De Versailles à Mourmelon28/11/19601960Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

De Versailles à Mourmelon

Quinze ans après la capitulation sans conditions de ce qui restait des armées du IIIe Reich, le récent séjour de soldats allemands au camp de Mourmelon a fait quelque bruit.

Ce qui peut sembler le plus étonnant dans cette affaire, c'est que ceux qui s'en indignent ne sont pas les champions du Traité de Versailles : la droite ne parle plus que d'amitié entre les peuples, et c'est la gauche stalinisante qui se veut la gardienne de « l'indépendance nationale ».

Toutefois, si la presse stalinienne sombre dans le chauvinisme jusqu'au ridicule, le PC, hésitant à trahir trop effrontément l'internationalisme dont il se réclame encore à l'occasion, n'omet jamais de rappeler, dans ses textes officiels, qu' « il n'a pas de haine contre le peuple allemand » .

S'il lutte contre le militarisme allemand, dit-il, c'est parce que la Bundeswehr, l'armée de la république fédérale, est restée jusque dans ses racines une armée nazie, une armée non démocratique.

Que l'Allemagne de l'Ouest ait utilisé des officiers qui avaient tous commencé leur carrière sous Hitler, c'est un fait : il n'y avait que ceux-là (la RDA, l'Allemagne de l'Est, a d'ailleurs pris le même chemin avec les mêmes hommes). Cependant les rapports qui existaient entre l'état-major et le Parti National Socialiste étaient souvent rien moins qu'amicaux : témoin le complot contre Hitler de juillet 1944, où étaient mêlés des gens qui, comme Von Stulpnagel ou Rommel, n'avaient rien d'hommes de gauche. Entre les officiers, fils de bourgeois cultivés ou de hobereaux, aristocratiques admirateurs de Goethe et de Wagner, et les plébéiens que le fascisme porta au pouvoir, il n'y avait rien de commun.

Après la révolution de 1918, les officiers monarchistes continuèrent à servir les intérêts des classes dominantes sous la République de Weimar sans être pour cela des démocrates, et lorsque pour résoudre la crise de 1930 la bourgeoisie allemande fit appel aux fascistes, ces mêmes officiers servirent sous le régime hitlérien sans devenir pour autant, dans leur ensemble, des nazis.

Reichwehr républicaine, Wehrmacht nazie ou Bundeswehr, c'est effectivement toujours la même armée haïssable, celle de la bourgeoisie allemande. Au même titre que l'armée française est l'armée de la bourgeoisie française.

Mais, nous dit-on encore, le militarisme allemand est un danger pour la paix, et la France « eut trois fois déjà à souffrir » de ses agressions.

La guerre de 1870, si elle n'était pas pour déplaire à Bismarck, était voulue et fut déclarée par Napoléon III, et la responsabilité de celle de 1914, règlement de comptes entre rivaux impérialistes, incombe à peu près également à l'Allemagne, la France et l'Angleterre.

Le mythe de l'ennemi héréditaire, de l'Allemagne ayant le monopole du militarisme, a toujours été la feuille de vigne dont la bourgeoisie française a caché sa politique impérialiste, et il ne devrait pas appartenir à un parti qui se dit communiste de le reprendre à son compte.

Si l'on en croit le PC, la bourgeoisie française serait en train de mener une politique de suicide en favorisant le réarmement d'une Allemagne revancharde qui n'attendrait plus que l'occasion favorable. Sachant par expérience que la bourgeoisie sait très bien où sont ses intérêts et comment les défendre, il convient de chercher ailleurs les causes de sa politique.

Après la défaite allemande de 1918, les pays de l'Entente s'efforcèrent de briser économiquement et militairement leur concurrent vaincu. L'Allemagne, qui avait fait la guerre pour agrandir son empire colonial, non seulement n'obtint rien, mais encore se vit frustrée du peu qu'elle avait. Son armée fut réduite au minimum nécessaire « au maintien de l'ordre intérieur ». Sa situation était telle qu'il était clair qu'une crise économique de quelque gravité ne laisserait d'autre solution à la bourgeoisie allemande que l'aventure fasciste, et au bout, la guerre. C'est en quoi le Traité de Versailles préparait une nouvelle guerre.

Pourtant, quand après la prise du pouvoir par les nazis, le service militaire obligatoire fut rétabli, et qu'une politique de réarmement intensif fut appliquée, les « démocraties » occidentales (l'Angleterre et la France), se contentèrent de platoniques protestations verbales. C'est que, si la guerre était inévitable, tout le monde pensait qu'elle aurait lieu à l'Est.

Si la bureaucratisation de l'URSS lui avait fait perdre son caractère révolutionnaire, elle n'en restait pas moins le pays de la propriété socialisée, donc l'ennemi numéro Un de toutes las bourgeoisies du monde. La guerre qui venait devait avoir lieu contre elle.

