Crises, guerres et recherches d’alliances14/12/20252025Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2025/12/une_252-c.jpg.484x700_q85_box-11%2C0%2C1372%2C1969_crop_detail.jpg

Crises, guerres et recherches d’alliances

Aucune des deux guerres majeures actuelles n’a trouvé ne serait-ce qu’un début de solution dans l’année écoulée.

La guerre en Ukraine

Malgré l’agitation désordonnée de Trump, malgré sa rencontre avec Poutine en Alaska, la guerre continue entre la Russie et l’Ukraine soutenue par l’OTAN. Elle est une catastrophe pour les deux peuples rien que par sa durée et ses conséquences directes : un nombre de morts dépassant plusieurs centaines de milliers de chaque côté ;
l’accroissement du nombre de blessés et d’invalides, ainsi que les destructions de bâtiments et d’infrastructures ; ou les conséquences indirectes : la chute de la production des zones impliquées dans les combats et de celles qui sont bombardées ; l’économie de guerre, l’exil de millions de personnes côté ukrainien comme côté russe.

Ni Poutine ni les puissances impérialistes regroupées dans l’OTAN ne sont pressés d’en finir.

Durant la guerre, cependant, les affaires continuent. Pendant les opérations militaires, des multitudes de propriétés – terres agricoles, usines encore debout, mines, banques – ont continué de changer de propriétaires (souvent au profit d’Occidentaux).

À l’issue de cette guerre – issue sans cesse repoussée sine die –, l’État ukrainien, ou du moins ce qu’il restera sous la souveraineté ukrainienne, se retrouvera endetté jusqu’au cou. D’après Le Monde (11 juillet 2025), le coût estimé de la reconstruction de l’Ukraine, sur la prochaine décennie, serait de 524 milliards de dollars. La partie du territoire qui lui restera juridiquement soumise sera entièrement dépendante de l’impérialisme et de ses capitaux.

Contre « l’union sacrée »

À notre congrès de 2022, sous le titre « La guerre en Ukraine, une étape majeure dans l’escalade vers la troisième guerre mondiale », nous avons situé ce conflit dans le contexte de la généralisation des guerres.

Nous avions alors résumé dans la motion ci-dessous la politique que nous proposions aux travailleurs conscients :

« La guerre en Ukraine opposant les puissances impérialistes de l’OTAN à la Russie avec la peau du peuple ukrainien, mais aussi celle du peuple russe, menace le monde entier d’une déflagration généralisée. […]

Les peuples ne peuvent pas compter sur la bourgeoisie impérialiste, ses hommes politiques, ses états-majors qui […] préparent méthodiquement l’embrasement général par l’accumulation d’armes et par la mise au pas des populations. Les travailleurs devront s’opposer à la guerre […], avec comme perspective la transformation de la guerre en guerre civile contre la bourgeoisie.

Les travailleurs conscients doivent refuser le mécanisme guerrier qui se met en place. Comme ils doivent refuser toute forme d’union sacrée derrière leur bourgeoisie et l’État qui défend les intérêts de cette dernière. Ils doivent se méfier de toute la propagande mensongère de la classe dominante. À commencer par [celle de] la défense de la patrie, alors que derrière ces mots, il n’y a que les intérêts de la classe capitaliste et des plus riches. »

Et notre motion de préciser dès décembre 2022 :

« Pour ce qui est de la guerre déjà présente en Europe, les travailleurs n’ont à prendre parti ni pour la Russie de Poutine, ni pour l’Ukraine de Zelensky sous la protection des puissances impérialistes. Ils doivent rejeter tous les clans politiques de la bourgeoisie impérialiste, ceux qui tiennent ouvertement un langage guerrier, comme ceux qui prétendent œuvrer pour la paix par des négociations. L’intérêt des travailleurs est de reprendre à leur compte, aussi bien ici, en France, qu’en Russie, en Ukraine, et partout où les masses sont angoissées par les préparatifs de la guerre généralisée, le slogan du révolutionnaire allemand Karl Liebknecht : « L’ennemi principal est dans notre propre pays ».

Seul le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et de la domination de l’impérialisme sur le monde peut écarter la menace de la guerre mondiale, assurer des relations fraternelles entre les peuples et créer les conditions de leur collaboration pour le bien commun de l’humanité. »

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Avant même que Poutine ait pu mettre la main sur une partie plus ou moins russophone de l’Ukraine, Trump, profitant de l’affaiblissement du Kremlin, s’est institué « parrain » d’une paix entre deux ex-républiques soviétiques, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Un fait passé presque inaperçu, mais qui rappelle que la décomposition de l’URSS a laissé une multitude de points chauds sur son ancien territoire.

Les guerres du Moyen-Orient

Quant à la guerre que l’État d’Israël mène contre les peuples du Moyen-Orient, elle a dépassé les cent ans depuis la déclaration du ministre britannique des Affaires étrangères Balfour, le 2 novembre 1917, qui avait pour la première fois envisagé de créer un État juif sous l’égide de l’impérialisme pour se substituer à ce qui avait été la mainmise de l’Empire ottoman sur la région jusqu’à la Première Guerre mondiale. Depuis 1948, date de la création de l’État d’Israël, ses dirigeants successifs acceptent de jouer le rôle de gendarme des intérêts impérialistes contre les peuples de la région.

L’État hébreu ne pourrait mener sa politique agressive vis-à-vis de l’ensemble de la région sans le soutien indéfectible de l’impérialisme américain, même si ses intérêts spécifiques ne sont pas identiques à ceux des États-Unis, pas plus que ne le sont leurs préoccupations immédiates respectives.

L’agitation de Macron, flanqué d’autres puissances impérialistes d’Europe et du Canada, autour de la reconnaissance de deux États en Palestine est dérisoire.

Anciennes puissances coloniales dans la région, les impérialismes britannique et français en ont été écartés depuis longtemps et sont réduits au rôle de cinquième roue du carrosse !

La décomposition de la « Françafrique »

La bourgeoisie impérialiste française avait réussi, dans un premier temps, à garder la haute main sur son ancien empire colonial. Cette forme de survie de la domination française que l’on a nommée la « Françafrique » a tout l’air de s’achever.

La rivalité entre groupements capitalistes est un des moteurs du partage du monde entre ces grands trusts et grandes puissances. Si certaines matières premières dominaient à l’époque de la montée du colonialisme – charbon, coton, arachide, fer –, bien d’autres s’y sont ajoutées depuis. Même le pétrole n’avait pas la même cote il y a un siècle et demi que de nos jours.

Comme le constatait Lénine dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme : « Mais ce partage du globe entre deux trusts puissants n’exclut certes pas un nouveau partage, au cas où le rapport de force viendrait à se modifier (par suite d’une inégalité dans le développement, de guerres, de faillites, etc.). »

Le 26 février 1885, à la Conférence de Berlin, les richesses en uranium du sous-sol du Niger – dont la France commence à s’emparer en 1890 – n’avaient pas suscité de convoitises de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne ou des États-Unis. Il n’en est plus de même aujourd’hui.

La découverte de nouvelles matières premières, voire de nouveaux usages grâce à l’avancée des sciences et des techniques, relance la compétition entre impérialismes concurrents.

Le grand capital américain remet en cause depuis un certain temps déjà le partage de l’Afrique issu de la Conférence de Berlin et de la curée qui suivit. Le recul de l’impérialisme français, la perte progressive ou brutale de son ex-pré carré colonial sont des expressions de la détérioration du rapport des forces entre l’Europe et l’Amérique. Elle peut rendre plus virulente la compétition, lui donner une expression militaire et, par là même, devenir un facteur aggravant de la crise économique.

L’impossible stabilité des relations internationales

Les confrontations sporadiques entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire rappellent qu’il y a bien d’autres points chauds dont les protagonistes ne sont pas de petits États, mais des puissances disposant de moyens militaires considérables (y compris la bombe atomique !).

