Du sable aux yeux22/10/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Du sable aux yeux

« Les raisons politiques qui ont poussé la monarchie marocaine à partir en guerre contre la République algérienne, sont assez claires. Un sous-ministre de de Gaulle - M. de Broglie - a pu dire, pour sa part, qu'il s'agissait d'empêcher l'Algérie de devenir pour la France (et pour l'Afrique) ce que Cuba est pour l'Amérique, La « rectification » des frontières invoquée par Rabat est donc un prétexte d'autant plus fallacieux que durant toute la guerre d'Algérie, Hassan II s'est bien gardé de lancer ses troupes à l'assaut des territoires occupés alors par l'armée française ».

Ainsi commence un article de l'Humanité du 21.10 intitulé « Les mobiles secrets de l'agression contre l'Algérie ».

Décidément on a bien les amis que l'on mérite ! Si la mauvaise foi, l'impudeur et les procédés consistant à placer côte à côte deux choses n'ayant rien à voir entre elles afin de les amalgamer dans l'esprit du lecteur, n'étonnent pas de la part des rédacteurs staliniens, mais qu'ils prennent fait et cause pour Ben Bella et mettent à son service leur science du mensonge, serait presque suffisant pour considérer d'un oeil hostile l'attitude de Ben Bella dans le conflit qui l'oppose à Hassan II.

Il est bien difficile de savoir qui est l'agresseur dans cette histoire sanglante. Il apparaît cependant, d'après la presse, que ce sont des unités marocaines qui auraient, au début de l'affaire, tenté d'occuper une partie des territoires contestés - le calcul des dirigeants marocains étant que puisque les territoires en question sont peu habités et sans grand intérêt économique, cela ne peut provoquer de grande réaction de la part des gouvernants algériens. L'opération présentait l'intérêt de créer une certaine tension avec l'Algérie, tension qui aurait permis de détourner l'attention des masses de la politique de l'opposition au sultan et, à défaut, de faire prêcher celle-ci dans le désert, de la museler purement et simplement.

Quoi qu'il en soit, que les troupes d'Hassan II, aient déclenché l'affaire ou pas, il est certain qu' elle est venue à point pour Ben Bella et son équipe.

La dissidence d'Aït Ahmed en Kabylie représentait un danger sérieux pour Ben Bella, Bien sûr, l'armée « loyaliste » avait « reconquis » sans coup férir la Kabylie, mais, comme l'écrit un reporter du Figaro en parlant des représentants du pouvoir central, « on exagère à peine en disant qu'ils se trouvent dans la même situation que les Français face au FLN pendant la guerre d'Algérie. L'ANP tient les villes principales... Les hommes de Mohand assurés de la complicité de la population sont partout, sur les crêtes, dans les villages, parfois à quelques centaines de mètres de l'ANP ».

Les troupes maintenues en Kabylie n'avaient aucun espoir de « vaincre » et la dissidence pouvait s'étendre à partir de là à toute l'Algérie, de la même façon, en laissant les grandes routes aux autorités officielles et en empruntant les petits sentiers de l'affection populaire.

Le conflit avec le Maroc a permis à Ben Bella de faire passer cette dissidence au second plan, d'accuser les compagnons d'Aït Ahmed de complicité avec « l'ennemi extérieur », de susciter aussi des sentiments anti kabyles dans la population. Cet intérêt vital pour le régime Ben Belliste explique la violence de la réaction algérienne dans ce conflit de frontière qui n'en méritait pas tant. Les grandes déclarations sur la lutte du « socialisme algérien » contre la « monarchie marocaine » ne font que masquer les impératifs de la politique intérieure (elles ont d'ailleurs un petit air « août 1914 » !). Les hommes qui meurent dans les sables, meurent pour que Ben Bella et Hassan II puissent, chacun de leur côté, emprisonner et faire mourir d'autres hommes. Mais des hommes ne sont pas les seuls à mourir sur ces confins algéro-marocains, il y meurt aussi la fraternité entre des peuples semblables, plus, identiques, réunis par l'économie, la géographie, l'histoire et la langue. Le Maghreb n'est qu'un. Hassan II et Ben Bella, pour maintenir leurs régimes respectifs, continuent la politique de l'impérialisme en contribuant à la division de l'Afrique du Nord tant il est vrai que seule la révolution socialiste mondiale pourra enfin réunir les peuples.

La seule « justification » que pourrait avoir Ben Bella serait la volonté de transformer la société marocaine, de renverser Hassan II (bien que l'intervention militaire ne soit pas le moyen idéal pour cela). Mais il est bien évident que si cela figure dans ses discours, cela n'est pas dans ses intentions. En aucune façon ce conflit ne peut aller jusque là, tout le monde le sait « de Dunkerque à Tamanrasset ».

Le conflit, tant qu'il durera, restera un conflit de frontière. L'ANP mènera peut-être une offensive à l'intérieur du territoire marocain mais ne vise ni Casablanca ni Marrakech Si ses forces le lui permettaient, la situation internationale ne le lui permettrait pas.

Et là encore dans la question du rôle joué par ce conflit dans la limitation et la répression de la dissidence d'Aït Ahmed, les valets de plume de l'Humanité se signalent. Témoin ce passage de « L'Humanité » du 20.10, dans l'article de R. Lambotte ;

« La rébellion intérieure appuyée par Hassan II »

« Dans les montagnes de Kabylie, Aït Ahmed et Mohand ou el Hadj ont jeté définitivement le masque. Alors que beaucoup attendaient d'eux qu'un sursaut national les fasse renoncer à leur folle aventure, ils sont en train de confirmer leur collusion totale avec Hassan II et la féodalité marocaine. Depuis que l'agression a été déclenchée aux frontières, les chefs de la dissidence intérieure, retirés dans le maquis, ont accentué leurs actions de sabotage.

De nombreux patriotes ont été enlevés cette semaine, des embuscades sont tendues sur les routes, ce qui oblige le gouvernement à maintenir sur place d'importantes forces armées alors qu'elles font défaut à l'ouest du pays où l'intégrité du territoire est menacée de l'extérieur »...

... « Il est de fait que le but évident de l'attaque de Hassan II était de provoquer le chaos en Algérie.

Mis en difficulté par son propre peuple qui attend depuis plus de sept ans que l'indépendance se concrétise, le souverain contesté a pensé abattre d'autant plus facilement Ben Bella en soutenant de l'extérieur une rébellion intérieure menée par Mohand ou el Hadj et Aït Ahmed. »

A lire ces lignes, il est évident que les gens du PCF cherchent à montrer à Ben Bella comment et combien un Parti communiste algérien pourrait lui être utile, S'il ne comprend pas, il est niais ! Et il a tort, car si malhonnête qu'il soit, il a là des gens qui sont passés maîtres dans l'art de l'ignominie et qui en ont une longue expérience.

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