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De Belle-Île à Évian

L'importance prise par le Mouvement National Algérien de Messali Hadj vis-à-vis des pourparlers d'Évian a attiré de nouveau l'attention sur l'évolution du MNA en tant que parti nationaliste.

On peut se demander comment le « vieux lutteur algérien », comment le père incontesté du mouvement national en Algérie, l'animateur de l'Étoile Nord Africaine dès 1920, le fondateur du Parti Populaire Algérien et du Mouvement Pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, qui étaient alors les organisations nationalistes les plus radicales, a pu devenir ce vieillard servile devant l'impérialisme français, et comment son parti a pu le suivre. On ne peut comprendre cela en considérant uniquement le MNA, en dehors du déroulement des événements et de l'attitude des autres partis depuis 1954. Ni la nature de cette organisation, ni le caractère de Messali dont l'autoritarisme est souvent cité, ne suffisent à expliquer cette évolution.

À la veille de l'insurrection de 1954, il existait deux grands partis algériens nationalistes, l'Union Démocratique du Manifeste Algérien de Ferhat Abbas, parti modéré dont le chef disait encore en 1936 en parlant de la « patrie algérienne » : « j'ai interrogé l'histoire, j'ai interrogé les vivants et les morts, j'ai visité les cimetières, personne ne m'en a parlé », et aussi « sans l'émancipation des indigènes, il n'y a pas d'Algérie française durable », et le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, plus radical, dont la personnalité la plus marquante était Messali Hadj.

Alors depuis plusieurs mois, le MTLD traversait une crise. Deux tendances se livraient une lutte qui allait aboutir à une scission : les messalistes, critiquant le « réformisme » du comité central du parti et demandant les pleins pouvoirs pour Messali, afin de revenir à une ligne politique juste, et les « centralistes » partisans de la direction d'alors du parti qui reprochait à Messali son autoritarisme excessif.

Mais finalement ce n'est ni l'UDMA, ni l'une de ces deux tendances du MTLD qui déclencha l'insurrection.

Si les messalistes luttaient contre le réformisme au sein de leur parti, ce n'était que verbalement, et l'insurrection du 1er novembre 1954 consacra la faillite des organisations nationalistes incapables de passer à la lutte armée contre l'impérialisme.

Cette insurrection fût l'œuvre d'une troisième tendance, qui refusa les discussions entre messalistes et centralistes et constitua le CRUA (Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action) qui allait donner naissance au FLN.

Cette tendance était surtout formée par des figures de second plan, souvent jeunes, où se mêlaient des militants pro messalistes comme Ben Bella, et pro centralistes.

Mis devant le fait accompli de l'insurrection, les partis nationalistes furent au début unanimes et commencèrent par déplorer un mouvement qui leur semblait n'avoir aucune chance de réussir. Ferhat Abbas par exemple déclara : « mais c'est le terrorisme qui m'inquiète ».

Il faudra plus d'une année de guerre pour que les positions des chefs traditionnels du nationalisme algérien commencent à évoluer.

Alors que Ferhat Abbas restait dans l'expectative, les messalistes créaient le MNA et formaient des maquis aux côtés du FLN. Mais dans cette tâche le MNA va se heurter au FLN non pas sur le terrain idéologique, mais sur le terrain militaire, et à la guerre contre l'armée française va se superposer une lutte sans pitié entre les deux tendances.

Il peut sembler à première vue paradoxal que le Front ait engagé une lutte bien plus violente contre la première tendance à rallier à l'insurrection, que contre les hésitants et les béni oui oui mais cela se comprend aisément. Ce qui gênait le FLN, ce n'était pas la « concurrence » immédiate c'était ce qui se passerait au lendemain de l'indépendance.

Au fur et à mesure qu'ils comprenaient que celle-ci était inéluctable, pour sauver leur avenir politique, les béni oui oui totalement coupés des masses n'avaient qu'une solution : se rallier au futur vainqueur, au FLN. Ce fut le cas des 61 élus musulmans du deuxième collège en 1955, de Ferhat Abbas en 1956, des députés du Rassemblement Démocratique Algérien en 1961.

Par contre le MNA n'était pas dans la même situation. Si son implantation en Algérie était certainement assez faible, il possédait une base ouvrière importante en métropole qui pouvait faire de lui l'opposition de gauche dans la future Algérie indépendante, et cela le FLN ne pouvait l'admettre.

Cette lutte impitoyable contre le MNA ne fut pas pour rien dans le glissement progressif de ce parti vers sa situation actuelle. Contraint de lutter sur deux fronts, contre l'armée française et contre l'ALN, le MNA devait fatalement succomber. L'affaire Bellounis, ce chef de maquis MNA qui pour se défendre contre le FLN se rallia à l'armée française, fut armé et équipé par celle-ci et finalement retourna ses armes contre elle, illustre bien cette situation.

Pratiquement éliminé de la lutte des masses, le MNA ne pouvait, pour sauver son avenir politique, que tenter de mettre à profit les tentatives du gouvernement français de ne pas discuter avec le seul FLN : le fossé creusé entre les deux organisations nationalistes rivales est trop profond pour leur permettre de fusionner.

Dès 1958, après le treize mai, la position de Messali est évidente. En approuvant les initiatives de de Gaulle, en offrant de négocier avec lui, Messali essayait de sauver son parti de la mort politique et de s'intégrer dans la troisième force que recherchait le gouvernement français.

L'évolution de Messali du nationalisme radical à la compromission avec la bourgeoisie française, comme la politique du FLN à l'égard du MNA, marquent les limites de ce que les masses peuvent attendre des chefs nationalistes bourgeois, plus soucieux qu'ils sont de défendre l'avenir politique de leur parti et de leur classe, que les intérêts des masses populaires.

 

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