À l’instabilité économique provoquée par la crise s’ajoute l’instabilité politique résultant de la politique de sanctions des États-Unis de Trump.

Les impératifs de la compétition économique se mélangent avec les impératifs politiques au point que l’on ne sait plus où commencent les uns et où finissent les autres.

Trump et la montée générale du protectionnisme

L’année a été marquée par la montée du protectionnisme. Trump en a été l’initiateur et principal artisan, du moins pour sa montée actuelle.

Il n’y a pas à s’étonner du protectionnisme des États-Unis. Tout en étant devenu l’impérialisme le plus puissant, ils ne l’ont jamais rejeté en tant qu’arme de combat. Faut-il rappeler que la guerre des Treize colonies anglaises d’Amérique du Nord contre la Grande-Bretagne (1775-1782) fut une guerre pour se protéger contre la mainmise de cette dernière jusqu’à, et bien au-delà, la conquête de l’indépendance américaine ? Trump n’a pas eu besoin d’inventer la chose.

Trump a réussi à imposer ses mesures protectionnistes. En face, les Européens se montrent lamentables. Ce n’est pas un hasard. Les différents pays de l’Union européenne se combattent entre eux autant qu’ils combattent les États-Unis. Ils s’opposent sur tout : les envois d’armes, voire le simple fait de savoir si les armes sont disponibles, les projets d’un avion de combat dit européen, etc.

La comédie que les dirigeants de l’UE jouent a été illustrée par l’épisode des négociations avec Trump au mois de juillet, à propos des droits de douane que les États-Unis allaient mettre en place. Les dirigeants de l’UE ont commenté leur capitulation comme une victoire sur l’air de « on paie, mais on a réussi à négocier de payer moins cher que ce qui était prévu » !

Trump tente de défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine. Du côté des dirigeants européens, le problème est d’abord de se mettre d’accord entre eux. Et, finalement, leurs négociations avec les États-Unis deviennent surtout des discussions entre eux sur la meilleure façon de se plier aux exigences américaines.

Rappelons que les premières protestations aux États-Unis contre nombre de mesures imposées par Trump venaient des grands possédants américains eux-mêmes. Si l’on est producteur d’oranges en Californie et que l’interdiction d’employer des immigrés clandestins tombe, on n’est pas content. Au point que certains se demandaient si Trump était devenu fou à gouverner contre ceux de sa classe.

À en juger par le constat rapporté par Les Échos des 14, 15 et 16 août 2025 : « Le grand gagnant du bras de fer entre l’UE et les États-Unis n’en reste pas moins Boeing. Depuis le début de l’offensive commerciale tous azimuts engagée par D. Trump, les pressions exercées par Washington sur ses partenaires commerciaux ont permis à Boeing d’engranger 422 commandes et engagements d’achat, […] en contrepartie de droits de douane allégés. Un score qui devrait valoir au président américain le titre de meilleur vendeur de Boeing de tous les temps. »

Le protectionnisme de Trump entraîne celui de toutes ses victimes, ce qui peut perturber gravement le commerce mondial. Les Européens ont pris leurs propres mesures de rétorsion. Et tous les États sont devenus protectionnistes sans que cela entraîne, dans l’immédiat, une catastrophe pour le commerce mondial : « L’économie mondiale résiste au choc protectionniste de Trump », titrait même Les Échos. Et de commencer par dire « cela aurait pu être pire »

Trump tape sur les doigts et il faut payer le prix pour accéder au marché américain. Les droits de douane imposés à ses concurrents, les autres puissances impérialistes, sont évidemment une charge, des handicaps supplémentaires pour ces dernières.

Ces droits de douane encaissés par l’État américain lui assurent un revenu supplémentaire. Les recettes douanières des États-Unis ont déjà doublé, passant de 90 milliards de dollars en 2024 à 257 milliards pour les onze premiers mois de 2025. De quoi permettre à l’État américain de disposer de plus de moyens financiers pour aider ses propres entreprises capitalistes et freiner son endettement. Par contre, ces rentrées ralentissent à peine son déficit budgétaire, qui était de 1780 milliards de dollars pour l’année fiscale achevée au 30 septembre 2025.

Autant la pression de la concurrence américaine a un effet dissolvant sur le peu d’union dont fait preuve la prétendue Union européenne, autant les autres grandes puissances, hors États-Unis et Union européenne, sont poussées à s’entendre entre elles pour contrer cette pression.

La récente grand-messe réunissant à Tianjin Poutine, Xi Jinping, l’Indien Narendra Modi, flanqués du Coréen du Nord Kim Jong-un et d’une vingtaine de dirigeants principalement d’Asie (Iran compris), sommet diplomatique accompagné d’une parade militaire, devait être le symbole de cette volonté. Comme l’écrivait le journal Les Échos : « Pour Xi Jinping, la photo finale des chefs d’État présents était belle. » Comme elle l’était pour Poutine qui avait l’air de sortir de son isolement international.

Il y a été beaucoup question de « coopération et de bonne volonté » pour « un monde multipolaire juste et ordonné », c’est-à-dire non soumis aux seuls États-Unis de Trump.

L’ensemble représente certes un quart du PIB mondial et 40 % de la population mondiale. De quoi donner à cet ensemble un certain poids diplomatique. Mais ce n’est pas ce poids qui compte, c’est le rapport des forces économiques et militaires, lesquelles sont et restent en grande partie aux mains de l’impérialisme américain.

Tous les obstacles créés par cette remontée du protectionnisme pourraient ébranler le commerce mondial. Il faut dire que les périodes de relative prospérité de l’économie capitaliste se traduisent pour ainsi dire mécaniquement par un élargissement et un approfondissement de la mondialisation.

Quand les affaires marchent, les entreprises capitalistes multiplient les liens entre elles. Elles trouvent ailleurs que dans leur pays d’origine des clients, des fournisseurs, des sous-traitants. Elles tissent des liens par-delà les frontières. C’est une tendance puissante.

Les discours sur la « souveraineté », quand ils ne sont pas des mots creux de politiciens mais se traduisent dans la réalité, sont le signe d’une évolution profondément réactionnaire, d’un retour en arrière.

Pour l’instant, on n’y est pas, ou pas encore. Le commerce mondial n’est pas en trop mauvais état. Mais on n’est pas au bout de la crise.

L’avenir de l’humanité n’est pas dans le morcellement, dans les barbelés, mais dans la disparition des frontières et la gestion en commun de notre planète par une économie planifiée sous le contrôle démocratique de la population.

Les États ont réagi à l’offensive protectionniste de Trump en trouvant d’autres trajectoires pour leurs produits. En outre, la Russie, ne pouvant plus vendre ses hydrocarbures à l’Allemagne comme avant – ou plus difficilement qu’avant –, est passée par l’Inde, et celle-ci est devenue d’un coup un exportateur de pétrole et de gaz ! L’Inde, devant les droits de douane américains, est maintenant poussée à se réconcilier avec la Chine, les grandes puissances régionales se rapprochent… La Chine a les moyens de se défendre. Elle a certaines positions fortes. Par exemple, ses terres rares, qu’elle peut non seulement extraire mais aussi transformer. Ce n’est pas comme le Nigeria, qui n’a pas les moyens de raffiner son propre pétrole…

Une forme de mondialisation s’achève, et la nouvelle se fractionne en fonction de l’évolution géopolitique.

