L'opposition du Quartier Latin09/04/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

L'opposition du Quartier Latin

Par la plume de Roland Leroy, « L'Humanité » du 6.4.63 annonce la décision du PCF de reprendre en main l'UEC en envoyant dans les réunions des organismes de direction des étudiants, à tous les échelons, des représentants du Parti. Et dans ce même article,

R. Leroy résume à nouveau les différents griefs que le PC adresse aux étudiants communistes, aux décisions de leur récent congrès, à leur journal « Clarté ».

Cependant, à un lecteur attentif du dernier numéro de « Clarté », rendant compte du 6e Congrès de l'UEC , ainsi que du programme adopté par celui-ci, la virulence des attaques de la direction du PCF peut paraître un peu surprenante.

Non seulement, en effet, les étudiants communistes réaffirment à maintes reprises leur fidélité au PCF et leur attachement fondamental à celui-ci mais encore la ligne politique définie dans leur programme est dans ses grandes lignes tout à fait semblable à celle du parti.

Ainsi est réaffirmée, avec particulièrement de force, la justesse de la politique de « coexistence pacifique » et approuvée la conduite de l'URSS dans l'affaire de Cuba : « Ainsi les conditions existent pour de grands succès des forces de paix, pour isoler le militarisme agressif, les forces de guerres et d'oppression. La crise de Cuba, en Octobre 1962, en est un exemple frappant. L'URSS, les forces du socialisme et de la paix ont prouvé qu'elles étaient capables d'imposer la paix aux partisans de la guerre. Le sang-froid du gouvernement soviétique a évité pour le monde la catastrophe thermonucléaire qui apparaissait inéluctable, mais il conduit les États-Unis à accepter, de bon ou de mauvais gré le principe du respect du choix socialiste du peuple cubain » (Programme de l'UECF, adopté au 6e congrès - page 21).

Par ailleurs (Clarté n° 49) Forner, secrétaire général de l'UEC, prend nettement position dans la controverse sino-soviétique actuelle en faveur des thèses défendues par l'Union Soviétique, déclarant d'un ton définitif « C'est pourquoi le concept de « tigre en papier » ne correspond pas à la réalité, ne peut avoir aucune efficacité pour sa transformation ».

De même sont reprises les thèses actuelles du PCF quant à la possibilité d'un passage pacifique au socialisme et surtout à la nécessité, avant de lutter directement pour le socialisme, de lutter d'abord pour la démocratie. A l'appui de ces thèses, qu'il approuve, le programme de l'UEC (page 39) cite d'ailleurs la Nouvelle Revue Internationale (n° 1-1963).

« Des possibilités s'offrent au mouvement démocratique de se transformer en lutte révolutionnaire pour renverser la domination des monopoles, en lutte pour le socialisme... A notre époque un rapprochement s'est opéré entre les tâches de la révolution démocratique et celles de la révolution socialiste ».

« Le renversement révolutionnaire de la dictature des monopoles implique la nécessité d'une phase démocratique de la révolution dans les pays capitalistes hautement développés ». Il n'y a donc pas, pour le moment, de la part de la majorité de l'UEC une contestation fondamentale de la politique du PCF Alors pourquoi l'offensive à outrance de celui-ci ?

C'est que l'UEC s'oppose, presque ouvertement, au PCF sur le plan de la culture. Et si ce problème touche particulièrement les étudiants, il n'est cependant pas spécifique à ce milieu et concerne, en dernière analyse, n'importe quel membre du PCF Or, le programme UEC comporte une véritable mise en accusation de toute la politique stalinienne en matière d'art et de science (page 44).

lquote ' Pour l'emporter, il (le marxisme) doit se débarrasser de tout dogmatisme. De ce point de vue, l'humanisme contemporain ne peut que profiter de la critique libératrice des erreurs de Staline ».

« La déformation dogmatiste et mécaniste subie à l'époque de Staline a considérablement nui à la recherche et à la production d'ouvrages marxistes. La séparation de la théorie et de la pratique révolutionnaires conduit au positivisme dans les sciences et à l'appauvrissement du marxisme, en le séparant de l'héritage culturel des siècles passés et des courants fondamentaux de la pensée et de l'art contemporains ».

Aussi, symbole de ce rejet du dogmatisme stalinien ou provocation, la couverture des derniers numéros de « Clarté » est faite de différents tableaux abstraits. Que pour des intellectuels la contestation du stalinisme commence par celle du « réalisme socialiste », il n'y a là rien que de très normal. C'est d'ailleurs un processus général car c'est le problème qui les touche le plus directement et personnellement.

