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De l'eau bénite à la mitraille
C'est le 18 février 1851, il y a 110 ans, qu'Auguste Blanqui envoyait le texte qu'on lira plus loin et qui est resté depuis dans la littérature socialiste sous le nom de « toast de Londres » à un de ses amis politiques, Barthélemy, résidant à Londres. Blanqui, arrêté en mai 48 était alors interné à Belle-Ile, forteresse encore d'actualité. Il subissait outre les persécutions de la direction et des gardiens, les injures, les calomnies et les provocations de Barbès que la bourgeoisie peu reconnaissante avait frappé à son tour après sa victoire de juin 1848 sur le prolétariat parisien, rassemblant ainsi dans les pires conditions, révolutionnaires authentiques et fossoyeurs de la révolution. Entre ces quatre murs la lutte prenait un caractère âpre et violent. Les prisonniers se divisaient en deux factions. Il régnait une atmosphère empoisonnée de corruption, presque risible, Barbès et Albert, distribuant à leurs fidèles - par anticipation - grades et emplois de... leur futur gouvernement.
C'est donc dans ces conditions que Blanqui reçut la lettre de Barthélemy qui avait échappé à l'internement et vivait à Londres et lui demandait d'écrire un « toast » pour le banquet des Égaux, qu'il organisait avec Louis Blanc, ami intime de Barbès, en spécifiant de ménager Louis Blanc « dont les intentions avaient été meilleures que les actes ».
À une telle demande qui confond par son impudence ou sa bêtise, Blanqui répondit en envoyant ses lignes, écrites antérieurement, alors qu'écoeuré des maquignonnages de la fraction Barbès, il avait dit son indignation. Il espérait faire saisir à ses amis la trahison profonde des soi-disant révolutionnaires qui une fois au pouvoir au gouvernement provisoire avait enterré la révolution de 1848 avec de grandes phrases ronflantes sur le « gouvernement du peuple par le peuple » et permis la répression et les massacres de juin en laissant les ouvriers désarmés.
En fait, Barthélemy voulait faire une différence entre les « les monstres qui ont avoué avoir fait mitrailler le peuple pendant les sinistres journée de juin 48 » et les hommes comme Louis Blanc et Albert qui se montrèrent impuissants, faibles ou inintelligents au Gouvernement Provisoire. Blanqui n'en faisait pas et ne voulait pas en faire.
Depuis, le mouvement ouvrier a connu de nombreux imitateurs de ce que Blanqui appelle les « comédiens du socialisme », ou les « coureurs de place ». Le PS a fourni le gros des troupes en la matière, étant le premier parti « ouvrier » à dégénérer et, au nom du socialisme, à s'installer au sein de l'État bourgeois. Et si en 1848 Louis Blanc ne faisait que participer à un gouvernement qui fusillaient les ouvriers, en 1948, Jules Moch, ministre socialiste de l'Intérieur, faisaient attaquer par la troupe les mineurs en grève. En 1956, Guy Mollet nanti de pouvoirs spéciaux organisait pleinement la guerre d'Algérie avec son cortège de mitraillage, de napalm, de répression policière et de torture.
Quant au Parti Communiste, venu plus tard dans l'arène politique, on l'a vu directement au gouvernement de fin 1944 à 1947, reconstituer la police et l'armée bourgeoise, faire retrousser les manches aux prolétaires et remplir les escarcelles des bourgeois, maintenir l'impérialisme en place, assister de leur siège de ministre au massacre de Sétif (30 000 morts) en 1945 et au début de la guerre d'Indochine, puis voter les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet en 1956. Ceci pour ne parler que des actes de trahison ouverte envers les prolétaires ou les peuples coloniaux pour les années d'après-guerre.
Ces trahisons des partis « ouvriers », l'ensemble des travailleurs les ont vécues et la plupart les ressentent confusément la désertion des syndicats et le peu de crédit du Parti communiste en sont les conséquences actuelles). Mais, pour la grande majorité de la population laborieuse, il est cependant difficile d'admettre que cette trahison est réfléchie, calculée, qu'elle est l'oeuvre de politiciens au service de la bourgeoisie pour la social-démocratie, de la bureaucratie soviétique pour le Parti Communiste. Ils pensent souvent que « les intentions étaient meilleures que les actes » et se trouvent désarmés devant ces hommes de métier qui possèdent un arsenal de techniques à briser le mouvement ouvrier. En dehors de la trahison ouverte directe, il existe un art d'avoir l'air de mener la lutte tout en ne la menant pas. Là, plusieurs artifices sont possibles bien que peu renouvelés au total. Les soi-disant dirigeants ouvriers trahissent soit en donnant des moyens de combat non ajustés aux objectifs, soient en lançant de belles phrases sur la démocratie et sur la nécessité de lutter tout en n'organisant pas la lutte ou en l'organisant trop tard, (ce qui fait dire parfois aux travailleurs qu'il manque une tête, un chef qui donne des mots d'ordre précis et juste) soit, lorsque que les travailleurs sont décidés à descendre dans la rue en « promenant » les manifestants jusqu'à ce qu'ils se fatiguent. C'était valable à l'époque de Blanqui, sous les Louis Blanc et compagnie. Cela l'a été particulièrement après la « Libération ». Cela l'a été lors des rares importantes manifestations de ces dernières années.