Mais les dirigeants soviétiques inquiets cherchèrent à éloigner la menace et se tournèrent vers les « démocraties » occidentales. Le pacte Laval-Staline marqua ce rapprochement. Ni l'Angleterre ni la France n'étaient toutefois disposées à faire les frais de la guerre à la place de l'URSS et Munich montra à Staline qu'il ne pouvait pas compter sur leur soutien. Cherchant toujours à éviter l'inévitable par des manoeuvres diplomatiques, la bureaucratie crut rejeter la guerre à l'Ouest grâce au pacte germano-soviétique et au dépeçage de la Pologne.

Si ce pacte donna à l'URSS un délai, il n'arrêta pas la politique impérialiste de l'Allemagne, mais il y avait une limite que celle-ci ne pouvait franchir sans s'attirer la riposte de l'Angleterre et de la France. La déclaration de guerre de 1939 ne fut que la suite de la vieille querelle de 1914.

L'Union Soviétique ne pouvait pas, toutefois, espérer rester en dehors de la guerre. Puisque celle-ci avait commencé par une lutte entre deux camps impérialistes, l'URSS, attaquée par l'un, devait par la force des choses devenir l'alliée de l'autre. Mais cette alliance ne pouvait durer que tant que duraient ses causes, que tant que la guerre contre l'Allemagne n'était pas terminée.

En 1945, celle-ci était vaincue, mais le problème que posait aux pays impérialistes la simple existence de l'URSS n'était pas résolue. Bien au contraire, il était encore aggravé par l'extension de la zone sous contrôle soviétique qui résultait de la guerre.

Les contradictions entre impérialistes n'étaient pas supprimées, mais passaient au second plan. Dès lors, pour les alliés occidentaux, il fallait non pas désarmer l'Allemagne, mais l'inclure dans le système militaire anti-soviétique. La République fédérale fut rapidement créée et dotée d'une armée d'abord de métier, ensuite basée sur la conscription obligatoire. L'Allemagne devint membre de l'OTAN et fut appelée par la force des choses à en prendre la tête en Europe. La participation de troupes allemandes aux récentes manoeuvres qui viennent de se dérouler en France découle de cet état de fait. Elle ne faisait d'ailleurs que précéder l'implantation définitive sur le sol français de bases allemandes.

Lorsque le PC engage la lutte contre le réarmement allemand, c'est dans l'optique de la défense de l'URSS. Mais incapable de défendre cette position devant les masses, il préfère développer une propagande chauvine en essayant d'effrayer les petits-bourgeois par le danger que représenterait pour la France une Allemagne revancharde.

La haine de l'uniforme allemand qu'il essaie de répandre n'empêchera certainement pas l'Allemagne de réarmer complètement, elle ne changera rien au corps des officiers à qui elle prétend s'attaquer, mais elle risque d'empoisonner la conscience et de ceux à qui elle s'adresse en France et des milliers de prolétaires allemands sous l'uniforme qui, attaqués par des nationalistes français, n'auront plus d'autre solution que de se conduire en nationalistes allemands.

Le militarisme allemand est effectivement l'ennemi de la classe ouvrière, et en premier lieu de la classe ouvrière allemande, mais au même titre que le militarisme français contre lequel le PC ne trouve pas un mot.

Les seuls qui puissent mener une lutte efficace contre le militarisme allemand, ce sont les prolétaires allemands. La seule manière de les aider c'est de lutter contre notre propre bourgeoisie et notre propre militarisme.

Le capitalisme et ses armées menacent la paix, c'est vrai, mais ce ne sont pas les bêlements pacifistes qui y changeront quelque chose, Une véritable lutte pour la paix ne doit pas être un soutien plus ou moins avoué de notre propre bourgeoisie, mais une lutte révolutionnaire pour l'abattre, elle, son armée et sa police,

Du mot d'ordre de la « défense de la patrie »

(extrait des Résolutions de la Conférence de Berne du POS.D.R.- bolchevik - 29 mars 1915 )

« L'idéologie nationale qui a été le fruit de cette époque (1789-1871) a laissé des traces profondes dans la masse de la petite bourgeoisie et dans une partie du prolétariat, Maintenant, à l'époque impérialiste, époque toute différente, les sophistes de la bourgeoisie et les traîtres au socialisme qui se traînent à leur remorque exploitent cette idéologie pour diviser les ouvriers, les détourner de leurs tâches de classe et de la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie.

Les paroles du Manifeste Communistes « Les travailleurs n'ont pas de patrie » sont maintenant plus vraies que jamais. Seule la lutte internationale du prolétariat contre la bourgeoisie pourra conserver leurs conquêtes aux travailleurs et ouvrir aux masses opprimées la voie vers un avenir meilleur. »

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