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Bourguiba qui annonçait, il n'y a encore que quelques jours, sa volonté de régler rapidement la question de Bizerte, accepte maintenant que les troupes françaises restent dans la base « tant qu'existent des risques de conflit mondial », le « calendrier » d'évacuation des troupes françaises qu'il tenait tant auparavant à fixer étant reporté aux calendes.
Cela apparaît comme un recul d'autant plus grand que les déclarations qu'il avait faites et l'atmosphère belliqueuse qu'il avait entretenue jusque là avaient surpris par leur violence. « Retour au bourguibisme » dit-on, de la même façon que l'on avait dit « le bourguibisme est mort ». Et « le Monde » d'écrire « la brusque décision du chef de l'État tunisien de mettre fin à l'épreuve de force est aussi déconcertante que le fut, il y a deux mois, celle de la déclencher ».
Evidemment, Bourguiba mérite bien de donner son nom à la politique de compromis avec l'impérialisme. Mais d'une part, il n'en est pas l'inventeur et, d'autre part, ses périodes belliqueuses ne sont pas l'abandon, ou le contraire du bourguibisme, mais son autre face. Ces attitudes belliqueuses permettent, rendent possible, ces compromis, Bourguiba ne peut faire de « bourguibisme » que grâce à son aspect, fallacieux, de « combattant suprême ».
C'est bien parce que l'impérialisme français l'avait emprisonné et exilé que, paradoxalement, Bourguiba a pu le servir. Paradoxalement parce que ce type d'hommes ne peut jouer son rôle qu'en dupant les masses.
En 1954, en Tunisie, des hommes, les fellagas avaient entrepris la lutte armée contre l'impérialisme français. Malgré la répression, malgré les ratissages, tel celui du cap Bon de sinistre mémoire, la France, défaite par ailleurs en Indochine, se voyait en mauvaise posture quand, le premier novembre 54 l'insurrection algérienne éclatait.
C'est trois semaines après, en échange d'une vague promesse d'autonomie interne », que Bourguiba encore en exil et son parti le Néo-Destour, demandèrent aux fellagas de rendre leurs armes à l'armée française. Bourguiba demandait seulement, en échange, de contrôler la police, ce que Mendès-France, au nom de la France, ne lui assura même pas à l'époque. Et c'est uniquement parce que l'insurrection algérienne s'étendit, dura, mit en échec l'armée impérialiste de la France, bien que celle-ci ait pu, grâce à Bourguiba, transporter une partie de ses troupes d'Algérie en Tunisie, que l'impérialisme français finit par accorder cette autonomie interne, presque un an plus tard. Quant à l'indépendance de la Tunisie, c'est en mars 56 qu'elle lui fut accordée, et pas grâce à Bourguiba. Mars 56, c'est le lendemain des pouvoirs spéciaux, de l'envoi du contingent en Algérie, du gigantesque effort que la France allait faire pour « mettre le paquet » et tenter de l'emporter dans une guerre contre l'histoire.
C'est la continuation de cette guerre, poignard dans les flancs de la bourgeoisie tunisienne, qui oblige Bourguiba à aller plus loin, de temps en temps, que le strict soutien verbal au FLN
Mais ce faisant il reste bourguibiste et, à jamais, ce nom pourra servir à désigner ces hommes politiques qui, dans tous ces États ex-coloniaux, ont servi d'arrière-garde à l'impérialisme en retraite,
Texte de la déclaration commune franco-tunisienne du 22 novembre 1954 invitant les fellagas à remettre leurs armes aux autorités françaises et tunisiennes :
« Le résident général de France et le président du Conseil tunisien constatent que la question des fellagas est celle qui risque le plus d'envenimer les relations franco-tunisiennes et de compromettre le climat de confiance que la déclaration du 31 juillet a eu pour but d'instaurer. Ils ont donc jugé nécessaire de rechercher en commun une solution humaine et efficace incitant les fellagas à reprendre leur place dans la communauté tunisienne.
En conséquence, le président du Conseil tunisien et le résident général de France sont convenus de ce qui suit :
1°) Le gouvernement tunisien invite solennellement les fellagas à remettre leurs armes aux autorités françaises ou tunisiennes.
Le résident général de France et le gouvernement tunisien se portent garants qu'en vertu de l'accord conclu entre eux les fellagas ne seront ni inquiétés ni poursuivis. Des attestations délivrées par le résident général leur seront remises individuellement. Les autorités françaises et tunisiennes veilleront à la stricte application des dispositions établies d'un commun accord et s'attacheront à ce qu'elles reçoivent leur plein et entier effet.
Des mesures seront prises pour faciliter la réadaptation des fellagas à une vie normale dans leurs familles ;
2°) Le résident général de France et le gouvernement tunisien invitent tous les habitants de la Régence à remettre aux autorités les armes qu'ils pourraient détenir illégalement.
Aucune poursuite ne sera exercée à l'encontre de ceux qui auront procédé à cette restitution.
3°) Le gouvernement tunisien et le résident général de France considèrent que ces mesures témoignent du plus large esprit de compréhension.
Ne pouvant admettre que soit porté atteinte à leur volonté de concorde, ils invitent tous les habitants à pays à s'y conformer. Ils demandent à tous de favoriser par la parole et par la presse la consolidation du climat de paix nécessaire.
Désireux de contribuer à la restauration du calme dans la Régence, ils ne ménageront aucun effort pour permettre le rétablissement de la confiance indispensable au développement des bonnes relations entre la France et la Tunisie »
Lors d'une interview, le 23 novembre, au « Petit Matin » de Tunis à une question lui demandant s'il était assuré de récupérer les armes, à la suite d'un appel aux fellagas ayant son assentiment, Bourguiba répondit ;
« Oui, j'en suis assuré ; j'en fais mon affaire... Je m'engage sans restriction ».