« L'ordre règne à Berlin ! » proclame triomphalement la presse bourgeoise, [saluant] les ministres Ebert et Noske, les officiers des « troupes victorieuses » pour qui la racaille petite-bourgeoise de Berlin agite ses mouchoirs et pousse des hourrah !...

« L' ordre règne à Varsovie ! », « l'ordre règne à Paris », « l'ordre règne à Berlin ! ». C'est que les proclamations des gardiens de « l'ordre » à travers les armées se répandent d'un centre à l'autre de la lutte historique mondiale. Et la jubilation des vainqueurs ne remarque pas qu'un « ordre » qui doit périodiquement être maintenu par des boucherie sanglantes, va sans arrêt vers sa destinée historique, vers sa fin ».

C'est le dernier écrit de Rosa Luxembourg, le 14 janvier 1919, après l'écrasement de l'insurrection à Berlin.

Le 15 janvier, les promoteurs de « l'ordre », l'assassinent.

Rosa Luxembourg est née en 1870 d'une famille juive Polonaise. A 17 ans elle entre au parti socialiste révolutionnaire de Pologne. Inquiétée pour ses activités, elle fuit à Zürich, lieu de rassemblement de l'émigration russe et polonaise où elle intègre le mouvement ouvrier.

En 1897 elle se rend en Allemagne, centre de gravité de la politique mondiale. Elle acquiert très vite une importance dans la social-démocratie. Elle enthousiasme son auditoire par son talent, sa flamme, sa force de persuasion. Elle collabore à la presse du parti, à la revue économique Neue Zeit, au journal socialiste de Leipzig dans lequel elle répond, dans son article « Réforme sociale ou révolution » au révisionnisme de Bernstein.

« Ou les réformes, ou la révolution », disent les réformistes ». « A la fois les réformes et la révolution » répond Rosa Luxembourg.

Elle suit les controverses entre Bolcheviks et Mencheviks. Contrairement aux Mencheviks elle pense que ce n'est pas la bourgeoisie qui doit prendre le pouvoir après la révolution en Russie ; contrairement à Lénine, elle pense que ce n'est pas le prolétariat et la paysannerie qui doivent prendre le pouvoir ; mais le prolétariat appuyé sur la paysannerie.

En 1905 elle passe illégalement en Pologne pour participer au mouvement révolutionnaire. Le 4 mars 1906 elle est arrêtée et enfermée à la prison de Varsovie d'où l'intervention d'une commission médicale la fait sortir.

En 1907 elle participe au congrès international de Stuttgart. S'opposant à l'idée d'une grève générale qu'elle juge impossible en cas de mobilisation, elle fait adopter avec Lénine et Martov la motion considérant comme « un devoir aux travailleurs et à leurs représentants au parlement, dans le cas où tous les moyens mis en oeuvre n'auraient pas réussi à empêcher le conflit armé, d'utiliser la crise économique et politique engendrée par la guerre pour soulever les masses populaires en vue du renversement de la domination de la classe capitaliste. »

Le 4 août 1914, jour où la social-démocratie vote les crédits de guerre, naît le mouvement spartakiste avec Franz Mehring, Clara Zetkin, Karl Liebnecht, Rosa Luxembourg. Le 19 février, Rosa Luxembourg est arrêtée, alors qu'elle partait pour la conférence internationale des femmes en Hollande. Libérée en janvier 1916 elle reprend sa lutte contre la guerre.

« Les dividendes montent, et les prolétaires tombent ! Et chacun d'eux, c'est un homme de l'avenir, un soldat de la révolution, un sauveur de la vraie civilisation, qui descend dans la tombe. La folie cessera, l'aventure sanglante prendra fin si les travailleurs en Allemagne et en France, en Angleterre et en Russie, sortant de leur inconscience, se tendent fraternellement la main, et au choer barbare des hyènes impérialistes opposent le cri puissant de ralliement des travailleurs : Prolétaires de tous les pays, un unissez-vous ! ».

Elle est inculpée de crime de haute trahison. Dans sa prison de Breslau, elle continue la lutte idéologique. La révolution russe devient le centre de ses préoccupations. Bien qu'elle reproche aux bolchéviks certains de leurs actes ou de leurs affirmations, elle soutient sans réserve Lénine et Trotsky qui ont été les premiers à mettre en pratique les théories socialistes.

Pendant ce temps, la révolution gronde en Allemagne. Les spartakistes appellent à la formation de conseils ouvriers.

Novembre 1918, révolte des matelots à kiel. kiel est en grève ; drapeaux rouges et cocardes partout. tout le pouvoir passe au conseil des ouvriers et des soldats. noske, ouvrier social-traître, prend le titre de gouverneur de Kiel.

Le mouvement gagne Lübeck, Hambourg, puis Hanovre, Brunswig, Cologne, Münich, Révolution à Oldenbourg, Rostok, Magdebourg Halle, Leipzig, Dresde, Chemnitz, Düsseldorf, Francfort, Stuttgart, Darmstadt, Nüremberg. Rosa Luxembourg est libérée. Révolution à Münich. Le conseil déclare la dynastie déchue et proclame la république. Révolution à Berlin, l'empereur abdique, Ebert de la social-démocratie allemande, est proclamé Chancelier du Reich. C'est alors que les sociaux-démocrates entièrement au service de la bourgeoisie, se servent du pouvoir qui leur échoit pour entamer la chasse aux Spartakistes et aux ouvriers révolutionnaires. Le 7 décembre, Liebknecht est arrêté, la maison de Rosa Luxembourg cernée.

La révolution gagne du terrain.

Insurrection des matelots à Berlin, le conseil des ouvriers et des soldats de Brême décide l'armement des ouvriers.

Grande manifestation des spartakistes et des sociaux-démocrates indépendants, à Berlin. Le gouvernement lance des appels contre les spartakistes et organise la répression.

« Assaut général sur Spartakus ! A mort les Spartakistes ! Saisissez-les, fouettez-les, transpercez-les, fusillez-les, foulez-les aux pieds, déchirez-les en lambeaux ! ». Des horreurs à faire pâlir celles des troupes allemandes en Belgique...

« C'est vrai ! les ouvriers révolutionnaires de Berlin ont été écrasés ! C'est vrai ! massacrés par centaines les meilleurs d'entre eux ! C'est vrai ! jetés aux cachots un millier d'entre les plus fidèles !... écrira Liebknecht avant de mourir.

Le 15 janvier, une troupe de soldats vient enlever Liebknecht et Luxembourg. Liebknecht est transporté au jardin zoologique où il est assassiné.

Rosa Luxembourg est tuée d'une balle dans la tête. Son cadavre est jeté dans le canal. Mais pour tous les révolutionnaires elle est toujours vivante dans ses textes.

« L'ordre règne à Berlin ! » O bourreaux stupides ! Votre « ordre » est construit sur le sable. La révolution se dressera demain dans toute sa hauteur avec fracas, et à votre terreur elle annoncera avec toutes ses trompettes : J'ETAIS, JE SUIS, JE SERAI !