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Le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe
Le chlordécone est un pesticide qui a été largement utilisé dans les plantations de banane en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre le charançon du bananier. Le scandale que constitue son utilisation est un exemple des conséquences néfastes du capitalisme sur l’environnement et sur la santé des travailleurs et de la population. Aux Antilles françaises, c’est dans les années 1930 que la banane a commencé à devenir un produit destiné à l’exportation. Aujourd’hui, l’ensemble des producteurs de Guadeloupe et de Martinique produisent 220 000 tonnes de bananes, dont 70 % sont commercialisées en France et 30 % à l’export. Au milieu des années 1960, le charançon du bananier, un coléoptère, ravagea les cultures de banane. Les larves de ces insectes se nourrissent des racines de bananier, provoquant la mort de la plante.
Les origines du chlordécone
C’est aux États-Unis durant la Première Guerre mondiale que l’on découvrit que les gaz de combat, jusqu’alors utilisés pour tuer des humains, pouvaient tuer d’autres organismes vivants. Avec ces gaz, furent mises en évidence des propriétés insecticides et fongicides des composés organochlorés. En 1916, le chimiste allemand Fritz Haber inventa des gaz de combat. Il collabora avec des agronomes pour tester différentes molécules dans les champs. Dans les années 1920, ces pesticides furent répandus sur les bananeraies appartenant aux compagnies américaines de production de bananes implantées en Amérique centrale. À partir de 1945, des millions de tonnes de produits chimiques comme le DDT1, l’aldrine, la dieldrine, le chlordane, le Képone ou le Mirex, censés éliminer le charançon du bananier, furent répandus dans les plantations du monde tropical.
Ces deux derniers sont en fait les noms commerciaux du chlordécone ou de ses dérivés (Mirex dans les pays anglophones, Kepone aux États-Unis, mais aussi Curlone ou Képone en France). Breveté en 1952 aux États-Unis, le chlordécone fut distribué par la société Du Pont de Nemours à partir de 1958 sous forme d’une poudre à étendre et utilisé de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier dans les Antilles. En 1974, Anselm Vilardebo, chercheur à l’Institut des fruits et légumes coloniaux (Ifac), après avoir comparé différentes méthodes, proclama le chlordécone seul insecticide réellement efficace contre le charançon.
Un pesticide reconnu comme toxique dès les années soixante
Des études avaient pourtant montré, dès le milieu des années soixante, la nocivité du chlordécone pour la santé. Aux États-Unis, une étude de James Huber, de l’université de l’Ohio, montra sa toxicité chez la souris et chez la poule. En France, la commission des toxiques, qui dépend du ministère de l’Agriculture, était chargée d’évaluer l’efficacité et la toxicité du chlordécone avant sa commercialisation. En 1968 et en 1969, elle rejeta son homologation, c’est-à-dire la demande d’autorisation de commercialiser le chlordécone, au motif qu’il représentait un danger pour la santé animale.
En 1975, aux États-Unis, à l’usine d’Hopewell en Virginie qui fabrique le pesticide, plusieurs dizaines de personnes furent victimes d’intoxication au chlordécone, avec troubles neurologiques (tremblement, nervosité, irritabilité), mouvements anarchiques des globes oculaires et testiculaires. Sur 113 employés examinés, 62 étaient contaminés par le Kepone. Des riverains furent également affectés, du fait de rejets dans les eaux. Le fleuve James River et la baie de Chesapeake étaient pollués. L’usine fut fermée le 24 juillet 1975. Dès 1976, les États-Unis ont interdit la production et la commercialisation du Kepone sur leur territoire. Puis en 1976 et en 1978 furent publiés des rapports de différentes institutions américaines. Elles affirmaient : « Le Kepone est très toxique et provoque une toxicité à effets cumulatifs et différés ; il est neurotoxique [affecte le système nerveux] et reprotoxique [affecte la fonction sexuelle et la fertilité] pour un grand nombre d’espèces, incluant les oiseaux, les rongeurs et les humains ; il est cancérigène pour les rongeurs. »2
En 1979, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classa le chlordécone dans le groupe des produits cancérogènes pour l’homme.