« Le commerce mondial entre dans une nouvelle ère », titrait Le Monde du 2 août 2025, en ajoutant : « En imposant des droits de douane à de nombreux partenaires, les États-Unis prennent un virage protectionniste fort. Dans le reste du monde les échanges se régionalisent. »

Le Monde résume : « Un mur de taxes comme il n’en existait pas depuis les années 1930 : les droits de douane de la première puissance économique de la planète, qui étaient en moyenne de 2,5 % avant l’arrivée de D. Trump à la Maison Blanche, devraient grimper aux alentours de 17 % en moyenne. L’offensive va avoir des répercussions sur les échanges mondiaux. Une nouvelle géographie du commerce extérieur américain se dessine déjà. » Et de préciser : « Un casse-tête qui donne l’avantage aux multinationales : elles ont les moyens d’ajuster leurs chaînes d’approvisionnement grâce à leurs usines dans le monde. »

Ce qu’on peut conclure de ces chiffres, c’est que l’économie américaine a les moyens de faire payer dans une certaine mesure les conséquences de la crise de l’économie mondiale à ses concurrentes. Mais pas les moyens d’atténuer la gravité de la crise elle-même.

Les crises font partie du fonctionnement même du capitalisme, de sa respiration. Elles sont l’expression de la contradiction entre le caractère illimité de la soif de profit de la classe capitaliste et les limites du marché.

Comme on peut en conclure que ces mêmes lois vont dans le sens de la concentration au profit des entreprises les plus puissantes.

Une autre expression est la mainmise croissante sur la vie économique des regroupements tels que les fonds de placement Blackstone, Apollo, KKR et BlackRock, surgis d’initiatives récentes mais qui tous résultent de la profonde nécessité de centraliser les capitaux.

L’économie capitaliste à l’époque de l’impérialisme décadent ne supprime pas les lois du capitalisme, mais en quelque sorte elle « socialise » la course au profit. Rien que les encours de BlackRock atteignent de nouveaux sommets, à 12 528 milliards de dollars. Une concentration sans précédent !

Marx et Engels, en 1848, écrivaient dans Le Manifeste : « Vous êtes saisis d’horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C’est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes qu’elle existe pour vous. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui ne peut exister qu’à la condition que l’immense majorité soit frustrée de toute propriété. En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c’est bien ce que nous voulons. »

Menace de crise financière

Un autre problème menace l’économie capitaliste mondiale : celui d’une nouvelle crise financière.

Depuis le temps que la crise économique s’aggrave, il n’y a pas eu de crise financière majeure, aux conséquences comparables à celles de 1929. Bien qu’il y en ait eu plusieurs, plus ou moins graves.

La plus grande crise économique qu’ait connue le capitalisme jusqu’à présent est partie de la Bourse avant de devenir une crise bancaire et financière se généralisant à toute l’économie mondiale. Pour résumer le mécanisme de la crise de 1929 : la crise, partie des États-Unis, s’est généralisée parce que les capitalistes ont retiré leurs capitaux d’Allemagne et que l’effondrement économique de l’Allemagne a entraîné la généralisation de la crise.

Ce qui peut intriguer cette fois-ci, c’est que, jusqu’à présent, rien de ce genre ne s’est produit.

Cela dit, la presse commence à s’en inquiéter. Le Monde du 23 août annonce : « IA : les économistes s’inquiètent d’un risque de bulle financière ». Et d’en résumer le mécanisme sous forme d’interrogation : « Des investissements mirobolants, des valorisations boursières extravagantes et trop peu de profits pour l’instant, à l’exception du fabricant de microprocesseurs Nvidia : la folie de l’intelligence artificielle est-elle en passe de se transformer en bulle financière ? »

On peut effectivement penser que l’IA pourrait se traduire en une catastrophe économique, du moins dans un premier temps. Une ribambelle de sociétés se sont créées, et des investisseurs ont massivement investi, soit pour créer des sociétés, soit pour racheter des actions. Leur problème est d’évaluer la rentabilité de l’IA et, suivant la réponse qu’ils donnent à cette question, ils achètent ou revendent. Pour le moment, cela monte à un tel niveau que les économistes comparent le phénomène avec ce qui s’est passé pour Internet au début.

On estime à plusieurs dizaines de milliards de dollars, les sommes investies par les entreprises pour s’équiper en IA : mais pour l’instant, tout cela ne rapporte pas comparé aux sommes qui s’engouffrent dans la spéculation.

La prochaine crise financière viendra-t-elle de l’intelligence artificielle ou d’un des multiples instruments de spéculation – obligations, emprunts de grands États (avant tout les États-Unis), des monnaies virtuelles (bitcoin, etc.) – inventés, chaque fois, pour tenter de surmonter la crise précédente ?

On n’en sait évidemment rien. Le journal Les Échos des 18 et 19 juillet 2025, affirme, sous le titre « Semaine de tous les records pour le bitcoin » : « Le bitcoin a passé le cap des 120 000 dollars, touchant un point haut historique à 123 153,22 dollars lundi. »

Au bout de combien de records comme cela le krach se produira-t-il ? Ceux qui spéculent avec le bitcoin ne peuvent eux-mêmes rien en savoir. Mais le krach viendra car, comme l’affirme l’adage que les spéculateurs connaissent bien, « les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel ».

Patrick Artus, conseiller économique d’Ossiam (Natixis) et membre du Cercle des économistes, s’en inquiète sur un plan plus général, sous le titre (dans Les Échos du 27 août) : « Une crise financière américaine est possible », et d’énumérer « la crise de la dette publique, la crise boursière, la crise de la balance des paiements ».

La bourgeoisie et ses porte-parole ont de quoi s’inquiéter. En 1929, la finance a été le vecteur de transmission et de généralisation de la crise à l’échelle de l’économie mondiale. Et le protectionnisme ne « protège » pas contre la propagation d’une crise financière.

« Sans révolution socialiste, et cela dans la période historique qui vient, c’est la civilisation toute entière qu’une catastrophe menace d’emporter. Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Ces lignes ont été rédigées par Trotsky dans Le Programme de transition dans une période qui ressemble à la nôtre.

Ce ne sont pas les masses qui sont en cause. Regardons comment la jeunesse s’est soulevée au Népal il y a peu, comment elle a brûlé le Parlement et lynché quelques ministres. L’armée a repris le contrôle et installé un gouvernement avec des personnalités sorties du chapeau. À peine le Népal a-t-il été touché que c’est au tour du Maroc ou du Madagascar de l’être…

Ce qui a manqué aux insurgés, ce n’est pas le courage. Ce sont des perspectives politiques et les moyens de les imposer : un parti communiste révolutionnaire, le parti mondial de la révolution, l’Internationale. Et c’est ce que nous devons construire.

Le problème est toujours le même. La solution aussi. Le prolétariat mondial n’a rien perdu de sa force numérique, ni de ses possibilités révolutionnaires. Mais sans conscience, c’est-à-dire sans le parti, l’Internationale, pour l’incarner, l’avenir risque de s’enfoncer dans son propre passé mais en pire.

Nos perspectives restent les mêmes qu’au temps du prolétariat naissant, au temps de Marx. La tâche n’a pas été accomplie. Elle reste à accomplir.

La situation aux États-Unis

En novembre 2024, Trump a confortablement emporté l’élection présidentielle. S’il a progressé de trois millions de voix par rapport à 2020, Harris en a perdu six millions par rapport à ce que Biden avait obtenu – une sanction sans appel de la politique des démocrates. En janvier dernier, les États-Unis ont ainsi vu revenir aux affaires le même milliardaire démagogue, misogyne, xénophobe et ordurier qu’entre 2017 et 2021. Toutefois, le contexte a changé, et la politique menée n’est pas tout à fait la même. Fort des 77 millions de suffrages qui se sont portés sur son nom, d’une majorité au Sénat, à la Chambre des représentants et parmi les gouverneurs des États, d’une Cour suprême largement acquise à ses vues, le locataire de la Maison-Blanche peut mener sa politique de façon plus frontale qu’il y a huit ans. Nous abordons ici principalement sa politique intérieure et ses conséquences.

