- Accueil
- Lutte de Classe n°5
- Autres mots, même politique
Autres mots, même politique
Les grèves et les manifestations violentes qui, depuis plus de trois semaines, se déroulent en Belgique, peuvent étonner, à première vue, l'observateur habitué au mouvement ouvrier français. Non pas que la classe ouvrière française n'ait pas montré, à plusieurs reprises, une combativité et une décision comparable à celles de la classe ouvrière belge : les grèves de 1953 et les mouvements de Nantes - St Nazaire en 1955 le prouvent, mais à aucun moment la SFIO ou FO ni même le PC où la CGT n'eurent le rôle et l'attitude du PSB et de la FGTB face à des mouvements comme ceux qui ont lieu actuellement en Belgique. Bien au contraire, les partis « ouvriers » français sabotèrent tous les mouvements qui risquaient de prendre de l'ampleur, préférant toujours refuser la lutte plutôt que de prendre l'initiative de mouvements qui pouvaient les déborder.
Mais si la phraséologie et l'attitude des dirigeants socialistes belges se distinguent nettement de celles auxquelles nous ont habitués les dirigeants français, il ne faut pas en conclure que le PSB, et les syndicats qui sont sous son influence son « plus » révolutionnaires que les partis sociaux-démocrates des autres pays.
Le PSB est un parti de gouvernement, qui, chaque fois qu'il se trouva au pouvoir, agit en « gérant loyal du capitalisme » belge. Il eut l'occasion de réprimer les grèves : ce qu'il fit sans vergogne. Quant à la FGTB, en majorité soumise au PSB, s'il s'y manifeste une tendance de gauche, celle-ci se place uniquement dans le cadre de perspectives purement réformistes et le dirigeant de cette tendance, André Renard est nettement influencé par le syndicalisme américain style W. Reuther.
Ce ne sont donc ni leur politique générale de leur programme qui différencie ces organisations des organisations réformistes françaises.
Cette différence se situe dans le fait que, contrairement à ce qui s'est passé en France, elles ont gardé une importante base ouvrière organisée, qu'elles n'utilisent pas seulement comme clientèle électorale, mais aussi comme moyen de pression sur le Parlement et sur le gouvernement. Dans le fait aussi que sur le plan économique, les syndicats socialistes défendent les intérêts ouvriers, engageant pour cela des luttes d'envergure dans lesquelles ils sont prêts à utiliser les moyens les plus radicaux pour obtenir la victoire, dans la mesure où les masses ne débordent pas et ne s'engagent pas dans une perspective révolutionnaire, où la social-démocratie ne pourrait les suivre.
Pourquoi le réformisme belge a-t-il pu se survivre, pourquoi demeure-t-il si combatif ?
Le capitalisme belge, grâce à un empire colonial important et riche par rapport à la métropole, bénéficie, comme aux USA ou en Angleterre, d'une marge de sécurité sur laquelle peut vivre et se développer un mouvement réformiste relativement prospère. La Belgique fut le premier pays européen qui, après la Première comme la Seconde Guerre mondiale, remit son économie sur pied grâce surtout à l'apport de devises, accumulées pendant la guerre au Congo, grand fournisseur de produits stratégiques. L'ensemble de ces conditions permet aux syndicats belges d'entrer en lutte sans remettre à chaque instant en question la structure de la société, sans compromettre la stabilité du capitalisme belge, c'est-à-dire sans sortir du cadre du réformisme.
Sur cela se greffent différents problèmes spécifiquement belges, auxquelles les masses sont sensibilisées et qui permettent à la social-démocratie soit de mobiliser ces masses démagogiquement, sur un terrain autre que celui de la lutte de classe, soit de les détourner vers ces voies sans issue quand les luttes ouvrières risquent d'ébranler l'édifice social (laïcité, opposition Flandre - Wallonie, et problème royal) .
La social-démocratie trouve en Belgique à la fois les bases économiques qui permettent son développement et sa survie, et les moyens de mobiliser les masses ou de les canaliser c'est-à-dire de les contrôler dans la plupart des cas. Dans ces conditions elle s'est épanouie, elle s'est installée dans la société. Il n'est qu'à voir le luxe des Maisons du peuple, des sièges des syndicats, le nombre des socialistes dans l'administration pour comprendre qu'ils ne tiennent pas à un bouleversement de cette société : c'est pourquoi ils ne tenteront jamais de renverser le régime économique et social existant. En revanche ils défendront avec acharnement leurs « conquêtes », leur situation dans la société, si la bourgeoisie s'y attaque. Ils savent qu'ils ne représentent rien par eux-mêmes et que cette bourgeoisie ne les tolère que parce qu'ils sont capables de contenir la classe ouvrière. Pour ce faire ils ont besoin de garder la confiance des travailleurs et de masquer leur collaboration au maintien de l'ordre bourgeois sous une phraséologie énergique.
Mais quand il arrive parfois que les masses prennent cette phraséologie au sérieux, on les voit battre précipitamment en retraite. C'est ce qui se passe actuellement en Belgique. Après les rodomontades des premiers jours, les dirigeants socialistes belges souhaitent anxieusement la fin de ce mouvement dont ils n'avaient pas prévu l'ampleur. Ils sont prêts à céder même s'ils n'obtiennent pas ce qu'ils espéraient, c'est-à-dire la dissolution de la Chambre et de nouvelles élections.
Quand ils sont débordés par les masses, alors ils se démasquent. Et ce n'est pas une phraséologie quelque peu gauchisante qui peut faire illusion sur ce réformisme de fait.