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Ceux d'Oviedo

Dans la Manzaneda, près d'Olloniego, le vendredi 5 octobre 1934, deux cents soldats de la Révolution, avec sept chefs, et des pistolets pour toutes armes, affrontaient les mitrailleuses et l'armement moderne des forces gouvernementales. Au cri de « Unissez-vous Frères Prolétaires » les ouvriers en sortirent vainqueurs. C'était la première bataille que devait livrer la Commune des Asturies. De son centre, Miéres, où elle s'organisait rapidement depuis la veille, une colonne avait été envoyée pour s'emparer d'Oviedo, la capitale de la province. Malgré leur isolement et la pauvreté de leurs moyens techniques, les mineurs asturiens étaient décidés à la lutte. Elle allait durer quinze jours.

A la nouvelle de la première victoire, des casernes tombèrent, et on commença à avoir des armes. Mais il fallait apprendre à conduire les automobiles, il fallait former des gens capables de se servir des rares mitrailleuses dont on réussirait à s'emparer par la suite. En fait, pour ces mineurs habitués à la manier, la dynamite allait jouer le rôle essentiel. C'était une petite Armée Rouge qui se formait : les travailleurs, répartis en groupes de trente, étaient dirigés par un chef responsable devant le Comité Révolutionnaire. La discipline était sévère, tout pillage rigoureusement puni.

Il faut s'emparer d'Oviedo ! La Colonne d'Honneur se forme et part le samedi 6 octobre. Il va falloir prendre les fabriques de fusils de la Véga et de Trubia, la Caserne centrale de Pelayo. Les ouvriers sont encore pratiquement désarmés, mais ils ont maintenant le nombre et la détermination pour eux. Et le dimanche 7, on annonce la prise d'Oviedo. Le Comité Révolutionnaire s'installe à l'Hôtel de Ville.

La Banque d'Espagne est prise à la dynamite.

Désormais toute la population asturienne est dans la lutte, et toutes les Asturies forment un front de guerre dont le théâtre principal est Oviedo, pendant que Miéres est le centre de son organisation. On y rationne la nourriture : le Comité au Ravitaillement est strict. Les hôpitaux et les cuisines sont collectifs. L'argent est supprimé, et remplacé par des bons. On mange très peu, on ne boit pas d'alcool : « La Révolution est sobre, spartiate ».

Toute la lutte est organisée maintenant en direction de la caserne de Pelayo, les ouvriers ont des fusils, des canons, des autos. Ils travaillent nuit et jour pour transformer les camions en autos blindées et en chars d'assaut. A Miéres, femmes et enfants fabriquent des grenades à partir des boîtes de conserve. A Gijon, on construit et défend des barricades.

Plusieurs miliciens qui veulent hisser le drapeau rouge sur la caserne Pelayo sont tués. La démoralisation s'installe parmi les soldats, mais les ordres supérieurs leur demandent de « tenir », puis, s'ils se sentent perdus, de mettre le feu. Dans l'affolement, les soldats ne trouvent pas d'essence ; ils essaient en vain d'incendier les munitions à l'eau de vie. Mais Pelayo ne tombe pas.

Pendant ce temps, les forces gouvernementales avaient pu se ressaisir. Le premier jour, le gouvernement débordé, affolé, n'avait rien su organiser. La lutte contre la Généralité de Catalogne, d'autre part, l'avait absorbé, mais celle-ci venait de capituler sans combattre devant les 500 hommes du général Batet, et désormais le gouvernement avait les mains libres pour s'attaquer aux Asturies. Sauf à Madrid la grève est générale dans toutes les grandes villes d'Espagne, mais l'insurrection ne s'étend pas ; du jeudi 11 jusqu'au vendredi 19 octobre, abandonnée à elle-même, dans l'impossibilité de s'étendre, sans techniciens - un des rares artilleurs dont elle disposait vient d'être tué - et sans espoir, la Commune des Asturies va lutter et mourir pour la cause prolétarienne.

Le jeudi 11, le Comité dirigeant avait décidé d'opérer une retraite stratégique. Mais les troupes envoyées par le gouvernement seront contraintes de reconquérir le terrain presque pas à pas. Les avions gouvernementaux commencent à survoler la région, et la population qui voyait en eux les renforts envoyés par les travailleurs des autres régions d'Espagne, ne s'en inquiétèrent que lorsque les avions lâchèrent des bombes sur les files de femmes et d'enfants faisant la queue pour le ravitaillement.

Le régiment d'infanterie du Perrol réussit au bout de longues heures à s'emparer de Gijon, hérissée de barricades. Pas un seul milicien n'en sortit vivant.

Le régiment ne parvint pas à parcourir les 30 km, qui séparent Gijon d'Oviedo, et ce furent la colonne de Lopez Ochoa, puis la Légion Maure, qui entrèrent dans la ville au crépuscule du vendredi 12 octobre.

Désormais, les ouvriers d'Oviedo n'ont plus qu'à mourir dignement. Ils luttent jusqu'au bout jusqu'au dernier, avec leurs grenades et leur dynamite. Lorsque le drapeau blanc est hissé une semaine après, le vendredi 19 octobre 1934, d'Oviedo, il ne reste plus beaucoup de travailleurs pour le voir. Des fugitifs continuent la guérilla dans les montagnes pendant quelques temps, mais la répression implacable organisée par la bourgeoisie espagnole n'a de commune mesure qu'avec celle de la Commune de Paris, organisée par M. Thiers et la bourgeoisie française.

La République toute neuve en Espagne, la République d'avril 1931, a montré à Oviedo sa véritable nature. Les oripeaux démocratiques dont elle se parait encore pouvaient désormais tomber ; ils ne masquaient plus rien.

Depuis ses trois années d'existence, cette République pour laquelle les ouvriers avaient combattu, et dont ils espéraient qu'elle améliorerait leur sort, n'avait fait que les décevoir. Dans l'enthousiasme populaire des premiers jours, les leaders républicains et socialistes avaient fait toutes les promesses nécessaires au « rétablissement de l'ordre » ; et, non seulement ils ne les avaient pas tenues, mais encore ils n'avaient fait qu'accroître l'indignation des masses désillusionnées en laissant la Confédération Espagnole des Droites Autonomes, organisation de type fasciste, et son leader Gil Robles, faire leurs manifestations et leurs parades en toute liberté - ce qui constituait de continuelles provocations pour la classe ouvrière. En 1932, Sanjurjo avait tenté un putsch militaire. Et maintenant, la bourgeoisie républicaine, pour qui la révolution était terminée, et qui ne songeait plus qu'à rassurer la Réaction sur ses intentions, venait d'adjoindre, dans les premiers jours d'octobre 1934, quatre membres de la CEDA. à son gouvernement.

Les ouvriers devaient répondre à cela. Seuls, abandonnés par les organisations ouvrières à l'échelle nationale, les mineurs asturiens se sont fait massacrer.

La chute d'Oviedo allait permettre à la bourgeoisie espagnole d'infliger à l'Espagne entière le « Biennio Negro », deux années de sombre réaction, mais cette lutte n'était pas un combat d'arrière-garde, elle n'était que la préface de 1936.

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