Le raidissement d’un pouvoir lié à l’extrême droite

Trump compte des hommes d’extrême droite dans son entourage, qu’ils le soient de longue date ou se soient récemment découverts. En témoignent les propos racistes tenus contre les migrants, qualifiés pendant la campagne électorale de 2024 de « racaille », de « criminels assoiffés de sang », dotés de « mauvais gènes », de « non-humains », d’« animaux » et d’« ennemis de l’intérieur », le salut nazi fait par Elon Musk lors de son investiture puis par un autre proche de Trump, Steve Bannon, l’amnistie accordée aux personnes poursuivies ou condamnées pour leur participation à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, ou encore la mise en scène à la gloire du militant antiavortement et suprémaciste Charlie Kirk assassiné en septembre dernier.

Ces discours se sont doublés, au fil des mois, d’une radicalisation des mesures prises par le pouvoir. Dans un premier temps, ce sont surtout les étrangers qui ont fait l’objet de la vindicte gouvernementale. Les services fédéraux ont mis en scène des dizaines de raids spectaculaires organisés contre des immigrés, clandestins ou pas, dans des quartiers ou dans des entreprises, tandis que la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem posait devant des prisonniers en cage dans une prison du Salvador, pour dire à la base électorale de Trump que la nouvelle administration s’acquittait du sale boulot qu’elle avait promis de faire. Ces opérations démonstratives effraient de nombreux immigrés, en particulier les sans-papiers, qui redoutent d’être arrêtés sur leur lieu de travail, en y allant ou encore en amenant leurs enfants à l’école. C’est l’un de ses objectifs : pousser les travailleurs étrangers, y compris ceux qui ont des papiers, à travailler dur sans rien réclamer. Mais l’administration Biden avait déjà procédé à des expulsions nombreuses, que Trump a dépassées sans parvenir néanmoins à égaler les records de l’administration Obama. Mais la chasse actuelle aux migrants dissuade nombre d’entre eux de venir, et elle se traduit par une chute des arrivées à la frontière des États-Unis.

Pour la première fois depuis longtemps, le nombre d’étrangers présents dans le pays aurait donc un peu diminué. Mais la bourgeoisie américaine a besoin des immigrés, soit quelque 50 millions de personnes, dont la plupart sont des travailleurs. Les immigrés représentent 20 % de la population active, et bien plus dans l’agriculture, la restauration, l’hôtellerie ou le BTP, en particulier dans les États les plus peuplés et les grandes agglomérations. Aussi tout en multipliant les propos et les mesures démonstratives contre les migrants, il est peu probable que l’administration veuille les expulser massivement du pays.

Si les milieux intellectuels ou médiatiques s’inquiètent de la brutalité de Trump, celle-ci ne rencontre pas de forte opposition de leur part. Des journaux ont pour l’instant résisté aux tentatives d’intimidation du pouvoir, mais les médias audiovisuels, dont les projets de fusion sont tributaires de l’aval des autorités fédérales, sont disposés à s’adapter à leurs desiderata. De grandes universités, également dépendantes des financements fédéraux, ont aussi obtempéré, en s’engageant à faire taire tout soutien aux Palestiniens sur leur campus. Récemment, toutes les universités, publiques ou privées, ont été sommées de signer un engagement concernant leur politique de recrutement, l’organisation de leur recherche et de leurs enseignements, ou encore l’inscription des étudiants : elles doivent renoncer à toute lutte contre les discriminations envers les Noirs, les femmes ou les personnes transgenres.

Plusieurs hauts fonctionnaires résistant aux injonctions de Trump, dont l’ancien directeur du FBI James Comey, se retrouvent traduits devant les tribunaux. Des étudiants pro-palestiniens qui avaient un titre de séjour, voire une famille aux États-Unis, ont été incarcérés, tandis que l’avocat américain de l’un d’entre eux a été arrêté à la frontière et obligé de livrer ses contacts à la police. Ce durcissement se constate surtout au niveau des forces de police fédérales, soit une petite minorité de l’ensemble des policiers, mais il inquiète, car ses conséquences peuvent être dévastatrices pour ceux qui en sont les victimes.

L’administration Trump a envoyé la Garde nationale dans plusieurs villes démocrates comme Los Angeles et Washington, et elle prépare des déploiements dans d’autres villes comme Portland, Memphis, New York et Chicago. S’il s’agit d’un développement de la rivalité politicienne qui oppose Trump aux démocrates, la méthode musclée employée n’est pas sans signification. Ces villes, qui comptent une importante population noire et/ou immigrée, et dont les municipalités s’opposent aux méthodes de la police fédérale contre l’immigration illégale (ICE), sont dans le collimateur de Trump depuis son premier mandat. Il se risque désormais à y envoyer des forces armées, en arguant qu’elles peuvent ainsi s’entraîner à des affrontements meurtriers. Dans l’armée, Trump s’en prend à des officiers qui avaient refusé en 2020 d’aller réprimer des manifestations antiracistes de soutien à George Floyd, à des Noirs et des femmes parmi les officiers supérieurs avec des propos racistes et sexistes.

Dans les jours qui ont suivi l’assassinat de Charlie Kirk, le pouvoir et ses relais ont orchestré une campagne politique contre « la gauche » et leurs adversaires plus généralement. Des centaines de salariés ont perdu leur travail pour un simple message sur les réseaux sociaux, tandis que des commerçants subissaient des intimidations par des nervis d’extrême droite. Si pour l’instant cette opération ne va pas plus loin, elle rappelle qu’une campagne comparable au maccarthysme peut être lancée d’en haut, avec d’innombrables répercussions dans le pays. Aujourd’hui, la bourgeoisie américaine n’a pas besoin du fascisme ou d’une dictature pour exercer sa domination sur la classe ouvrière et plus généralement sur toute la société. Comme l’illustrent l’enrichissement des multimilliardaires, les résultats des grandes firmes et la flambée des cours boursiers, la classe dominante américaine se porte bien, tandis que le prolétariat ne se montre nullement menaçant.

Trump est peut-être un peu imprévisible, moins dans le moule des gestionnaires habituels qui se succèdent aux sommets de l’État, mais il fait le job, et les patrons de la Silicon Valley, naguère présentés comme « de gauche », ont vite fait allégeance au nouvel hôte de la Maison-Blanche. Ils partagent avec le magnat de l’immobilier Trump la haine des ouvriers, l’idée que trop d’argent va aux retraités, aux malades ou aux plus pauvres, voire comme Elon Musk (Tesla, X, Space X), Peter Thiel (PayPal) ou Larry Ellison (Oracle), les idées suprémacistes, xénophobes et misogynes. Les capitalistes américains sont habitués à financer les deux partis qui se succèdent au pouvoir. En tout cas, ils trouvent leur compte dans la nouvelle administration.

Ni les démocrates, qui ne font que s’offusquer et défendre leur pré carré des États et des grandes villes qu’ils contrôlent en attendant un rebond électoral, ni les dirigeants syndicaux qui s’accommodent jusqu’à présent d’un Trump qui est pourtant en train de détruire les syndicats de fonctionnaires, voire soutiennent sa politique protectionniste, ne peuvent offrir une perspective aux travailleurs conscients de leurs intérêts de classe.

Pour l’instant rien d’essentiel n’a changé sur le plan des libertés démocratiques. Mais il est manifeste que, sans même basculer dans un régime d’exception, l’État peut mettre en œuvre une politique autoritaire, par laquelle, comme pendant le maccarthysme, des dizaines de milliers de personnes sont muselées, mises sur liste noire ou licenciées, voire incarcérées. L’extrême droite a une longue histoire aux États-Unis, du Ku Klux Klan à la campagne fasciste de Charles Lindbergh à la fin des années 1930. Des raids antisocialistes de la Première Guerre mondiale à la liquidation du mouvement pour le Black Power au début des années 1970, la répression policière et judiciaire a également marqué ce pays qui se veut le phare de la liberté. Si les circonstances l’imposent, en particulier si la crise provoque la ruine de millions de petits patrons ou pousse des millions de travailleurs vers la misère, comme ce fut le cas dans les années 1930, l’État fédéral pourrait trouver dans le pays les relais et la base sociale nécessaires pour un durcissement autoritaire. Le bouffon vaniteux qu’est Trump ne ferait alors plus rire du tout.

