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Avec les femmes
À notre époque empoisonnée par le chauvinisme il est difficile d'imaginer combien le mouvement socialiste à son origine était imprégné de la notion d'internationalisme. C'est ce sentiment qui fit organiser une journée internationale de lutte le premier mai 1890, et ce jour-là, « l'histoire de l'humanité a montré le spectacle des prolétaires du monde entier unis par une même pensée, unis par une même volonté, obéissant à un même mot d'ordre rassemblant leurs forces pour agir ensemble » (Lafargue). C'est ce même sentiment qui fut à l'origine de la décision en 1910 du congrès socialiste international de Copenhague d'organiser une journée internationale des femmes, reprenant ainsi une première manifestation de ce genre qui avait eu lieu aux États-Unis le 27 février 1909 en application d'une décision du PS américain lors de son congrès en 1908, la date fixée fut celle du 8 mars pour commémorer une grève où 50 ans plus tôt aux États-Unis des ouvrières étaient entrées en lutte pour obtenir l'égalité des salaires avec les hommes.
Le mouvement socialiste qui se donne pour objectif l'avènement d'une société où chaque individu puisse se développer pleinement s'attaque à la société capitaliste partout où se manifeste l'exploitation et l'oppression. Il représente en premier lieu le prolétariat car ce dernier est la classe directement exploitée, celle qui crée toutes les richesses et n'en possède aucune, représentée par des milliers de travailleurs rassemblés tous les matins à la même heure par le même le coup de sirène sur le lieu de travail.
Mais il en vient à combattre également pour d'autres couches de la société qui ne se recoupent pas forcément avec le prolétariat, car la pièce de cent sous gravée dans le coeur des hommes par la propriété privée, entraîne pour toute la société une morale et une idéologie qui oppriment des couches très larges de la population, indépendamment de leur appartenance sociale.
C'est ainsi que les jeunes, dans notre société faite visiblement par des adultes à leur profit, sont privés de droits politiques et civils. En France, l'ordonnance prise récemment pour la « protection des mineurs » met les jeunes jusqu'à 21 ans à la merci des adultes, alors qu'ils sont bons à pacifier les djebels. Et ce sont peut-être les jeunes de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie qui ressentent, dans leur relative liberté économique, le plus cette oppression. Le mouvement socialiste, lorsqu'il lutte résolument pour leur émancipation, trouve parmi eux de nombreux combattants, farouches adversaires de la société actuelle (ce n'est également pas par hasard que les mouvements extrémistes de droite recrutent essentiellement parmi les très jeunes).
Le problème des femmes est semblable. Même dans les pays les plus « avancés », les plus « démocratiques », elles sont maintenues sur un plan inférieur pour la plupart des activités professionnelles, des actes juridiques ou de la vie politique. La propriété privée a relégué la moitié de l'humanité au foyer, en lui traçant des auréoles de gloire pour son rôle de mère et de bonne épouse, décrétant que là était sa destination de par sa nature même.
Cependant, depuis le temps où Bebel, du haut de la tribune du Parlement allemand réclamait la possibilité, pour les femmes, d'accéder à l'hémicycle, de nombreuses luttes pour l'émancipation de la femme ont eu lieu. Mais si, en 50 ans, les femmes ont conquis certains droits, elles sont loin d'avoir obtenu l'égalité absolue dans la société.
Si les femmes, depuis le développement du machinisme, ont eu le droit d'être exploitées dans des conditions aussi honteuses et parfois même plus honteuses que les hommes, elles se sont vu, par contre, interdire l'accès de professions très qualifiées, qui pourraient cependant être considérées comme plus « féminines » parce que moins fatigantes, même dans l'industrie, on les réserve pour les emplois subalternes et mal payés. Pour l'ouvrier et la fille d'ouvriers, il paraîtra peut-être moins étrange de ne pouvoir accéder à l'emploi d'agent technique ou d'ingénieurs, mais pour les femmes de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie, ce barrage exercé par les hommes vis-à-vis des professions qualifiées et libérales est particulièrement odieux et insupportable.
Depuis un demi-siècle, ce n'est que d'une façon très réduite que quelques professions libérales commencent à s'ouvrir aux femmes. Si certaines femmes accèdent aux carrières d'avocats ou de médecins, on n'en voit guère : juge, procureur général, professeur à la faculté de Médecine ou chirurgien. Rappelons, entre autres, que la Bourse du Commerce est interdite aux femmes et que la profession de jockey l'était aussi en France jusqu'à une date toute récente (cette « autorisation » a d'ailleurs été assortie, selon les journaux, d'un certain nombre de conditions d'accès vexatoires).
Pas de discrimination de sexe dans l'emploi, telle est une des premières revendications du mouvement socialiste.
Au sein du prolétariat, si les femmes ont pu apparaître comme un concurrent déloyal, c'est qu'avec les enfants, en tant qu'être mineur, on les paie, de surcroît, à un tarif inférieur - le salaire de la femme étant considéré par le patron comme un salaire d'appoint dans le foyer des travailleurs, et pour les célibataires, un salaire qui peut être « complété », légalement ou pas. C'est ainsi que les usines employant une majorité de femmes sont parmi celles qui paient le plus mal et où l'atmosphère est la plus pénible.
