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- Lutte de Classe n°61
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L'opposition au quartier latin
Le dernier congrès de l'Union des Etudiants Communistes a adopté par 197 voix contre 112 et 10 abstentions un projet de programme auquel était opposée la direction du PCF sous le prétexte que, le parti ayant déjà un programme, celui-ci devait suffire amplement aux étudiants communistes. Cette opposition de la majorité est encore toute relative et les rapports de l'UEC avec la direction du parti gardent pour l'instant les apparences d'une discussion entre camarades fondamentalement d'accord mais il est indéniable qu'une situation de crise est en train de se développer au sein de l'organisation étudiante. Ainsi le discours de Waldeck-Rochet, porte-parole du parti, a été applaudi par tous les congressistes mais celui du délégué des jeunesses italiennes a été lui, ovationné par les deux tiers de la salle au milieu de l'hostilité déclarée du tiers restant et des représentants officiels du parti.
Celui-ci semble d'ailleurs avoir senti le danger mais se contente actuellement officiellement, de prudentes mises en garde. Un article dans « France-Nouvelle », d'un représentant UEC de Lille, bien dans la ligne, mettait en cause avant le congrès, le projet de programme adopté depuis. Un autre article dans le même hebdomadaire du secrétaire national des mouvements de jeunesse communistes, après le congrès, critiquait celui-ci en termes voilés. Enfin « l'Humanité » du 7-3-1963 publiait une lettre des représentants de Poitiers au congrès accusant la Bureau National de l'UEC de négligence sinon de complicité pour n'avoir pas protesté contre les articles de « France-Observateur » et « l'Express » révélant l'opposition de l'UEC à la ligne du parti, alors que d'après « le Monde » du 8.3.1963, « l'Humanité » n'avait pas pris la peine de publier une mise au point de ce Bureau National..
Que le milieu étudiant communiste manifeste son opposition à la direction du PCF ne surprend guère. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer aisément.
Tout d'abord, ce sont les étudiants qui ont été le plus sensibilisés au problème de la guerre d'Algérie. La plupart des étudiants communistes, les plus jeunes exceptés, et en tous cas les dirigeants sont venus à l'UEC au moment de cette guerre d'Algérie.
Celle-ci a certainement largement compté dans leurs adhésions. Or ils ont été témoins par la même occasion du manque total d'efficacité et même de volonté de lutte du PC contre cette guerre. Cela leur était d'autant plus évident qu'ils se trouvaient justement dans un milieu favorable à cette lutte - voir les prises de position de l'UNEF - et qui en conséquence était prêt à critiquer toutes les organisations qui s'y refusaient. D'après « France-Observateur » et « l'Express » l'un des grands reproches que ferait l'UEC au PC, ce serait d'avoir refusé sa participation à la manifestation commune organisée, entre autres, par le PSU et l'UNEF, le 27 octobre 1960 à la Mutualité. Ce n'est certes pas un hasard.
D'autre part le stalisnisme en tant que « méthode de pensée » - si cela peut signifier quelque chose quand on parle de stalinisme - ne peut qu'être difficilement supportable par des intellectuels. De par leur situation les étudiants ont forcément, plus que d'autres couches de la population, connaissance des divers courants de la pensée et bien entendu, surtout de la pensée bourgeoise. En face de cela le stalinisme, ayant renié en fait le marxisme, n'offre qu'un vide intellectuel profond mais recouvert d'un vernis de dogmatisme sans aucun intérêt. On répète les vieilles formules sans liens réels avec la réalité tout en menant en pratique la pire des politiques opportunistes au gré des intérêts immédiats de la bureaucratie russe et de son agence en France. Sartre n'est qu'un « petit bourgeois » sinon « une vipère lubrique » lorsqu'il se pose des questions sur les camps de concentration staliniens mais devient un écrivain progressiste quand il se rend à Moscou ou dans les congrès du Mouvement de la Paix. Il est bien difficile alors à l'étudiant communiste de se former intellectuellement ou de discuter et combattre réellement l'idéologie de la bourgeoisie.
Enfin depuis le 20e congrès la déstalinisation a en grande partie détruit le mythe du monolithisme et de l'infaillibilité du parti communiste seul représentant authentique de la classe ouvrière. Or, c'est de ce mythe que se servait le PC pour fermer la bouche aux intellectuels sceptiques ou en proie au doute, mais par ailleurs sans lien aucun avec la classe ouvrière. Et la déstalinisation, ou même l'aspect formel de la dispute entre la Chine et l'URSS, semble encourager les remises en question et les discussions. La majorité actuelle de l'UEC se tient certainement sur des positions très floues, confuses et hétérogènes. En gros elle manifeste son désir d'une plus grande démocratie et d'une vie intellectuelle plus préoccupée des problèmes réels et débarrassée du dogmatisme stalinien que certains confondent peut-être avec le marxisme lui-même. Elle en espère d'ailleurs une plus grande efficacité du PC dans le milieu étudiant. C'est pour cela que le PC italien est tout particulièrement admiré. Il passe actuellement pour être à la fois le champion de la démocratie et de la lutte contre la pensée dogmatique. Mais tout cela recouvre sans doute les positions les plus diverses, depuis celle de révolutionnaires conséquents jusqu'à la simple espérance en la venue d'une nouvelle équipe Krouchtchevienne remplaçant l'ancienne équipe Thorezienne à la tête du PCF
En fait cette opposition ne traduit actuellement que le malaise bien compréhensible des étudiants face au stalinisme. C'est pour cela que son sens paraît encore tout à fait indéterminé et que son évolution ultérieure va dépendre en grande partie d'un certain nombre de facteurs extérieurs à l'UEC En premier lieu l'écho et l'appui qu'elle peut susciter et rencontrer dans le reste du mouvement communiste national ou même international. De ce point de vue l'intervention du délégué des jeunesses italiennes a été certainement d'un grand poids dans la détermination du congrès. Ensuite la manière dont le PC entend la liquider - car la volonté de la liquider ne peut faire de doute - soit rapidement par la dissolution, soit en comptant sur le temps et le manque de détermination qu'elle manifeste actuellement pour la laisser disparaître d'elle-même.
De toute manière une UEC hostile à la direction du parti et sans appui à l'intérieur de celui-ci ne peut espérer durer longtemps. Du fait qu'elle est encore en grande partie indéterminée, cette opposition des étudiants communistes serait sans doute encore susceptible d'aller dans un sens révolutionnaire, ou du moins une fraction d'entre eux. Mais s'il existe, peut-être, un certain nombre d'éléments révolutionnaires à l'intérieur de l'UEC, leur travail ne pourrait être efficace - c'est-à-dire amener un nombre important d'étudiants communistes aux idées réolutionnaires et les faire militer pour ces idées - que s'ils sont capables de leur offrir en plus d'une critique scientifique du stalinisme, des perspectives claires de travail révolutionnaire. Car une fraction révolutionnaire étudiante même sur des positions de principe valables n'a aucun avenir si elle se limite au milieu étudiant. Elle n'a donc pas d'autre choix que d'essayer de faire la liaison avec les travailleurs.
Il est plus que probable qu'aucune fraction de l'UEC ne fera ce choix d'elle-même. Seule une organisation axant le principal de ses forces vers la classe ouvrière et faisant le travail révolutionnaire en direction de cette classe ouvrière pourrait lui offrir cette perspective.