Les milliardaires choyés, les travailleurs attaqués

Quant à sa politique économique, si elle semble en rupture par son protectionnisme revendiqué, elle est marquée sur le plan intérieur par une grande continuité. Après des décennies où la première puissance impérialiste s’était fait le chantre d’un libre-échange paré de toutes les vertus, Trump a annoncé des droits de douane nombreux et souvent exorbitants. Il les utilise pour limiter une partie du colossal déficit de l’État fédéral, endetté à hauteur de 38 000 milliards de dollars, tout en continuant d’arroser les plus riches, notamment par des baisses d’impôts.

Cependant, malgré l’affichage démagogique consistant à dire qu’il allait « ramener les emplois aux États-Unis », Trump ne peut aisément récupérer des œufs à partir d’une omelette : les chaînes de production qui se sont constituées au fil des années, par exemple avec le Canada et le Mexique, impliquent de multiples passages de frontières pour les pièces détachées et les composants d’automobiles ou d’autres bien manufacturés. Ces chaînes ne seront pas détruites et les emplois ne seront pas créés aux États-Unis en lieu et place d’emplois canadiens ou mexicains. Trump a en revanche imposé des « deals » à un certain nombre d’États qui dépendent plus des États-Unis que les États-Unis ne dépendent d’eux. Il a imposé une taxe de 15 % à la majorité des produits venus de l’Union européenne, celle-ci étant trop divisée et trop dépendante du marché américain pour l’en empêcher. Il reste à voir ce qui sera effectivement appliqué dans la durée, les exemptions étant nombreuses, comme lors du premier mandat de Trump. Par exemple, des droits de douane de 39 % sont imposés à la Suisse, mais seulement sur une partie des exportations de ce pays, les médicaments et l’or en étant exemptés.

Si l’imprévisibilité de Trump bouscule parfois les capitalistes américains, ils se retrouvent largement dans sa politique. L’« America first » de Trump est en réalité « les capitalistes américains d’abord ». L’indice Dow Jones de la Bourse de New York, déjà multiplié par huit depuis 2009, a encore augmenté de 10 % en un an, malgré quelques trous d’air lors d’annonces de Trump sur les droits de douane. Le nombre de milliardaires en dollars, de 13 en 1982, 801 en 2024, est passé à 901 en 2025. Comme toujours lorsque les règles du jeu changent dans l’économie capitaliste, il y aura des gagnants et des perdants, mais les capitalistes les plus puissants s’adapteront et les survivants y gagneront. La politique de Trump fait des heureux, comme Boeing, et des mécontents, comme Ford, qui râle contre les droits de douane mais… annonce des résultats meilleurs qu’attendus. Les constructeurs automobiles augmenteront leurs prix pour maintenir leurs profits.

Quant à la classe ouvrière, elle fait l’objet d’une attaque en règle de la part de la nouvelle administration. À la tête du Département de l’Efficacité gouvernementale de janvier à mai, Musk et ses sbires ont supprimé des dizaines de milliers d’emplois fédéraux. Fin mai, 59 000 personnes avaient été licenciées, tandis que des dizaines de milliers d’autres partaient d’elles-mêmes et que d’autres encore étaient indécises sur leur sort. Le shutdown (arrêt de certaines fonctions de l’État fédéral pour cause de blocage au Congrès sur le budget et le relèvement du plafond de la dette) d’octobre se traduit aussi par une attaque contre des centaines de milliers d’employés de l’État fédéral. Pour que le gouvernement puisse arroser les milliardaires américains, l’administration licencie des infirmières, des agents travaillant dans l’éducation, l’aide humanitaire, le soutien aux enfants migrants, le contrôle des épidémies, etc. Par ailleurs, les coupes dans les programmes Medicare (assurance santé pour les personnes âgées), Medicaid (assurance santé pour les plus pauvres), la Sécurité sociale (pour les plus âgés) et l’aide alimentaire frappent des millions de personnes dans les classes populaires. Derrière la démagogie xénophobe et raciste de Trump, la politique menée pèse sur toute la classe ouvrière américaine. La politique de division entre travailleurs américains et étrangers profite à la bourgeoisie. Les droits de douane effectivement mis en place seront essentiellement acquittés par les consommateurs et, sans préjuger de la suite, l’inflation est déjà remontée à 3 % annuels en août dernier.

Des conséquences internationales nombreuses

L’arrivée aux sommets de l’État d’un démagogue stigmatisant les étrangers n’est pas sans effet sur le reste du monde. À Gaza, Netanyahou, qui avait déjà bénéficié du soutien de Biden, a été conforté par son successeur dans le massacre des Palestiniens et dans sa politique de purification ethnique. En Allemagne, lors des élections législatives, l’AfD soutenue par l’administration américaine a doublé ses voix, devenant le second parti du pays. Au Royaume-Uni, le parti xénophobe de Nigel Farage, a le vent en poupe et l’extrême droite a pu mobiliser des dizaines de milliers de personnes dans des manifestations de rue ou des rassemblements contre les migrants. Aux Pays-Bas également, Geert Wilders, qui était déjà le premier parti lors des élections de 2023, compte parvenir au pouvoir prochainement. En Autriche, le FPÖ est désormais le premier parti. Au Portugal, le parti Chega a fait une percée en mai, devenant la seconde force parlementaire du pays. En Italie, l’ancienne néo-fasciste Meloni est une Première ministre solidement installée. Et en France, le RN, qui a déjà rassemblé 13 millions de voix en 2024, a également le vent en poupe. Certes, aucun de ces succès n’est complètement neuf, et ils procèdent de la même crise qui a porté Trump au pouvoir.

Mais ce qui se passe aux États-Unis a des implications dans le monde entier, et la présidence Trump donne du crédit aux thèses et aux discours de l’extrême droite partout. À Prague, le milliardaire d’extrême droite Andrej Babis vient d’emporter les élections en se présentant comme le « Trump tchèque ». Chaque situation est différente, et chacun de ces mouvements a ses particularités, mais tous partagent la xénophobie comme fonds de commerce électoral pour mieux servir la bourgeoisie.

Dans un système capitaliste en crise, les États-Unis, la puissance impérialiste dominante depuis un siècle, réaffirment sans cesse leur force, cherchent à affaiblir leurs concurrents et se préparent, le cas échéant, à leur faire la guerre, comme on le voit avec en ce qui concerne la Chine. Pour dominer le monde, accéder aux matières premières ou écarter des concurrents, le cynisme et la brutalité prévalent. Dans la jungle du marché capitaliste, celui qui possède le plus de capitaux et le plus gros bâton impose ses règles. Dans un système en crise, le shérif de la Maison-Blanche a dégainé l’arme du protectionnisme pour tenter de renforcer les capitalistes américains. En menaçant d’annexer le canal de Panama, le Groenland, ou le Canada, en annonçant des droits de douane astronomiques contre des pays aussi pauvres que le Lesotho, Madagascar, ou le Vietnam, en dénonçant certains d’entre eux comme des « pays de merde », en traitant les dirigeants étrangers avec désinvolture, Trump n’est pas fou, il n’est pas que mégalomane – même s’il l’est –, il est le visage hideux de l’impérialisme sénile

Le Moyen-Orient à l’heure de la barbarie impérialiste

Le bilan des deux ans de guerre d’Israël contre Gaza, terrible par le nombre de vies humaines détruites et de destructions matérielles, témoigne des sommets de barbarie que peut atteindre le système impérialiste. Les conflits du Moyen-Orient, et en particulier le conflit israélo-palestinien, résultent de sa domination et de la façon dont les grandes puissances se sont partagé la région après la fin de l’Empire ottoman en créant et entretenant les oppositions entre les peuples. Stratégique tant pour ses ressources pétrolières que pour sa situation géographique, le Moyen-Orient a été modelé par l’impérialisme, divisé entre États rivaux, plongé dans une situation de guerre permanente.

