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- Lutte de Classe n°51
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Du 2 décembre au 19 mars
Bien que de ci de là quelques voix se soient élevées chez les sociaux-démocrates ou les radicaux, pour réclamer une alliance électorale s'étendant jusqu'au PCF, il est fort peu probable que celui-ci réussisse à obtenir, lors des prochaines élections, le nombre de sièges que la quantité de suffrages qu'il recueillera lui permettrait d'obtenir avec une loi électorale plus démocratique. Il sera très probablement, comme en 1958, la victime des alliances qui se feront les 18 et 25 novembre. Il y est d'ailleurs résigné puisqu'il a annoncé qu'il favoriserait de son mieux - sans rien exiger en échange - les partisans du « non ».
Cependant, bien que le PCF ne puisse pas espérer y avoir la représentation que son influence électorale devrait lui donner, c'est cependant à une Chambre hostile que de Gaulle aura affaire en décembre. Le Referendum -Plébiscite a pour objet de le mettre dans la meilleure position possible pour cela.
Le pouvoir va donc devenir encore un peu plus autoritaire et, quoique l'évolution soit pratiquement insensible aujourd'hui sur le plan légal - les Gouvernements Debré et Pompidou étaient déjà rigoureusement indépendants du Parlement puisqu'ils ne furent présentés à celui-ci que parce que de Gaulle le voulait bien - cela sera nettement plus sensible, si le Gouvernement doit constamment s'opposer à une Chambre hostile. La nature du pouvoir gaulliste n'aura pourtant pas changé. Son pouvoir est bonapartiste et il ne dépend que du rapport des forces en présence, dans le pays et non à la Chambre. Les influences légales n'intervenant dans ce domaine que par le plus ou moins grand niveau de conscience, ou au contraire de démoralisation, qu'elles entraînent d'un côté ou de l'autre. Mais s'il n'y a pas de changement de nature, il y a cependant sur le plan constitutionnel une aggravation - bien que légère - de l'autoritarisme étatique qui consiste à concentrer pratiquement tous les pouvoirs aux mains d'un seul homme.
Depuis bien longtemps, depuis 1948 exactement, ce problème se pose à la bourgeoisie française. Depuis que la guerre froide a fait du PCF un Parti que la bourgeoisie ne peut en aucun cas utiliser au Gouvernement, à cause de l'incompatibilité des politiques étrangères, la IVe République était paralysée par le fait que plus de cent députés étaient systématiquement dans l'opposition et « irrécupérables ». Bien sûr, dans les cas graves, le PCF ne refusait pas son soutien. Mais, comme c'était malgré tout l'exception, ce handicap de cent et quelques députés rendait toutes les majorités fragiles. La bourgeoisie avait besoin des députés du PCF comme des députés socialistes pour gouverner contre les masses, mais le PCF ne pouvait échanger un soutien systématique et sans réserve que contre un renversement des alliances internationales de l'impérialisme français. C'est ce phénomène qui rendait certains Partis du Centre plus influents que le seul nombre de leurs députés ne l'aurait dû - ils jouaient en quelque sorte le rôle d'arbitres - et qui provoquait l'instabilité gouvernementale caractéristique de la IVe République.
La seule solution pour la bourgeoisie était, à défaut de pouvait interdire le Parti Communiste, de supprimer sa représentation. Il fallait pour cela une loi électorale « sur mesures ». Mais toutes les solutions possibles lésaient forcément, ou risquaient de léser, tel ou tel groupe de la majorité et étaient par conséquent « invotables » par le Parlement. C'est pourquoi ce n'est que de Gaulle qui a pu modifier la loi électorale. Avant lui, ce fut impossible.
Mais il fallait bien gouverner quand même. La classe ouvrière française est puissante et organisée. Les autres classes travailleuses aussi. Elles ne dédaignent pas d'intervenir dans la politique, y compris par l'action directe. D'autres Partis que le PCF pouvaient, à certaines époques, ne pas pouvoir méconnaître les sentiments, la pression, de leur clientèle électorale ou de leurs mandants. Pour cette raison, comme pour pouvoir adopter une loi électorale éliminant le PCF du Parlement, il fallait rendre le Gouvernement plus indépendant du Parlement qu'il l'était (et il l'était déjà pas mal ne serait-ce que parce que le Parlement ne siégeait pas la moitié de l'année).