À travail égal, salaire égal, est une vieille revendication qui est loin d'être satisfaite. Elle est aussi importante pour les hommes, qui sont directement menacés par une telle concurrence dans la défense de leurs salaires.
L'inégalité la plus manifeste est l'inégalité politique qui a privé longtemps la femme du simple droit de vote, droit n'a pas encore acquis dans tous les pays. La France, pays le plus cité pour sa vie politique et ses révolutions, n'a accordé le droit de vote aux femmes qu'en 1945.
Quant à l'égalité juridique, si la femme n'a plus besoin de l'autorisation de son mari pour obtenir un passeport, si elle peut maintenant ouvrir un compte en banque, elle est encore mineure pour bien des actes de la vie civile.
Le prolétariat révolutionnaire est le seul à lutter résolument pour l'émancipation totale des femmes et le socialisme est seul capable de leur apporter l'émancipation définitive en créant les bases économiques de cette émancipation. C'est pourquoi tous les mouvements dits féministes ne font objectivement que maintenir les femmes dans la dépendance, s'ils ne cherchent pas à s'attaquer aux causes mêmes de cette situation, au régime capitaliste. Les mouvements féministes, même ceux qui se disent socialistes ou communistes, ne font qu'exalter le rôle des femmes au sein de la famille et, en tant qu'épouse ou en tant que mère, c'est-à-dire toujours par rapport à quelqu'un d'autre, mais jamais par rapport à elles-mêmes.
D'autres mouvements venant de la bourgeoisie libérale, dont les femmes sont peut-être plus sensibles que d'autres aux atteintes juridiques ou de fait, dans certaines professions, à leurs libertés, défendent et la morale bourgeoise, et l'indépendance de la femme par rapport à l'homme en même temps que son émancipation. C'est de ce type de femme qu'un humoriste anglais a dit qu'elles voulaient à la fois le vison et la place de conseiller général. Madame Express en est certainement l'expression la plus achevée.
En fait, si les femmes occupent moins l'arène politique en temps ordinaire, on les a toujours vus se manifester en temps de crise, de guerre ou de révolution, de façon exemplaire. La révolution russe de février 1917 a coïncidé avec la journée internationale des femmes (le 27 février correspondant à notre 8 mars). Ce sont elles qui ont quitté en masse les usines et, dans la situation tendue de l'époque, donné le départ à la révolution.
À l'heure actuelle, la dégénérescence des partis « ouvriers » a transformé ces journées de lutte qu'étaient le Premier mai et la Journée des femmes, en mascarade et en glorification de la femme épouse et mère. Mais, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale où nous assistons au réveil des peuples coloniaux, un milliard de femmes se trouve confrontées avec les problèmes de la guerre et révélées à elles-mêmes. Même si les révolutions qui secouent ces pays ne sont pas socialistes, dans ces bouleversements, des millions de femmes qui vivaient dans des conditions moyenâgeuses, dans un état de sujétion infiniment pire, il est vrai, que les femmes des pays « avancés », ont commencé à faire l'apprentissage de la liberté et la route sur laquelle elles se sont engagées mène inexorablement à l'émancipation de tous les opprimés.
« Aux ouvrières »
(article signé N. Lénine, extrait de la Pravda, numéro 40, 22/02/1920)
Camarades ; les élections au Soviet de Moscou témoignent de l'affermissement du Parti communiste au sein de la classe ouvrière.
Les ouvrières doivent prendre une part plus grande aux élections. Seul au monde, le pouvoir des soviets a, le premier, complètement aboli les vieilles lois bourgeoises, les lois abominables qui consacraient l'infériorité légale de la femme et les privilèges de l'homme, notamment dans le mariage et les rapports avec les enfants. Le pouvoir des soviets, le premier et le seul au monde, a, en tant que pouvoir des travailleurs, aboli tous les privilèges qui, liés à la propriété, sont maintenus au profit de l'homme, dans le droit familial, par les républiques bourgeoises les plus démocratiques.
Où il y a des propriétaires fonciers, des capitalistes et des commerçants, il ne peut y avoir d'égalité entre l'homme et la femme, même devant la loi.
Où il n'y a pas de propriétaires fonciers, de capitalistes et de commerçants, où le pouvoir des travailleurs édifie sans ces exploiteurs la vie nouvelle, il y a égalité de l'homme et de la femme devant la loi.
Mais c'est insuffisant.
L'égalité devant la loi n'est pas encore l'égalité dans la vie. Nous entendons que l'ouvrière conquière non seulement devant la loi, mais encore dans la vie, l'égalité avec l'ouvrier. Il faut, à cette fin, que les ouvrières prennent une part de plus en plus grande à la gestion des entreprises publiques et à l'administration de l'État.
Les femmes feront vite leur apprentissage en administrant et rattraperont les hommes.
Elisez donc plus d'ouvrières communistes ou sans parti aux Soviets. Peu importe si une ouvrière honnête, sensée et consciencieuse dans son travail n'appartient pas au Parti : élisez-la au Soviet de Moscou !
Qu'il y ait plus d'ouvrières au Soviet de Moscou ! Que le prolétariat moscovite montre qu'il est prêt à tout faire et qu'il fait tout pour lutter jusqu'à la victoire contre la vieille inégalité, contre le vieil avilissement bourgeois de la femme !
Le prolétariat ne parviendra pas à s'émanciper complètement sans avoir reconnu aux femmes une liberté complète.