L’impasse politique se double d’une impasse pour le développement économique et d’une crise sociale aiguë condamnant l’écrasante majorité des populations à la pauvreté. Elle entraîne aussi le renforcement de tendances réactionnaires, dont la droite et l’extrême droite israéliennes, mais aussi les diverses tendances islamistes intégristes, sont l’image. La nouvelle étape de la guerre déclenchée par le Hamas le 7 octobre 2023, l’entreprise d’extermination menée en retour par le gouvernement de Netanyahou, sont le produit de cette situation, que le contexte mondial de crise et de tensions vient encore aggraver.

Derrière ses justifications nationalistes, mais aussi de plus en plus religieuses et messianiques, le sionisme a été dès ses origines un projet colonialiste, qui n’a pu se développer qu’avec le soutien du capital occidental. La spécificité de cette colonisation était de vouloir remplacer la population locale palestinienne, quitte à prétendre qu’elle n’existait pas ou était quantité négligeable. La négation de l’existence du peuple palestinien et de ses droits a donc été une constante de la politique des dirigeants d’Israël, depuis et avant même la création de cet État. Dans un contexte où les aspirations à secouer la tutelle de l’impérialisme se développaient dans tout le Moyen-Orient, en particulier au sein des peuples des pays arabes, le nationalisme palestinien se heurtait nécessairement à l’appareil sioniste. Réciproquement, celui-ci ne pouvait survivre que grâce au soutien des puissances impérialistes, intéressées à disposer dans la région d’un allié militaire fiable pouvant menacer tout régime désireux de secouer leur tutelle.

Cette situation intenable n’a pu perdurer que grâce aux guerres successives d’Israël visant les États arabes et plus spécifiquement les Palestiniens ou même l’Iran. Devenu ainsi le bras armé de l’impérialisme au cœur du Moyen-orient, l’État hébreu a encore profité de sa puissance pour élargir sa présence territoriale et poursuivre la colonisation, faisant de plus en plus du peuple palestinien un peuple de réfugiés, parqué dans les camps et les bidonvilles de Cisjordanie, de Gaza ou des pays arabes voisins. Aux tentatives successives du peuple palestinien et de ses organisations de secouer la tutelle d’Israël, les dirigeants israéliens successifs, de plus en plus à droite, n’ont su répondre que par le déni de leurs droits. La puissance militaire d’Israël, bénéficiant du soutien impérialiste, lui permet d’envisager de tenir en faisant continuellement la guerre aux États et aux peuples de la région, aussi longtemps du moins que la population israélienne acceptera de soutenir cette politique.

La guerre contre Gaza n’est que la suite de cette fuite en avant des dirigeants israéliens. Son but affirmé, éradiquer complètement le Hamas, a rapidement débouché sur une tentative d’extermination de la population palestinienne. Celle-ci est une suite logique du projet sioniste qui, niant la réalité de cette population, en arrive à vouloir effectivement l’anéantir. Face à la volonté des Palestiniens de continuer à vivre là où ils sont, cette politique se révèle encore une fois une impasse. Plus cette guerre se prolonge avec son cortège d’atrocités, plus elle fait naître de vocations de combattants qui, tôt ou tard, dans une organisation comme le Hamas ou dans une autre, voudront se dresser contre les injustices qu’ils subissent. Cette politique ne propose à la population israélienne pas d’autre avenir que la mobilisation derrière son armée pour maintenir l’oppression d’un peuple voisin. En déclarant qu’Israël doit devenir une sorte de « Super Sparte », Netanyahou a évoqué ouvertement un tel avenir, celui d’une société militarisée et disciplinée en vue de la guerre permanente.

La fuite en avant de Netanyahou a une logique qui va au-delà du seul problème palestinien, devenu nécessairement un problème régional. Elle a mené encore une fois à une offensive militaire contre le Liban, au prétexte de briser le Hezbollah qui affirmait sa solidarité avec le Hamas à coups de missiles. Elle a mené à des bombardements contre l’Iran, présenté comme l’ennemi principal d’Israël. L’affaiblissement du Hamas et du Hezbollah ayant accéléré l’écroulement du régime de Bachar al- Assad, en Syrie, il a été l’occasion pour l’armée israélienne de s’attaquer à ce pays, d’y détruire des infrastructures militaires et d’y occuper de nouvelles portions de territoire. Les bombardements sur le Yémen s’y sont ajoutés, contre les Houthis qui s’étaient montrés solidaires du Hamas eux aussi en envoyant quelques missiles sur Israël et, enfin, plus récemment, un bombardement sur Doha, au Qatar, au prétexte que cet État abritait une réunion des dirigeants du Hamas engagés dans la discussion d’un accord de cessez-le-feu.

Les dirigeants israéliens n’ont pu mener cette politique que parce qu’ils avaient le soutien des dirigeants impérialistes, en particulier des États-Unis, dont l’objectif constant est non seulement d’affaiblir l’Iran et tous ceux qui apparaissent comme ses alliés mais aussi, plus généralement, de menacer tout État et toute tendance qui voudraient secouer leur tutelle. C’est ce qui permet aux dirigeants israéliens de se comporter comme ceux d’une puissance coloniale qui voudrait dominer tout le Moyen- Orient en mettant à la raison les pays voisins.

Cette politique a cependant une limite, au-delà de laquelle elle peut ne plus coïncider avec celle des États-Unis. D’autres États ont l’ambition de devenir la puissance dominante de la région, et sont d’ailleurs en concurrence pour cela. Dans le cas de l’Iran, ses ambitions sont actuellement combattues par les États-Unis, mais cela n’exclut pas certaines collaborations. Cet État a d’ailleurs été longtemps leur favori à l’époque du chah. Mais c’est aussi le cas de l’Arabie saoudite et de la Turquie, elles-mêmes appuyées par les Émirats. Ces États ne sont pas plus préoccupés du sort des Palestiniens que de celui de leur propre peuple, mais ils le sont par les prétentions ­d’­Israël­ à faire la loi dans toute la région au nom de sa force militaire et en disposant du soutien des États-Unis alors que les États du Golfe et la Turquie en sont eux aussi les alliés.

Une puissance impérialiste de second rang comme la France, en cherchant à se distinguer de la politique américaine, voit là une occasion de se placer auprès de ces pays et d’y développer les affaires de ses capitalistes. Son retour à une politique « pro arabe » et la reconnaissance de l’État palestinien par Macron n’ont pas d’autre substance. L’évocation d’une solution « à deux États » n’a servi dans le passé qu’à tenter de faire patienter les Palestiniens pendant que l’occupation et la colonisation continuaient. Il pourrait en être de même dans l’avenir, même si cette solution apparaît comme encore plus lointaine et plus impraticable, et Macron et d’autres dirigeants voudraient rappeler à Trump l’utilité de maintenir un tel mirage.

La préoccupation de rétablir un certain équilibre entre les puissances concurrentes du Moyen-Orient sous-tend le « plan de paix » présenté par Trump fin septembre. Abandonnant le projet de faire de Gaza une « Riviera » en en expulsant totalement les Palestiniens, il dessine les contours d’un protectorat qui serait cogéré par Israël et les pays arabes, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats, où une reconstruction partielle pourrait avoir lieu grâce aux financements de ces deux derniers et qui serait placé sous supervision occidentale. Ainsi, incapable de surmonter les contradictions que sa domination même a créées, l’impérialisme ne semble trouver d’autre moyen de gérer la région que le retour à une forme de domination coloniale directe.

S’il voit le jour, un tel règlement pourrait satisfaire les régimes arabes. Quant à la population de Gaza, même s’il lui offre quelque répit, il ne sera pas une solution pour elle. Il n’en sera pas une non plus pour celle de Cisjordanie, ni même pour la population israélienne. En continuant de nier les droits élémentaires des Palestiniens, en encourageant la poursuite de la colonisation, ce règlement ne pourra être que provisoire, avant de déboucher sur de nouveaux conflits.

