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Le Laos : neutralisme ou compromis
Le neuf août éclatait à Vientiane, capitale administrative du Laos, un coup d'état militaire. Rapidement maîtres de la ville, les parachutistes du capitaine Cong Lee installaient un comité révolutionnaire. Ce comité définissait ainsi son programme : lutte contre la corruption et l'ingérence étrangère, respect de la neutralité selon la Charte de l'ONU, promotion de l'agriculture et de l'industrie grâce à l'aide de n'importe quel pays et, pour le réaliser, demandait au prince Souvanna Phouma de prendre la tête d'un nouveau gouvernement. De ce jour, la confusion n'a fait que croître au Laos. Le roi ayant accepté de nommer Phouma président du Conseil le seize août, dès le 20, un « comité du contre-coup d'État » se formait à Savannakhet sous la direction du général Phoumi, l'homme fort de l'armée et de l'extrême droite laotienne et, par ailleurs, neveu du général Sarit, dictateur thaïlandais soutenu par les Américains.
Les semaines qui suivent se passent pour Phouma en négociations diverses avec les rebelles de droite, de Phoumi, les « neutralistes » du capitaine Cong Lee et les « communistes » du Pathet Lao, que les neutralistes désirent réintégrer dans un gouvernement d'union nationale mais avec qui la droite refuse de négocier.
Finalement Phoumi, qui a réussi à gagner à sa cause la presque totalité de l'armée royale laotienne, passe à l'offensive : le 23 septembre a lieu le premier engagement entre les forces de Cong Lee et celles de Phoumi. Grâce à l'aide américaine en matériel et en techniciens - un pont aérien régulier est formée entre la Thaïlande et Savannakhet - le dix sept septembre, le général rebelle fait son entrée à Vientiane pour y installer un gouvernement présidé par le prince Boun-Oum bientôt reconnu par le roi. Mais si, depuis ce temps, les forces de Phoumi tiennent les principales villes, tout le reste du pays semble échapper totalement à leur contrôle. Réfugiés dans les campagnes, Cong Lee, allié au Pathet Lao, n'est nullement vaincu. Et il n'est certes pas besoin de faire appel à l'invasion vietminh - annoncée il y a quelque temps à grand bruit par Vientiane, mais de toute évidence dénuées de fondement - pour expliquer la situation militaire difficile du gouvernement Boun-Oum : les données intérieures au pays suffisent.
D'une superficie de plus des 2/5 de la France, le Laos compte entre 1 et 3 millions d'habitants (aucun recensement sérieux n'a jusqu'ici été fait), mais les Lao - le groupe ethnique le plus important du pays - ne forment que les 45 % de cette population, le reste se divisant en de nombreuses peuplades différentes non seulement ethniquement mais aussi par le degré de civilisation. L'industrie, autre qu'artisanale, est pratiquement inexistante : les gisements de cuivre ne peuvent être exploitées faute de ressources énergétiques et de moyens de transport. La société est naturellement à l'image du pays : quelques grandes familles princière le dominent - le royaume du Laos a été formé en 1946 de l'union de trois principautés indépendantes l'une de l'autre jusque-là - sous elles, une bourgeoisie, une petite bourgeoisie artisanale et commerçante très faible, les paysans formant la majorité du pays.
De cette situation économique et sociale résulte l'importance de l'armée dans la vie politique du pays. Qui a son appui, possède le pouvoir d'État au Laos. Phouma, réfugié actuellement au Cambodge, en a fait l'expérience. Or au Laos, armée et police sont entièrement soldées, entraînées, et équipées par l'impérialisme américain. L'État laotien qui possède une force armée de 50 000 hommes est trop faible pour l'entretenir par ses propres ressources. Et il ne peut le faire que grâce à l'aide américaine qui se monte à 30 000 000 de dollars par an. Rien d'étonnant donc à ce que cette armée soit entièrement liée aux USA. D'autant plus que cette aide ne sert pas seulement à l'équipement de l'armée, mais aussi à l'entretien d'une caste pléthorique d'officiers. Car elle a surtout permis, jusqu'ici, aux colonels et aux généraux de s'enrichir : et la corruption des milieux gouvernementaux et militaires laotien ne peut être comparée qu'à celle des dernières années du Kuomintang. On cite le cas de bataillons comptant sur le papier 1 000 hommes, dans la réalité 600 ou 700 ; les dépenses de la solde et de l'équipement des soldats fictifs restant dans la poche des officiers commandant. Cela permet aux Cadillac et aux Mercedes de ces officiers supérieurs d'embouteiller Vientiane alors que le Laos ne compte que 700 km de route carrossable. Cette aide américaine au Laos n'est évidemment pas un geste de pure bonté. Si, pour l'impérialisme, le Laos ne présente pratiquement guère d'intérêt économique, il a, par contre, un immense intérêt stratégique : plaque tournante de l'Asie du sud-est, il possède une frontière commune avec le Vietnam Nord et la Chine. Aussi Washington, pour le conserver dans sa sphère d'influence, empêche pratiquement la réalisation des accords de Genève qui mettaient fin à la guerre d'Indochine.