Au peuple crédule qui croit en toute bonne foi, comme dit Blanqui, il est difficile de démystifier les mystificateurs. Cependant ce même peuple sent très bien lorsque sa propre direction ne répond pas. On le voit alors refuser le combat et chercher des solutions individuelles. Mais la crédulité n'est jamais absolue. Les travailleurs ont vécu un trop grand nombre de fois les mêmes manoeuvres pour que les représentations ultérieures n'aient pas un air de déjà vu.
Et si aujourd'hui, malgré cela, beaucoup de mouvements tournent court c'est parce qu'au-delà de la trahison des directions traditionnelles, il ne se dégage pas une direction authentiquement révolutionnaire. En fait, cette direction, la classe ouvrière ne peut la faire seule. Aux hommes de métier qui la mystifient et qui l'oppriment, il faut qu'elle oppose des hommes de métier qui défendent réellement ses intérêts.
Bien que Blanqui ait dû ressentir la nécessité de lier son combat à celui de la masse des travailleurs - surtout après ses défaites - Blanqui n'avait pas vu la nécessité de faire de ce « peuple crédule » son arme déterminante pour abattre le régime bourgeois. S'opposant en cela à Marx et Engels et faisant d'ailleurs l'objet de leurs critiques, Blanqui pensait que la prise du pouvoir pouvait se faire par une équipe de révolutionnaires sincères que le peuple reconnaîtrait.
C'est un écueil auxquels peuvent se heurter des révolutionnaires sincères et impatients devant cette révolution que l'on attend depuis un siècle et qui n'a pas lieu. Certains s'égarent à la recherche du mot d'ordre magique qu'attendraient les travailleurs pour se mettre en lutte, d'autres recherchent dans la société des forces de remplacement qui soient plus accessible que le prolétariat et parlent du rôle révolutionnaire des « techniciens ». Mais rien ne peut remplacer la force de la masse des travailleurs dans leur ensemble, prolétaires de l'industrie et de la terre, ces prolétaires qui se laissent berner par les beaux phraseurs mais qui ne peuvent apprendre que s'ils trouvent auprès d'eux, dans leur combat quotidien, ces hommes de métier que se veulent les révolutionnaires.
Le toast de Londres d'Auguste Blanqui
Quels écueils menacent la révolution de demain ?
L'écueil où s'est brisée celle d'hier : la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns. Ledru-Rollin, Louis-Blanc, Crémieux, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont de l'Eure, Flocon, Albert, Arago, Marrast ! Liste funèbre ! Noms sinistres, écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l'Europe démocratique.
C'est le Gouvernement Provisoire qui a tué la révolution. C'est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes. La réaction n'a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui l'ont livré à la réaction.
Misérable gouvernement ! Malgré les cris et les prières, il lance l'impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes désespérées, il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !
Il court sus aux ouvriers de Paris ; le quinze avril, il emprisonne ceux de Limoges, il mitraille ceux de Rouen le 27, il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison ! Trahison !
À lui seul le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la révolution.
Oh ! Ce sont là de grands coupables et entre tous les plus coupables, ceux en qui le peuple trompé par des phrases de tribun, voyait son épée et son bouclier ; ceux qu'il proclamait avec enthousiasme, arbitres de son avenir.
Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l'indulgence oublieuse des masses laissait monter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois, c'en serait fait de la révolution.
Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux, cette liste de noms maudits ! Mais si un seul apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l'insurrection, qu'ils crient tous, d'une voix : trahison !
Discours, sermons, programmes ne seraient encore que piperie et mensonge ; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tour, avec la même gibecière ; il formerait le premier anneau dune chaîne nouvelle de réaction plus furieuse !
Sur eux, anathème, s'ils osaient jamais reparaître !
Honte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait encore dans leurs filets.
Ce n'est pas assez que les escamoteurs de février soient à jamais repoussés de l'Hôtel de Ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.
Traîtres seraient les gouvernements qui, élevés sur les pavois prolétaires, ne sauraient pas opérer à l'instant même :
1° - le désarmement des gardes bourgeoises ;
2° - l'armement et l'organisation en milice nationale de tous les ouvriers.
Sans doute, il est bien d'autres mesures indispensables mais elles sortiraient naturellement de ce premier acte qui est la garantie préalable, l'unique gage de sécurité pour le peuple. Il ne doit pas rester un fusil aux mains de la bourgeoisie. Hors de la, point de salut.
Les doctrines diverses qui se disputent aujourd'hui les sympathies des masses pourront un jour réaliser leurs promesses d'amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l'ombre.
Les armes et l'organisation, voilà l'élément décisif du progrès, le moyen sérieux d'en finir avec la misère. Qui a du fer, a du pain.
On se prosterne devant les baïonnettes, ont balaye les cohues désarmées. La France hérissée de travailleurs en armes, c'est l'avènement du socialisme.
En présence des prolétaires armés, obstacles, résistance, impossibilité, tout disparaîtra.
Et pour les prolétaires qui se laissent abuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d'arbres de la liberté, par des phrases sonores d'avocats, il y aura de l'eau bénite d'abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours.
Que le peuple choisisse !