Cette situation marque l’échec de la politique des nationalistes palestiniens, celle de l’Autorité palestinienne comme celle du Hamas. La première, tentative de collaboration avec les dirigeants israéliens et américains, n’a conduit qu’à l’affaiblissement progressif et au discrédit de l’Autorité palestinienne. La seconde, dont l’attaque du 7 octobre 2023 reste le fait le plus marquant, s’est voulue plus radicale et a renforcé l’audience du Hamas auprès de la population palestinienne. Mais si elle a bien remis en lumière la question palestinienne que le régime israélien, les dirigeants impérialistes et même ceux des pays arabes avaient réussi à faire oublier, cela a été de la pire façon.

Le massacre aveugle de plus d’un millier d’Israéliens ce jour-là et la méthode de la prise d’otages n’ont pas seulement été des méthodes barbares sur le plan humain, ils ont donné des armes au gouvernement israélien pour mener sa politique d’extermination. Ils lui ont permis de créer une union nationale autour de lui, au moment où il était en difficulté, et de convaincre la population israélienne de mener une guerre totale contre les Palestiniens, présentés comme autant de terroristes, et de lancer l’opération de nettoyage ethnique demandée par l’extrême droite partisane du « grand Israël ».

Si les révolutionnaires prolétariens doivent affirmer leur pleine solidarité avec la population palestinienne, souhaiter une défaite du régime israélien et au moins son retrait des territoires occupés, ils ne peuvent être solidaires de la politique des dirigeants palestiniens. C’est aussi cette politique nationaliste bourgeoise qui a conduit à des échecs successifs et qui est payée chèrement par leur population, témoignant en fait de leur mépris pour celle-ci.

Même si ces dirigeants finissent néanmoins par trouver la place qu’ils cherchent en tant que représentants politiques de la bourgeoisie palestinienne, elle ne sera que celle que les dirigeants impérialistes, israéliens et arabes, voudront bien leur laisser. Dans la configuration conflictuelle du Moyen-Orient, ce sera dans tous les cas une place bien limitée, guère différente de celle donnée depuis les accords d’Oslo à l’actuelle Autorité palestinienne. Elle pourra satisfaire tout au plus les notables issus des organisations nationalistes ou même du Hamas et une couche de bourgeois prêts à faire des affaires même dans la misère générale, mais certainement pas la majorité de la population pauvre et le prolétariat.

La perspective de guerre perpétuelle et de régime autoritaire annoncée par Netanyahou ne pourra non plus satisfaire la population israélienne. Le nombre croissant de réservistes refusant d’être mobilisés, l’existence de « refuzniks » même très minoritaires, mais aussi les manifestations plus larges contre la continuation de la guerre, sont le signe d’une fracture qui pourrait s’élargir. Le régime de Sparte n’a pas duré mille ans, celui du nazisme non plus, le régime de plus en plus autoritaire de Netanyahou et de l’extrême droite israélienne n’aura pas plus d’avenir.

Pour les classes populaires, pour les travailleurs du Moyen-Orient, il ne peut y avoir d’espoir que dans la lutte pour abattre les régimes en place, en particulier le régime israélien mais aussi les autres. Leurs ennemis sont tous les appareils d’État qui se partagent la région. Armés pour se combattre entre eux, ils le sont surtout pour régner et maintenir la dictature des couches dirigeantes et au-delà la domination de l’impérialisme. Des appareils comme ceux de l’Autorité palestinienne ou du Hamas, candidats à ce rôle et qui le jouent déjà en partie, sont de la même nature. C’est contre tous ces appareils de dictature, en surmontant les oppositions nationales, communautaires et religieuses, que les travailleurs et les classes populaires du Moyen-Orient devront construire leur propre pouvoir. Seuls des partis prolétariens, communistes et internationalistes, pourront mettre en avant un tel objectif.

Ukraine-Russie : une guerre qui n’en finit pas

Au début de l’automne, après avoir accordé un soutien appuyé à Poutine contre Zelensky dans ce que l’on présentait comme des pourparlers en vue d’une fin de conflit en Ukraine, Trump a pris le contre-pied du cours qu’il affichait depuis son retour aux affaires. « Déçu » que Poutine ne se hâte pas de conclure la paix aux conditions avalisées par la Maison-Blanche, Trump « n’exclut (plus) une victoire de l’Ukraine ». Oubliées ses fanfaronnades quand il se targuait de faire taire les armes « en 24 heures » !

Pourtant, cette énième volte-face de Trump ne remet pas en cause l’inflexion de la politique extérieure américaine initiée par l’équipe dirigeante actuelle. Sans remonter à Obama, qui fut le premier à l’envisager, Trump et son gouvernement veulent que les États-Unis se désengagent militairement de l’Europe, afin de concentrer leurs forces sur une confrontation à venir avec la Chine.

Est-ce que cela implique de mettre un terme à la guerre en Ukraine ou simplement de la geler comme tant d’autres de par le monde qui restent des « points chauds » depuis des décennies ?

Cela étant, Poutine n’a pas attendu les dernières déclarations de Trump pour constater que l’impérialisme américain sortait déjà grand vainqueur du conflit ukrainien. Sans même qu’elle ait eu besoin de la signature d’un accord de paix, l’Amérique de Trump a engrangé d’importantes prises de guerre dans les domaines économique, politique, militaire et géostratégique, parfois même au détriment de Moscou dans son propre pré carré de l’ex-Union soviétique.

Même quand Washington semblait ouvert aux demandes de Moscou – un accord entérinant l’annexion de la Crimée et de quatre régions de l’est et du sud de l’Ukraine ainsi que la non-adhésion à l’OTAN du territoire qui serait dévolu à Kiev – ces « avancées » restaient virtuelles tant qu’un accord n’était pas signé. De surcroît Washington a laissé ses alliés de l’OTAN former une « coalition des volontaires » qui menace la Russie puisqu’ils s’engagent, dans l’hypothèse d’un règlement du conflit, à défendre l’Ukraine « sur terre, sur mer et dans le ciel » et même à y envoyer des militaires français et britanniques.

Au début de cette année en Russie, bien des bureaucrates et des oligarques se voyaient devenir des « partenaires » de l’Amérique. Et de rêver aux retombées d’une reprise des relations avec l’Occident, sinon d’une réintégration de la Russie au monde capitaliste. Ils n’ont pas tardé à devoir déchanter.

Poutine a pris acte de ce que le « deal » trumpiste, sous un jour se voulant flatteur, s’apparente à un marché de dupes pour son régime et les nantis de Russie. L’histoire récente est là pour rappeler qu’il ne s’agirait pas d’une première.

En 1989, les interlocuteurs américains de Gorbatchev lui avaient promis que l’OTAN n’avancerait « pas d’un pouce » vers l’Est ; depuis, ses bases encerclent toujours plus la Russie. L’Ukraine passant dans l’orbite occidentale, la guerre devint inévitable. En 2015, alors qu’elle se limitait au Donbass, les accords de Minsk et leurs parrains, Hollande et Merkel, avaient lanterné Poutine, le temps que l’OTAN réarme l’Ukraine. En février 2022, l’Ukraine semblant devoir rejoindre l’OTAN, la guerre se généralisa à tout le pays.

Ces derniers temps, Poutine a intensifié sa pression militaire contre l’Ukraine. Dans l’espoir que son armée s’effondre ? Afin d’occuper le plus de territoire possible ? La conquête de chaque nouvelle bourgade se solde, outre la destruction des logements et infrastructures, par des centaines de morts parmi la population, les militaires ukrainiens et plus encore dans les rangs des soldats russes, que leurs officiers envoient à l’abattoir jusqu’à ce qu’ils submergent les défenses adverses.

Pendant de l’escalade guerrière menée par l’OTAN avec la peau des soldats et populations civiles d’Ukraine, cette fuite en avant du Kremlin obéit aussi à des considérations internes en Russie.

