurrection. Le 18 avril 1942 les imprimeurs et distributeurs clandestins furent exécutés. De la création du ghetto en novembre 1940 jusqu'à sa fin, avril 1943, les allemands ne rencontrant aucune résistance en profitèrent pour isoler plus hermétiquement le ghetto de l'extérieur et faire mourir de faim ses habitants.
- Septembre 1941 : Franck annonce une réduction des rations alimentaires du ghetto. Interdiction au bureau de poste du ghetto d'acheminer le courrier venant de l'étranger.
- 5 octobre 1941 : Peine de mort pour toute sortie du ghetto sans autorisation.
- Fin octobre : Suppression des lignes de tramway traversant le ghetto.
- Janvier 1942 : Visite du ghetto supprimée pour les allemands en permission.
La fin du ghetto commença en juillet 1942. Du 22 juillet au 3 octobre 310 000 juifs furent déportés. Le 22 juillet le Conseil Juif rend publie le décret sur les déportations à l'Est sans tenir compte du sexe et de l'âge. Tcherniakov se suicida. Le 29 juillet les juifs sionistes décident de s'unir pour créer une seule organisation de résistance. Le 5 août l'ordre d'extermination arrive au ghetto. Les opérations durent une semaine. Le 7 août toutes les rues et toutes les maisons sont bloquées. 20 août, premier signe de résistance : Joseph Szerymski, chef de la police juive est grièvement blessé. Le 21 septembre la SS prend officiellement en main l'administration des « affaires juives de Varsovie ». Les 2 000 policiers juifs, qui s'étaient particulièrement distingués par leur zèle et leur cruauté à déporter les autres, sont déportés à leur tour avec leurs familles. Le 20 octobre est formé le comité juif de coordination qui comprenait cinq mouvements sionistes (Hachomer Dror, Gordonia, Poale-Sion, Hechalutz) les communistes (PPR) et les socialistes (Bund) il dresse les plans d'une organisation militaire (Organisation Juive de combat).
Les déportations massives qui avaient cessé le 3 octobre 1942 reprennent le 18 janvier 1943. Il ne restait plus que 40 000 juifs. « Les juifs d'ailleurs s'attendaient depuis longtemps à cette éventualité. Nous avions franchi le seuil de la Powiak, à deux heures du matin et quelques heures plus tard de forts détachements de S.S., de Lithuaniens, d'Ukrainiens, ainsi qu'un régiment spécial de Lettons, pénètrent dans le ghetto et commencèrent un pogrom. Mais ces brutes eurent la surprise de rencontrer de la résistance armée. Beaucoup de juifs qui étaient barricadés dans leurs maisons, tiraient sur les assassins, car le mouvement de résistance avait pu rassembler des armes et des munitions en quantité considérable.
Les nazis et leurs acolytes se retirèrent donc et revinrent cinq jours plus tard avec des tanks et des blindés. Toutes les maisons, où ils rencontraient de la résistance étaient incendiées et le gens qui tentaient d'en sortir y étaient refoulés et périssaient brûlés vifs » (Journal de Mary Berg). Pendant plusieurs jours d'énormes convois partirent pour Treblinka. Dans la nuit du 18 au 19 avril 1943 des unités de S.S., d'Ukrainiens, de Lettons, de Lithuaniens, cernèrent le grand ghetto. Le 19 à l'aube, les blindés allemands commencèrent à bombarder les maisons. Les juifs retranchés les reçurent à coups de grenades et de mitrailleuses. Au bout de quelques heures les nazis se retirèrent. Ils revinrent l'après midi avec de l'artillerie de campagne puis firent donner l'artillerie lourde. Le bombardement dura trois jours et trois nuits. Fin avril, le ghetto n'était plus qu'un immense brasier : la lueur de l'incendie se voyait à des kilomètres à la ronde Ceux qui par miracle parvenaient à échapper aux flammes étaient fusillés par les nazis à la sortie du ghetto. Au cours de cette bataille les allemands utilisèrent plus d'artillerie lourde que pour le siège de Varsovie.
Les combattants juifs (au nombre de 5 ou 700) se réfugièrent ensuite dans les égouts, dans les caves et dans les souterrains dont un réseau courait sous le ghetto. Les allemands firent sauter les pans de murs calcinés puis les caves, une par une, ils envoyèrent des rafales de mitrailleuses et des gaz toxiques dans les conduits les plus profonds. A la mi-mai le ghetto n'existait plus. Des combattants isolés continuèrent la lute pendant plusieurs semaines.
Ainsi pendent plusieurs années, bourreaux nazis ont obtenu de la population juive de varsovie qu'elle s'enferme elle-même, s'impose à elle-même les sacrifices qu'ils lui demandaient et finalement, se livrent, docilement à l'extermination. il a fallu la déportation de 90 % des habitants du ghetto pour qu'enfin les derniers, s'insurgent et fassent le choix de mourir debout, les armes à la main pour se sentir, comme l'écrivirent des combattants survivants, enfin libérés de leur peur.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, la vie et la mort du ghetto nous offrent, EN RACCOURCI, une image de notre propre sort. Combien d'entre nous, si on leur montrait dans une quelconque boule de cristal, ce que la vie, c'est-à-dire la société, leur réserve actuellement d'endurer et surtout quand et comment elle les ferra mourir, combien accepteraient, résignés, cette existence de misère. Très peu probablement. Et, comme pour les Juifs de Varsovie, ce qui nous fait tout endurer, tout subir, jusqu'à la fin, c'est l'espoir que les misères passeront, d'elles-mêmes, ou, tout au moins, n'atteindront que les autres sans nous atteindre nous-mêmes.