Certains Gouvernements de la IVe République l'ont tenté. Ils l'ont tenté en demandant au Parlement de voter des lois d'orientation, dont le contenu n'était pas précisé ; seuls les aboutissants l'étaient, le contenu de ces « lois cadres » étant laissé à l'appréciation du Gouvernement, qui pouvait alors le rendre applicable par simple décret. Ce n'était pas les décrets-lois de Daladier, cela pouvait y ressembler.
Cela n'y ressembla pas, car un Gouvernement, celui de Laniel, en 1953, voulut s'en servir pour attaquer de front le niveau de vie des travailleurs et en particulier celui des fonctionnaires. Cette menace provoqua la plus importante grève de la Fonction Publique que la France ait jamais connue. L'initiative fut prise par une poignée de militants révolutionnaires des PTT, militant à Bordeaux au sein de la CGT- FO. Pendant tout le mois d'août, la France vécut sans chemins de fer, sans courrier, sans téléphone. Les travailleurs des autres branches ne rejoignirent pas le mouvement des fonctionnaires, à la rentrée, grâce aux efforts conjugués de toutes les bureaucraties syndicales. Mais la bourgeoisie française connut l'une de ses plus grandes peurs de l'après-guerre et, avec ce coup d'arrêt de la classe ouvrière, se terminèrent les tentatives de restauration du système des décrets-lois.
C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit d'imposer au pays des sacrifices financiers supplémentaires et surtout le rappel des disponibles et l'envoi du contingent en Algérie, ce sont les formations du Front Républicain qui le firent. Elles s'étaient fait élire sur un programme de paix en Algérie. La Chambre élue alors - en 1956 - comportait une majorité de députés élus sur ce programme (PCF, PS, Radicaux). Le moment était grave et déterminant pour la bourgeoisie. Le système parlementaire était bloqué, et la rue aurait apporté une victoire garantie à la gauche. C'est alors que le PS et les Radicaux tournèrent le dos, en quarante-huit heures, à leur programme électoral, avec les tomates d'Alger comme prétexte. Le PCF ne refusa pas de faire ce qu'on attendait de lui et le Parlement unanime délégua ses pouvoirs à Guy Mollet en lui accordant les Pouvoirs dits spéciaux. Le Parlement, bien entendu, ne lui vota ces pouvoirs que pour accentuer la guerre d'Algérie, et cela ne permit pas à Guy Mollet de transformer la loi électorale ou de réformer la Constitution. Pour cela il a fallu le prétexte du 13 Mai et l'appel à de Gaulle.
De Gaulle est arrivé au pouvoir sans que la classe ouvrière intervienne. Spontanément, ou à l'initiative de petits groupes révolutionnaires, elle ne le pouvait pas car il s'agissait d'un problème national. Seuls ses partis auraient pu le faire et ils l'ont comme d'habitude livrée. La bourgeoisie a donc pu instaurer l'État bonapartiste qui lui était nécessaire.
Mais le prolétariat n'a pas désarmé, il est toujours là. Dans l'année 1959 des grèves économiques ont éclaté qui auraient pu, par leur extension, mettre en péril le régime gaulliste. Les appareils syndicaux les ont contrôlées et limitées. La tactique des grèves tournantes utilisée systématiquement et constamment leur a permis de désamorcer tout mouvement risquant de s'étendre.
Aujourd'hui, la situation n'a pas évolué. De Gaulle craint une poussée à gauche lors des élections. Il veut s'en prémunir par un nouveau plébiscite.
Mais, venu de la rue, son pouvoir ne tombera que par la rue. La guerre d'Algérie terminée, son bonapartisme n'est efficace que grâce au mythe OAS Dans le renforcement légal du pouvoir de de Gaulle auquel nous assistons, il n'y a pas un changement considérable du régime. Peut-être même, au contraire, le désaccord public Parlement-Gouvernement donnera conscience aux masses que les voies du salut sont extra-parlementaires.
Sans croire que la victoire de de Gaulle au référendum soit une défaite de la gauche, c'est à cette perspective que doivent se préparer les révolutionnaires afin de donner au prolétariat les armes qui lui permettront de vaincre.