L’économie russe ne s’est pas effondrée, malgré les prédictions périodiques des dirigeants occidentaux qui justifiaient ainsi les sanctions contre la Russie. Mais elle pâtit de la guerre de bien des façons et de plus en plus.

La priorité donnée aux industries d’armement a drainé les financements, les ressources matérielles et humaines au détriment des autres secteurs. Et pour abonder un budget militaire qui consomme la moitié des dépenses publiques, l’État russe recourt à la planche à billets. Au point que l’inflation, qui a pu atteindre 22 %, menace de paralyser l’économie, alerte la gouverneure de la Banque centrale.

On ne peut le tolérer « en aucune circonstance » a tonné Poutine, qui sait quelles terribles implications cela aurait pour le régime, et pour son propre pouvoir. Certes, la guerre oblige bureaucrates et oligarques à serrer les rangs. Mais en 2023, la fronde de Prigojine et des mercenaires de Wagner avait révélé des failles dans l’édifice, y compris militaire, d’un pouvoir qui se voulait monolithique.

Malgré les effets dévastateurs d’une guerre qui, morts, blessés et invalides confondus, aurait déjà fait près d’un million de victimes rien qu’en Russie, qui mobilise 700 000 soldats russes au front, qui a provoqué l’exil de deux millions de cadres, entrepreneurs et jeunes diplômés fuyant la mobilisation, le pouvoir russe a réussi jusqu’à présent à éviter une explosion de contestation sociale.

Le régime dit devoir trouver 40 000 hommes par mois pour compenser les pertes au combat. Pour ce faire, dans les régions déshéritées et les couches sociales les plus pauvres, il fait miroiter aux futurs engagés des contrats et des primes qui, cumulés, représentent des années de salaire moyen. Le pouvoir accepte de payer ce salaire de la misère, et de la mort, pour s’assurer la paix civile, en même temps qu’il cherche à conforter le reste de la population dans l’illusion que la guerre l’épargne.

Ce pouvoir n’a jusqu’alors pas considéré de son intérêt d’arrêter la guerre car l’économie semblait, mais pour combien de temps encore ?, dopée aux commandes du complexe militaro-industriel. Et puis, les sommets de la bureaucratie et Poutine en particulier ont peut-être des raisons de craindre un retour de bâton, si la guerre prenait fin sans qu’ils puissent faire croire à la population que la « patrie » en sort renforcée.

Pour « financer la défense et la sécurité de la Russie », le gouvernement vient d’annoncer une augmentation du principal impôt, la TVA. Cela frappera d’abord les plus pauvres (plus de 8 % de Russes vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté) qui devront restreindre leur consommation. Et cela va stimuler l’inflation et impacter la marche de toute l’économie.

Cela risque d’accroître le nombre des mécontents. Mais ce régime policier se fait fort de les réprimer comme il le fait avec les 1 600 détenus et 3 000 inculpés pour raisons politiques que compte la Russie en 2025.

En Ukraine, Zelensky a démarché cet été ses soutiens européens pour qu’ils l’aident directement à augmenter la solde des militaires et les contrats des engagés. Cela donne une idée de l’épuisement des finances de l’État ukrainien, tenu à bout de bras par l’Occident, qui y trouve matière à se rembourser en pillant à qui mieux mieux les richesses du pays.

Cela souligne aussi combien Kiev peine à se fournir en chair à canon. Des millions d’Ukrainiens ont fui le pays pour échapper à l’enrégimentement et à une mort possible. Maintenant autorisés à voyager à l’étranger, beaucoup de jeunes de 18 à 22 ans partent. Les instances patronales s’alarment publiquement que la main-d’œuvre fait de plus en plus défaut, surtout dans les services. Le manque de bras frappe aussi l’agriculture, grand secteur d’exportation, car l’armée a mobilisé un million de paysans pour la guerre.

Parmi les hommes qui n’ont pas pu s’enfuir, les désertions, les refus de rejoindre un centre de recrutement (CTR) se multiplient. On rapporte de plus en plus de cas où des garde-frontières tirent et blessent, parfois tuent, des gens qui tentent de sortir illégalement du pays. Des incidents violents opposent des agents des CTR aux hommes qu’ils contrôlent dans la rue, dans une entreprise : passants ou collègues les empêchent parfois de saisir leurs proies, les délivrent d’un bus militaire, d’un camp, des CTR sont incendiés.

Nous n’avons aucun moyen de savoir jusqu’à quel point cela reflète l’état de l’opinion publique ukrainienne, mais ces faits recoupent ce que donnent à voir les sondages les plus récents : une bonne partie de la population n’aspire qu’à voir signer un cessez-le-feu au plus vite, y compris en acceptant des cessions territoriales.

C’est ce dont le pouvoir ukrainien ne veut en aucun cas. Depuis les événements du Maïdan en 2014, il a fait de la défense de l’intégrité territoriale de l’Ukraine le centre de sa politique. C’est ainsi qu’il justifie son alignement inconditionnel derrière l’impérialisme américain et, en fin de compte, tous les sacrifices humains, sociaux et économiques qu’il a imposés à sa propre population.

Parmi ceux-ci, il y a le démantèlement de ce qui restait de protection sociale et de droit du travail hérités de l’époque soviétique, la mise au pas d’organisations syndicales n’ayant pourtant jamais brillé par leur radicalisme, l’interdiction et la répression des organisations politiques se réclamant de près ou de loin du socialisme, du communisme, du combat de la classe ouvrière, le tout couvert par la loi martiale.

Zelensky, que les dirigeants et médias occidentaux décrivaient comme le chantre courageux de la démocratie, cet acteur devenu président (propulsé en fait par un oligarque mafieux de premier plan) a été le maître d’œuvre de l’écrasement des droits même les plus élémentaires de la classe ouvrière, et de la population en général. Et de son engagement dans une guerre, prétendument de défense nationale, mais qu’avait dictée, préparée et rendue inévitable toute la politique de l’impérialisme visant à réduire toujours plus la sphère d’influence de la Russie.

L’impérialisme américain estimant avoir atteint ses buts – la conquête de nouvelles sources de richesses et l’affaiblissement de la puissance russe –, Washington s’est senti en position de traiter avec encore moins d’égards un allié ukrainien qui n’avait été et ne restait pour lui qu’un pion dans son jeu.

Récemment, il a été question de trouver un remplaçant à Zelensky, moins usé et si possible plus à la main de l’impérialisme. « Découvrant » qu’il aurait dû procéder à une élection présidentielle il y a plus d’un an, la Grande-Bretagne proposa d’organiser le scrutin. Comme candidat, un nom se dégagea : celui de l’ancien chef d’état-major Zaloujny, devenu ambassadeur de l’Ukraine à Londres.

Que cette élection soit ou pas partie remise, la situation ayant évolué, il est clair que remplacer un chef de guerre démonétisé par un général prétendu populaire – parce que le premier l’a limogé ? – ne changerait rien de fondamental au cours de la guerre ni surtout au sort de la population ukrainienne.

En Ukraine, comme en Russie, et plus généralement partout ailleurs, la question n’est pas de savoir quel homme issu des classes possédantes et dominantes se retrouvera à la tête de l’État pour les servir, donc pour s’en prendre aux classes exploitées. Elle est de tout faire pour que les travailleurs de chaque pays voient les opprimés d’au-delà les frontières non comme des ennemis, mais comme des alliés. Comme leurs frères et sœurs de classe dans la lutte pour renverser le système capitaliste mondial et ses tenants nationaux, mais aussi pour créer les partis ouvriers communistes révolutionnaires indispensables à la destruction de cet ordre mondial qui conduit la planète à la troisième guerre mondiale. Et donc à la victoire de la révolution sociale qui ouvrira enfin la voie à l’humanité d’un avenir sans guerres, sans exploitation ni oppression, un avenir socialiste et communiste.

8 octobre 2025

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