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- Lutte de Classe n°60
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Argouphobes ? ou argousins ?
Le fait de détenir un autre des principaux chefs de l'OAS paraît ennuyer tellement la police, que la première chose qu'ont faite les pandores venus prendre livraison d'Argoud ficelé dans son estafette, fut de lui demander s'il reconnaissait un de ses « ravisseurs » dans les badauds assistant au spectacle. Et d'arrêter illico le quidam qu'il avait désigné négligemment ( « cela pourrait être celui-là » ). Et de le cuisiner jusqu'au soir pour finalement se rendre compte qu'il s'agissait d'un employé de bureau du secteur, venu s'offrir, pour son malheur, un café juste à l'endroit, au jour et à l'heure, ou la police mettait la main, bien malgré elle il faut croire, sur le dit Argoud.
Depuis, c'est le pot au noir et nul ne sait, du moins chez ceux qui savent tout, les journalistes, à qui l'on doit l'enlèvement en question. Aux « barbouzes » disent les uns.
A une fraction rivale de l'OAS, celle de Chateau-Jobert, disent les autres. Aux deux à la fois, pourquoi pas, pourrait-on ajouter.
Bien évidemment l'enlèvement pourrait être l'oeuvre des « barbouzes ». Ce n'est jamais que leur rôle. Ce genre d'actions en marge des lois, celles d'ici comme celles des pays où ils peuvent opérer, sont par définition réservées à ces polices spéciales ne dépendant pour ainsi dire de personne, tellement il y en a, mais disposant par contre des fonds de tout le monde. La bourgeoisie montre en de telles circonstances quel souci exact elle sait avoir de la légalité. La loi c'est la sienne, mais elle ne l'applique qu'aux autres. Ceci dit, ce n'est sûrement pas l'aspect légal qui a le plus ému Argoud, si l'on en croit le soupir de soulagement qu'il a poussé, selon ce que rapporte la presse, en apercevant les uniformes de la « vraie » police (signalons en passant que selon ce qu'aurait écrit M. Frey, les policiers en uniforme qui ont assassiné neuf personne l'année dernière au métro Charonne, n'étaient pas des vrais ! Comme quoi ce qui soulage les uns, guérit les autres...)
Evidemment, si cela est on ne comprend pas très bien le pourquoi de la mise en scène de la livraison. Peut-être pour éviter d'avoir à s'expliquer avec les autorités ouest allemandes ? Peut-être tout simplement parce que les « barbouzes », comme bien d'autres, lisent les romans d'espionnage, et finissent par vouloir ressembler à leurs héros et à en copier le style et les méthodes. On a vu les ravisseurs d'Eric Peugeot s'inspirer d'un livre de la « série noire » et il ne serait pas tellement étonnant que la scène de la livraison d'Argoud ait été décrite dans l'un de ces ouvrages où nos « barbouzes » après leur nom, auraient trouvé leurs recettes.
Mais il n'est pas du tout invraisemblable qu'Argoud ait été livré par ses « pairs ». On objecte à cela qu'une fraction rivale de l'OAS l'aurait purement et simplement exécuté. Ce n'est pas sûr du tout ! S'ils voulaient justement le mettre hors d'état d'agir pendant un certain temps sans avoir à le tuer, quel meilleur endroit pourraient-ils trouver que les prisons de la République ?
L' OAS, en tant qu'organisation, n'a pas réussi à s'implanter dans le pays. Elle est, sur le plan organisationnel, réduite à quelques « comités », installés en Angleterre, en Espagne et en Allemagne, disposant chacun de peu de liaisons avec un très petit nombre de groupes conséquents fonctionnant encore en France sans être par trop noyautés par l'une ou l'autre des polices. Il est bien évident que dans ces conditions la démoralisation peut être grande. Chacun alors d'attribuer l'échec à telle ou telle raison et de proposer sa recette pour remonter la pente. L'action seule permet de vérifier les idées. Et lorsque le temps est à l'inaction, forcée, ou voulue les théories ou les idées les plus diverses peuvent fleurir, puisque le succès ne peut en vérifier aucune. De là l'émiettement en groupes plus ou moins antagonistes, plus ou moins concurrents, Mais, justement, les nécessités impérieuses de la lutte n'existant plus, les gens de l'OAS peuvent se permettre, entre eux, de ne plus régler leurs comptes de façon définitive, et de se comporter les uns avec les autres de la façon la plus courtoise qu'ils puissent imaginer (l'oeil tuméfié et le nez écrasé d'Argoud sont des misères par rapport à ce que savent faire les hommes de l'OAS, quant à se livrer aux flics c'est encore plus doux !).
Mais il ne faut cependant pas conclure, sous prétexte que l'OAS, en est venue à s'arrêter elle-même en désespoir de cause (ce n'est d'ailleurs pas bien différent de ce qui se faisait déjà), qu'elle ne représente plus aucun danger pour les organisations ouvrières et les partis de gauche.
L' OAS a échoué dans la période actuelle, en ce sens qu'elle n'a pas pu, principalement du fait des conditions sociales et économiques extérieures à elle, construire en France une organisation fasciste influente et encadrant des masses relativement importantes. Elle a même pratiquement disparu en tant qu'organisation clandestine agissante et centralisée (cela principalement parce qu'en l'absence de masses fascistes, elle mène une politique aventuriste bien trop dangereuse pour la bourgeoisie). Mais ses hommes n'ont pas disparu. Un certain nombre d'entre eux sont au frais dans les prisons d'où ils sortiront le jour venu, tout prêts à servir, et ayant acquis le prestige des martyrs Les autres sont toujours dans l'armée, la police, la justice, l'administration et accessoirement les collèges, facultés, grandes écoles... et grandes familles. Il y a maintenant, en France toute une catégorie d'hommes qui ont fait l'expérience d'organisations fascistes et pour certains, l'expérience d'un mouvement de masses fascistes, en Algérie. Ces hommes ne sont pas organisés pour le moment, mais ils existent. Et si demain cela correspond de nouveau aux intérêts et à la politique de la bourgeoisie, cette organisation ils la retrouveront facilement, car ils ont les cadres, et ils auront l'argent.
Alors, on peut rire, certes, aux histoires de vraies ou fausses « barbouzes », mais les militants ouvriers feront bien, pour continuer à en rire, de s'inspirer de leurs méthodes, de considérer la légalité pour ce qu'elle vaut et la préparation à la guerre civile comme ce qu'il faut.