Mais la contestation des méthodes bureaucratiques en art ou en science, amène logiquement la contestation des méthodes bureaucratiques en politique. Si la majorité de l'UEC l'ignorait jusqu'à ces derniers temps ou l'ignore encore, la bureaucratie du PCF, elle, le sait sans aucun doute. De même que la bureaucratie soviétique et Krouchtchev qui s'essaient actuellement à reprendre en main une intelligentsia qui avait cru elle aussi à la fin du stalinisme. Et il est vrai qu'il suffit de laisser un Soljenitsyne écrire sans directive précise pour qu'il finisse par décrire une vie de kolkhoze qui n'a plus rien d'idyllique, qu'il l'ait fait avec une intention politique précise ou non.

Il est vrai aussi que l'u.e.c. s'est engagée, bien que plus timidement, sur le terrain des contestations politiques. dans le n° 49 de « clarté » former déclare : « je crois que le projet de programme fait une différenciation juste entre deux courants de la social-démocratie qui se sont orientés de façon différente sur des questions concrètes dans les batailles politiques comme nous venons de le voir. dire simplement que la social-démocratie de gauche est l'expression de gauche de la politique de la bourgeoisie serait revenir à la thèse de staline de 1925, suivant laquelle « les sociaux-démocrates de gauche étaient les véhicules les plus dangereux de la politique bourgeoise dans la classe ouvrière », thèse qui tend à donner une orientation étroite, sectaire à notre travail ... » il y a là non seulement un rappel des erreurs de staline remontant à 1928, ce que le p.c. ne peut guère admettre, mais aussi une critique, à peine voilée, de la position du p.c. durant la guerre d'algérie et plus particulièrement de son refus d'agir en commun avec le PSU et l'u.n.e.f. lors de la journée du 27 octobre 1960, tandis qu'il proclamait à tous les échos la nécessité de rechercher l'alliance avec la s.F.I.O.

C'est pour la même raison que R. Leroy critique violemment la publication par « Clarté » d'une partie du discours du délégué des J.C. italiennes qui reste pourtant bien imprécis dans les perspectives qu'il propose. Mais il suffit sans doute qu'il déclare qu' « il ne s'agit pas de reconstituer les vieilles alliances démocratiques antifascistes, ni surtout pas de s'isoler dans un sectarisme stérile... » pour que le PCF trouve matière à s'émouvoir. Que l'opposition de l'UEC reste bien limitée, cela est donc assez évident. Cela tient d'ailleurs à ce que par définition, et de par la volonté du PCF, l'UEC se veut et est une organisation spécifiquement étudiante. Il était donc dans la logique des choses, et dans le rôle que lui avait assigné le parti, qu'elle essaie de traduire les aspirations et les revendications des étudiants. Mais cela permet maintenant une riche démagogie de la part du PCF, qui lui reproche notamment de revendiquer « une allocution d'études » pour tous les étudiants ou encore qu'il n'y ait dans l'UEC, qu'une minorité de fils et filles d'ouvriers et de salariés agricoles.

En créant une organisation spécifiquement étudiante, alors que l'Université ne compte que 6 % d'étudiants d'origine ouvrière, le PCF s'attendait peut-être à ce qu'ils forment la majorité de l'UEC ?

Bien sûr, à la limite, et dans certaines circonstances, le danger peut exister que l'UEC devienne un représentant pur et simple de couches petites-bourgeoises s'opposant aux intérêts de la classe ouvrière .

Ce qui est cependant plaisant c'est de voir le PCF dénoncer ce danger maintenant. N'existait-il pas en 1956 quand le parti créa l'UEC ? Mais à cette époque, à la suite des événements de Hongrie, du vote des pouvoirs spéciaux et de la passivité du PCF vis-à-vis de la guerre, il existait un autre danger bien plus important pour le PCF, les milieux intellectuels et particulièrement étudiants étaient alors très sensibles à une critique de gauche du stalinisme (il exista même une opposition de gauche organisée dans ces milieux). Et c'est pour préserver la masse du parti de cette influence que l'on isola les étudiants au sein d'une organisation particulière. Les reproches actuels du PC ne sont donc que pure démagogie.

Quoi qu'il en soit, l'opposition de l'UEC ne peut rester dans l'état actuel. Tout d'abord parce que le PCF a déclaré nettement son intention de reprendre en main l'organisation étudiante et qu'elle devra céder ou bien sera brisée. Ensuite parce qu'il est intellectuellement contradictoire d'amorcer une critique du stalinisme tout en en acceptant toutes les grandes lignes politiques. Soit en acceptant celles-ci, l'UEC renonce à ces critiques, soit elle maintient ses critiques et les approfondit et remet alors en cause tout le stalinisme. Que ce soit pour rejoindre des organisations petites-bourgeoises, tel le PSU ou une véritable organisation révolutionnaire, dépendra alors de la force de celle-ci.

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