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- Lutte de Classe n°35
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Decazeville
Le 22 février, après soixante quatre jours de grève, par décision du comité intersyndical, les mineurs de Decazeville ont repris le travail.
« Accord total avec la décision de terminer la grève en préservant l'unité », sous-titrait « l'Humanité » du même jour. La CGT s'était prononcée, poursuit ce même journal « pour la poursuite de la grève active, à condition, que toutes les organisations syndicales en fassent autant ». Mais, comme au comité intersyndical « des appréciations différentes ont été émises sur les moyens à employer pour préserver l'unité », la CGT a accepté le principe de la reprise du travail.
Ainsi prit fin la grève : non pas parce que telle fut la décision des travailleurs, mais pour préserver « l'unité » entre les directions syndicales, compromise par les divergences de vue des dirigeants des différentes centrales,
Soixante quatre jours de grève sont lourds à supporter. Il se peut qu'une bonne partie des mineurs souhaitaient la reprise du travail, mais que cela ne fut pas le cas de tous, les bagarres violentes opposant les partisans et les adversaires de la poursuite de la grève l'ont prouvé.
Ceci dit, de toute façon, vu l'orientation que lui donnaient les syndicats, la grève allait vers sa fin.
Les mineurs ont obtenu tout ce qu'ils pouvaient obtenir sur le plan local. Retrouver tous les avantages antérieurs, les mêmes salaires, le même régime de sécurité sociale, la retraite à 55 ans, et surtout imposer la garantie de ces avantages, n'était guère possible en limitant l'action à Aveyron, dussent-ils avoir l'appui de l'archevêque de Rodez.
Or, du premier au dernier jour, la tactique syndicale fut la même : alors que les dirigeants s'efforçaient d'associer à la lutte les plus larges couches de la population de la région de Decazeville - (on a vu aux manifestations les bleus de travail côtoyer des robes de religieuses) - à l'échelle nationale, aucun mouvement à l'exception de quelques débrayages symboliques et de quelques collectes modestes, bien modestes.
En réalité, il ne s'agissait pas d'un choix tactique de la part des syndicats, mais d'une orientation politique. Et sur cette orientation d'une manière ou d'une autre, toute la « gauche » était d'accord.
Pour « l'humanité » la grande revendication des mineurs fut la défense de « leur » mine. en conséquence, le p.c.f. se devait de « déclarer que le bassin minier de decazeville peut et doit rester en activité et se développer ». (passons sur l'habituel côté chauvin de l'affaire, défendre « notre » charbon contre le charbon étranger).
Au contraire, les journaux de style « Express » et « France-Observateur », tout en pleurnichant sur le sort des mineurs licenciés, tout en les assurant de leur appui moral total, regrettent que dans cette histoire, objectivement, c'est l'État qui ait raison : la mine n'est plus rentable, l'exploiter à perte serait rétrograde. Et de là, parler de « poujadisme ouvrier », en comparant les mineurs de Decazeville aux tisserands d'autrefois, qui brisaient les métiers Jacquart.
Malgré l'apparente contradiction entre ces deux positions, le fond du raisonnement est le même : il s'agit de savoir si la mine est rentable ou non, et si non, s'il est possible d'établir dans la région des industries susceptibles de donner du travail aux mineurs licenciés. Même ceux qui tentent de situer le problème sur le plan national ne l'envisagent que comme un problème de reconversion : dans quel secteur de l'économie peut-on reclasser ceux qu'un secteur a rejetés ?
Il se peut, il est même quasiment certains que la mine de Decazeville n'est plus''rentable ». Mais de cela, tant que les travailleurs ne dirigent pas eux-mêmes l'économie, ils n'en sont pas responsables. C'est justement pour cela que le problème n'est pas là où tout le monde le place. Que le patronat fasse des reconversions, soit, mais ce n'est pas aux travailleurs d'en supporter les frais.
Les ouvriers ne défendent pas leur mine, précisément parce qu'elle ne leur appartient pas. Ils défendent tout simplement les avantages qui se rattachent à la mine retraite à 55 ans, sécurité sociale, salaire relativement plus haut qu'ailleurs. Obtiendraient-ils ces avantages dans une autre branche de l'industrie, dans une autre région même qu'ils quitteraient avec joie la mine archaïque et le travail pénible.
Le vrai problème est là. En France, il y a des centaines de Decazeville condamnés à dépérir à une échéance plus ou moins brève. Les travailleurs n'ont pas à indiquer au patronat la façon de les remonter artificiellement, mais ils doivent exiger la garantie qu'en cas de reconversion, les travailleurs touchés continueront à bénéficier du même niveau de vie.
Il est clair que cet objectif ne peut être atteint que par une lutte sur le plan national.
Seules des actions d'envergure peuvent arracher au patronat et à l'État les garanties susceptibles de palier les désavantages de la reconversion, et écarter les inconvénients du chômage total ou partiel. L'objectif de cette lutte n'est pas d'obtenir des aumônes pour les travailleurs déjà touchés, mais de se garantir pour l'avenir : imposer la parité entre tous les salaires (suppression des abattements de zone notamment) salaire mensuel garanti, le paiement intégral de ce salaire même en cas de chômage, la garantie des avantages antérieurs au cas du changement de travail.
Le conflit de Decazeville aurait dû être le début d'un mouvement à l'échelle nationale pour obtenir satisfaction à ces revendications, bien plus importantes que n'importe quelle autre, y compris, l'augmentation des salaires. Tant que les travailleurs n'auront pas ces garanties, leur sécurité, leur situation resté à la merci de la moindre baisse de production, du moindre changement économique et ils continueront à payer les frais des opérations patronales.
Le moment eut été d'autant mieux choisi que, d'une part, du fait de la pénurie de main d'oeuvre et de l'absence relative de chômage, les circonstances économiques sont favorables aux travailleurs à l'échelle du pays, et que, d'autre part, la publicité faite autour de l'affaire de Decazeville a considérablement sensibilisé les travailleurs sur le problème des garanties de salaire.
En ne plaçant pas la lutte au niveau de l'enjeu, en localisant et en isolant le mouvement, les syndicats ont à l'avance, condamné le mouvement à l'échec.