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- Lutte de Classe n°36
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La fusillade de Clichy
Alors que le Front Populaire n'avait pas encore un an, le 17 mars 1937, la police de Blum tirait sur une manifestation organisée par le PC et approuvée par le maire socialiste de Clichy, faisant huit morts ouvriers et de nombreux blessés.
Le Parti Social Français, nouvelle formule des Croix de Feu qui avaient été antérieurement dissoutes, avait organisé une « projection cinématographique » dans une salle de Clichy. Aussitôt le PC avait protesté et appelé à une manifestation devant le local. L'appel était approuvé par de nombreux socialistes, entre autres par la municipalité de Clichy. Dix mille travailleurs se rassemblèrent ; la salle où le PSF. s'était réuni était gardée par d'importantes forces de police. Selon la version du « Temps », les policiers, recevant de toutes parts des projectiles divers, auraient tiré pour « se dégager ». Il faut dire que pour le « Temps », « les premiers renseignements recueillis sur cette soirée d'émeute ne permettent pas encore de fixer avec toute la précision désirable les responsabilités encourues ; certains faits incontestables font cependant apparaître d'ores et déjà l'épisode sanglant qui vient de se dérouler comme une opération révolutionnaire de grand style dirigée contre les autorités responsables de l'ordre public ».
De nos jours, on voit M. Frey parler un langage semblable. Mais M. Frey est Ministre de l'Intérieur, alors qu'en 1937 le « Temps » représentait une opposition au Gouvernement. Gouvernement que précisément le PC soutenait de toutes ses forces, ce qui le plaçait dans une situation « délicate ». En signe de protestation, il organise une grève générale d'une demi-journée qui est un succès (précédée d'ailleurs par de nombreuses grèves spontanées), et dont il est fier d'annoncer qu'elle s'est déroulée dans l'ordre et le calme.
Puis des grandes obsèques se déroulent le dimanche 21 mars. Le cortège long de près de neuf kilomètres défile pendant près de sept heures de la place de la République à Clichy. « L'Humanité » titre : « PLUS D'UN MILLION ».
Démonstration de sa pitoyable impuissance, le PC se contente de réclamer, en titres d'une grosseur énorme il est vrai, la « dissolution des ligues », comme si le fait de dissoudre les Croix de Feu avait empêché les fascistes de se regrouper sous une nouvelle étiquette. Et il demande également, ce qui n'est pas pour nous surprendre aujourd'hui, « de faire passer un souffle républicain dans la magistrature et la police ».
En réalité, le PCF est ligoté par son soutien au Front Populaire. Il est prisonnier de sa politique d'alliance avec les radicaux : il ne peut attaquer de front le Gouvernement de Léon Blum. Ce qui explique le titre plutôt ambigu qui apparaît, le lendemain de la fusillade, dans « L'Humanité » :''ON A TIRE SUR LE FRONT POPULAIRE ! », et Paul Vaillant-Couturier de s'étonner : « comment pour faire un simple barrage devant une foule habituée désormais à crier : « la police avec nous ! », avait-on pu garnir tant de chargeurs, tant de cartouchières ? ».
Comment la police de Blum a-t-elle pu tirer sur des ouvriers ? Il ne saurait être question de mettre le chef du Gouvernement en accusation, mais l'événement menace le Front Populaire de dislocation. De cela tout le monde est conscient, et l'émotion est grande au Palais Bourbon, Selon le « Temps », certains députés « soupçonnaient des « extrémistes » et on particulier les trotskystes d'avoir suscité à dessein ces troubles pour entraîner la dislocation du Front Populaire ». En tous cas, les députés de la majorité se montrent très prudents et les radicaux murmurent que le PC ne devrait pas se laisser déborder par ses troupes.
Le PC n'a plus, dès lors, qu'un souci : sauver la face, replâtrer l'alliance qui risque de se briser, défendre le Gouvernement contre la colère ouvrière, détourner cette dernière contre les seules « ligues ». Comme on est au mois de mars, « L'Humanité » publie un article anniversaire du 18 mars 1871, de la Commune de Paris, sous le titre : « THIERS, FRANCO, LA ROCQUE », On ne saurait bien entendu traiter le camarade Blum de fusilleur d'ouvriers ! Cette politique permettra au « Temps » d'ironiser et d'écrire : « Il s'agit donc présentement de transformer la bataille rangée qui a été livrée entre des marxistes et la police de MM. Blum et Daladier, en épisode de la guerre sainte menée par la majorité pour la défense de la République ».
Au terme de « marxistes » près, c'est bien là ce qui se passe, et le grand journal bourgeois se rend clairement compte que « l'épisode sanglant » était de nature à dresser les travailleurs contre le gouvernement. beaucoup pouvaient prendre conscience de ce fait que la police, tout en étant « républicaine » ou « démocrate », restait la police de l'etat bourgeois, prête à réprimer toute action des travailleurs, toute lutte autonome de la classe ouvrière contre les organisations fascistes ou fascisantes. les illusions engendrées par la victoire électorale du front populaire et par l'enthousiasme de ses chantres du parti communiste furent quelque peu malmenées.
Le Gouvernement de Front Populaire sortit vainqueur de l'épreuve, en fin de compte. Mais cela ne fut pas dû aux manoeuvres de Blum, qui pourtant s'agita beaucoup et interdit des réunions du PSF. pour calmer les esprits. Tout le mérite en revint en fait au Parti Communiste qui, au lieu de démasquer à cette occasion la nature de classe de l'.État et le caractère bourgeois du Gouvernement tout populaire qu'il fût, s'attacha à démarquer ce dernier, à le mettre hors de cause.
Et le meilleur camouflet ne lui est-il pas infligé par cet hommage que rend... 1e « Temps » au chef tant détesté d'un Gouvernement tant de fois vomi : « Nous avons dans ce journal, trop souvent reproché au cabinet présidé par M. Léon Blum son peu d'empressement à défendre la loi républicaine contre les empiétements et les violences des partisans de l'action directe pour pouvoir hésiter à rendre aujourd'hui hommage à la correction avec laquelle la police, dont il dispose souverainement et dont il a la direction suprême, a en toute cette affaire accompli son devoir ».