Ceux-ci prévoyaient, en effet, pour le Laos, l'intégration des éléments nationalistes ou staliniens du Pathet Lao qui s'étaient battus aux côtés du Vietminh dans l'État laotien dont l'unité - contrairement à celle du Vietnam - devait être respectée. Après de laborieuses et longues négociations, ce fut chose faite en 1957. Le Néo-Lao Hakasat (organisation politique du Pathet Lao) était légalisé et deux de ses membres, dont son leader le prince Souvannouphong, entraient au gouvernement. Il était prévu, d'autre part, que les bandes militaires du Pathet Lao seraient, soit intégrées dans l'armée royale, soit dissoute. Le Pathet Lao, parti de la petite bourgeoisie nationaliste et radicale, s'appuyant sur les paysans, a lié sa cause au bloc sino-soviétique dans sa lutte contre le colonialisme français. Sa participation au gouvernement ne permettait plus aux Américains de compter sur le Laos comme base militaire face à la Chine. Comme, d'autre part, son influence dans les masse allait croissant - une élection législative complémentaire en 1958 lui donna 13 sièges sur 26 - les USA menacèrent de supprimer leur aide financière. Cela suffit pour dresser l'armée contre le gouvernement d'union nationale qui dut se retirer au bout de huit mois d'existence. Le Pathet Lao n'eut plus de ministres et l'année suivante ses troupes reprenaient le maquis tandis que le prince Souvannouphong était emprisonné. L'extrême droite aux ordres de l'impérialisme avait repris le combat que le Pathet Lao avaient abandonné.
Mais si l'armée ne peut tolérer l'existence légale du Pathet Lao - tous les observateurs sont d'accord pour affirmer que si des élections législatives vraiment libres étaient organisées actuellement, celui-ci remporterait largement la grande majorité des sièges - , l'état de corruption de l'armée d'une part, l'appui que le Pathet Lao trouve dans les masses paysannes d'autre part, exclut toute possibilité de victoire militaire décisive de l'extrême droite.
C'est cela qui explique la naissance d'un mouvement neutraliste dans une partie de l'armée. Etant à la tête d'un bataillon de parachutistes qui constituait la meilleure unité de l'armée laotienne, Cong Lee était le mieux placé pour comprendre l'impossibilité de mettre fin à la guerre civile autrement que par la négociation. Cette négociation était par ailleurs désirée par la plus grande masse du peuple laotien et notamment par la petite bourgeoisie des villes : à la suite du coup d'état pacifique de Cong Lee, on vit pour la première fois dans les rues de Vientiane une manifestation enthousiaste de 5000 personnes contre les riches et la corruption. Le terrain était donc préparé.
Lorsque le bataillon de Cong Lee, rentrant à Vientiane de l'une de ses longues et toujours inutiles campagnes de ratissage contre les bande du Pathet Lao, reçut l'ordre de se remettre en campagne dans les deux jours, la rebellion éclata.
Aujourd'hui, la situation est redevenue ce qu'elle était avant le coup d'État du neuf août : rebelles neutraliste ou du Pathet Lao contrôlant les campagnes, armées royales pro-américaine tenant les villes. On parle d'une nouvelle conférence de Genève pour essayer de réaliser un nouvel accord. Mais pas plus que la première, cette nouvelle conférence n'est susceptible de donner une véritable solution à cette crise.
Entre l'impérialisme américain et le peuple laotien, il n'est aucun intérêt commun. La véritable solution ne peut être que l'expulsion complète de l'impérialisme hors du Laos. Cela, ce n'est pas une conférence, mais la lutte révolutionnaire des masses laotiennes qui peut l'imposer.
(extrait de « La Ltte de Classes » 24 octobre 1945 : « Le soleil luit de l'Orient » )
Avec l'énergie et la cruauté des brigands, les états-majors impérialistes coalisés lancent leurs troupes à l'assaut pour mater le soulèvement des peuples coloniaux. Comme en 1917 contre la révolution prolétarienne de Russie, les capitalistes anglais et français, japonais et autres, la veille encore ennemis « mortels », ont fait un front commun contre les peuples en lutte pour leur liberté. Mais malgré la guerre d'extermination des cannibales impérialistes, malgré les bombardements, les incendies et les massacres, les masses insurgées tiennent bon.
D'où leur vient cette volonté irréductible ?
Au Congrès syndical mondial, Rojas parlant au nom des colonies anglaises des Indes occidentales, a dépeint « le régime abominables qui y sévit, régime de meurtre, de suicide, de sous-alimentation, de racisme. Nous tirons du pétrole de notre sol, a-t-il dit, mais c'est pour remplir les poches des capitalistes de Londres ».
Le général de Hautecloque (Leclerc), le jour où il faisait incendier des villages au nord de Saïgon, « recevait une délégation des planteurs de caoutchouc dont Monsieur Sansen, directeur des Terres Rouges », et les valeurs de la bourse d'Indochine montaient en Bourse de 50 points.
Les peuples coloniaux luttent pour secouer le joug de l'esclavage. Leur courage et leur héroïsme est à la hauteur de leurs souffrances.
... Churchill vient de déclarer à Londres : « Je partage le sentiment de beaucoup de gens qui envisagent l'avenir avec une profonde apppréhension et il me semble que les toutes prochaines années décideront de notre place dans le monde. C'est une place qui, une fois perdue, risque de n'être jamais retrouvée ». (Le Monde du 23.10.1945)
Le sinistre représentant de la compagnie des Inde et des banques de la City a raison : dans le soulèvement des centaines de millions d'ouvriers et de paysans des colonies le se joue le sort de la domination impérialiste : de la continuation de guerre, de l'esclavage et la barbarie, ou d'une entente pacifique sur la base des États-Unis socialiste du monde, sans les vampires des trusts et de la finance internationale.
Les ennemis des peuples coloniaux sont nos propres ennemis. Ceux qui commandent l'assaut contre Saïgon sont les mêmes qui font marcher la troupe contre les grévistes de Londres. Ceux qui commandent le corps expéditionnaire français d'Indochine, ce sont le général cagoulard et membre des lignes fascistes d'Argenlieu, et le général réactionnaire de Hautecloque, baptisée Leclerc pour mieux camoufler ses attaches et ses origines.
Les peuples exploités des métropoles doivent profiter des immenses difficultés suscitées à l'impérialisme par le soulèvement des peuples coloniaux, pour asséner un coup mortel aux « classes dirigeantes ».