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- Lutte de Classe n°63
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Expériences passées, armes futures
La vague de colère qui s'est exprimée particulièrement à Lens, Liévin et Hénin-Liétard, vis-à-vis des directions syndicales, à l'annonce de l'accord signé avec les Charbonnages, révèle plus particulièrement la nécessité où se trouvent les travailleurs d'engager leurs luttes avec une Direction qui les représente effectivement et qu'ils contrôlent en conséquence.
Nombreuses ont été les luttes où la contradiction entre la volonté des travailleurs et celle de leurs « dirigeants » syndicaux était évidente. Depuis la « Libération » cette opposition a été mise en relief à l'échelon national dans des circonstances précises telles celles de 1947 - 1953 et 1956.
En 1947, pour la première fois, une minorité organisée échappant à l'emprise de l'appareil syndical permettait à des ouvriers de se manifester et de ne pas rester simplement sur leur colère comme l'ont fait les mineurs de Lens.
La grève des usines Renault qui éclatait, il y aura seize ans le 25 Avril, avait pour fond politique cette opposition entre le mécontentement des masses travailleuses et l'attitude de la CGT qui, à l'époque, défendait ouvertement la bourgeoisie par sa politique du « Produire d'abord, revendiquer ensuite ». Toutes les explications que Frachon et Jouhaux pouvaient donner à l'époque, à savoir que l'on ne pouvait revendiquer tant qu'il n'y avait pas production suffisante de richesses, ne constituèrent pas un barrage suffisant devant la réalité des prix qui montaient sans cesse alors que les travailleurs se serraient la ceinture. Ce mécontentement s'était déjà exprimé par des débrayages spontanés en différents points de l'usine, débrayages qui tournaient court, les ouvriers reprenant le travail sous la pression de l'appareil CGT C'est dans ce climat là effectivement qu'une minorité révolutionnaire put intervenir avec succès en exprimant la volonté de la majorité des travailleurs. Cette minorité révolutionnaire put intervenir, premièrement parce qu'elle défendait une politique authentiquement révolutionnaire et que d'autre part elle existait dans l'usine, défendant cette politique inlassablement, en dépit des coups et des calomnies des staliniens. Par sa présence dans l'usine elle put ainsi mettre au pied du mur l'appareil syndical - il n'y avait à l'époque qu'une grande CGT - et secouer le joug qu'il faisait peser sur la classe ouvrière. En effet, en déclenchant la grève illimitée dans deux départements des usines Renault (les Dpts 6 et 18, secteur Collas) le vendredi 25 avril, les ouvriers de ce secteur vont se transformer en actifs défenseurs de la grève générale auprès de leurs camarades des autres ateliers et, le mardi 29 avril, 12.000 ouvriers de la Régie Renault seront en grève. Devant l'extension de la grève, tout en continuant de matraquer les ouvriers se réclamant du Comité de Grève qui est à l'origine du mouvement, et à les traiter de provocateurs, la CGT prend officiellement la tête de la grève ce qui va lui permettre de mieux la saboter. La CGT, qui a un appareil syndical puissant préfère ainsi encadrer la grève pour mieux la conduire vers une voie de garage. Si un petit nombre d'ouvriers révolutionnaires ont pu déborder l'appareil syndical au niveau de Renault, ce qui représente déjà un bilan certain, leur petit nombre les empêchera d'étendre systématiquement la grève aux autres entreprises. Il y aura bien des heurts violents spontanés chez Unic et Citroën entre les travailleurs et les bonzes syndicaux, mais ils resteront sans suite. Devant les portes des usines, lorsque les grévistes de Renault se présentent, ils trouvent un accueil chaleureux. A la demande « mettez-vous en grève avec nous », les autres travailleurs répondent : « d'accord on va s'y mettre, les syndicats vont en donner l'ordre ». C'est un signal qui ne va évidemment jamais être donné et cela n'est pas sans rappeler les bruits qui couraient à la troisième semaine de grève des mineurs : « c'est pour bientôt, c'est pour jeudi, les syndicats vont lancer la grève générale », bruits volontairement répandus, ou issus d'illusions de travailleurs croyant à la combativité de leurs direction syndicale. Les faits devaient démontrer, dans un cas comme dans l'autre, que les semaines devaient passer et les Centrales Syndicales se garder bien de généraliser la grève.
