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La paix du dollar
L'ONU qui semblait se résigner à l'anarchie organisée qui divisait le Congo en divers tronçons gouvernés et contrôlés par des autorités multiples après avoir tenté en vain une première fois de réduire par la force la « sécession » katangaise et avoir subi un échec dû à la faiblesse des forces qu'il avait à opposer aux troupes katangaises bien armées et dirigées par des mercenaires européens, paraît vouloir liquider, cette fois, et le problème et Tschombé, du moins c'est ce qui semblait jusqu'au dernier cessez-le-feu.
Cette intervention crée bien des remous. Bien qu'appuyée, quoique modérément par les USA qui ont fourni de l'argent et quelques avions, elle se heurte aux gouvernements européens concernés France, Angleterre, Belgique et la grande presse « aux ordres » ne laisse pas passer un jour sans dénoncer les « atrocités » de l'ONU Le mythe de l'ONU, réglant par la discussion autour d'une table les contradictions de notre monde où la force reste l'argument suprême, semblerait définitivement ruiné, si ces mythes là, justement, n'avaient pas la peau dure, le passé de l'ONU lui-même en étant une bonne preuve. Le changement d'attitude de l'ONU par rapport au début de la crise reste cependant frappant. L' ONU qui sous prétexte d'empêcher la violence, avait interdit aux troupes de Lumumba la conquête du Katanga, imposé un armistice (déjà) et une zone neutre entre les deux armées, est devenue unitariste à tout prix, du moins en première approximation.
D'où vient donc ce retournement ? L'ONU aurait-elle renoncé à défendre les intérêts des impérialistes ? Impensable. Et que penser du soutien des USA ?
Au lendemain même des premiers troubles, la compagnie minière du Haut Katanga tira son épingle du jeu grâce à la sécession de cette province, tandis que l'ONU à Léopoldville par son aide technique à l'armée congolaise favorisait la montée au pouvoir de Mobutu. On connaît la suite, assassinat de Lumumba, désagrégation du Congo en trois ensembles principaux avec comme capitales, Léopoldville (gouvernement central) Stanleyville (lumumbiste) et Elisabethville (Tschombé).
Mais, rétablir un « ordre » de surface était insuffisant car le Congo était devenu ingouvernable. A moins d'une dictature disposant de gros moyens extérieurs comme au Katanga. D'abord, parce que les différentes parties du Congo sans être aussi riches que le Katanga forment une entité économique ; ensuite et surtout parce que le gouvernement de Léopoldville, privé de l'essentiel de ses ressources, devenait incapable de faire le minimum de concessions qui lui permettrait de garder le contrôle des masses, à commencer par sa propre armée. L'État central n'était plus viable et on risquait de le voir s'effondrer, à moins que ses dirigeants acculés, ne finissent comme Lumumba par se retourner contre l'impérialisme pour éviter de se faire déborder par le mouvement nationaliste. Enfin le gouvernement Gizenga, fortement implanté (Lumumba avait 80 % des voix à Stanleyville) risquait lui aussi de faire sécession et de créer un abcès plus ou moins révolutionnaire mais contagieux, au milieu de l'Afrique. Abcès que l'attitude des pays ex-colonisés et de leur population rendait difficile à réduire.
Aussi pour la stabilité du Congo, un compromis « raisonnable » s'avérait nécessaire : une alliance entre Léopoldville, Elisabethville et Stanleyville sur la base de la réunification du Congo, permettant l'établissement d'un État digne de ce nom avec l'aide et sous le contrôle de l'ONU Le Katanga « indépendant » devait se sacrifier. L'impérialisme belge lui-même par la voix de Paul Henry Spaak le confirma. Mais le colonialisme a ses ultras, le Katanga refusa de réintégrer même une confédération qui lui aurait laissé une large autonomie. La guerre devenait inévitable. Une première tentative de reconquête échoua et Hammarshoeld y trouva la mort. La seconde fut mieux engagée, au moins sur le plan militaire sinon sur celui de la décision.
Mais, comme pour l'affaire de Suez, nous voyons les impérialistes se diviser. L' ONU et les USA se voient violemment attaqués, par les Belges, les Français et les Anglais qui ne marchandent pas leur soutien diplomatique sinon militaire à Monsieur Tschombé.
C'est que, si l'intérêt général du système de domination impérialiste se trouverait mieux de l'élimination de l'etat katangais, cette solution va à l'encontre des intérêts particuliers des impérialistes belges et anglais. l'existence de l'etat katangais représente la meilleure garantie de leurs intérêts là-bas. ils accepteraient à l'extrême rigueur de le voir réintégrer un congo confédéral et y servir de gendarme, mais pas de le laisser briser. pour les anglais en outre, le katanga ultra « couvre » d'autres possessions (rhodésie nord et sud) où d'autres ultras ne se maintiennent que difficilement.
De là leur opposition violente à l'action de l'ONU D'ailleurs, si les USA, appuyant l'ONU, agissent en représentants de l'intérêt général impérialiste, en préconisant un système de domination plus souple - dans la mesure où il est plus facilement accepté par les pays coloniaux - c'est aussi parce que dans ce cadre, leur puissance économique leur permet d'accéder à ce qui était précédemment des chasses gardées.
De ces heurts résulte l'attitude embarrassée et hésitante de l'ONU Comme De Gaulle face aux ultras, que la politique actuelle de sa classe oblige à freiner, mais qui ne veut pas les détruire car ils sont du même bord que lui, l'O.N. U. essaie d'obtenir la réintégration du Katanga sans briser son appareil de répression, « sans détruire M. Tschombé » comme ils disent. Ainsi s'explique le dernier cessez-le-feu, au moment où l'ONU l'emportait militairement.
Ces dernières (provisoirement) péripéties illustrent les difficultés de plus en plus sérieuses que rencontre le maintien du système colonial même voilé. Au sein même de l'organisme chargé de maintenir l'ordre international, l'ONU, les nouveaux États ont un rôle secondaire bien sûr, mais qui exige plus de prudence et de concessions de la part des « grands » qui là-dessus restent tous d'accord, impérialistes et bureaucrates (tous y compris l'URSS ont voté l'intervention de l'ONU) pour maintenir le statu quo. Dans cette Afrique en révolution une seule chose reste sûre : quel que soit l'équilibre trouvé, il ne durera pas, et l'ordre impérialiste ne régnera plus jamais en Afrique.