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Du monopole de l'information à l'information monopolisé
Depuis la venue de de Gaulle au pouvoir, une partie de la presse, de la « gauche « à la droite, s'indigne contre l'« orientation » de l'information donnée par la radio et la télévision, que certains d'entre eux comme l'Aurore viennent de découvrir. On a beaucoup insisté à propos de la RTF sur son rôle d'instrument de la propagande gaulliste, en particulier au moment des deux référendums. L'Express a qualifié la TV « d'instrument à faire voter oui », et les mesures prises à l'encontre des signataires du Manifeste des 121 susceptibles de participer d'une manière ou d'une autre à une émission de la télévision ou de la radio, suivies de l'affaire Chalais, ont remis la question à l'ordre du jour.
Ces milieux réclament l'objectivité de l'information. Or il est clair que, dans une société divisée en classes, l'objectivité n'est possible qu'à la classe opprimée qui a seule intérêt à la vérité sans fard. Or les plus puissants moyens d'information, sinon tous, sont détenus par la classe dominante et lui servent de toute évidence à défendre ses intérêts.
Il va d'ailleurs de soi que, lorsque les partisans de Mendès-France ou de Bideau réclament la liberté de l'information, c'est de leur liberté de s'exprimer qu'il s'agit. À la tête de l'État, ils n'ont pas plus laissé que de Gaulle la possibilité au PCF par exemple, dans la conjoncture de l'époque, de s'exprimer à la télévision ou à la radio. Le PCF, de son côté, ne laissait pas non plus, lorsqu'il était au gouvernement, aujourd'hui dans son sein, la possibilité à l'opposition de se faire entendre. Ce qui montre bien les limites des aspirations de la « gauche démocratique « dans ce domaine : les même sensiblement que celles de ses adversaires.
L'idée très répandue selon laquelle, pour être objective, l'information devrait être indépendante de l'État, en découle. Télévisions et radios, au lieu de se faire les fidèles apôtres de la politique gaulliste, exprimeraient des points de vue différents de celui du gouvernement.
Or, si ces deux puissants moyens d'information n'était pas aux mains de l'État, ils ne pourraient être qu'entre celles des grands trusts qui dominent la presse, de l'Aurore au Figaro et au Parisien Libéré, en passant par L'Express. Cette presse, ces journaux, sont indépendants de l'État, ce n'est pas pour autant un progrès, si c'est un avantage pour eux. Seuls ces trusts seraient à même d'investir dans des installations aussi coûteuses que la TV ou la radio, en consacrant d'ailleurs une bonne partie des émissions à des fins publicitaires.
Dès lors, nous n'entendrions plus que la version des événements donnée par les représentants de ces trusts ou groupes financiers. Il est certain que, dans ce cas, nous ne pourrions voir ou entendre ce que nous avons malgré tout vu et entendu sur les événements du 13 mai, du 29 janvier, ou sur les manifestations de musulmans en Algérie le 11 décembre dernier. L'exemple de la télévision américaine, entièrement sous la coupe de capitaux privés, est assez significatif de ce que peut être, dans un pays capitaliste, un aussi puissant moyen d'information lorsqu'il est « indépendant », au sens de ces messieurs. Les informations politiques qui sont données se situent au niveau du salon de thé de Mrs Kennedy, et la majeure partie du temps d'émission y est consacrée à une publicité dont la médiocrité n'a d'ailleurs d'égal que la durée. L'objectivité des chaînes anglaises ou américaines, soi-disant assurée par la concurrence entre les diverses firmes n'est qu'une apparence : si les points de vue sont différents, ils ont tous en commun de défendre les intérêts des monopoles.
Le Figaro, l'Aurore, le Parisien Libéré, le Monde, etc. ont certes des points de vue, un ton et un niveau différents, mais ils défendent tous la bourgeoisie et ses intérêts et ne sont « objectifs » que dans ce cadre. À cet égard, on peut dire que le fait pour la TV et la radio françaises de cesser d'être aux mains de l'État représenterait une régression. Un peu comme si l'on dénationalisait les Postes, la SNCF ou l'EDF. Du moins l'État, s'il est un instrument au service de la bourgeoisie, est-il au service de la bourgeoisie dans SON ENSEMBLE, au service de ses intérêts généraux. Il ne dépend pas de tel ou tel trust ou groupe financier en particulier, et il doit souvent tenir compte des autres couches de la société, souvent à l'encontre de certains intérêts financiers. C'est pourquoi la Télévision et la Radio présentent une relative objectivité, dans la mesure où elles s'adressent justement à la société dans son ensemble, devant se présenter en arbitre d'intérêts ou d'opinion divergents, ou antagonistes, alors que pour la presse, ce n'est pas le cas, parce que la plupart du temps chaque journal représente les intérêts de groupements financiers ou politiques particuliers dont il défend la seule cause et les seules vues.
Par ailleurs, sur le plan uniquement culturel, il suffit d'écouter Radio Luxembourg. Imaginez ce que serait la RTF si elle tombait directement sous la domination des trusts. Europe N°1 ne fait d'ailleurs pas exception à la règle car c'est l'État qui a la haute main sur ses affaires en détenant 50 % des parts de la société qui contrôle le poste.
Dans la société capitaliste actuelle, en fin de compte, l'hypothèse d'une télévision et d'une radio indépendante à la fois des grands trust et de l'État étant utopique, s'il faut à coup sûr lutter et protester contre la censure, les atteintes à la liberté d'expression et d'opinion, réclamer que radio et TV ne soient plus monopoles d'État, au nom de l'objectivité de l'information, n'est qu'une revendication aussi réactionnaire qu'intéressée.