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Le conflit sino-indien
Il est bien difficile de se faire une idée exacte et précise de la nature du conflit sino-indien à la seule lecture de la presse française. Si la majorité de la presse bourgeoise n'y a vu généralement qu'une illustration particulière du fameux « péril jaune », la presse communiste, elle, s'est contentée de laconiques dépêches d'agences, attendant sans doute, vainement d'ailleurs, que Moscou se décide en faveur de l'un ou de l'autre des adversaires. Cependant, la lecture attentive de la presse peut inspirer un certain nombre de considérations qui sont bien sûr fonction de la véracité des informations.
Il faut rappeler tout d'abord que le conflit actuel a été déclenché (sinon voulu tel qu'il s'est déroulé) par le gouvernement Nehru. Si les incidents dans cette zone frontière, entre les troupes indiennes et chinoises, ont été nombreux depuis des années, et s'il est donc vain de rechercher maintenant « qui a commencé le premier », il est certain par contre que quelques jours avant l'offensive chinoise, Nehru avait donné l'ordre aux troupes indiennes de « libérer » le territoire occupé précisément par les Chinois.
Cette décision du gouvernement indien s'explique sans doute par les besoins de sa politique intérieure. Créer une situation de guerre aux frontières, était pour lui un moyen de refaire à son profit l'unité nationale, des communistes à l'extrême-droite.
Ceci n'a pas manqué puisque la majorité du Comité Central du PC indien s'est prononcée assez vite pour un soutien à son gouvernement. Ce qui n'a d'ailleurs pas empêché celui-ci de faire arrêter récemment le secrétaire général du PC et un grand nombre de militants. Il est vrai qu'il s'agit, peut-être de ceux appartenant à la fraction pro-chinoise.
C'est à partir de cette menace indienne qu'il faut expliquer l'offensive chinoise. Il n'était manifestement pas question pour les chinois d'occuper définitivement le territoire conquis dernièrement. Dès le début de la crise, Chou-En-Lai a proposé à Nehru un cessez-le-feu et des négociations sur la base du statu-quo - on sait d'ailleurs que les relations diplomatiques entre New Delhi et Pékin n'ont, à aucun moment, été rompues - et cette volonté de consolider le statu quo a été mise particulièrement en évidence lorsqu'à l'ébahissement de tous les journalistes, les chinois ont stoppé leur offensive (qui avait complètement percé les lignes indiennes et qui pouvait, selon tous les observateurs, conquérir en quelques jours toute la province indienne de l'Assam sans être susceptible de rencontrer une défense sérieuse) pour ramener leurs troupes en deçà de l'ancienne ligne frontière.
Si les chinois ont choisi de répondre aux attaques indiennes par une offensive particulièrement spectaculaire, on peut y voir deux raisons essentielles. Tout d'abord démontrer à l'Inde et au monde que le rapport des forces en leur faveur est écrasant et qu'en conséquence l'Inde ne peut guère espérer autre chose actuellement que traiter sur la base du statu quo, qu'elle a même intérêt à arrêter revendications et incidents aux frontières, faute de quoi elle risquerait de perdre bien davantage. Cela s' explique peut-être aussi en partie par la situation internationale du moment. Alors que l'URSS et les USA s'entendaient directement entre eux pour régler le sort de Cuba sans que Castro et les Cubains aient leur mot à dire, les Chinois ont voulu rappeler qu'il était exclu que des questions relatives à la Chine puissent être réglées de cette manière et qu'il faudra compter bien davantage avec la force chinoise que les deux grands n'ont compté jusqu'ici avec celle de Cuba.
A la lumière de tout cela, la position de la majorité du PC indien apparaît comme une nouvelle manifestation de la tendance chauvine qui existe dans tous les partis staliniens du monde.
Les territoires contestés sont situés dans l'Himalaya à 3 ou 4 000 mètres d'altitude. Ils sont pratiquement inhabités : il ne peut donc être question de réclamer ici le principe de la libre disposition des peuples. Les journaux bourgeois ont affirmé par ailleurs que l'un des facteurs qui avait donné la supériorité aux chinois était le fait que les relations par route et aérodrome de la région occupée par les chinois avec la Chine étaient beaucoup plus faciles et développées que celles de la région occupée par les Indiens avec l'Inde. Si cela est vrai et si en outre il s'agit de régions stratégiques essentielles à la défense du pays, on ne peut reprocher à la Chine de s'y cramponner : elle est certes bien plus menacée par l'impérialisme mondial que l'Inde ne peut l'être par qui que ce soit, y compris par la Chine.
Dans des circonstances semblables une véritable organisation révolutionnaire devait, au contraire du PC indien, violemment dénoncer les manoeuvres de son gouvernement et refuser de soutenir cette guerre.
L'offensive chinoise ne peut être critiquée en soi. Une guerre défensive ne signifie par que l'on ne prend jamais la direction des opérations militaires en se contentant d'essayer de repousser les attaques de l'ennemi. L'on peut même pénétrer les armes à la main dans le territoire adverse tout en continuant légitimement à prétendre faire une guerre strictement défensive. Car mener une guerre défensive signifie seulement que l'on ne se donne aucun but annexionniste et qu'on ne vise à rien d'autre qu'à faire respecter son propre territoire national. Pour cela, il faut être prêt bien sûr à démontrer à l'ennemi que l'on a les forces de le faire.
Une organisation révolutionnaire chinoise, indienne ou autre ne pouvait donc condamner les chinois sur le fait qu'ils ont pénétré les armes à la main dans le territoire indien. Pour elle, l'essentiel aurait été de savoir pourquoi ils l'ont fait. S'il s'agissait pour eux de faire respecter leur frontière et uniquement cela, ce qui est confirmé par le retrait des troupes chinoise après leur rapide victoire, les Chinois devaient bénéficier de la sympathie et de l'appui des révolutionnaires.
Et si les dirigeants chinois parlent encore à l'avenir de ceux du PC indien comme de leurs camarades, c'est qu'en bons staliniens, ils sont dressés à comprendre les réactions nationalistes et chauvines.