Le vendredi 10 mai 1947, la CGT, spéculant sur la lassitude des ouvriers de la Régie, faisait voter la reprise du travail sur la base d'une augmentation de 3 frs de l'heure alors que l'augmentation revendiquée était de 10 frs. Elle avait déjà essayé de faire voter la reprise huit jours auparavant (sans les 3 frs) mais la majorité s'était prononcée pour la continuation de la grève. Le 10 mai, seulement dans les départements où il y a une direction ouvrière élue, une forte majorité se prononce pour la poursuite de la grève.
En effet, l'originalité de cette grève est que pour la première fois il y aura au départ une direction ouvrière élue par les ouvriers. Il y aura un Comité de Grève élu, qui représentera autre chose que les deux, trois militants syndicaux habituels. Ce Comité fut élu avant même le déclenchement de la grève, avec justement pour mission de la préparer, de l'organiser. Dans toutes les questions importantes, ce Comité de Grève va toujours consulter les ouvriers avant d'agir. Il n'aura évidemment pas la bénédiction de la CGT puisque c'est une direction qui lui échappe. Mais c'est lui qui restera maître de la situation chez Renault, car c'est lui qui, ayant déclenché la grève au secteur Collas (secteur sans la production duquel l'usine ne pouvait pas tourner), c'est lui qui donnera l'ordre de reprise dans ce secteur.
En effet, le lundi matin de la reprise, le Comité de Grève convoque les ouvriers du secteur Collas. Il ne lui semble pas possible de reprendre le travail avec 3 frs de l'heure. Cependant le secteur étant seul à vouloir continuer la lutte il ne peut espérer obtenir les 10 frs demandés. Par contre il conditionne sa reprise de travail au paiement des heures de grève.
Le paiement des heures de grève est une revendication que le Comité a mise en avant dès le premier jour. Devant la ténacité des grévistes de Collas le gouvernement cède 1600 frs d'indemnité pour TOUS les ouvriers de la Régie. Cela ne fait pas le compte, mais les ouvriers de Collas peuvent reprendre car si leurs revendications ne sont pas satisfaites c'est que la lutte est par trop inégale. Ils sont conscients d'avoir mené la lutte jusqu'au point où elle pouvait être menée en fonction du rapport des forces et, en ce sens, leur combat est une victoire.
Il est certain que si une direction ouvrière, semblable au Comité de Grève de la grève Renault d avril-mai 1947, avait existé dans les mines, même limitée à la région de Lens ou de Merlebach, le mouvement des mineurs aurait eu un caractère très différent.
Les Centrales Syndicales ont fini par signer l'accord alors que la pénurie en charbon commençait à poser des problèmes sérieux au gouvernement. S'il y avait eu une direction ouvrière élue, non inféodée aux appareils syndicaux et qui soit représentative de la majorité des mineurs, elle aurait pu exprimer ainsi le désir de poursuivre la lutte, désir qui était manifeste puisqu'à l'encontre de l'État-Major à qui ils avaient confié jusque là leur lutte, les mineurs ne sont pas descendus à la mine dans des proportions importantes. Les 56 % de récalcitrants de Lens et les 46 % d'Hénin s'ils avaient été organisés auraient sans aucun doute eu la confiance de la majorité dans leur puits pour poursuivre leur lutte et ils auraient certainement pu, comme dans le cas des gars de chez Renault en 1947, obtenir sinon la totalité de leurs revendications, au moins le paiement des heures de grève, que ce soit sous forme de prime ou autre. Cela leur aurait permis de reprendre le travail prêts à de nouveaux combats et non désorientés et déçus.
Mais c'est dans le combat que l'apprentissage se fait. Et les mineurs qui ont pendant cinq semaines incarné toute la combativité et la conscience du prolétariat de ce pays ont fait une dure expérience qui servira à tous dans la prochaine période de luttes qui s'ouvre aujourd'hui.