- Accueil
- Lutte de Classe n°26
- Ceux qui laissent faire
Ceux qui laissent faire
On ne saurait dire ce qui, de la manifestation algérienne du I7 octobre à Paris ou de sa répression par une police aussi lâche que scélérate, a le plus bouleversé l'opinion. En tous cas la presse, au moins celle qui se prétend de gauche, a découvert pour ses lecteurs le monde quotidien, fait de souffrances, de misère et d'insécurité, des Algériens de Paris. L'Humanité, France-Nouvelle, l'Observateur, l'Express, Libération promènent leurs lecteurs dans les bidonvilles. On décrit enfin. On parle enfin. On cite enfin les témoignages de ceux qui y vivent journellement : la terreur policière, les rescapés de la rafle et de la Seine. Certains même, emportés par leur vertueuse indignation, vont jusqu'à traiter leurs lecteurs de « pauvres cons ». (Jean Cau - Express du 26 octobre).
Oui, lecteurs, nous disent-ils, tout cela existe et vous le tolérez.
Mais si les lecteurs de cette presse ont toléré cela jusqu'à présent, pourquoi cette même presse a-t-elle attendu le 17 octobre pour manifester... son indignation. Elle l'a fait ? Si peu !
Or ces jours derniers, le FLN avait fait appel à la gauche française pour le 1er novembre. Aucune des grandes organisations n'a répondu. Plus, les pourparlers entre les centrales syndicales ont eu lieu en secret jusqu'au 30 octobre où leurs U.D. de la Seine ont publié un communiqué commun, faisant savoir « qu'ils déclencheraient une réaction immédiate de l'ensemble des travailleurs de la région parisienne au cas d'une répression policière (analogue à celle du I7 octobre). »
Que Monsieur Papon et sa police doivent trembler ! Non seulement les organisations en question n'ont même pas discuté de la possibilité d'une manifestation commune le 1er novembre, (et pas le 31 octobre comme l'a fait le PCF juste assez timidement pour que cela passe inaperçu) mais même, elles ont craint de rendre publics leurs contacts, afin de ne pas risquer d'être contraintes à faire plus.
C'est dans ces circonstances que l'on peut mesurer jusqu'où va le prétendu radicalisme de formations comme l'UNEF ou le PSU. Elles ne pouvaient guère organiser de manifestations à elles toutes seules, mais elles auraient pu au moins mettre en demeure les partis ouvriers et les centrales syndicales ouvrières à ce propos.
Les étudiants du PSU doivent manifester, mais le PSU s'est abstenu.
On ne peut que citer « France -Nouvelle » hebdomadaire central du PCF de cette semaine : « Quand le préfet Papon, arguant des « mesures spéciales » qu'il a prises, se montre fier du bilan « technique » des opérations répressives de ce mardi soir : 11 500 arrestations en deux heures, les Français comprennent fort bien ce qui est en cause : c'est leur propre sort. Car il n'est pas douteux qu'à l'occasion d'une manifestation syndicale ou autre, pour les libertés ou la défense du droit de grève, le même Papon et sa police ne répugneraient nullement à faire d'eux les bénéficiaires d'une technique qui permet de jeter en prison plus de 5 000 manifestants ou grévistes à l'heure ! ».
Or, les organisations ouvrières avaient là en ce premier novembre, l'occasion de briser, au moins pour un temps, l'appareil répressif de la bourgeoisie. Les organisations ouvrières pouvaient, dans ces circonstances, mobiliser facilement, étant donné l'état d'esprit de la population ouvrière et d'un grand nombre d'autres couches de la population, plusieurs milliers sinon plusieurs dizaines de milliers de manifestants qui se seraient ajoutés aux quelques dizaines de milliers d'Algériens, qu'en de semblables circonstances le FLN a prouvé être capable de regrouper.
Là, les avertissements à la police auraient eu une valeur. Là, les organisations auraient pu dire à Papon et son cheptel qu'elles ne toléreraient aucune violence. Là seulement, cette police aurait pu craindre de voir se retourner contre elle la chasse au faciès ! Mais, malheureusement pour la classe ouvrière française, les organisations de gauche ont à leur tête des dirigeants vénaux, renégats ou traîtres qui ont de commun l'hypocrisie, quand ce ne sort pas simplement de « pauvres CAU » !