Aux Antilles françaises, deux rapports de recherche de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), en 1977 celui de J. Snegaroff et celui de M.-P. Kermarrec en 1980, mirent en garde les pouvoirs publics contre les dangers de l’utilisation du chlordécone. Snegaroff révélait la présence de grandes quantités de chlordécone dans les terres, les rivières, les sédiments et la faune aux Antilles.
En 1979, l’Organisation mondiale de la santé classa le chlordécone comme cancérogène possible chez l’homme. En 1971, une sous-commission des toxiques recommanda que le chlordécone ainsi que plusieurs organochlorés soient inscrits au tableau des substances toxiques et dangereuses, mais deux membres influents s’opposèrent à cette proposition, estimant que le manque de connaissances sur la toxicité des molécules ne permettait pas de les considérer comme des substances dangereuses.
Cette commission des toxiques se réunit à nouveau mardi 1er février 1972, en présence d’experts en toxicologie comme le président René Truhaut, qui connaissaient la dangerosité de ces substances, selon l’enquête menée par Radio France. Mais la présence de trois fonctionnaires proches des fabricants de pesticides, Guy Viel, Lucien Bouyx et Hubert Bouron, et de deux représentants directs de l’industrie, Métivier et Thizy, influencèrent la décision de la commission. Ils servirent les intérêts des bananiers en octroyant l’autorisation3.
En 1972, la demande d’autorisation fut à nouveau présentée à la commission des toxiques par la Seppic (Société d’exploitation pour les produits de l’industrie chimique) qui représente Du Pont de Nemours. La commission des toxiques proposa une autorisation provisoire de vente (APV) pour un an. Le ministre de l’Agriculture, Michel Cointat, délivra l’autorisation provisoire de vente du chlordécone, sous le nom de Képone, en février 19724.
Depuis l’interdiction du Kepone aux États-Unis en 1976, la société française Seppic n’avait plus de Képone à vendre aux planteurs. Un riche béké, planteur de Martinique, Laurent Laguarigue, racheta le brevet du Képone à la Seppic pour le vendre lui-même. Les békés sont les riches capitalistes blancs locaux, descendants des familles esclavagistes. Laguarigue, soutenu par le dirigeant du groupement des planteurs, Yves Hayot, changea le nom de Képone en Curlone et le fit fabriquer au Brésil.
Les effets du chlordécone sur les ouvriers de la banane
Les ouvriers de la banane sont les premières victimes de l’utilisation du chlordécone et de bien d’autres poisons épandus dans les plantations sans aucune protection.
Les pesticides étaient épandus à la main, au sol et sous forme aérienne. Ces produits sont tellement toxiques que certains ouvriers étaient brûlés, leur peau et leur chair rongées. D’autres sont morts empoisonnés dans les heures qui ont suivi l’épandage manuel du produit. Même les ouvriers qui ne l’utilisaient pas directement en subissaient les effets puisqu’ils travaillaient au milieu de la plantation polluée.
Pour que les ouvriers acceptent de s’exposer à tous ces poisons, dont le chlordécone, les patrons des plantations leur présentaient l’épandage comme un privilège : les ouvriers finissaient leur journée de travail beaucoup plus tôt. Ceux qui hésitaient ou refusaient d’être en contact avec les produits étaient tout simplement licenciés.
En conséquence, bon nombre d’ouvriers sont morts de cancers (notamment de la prostate), de la maladie de Parkinson et même de paraplégie bien avant l’âge de la retraite. L’empoisonnement a aussi atteint leurs enfants, dont certains sont nés avec des handicaps ou en ont développé plus tard.
Beaucoup d’ouvrières agricoles ont aussi contracté des cancers. Nous avons l’exemple de notre camarade, Marie-Anne George, une ouvrière agricole, décédée le 28 mars 2023 à l’âge de 70 ans. Elle a travaillé trente-deux ans sur la plantation de bananes Bois-Debout à Capesterre-Belle-Eau, dont les propriétaires sont une famille de riches békés, les Dormoy.
Pendant des années, elle a dû étaler du chlordécone et d’autres pesticides au pied des bananiers. Dans ses témoignages, elle racontait comment pendant des années son patron forçait les ouvriers à utiliser ces produits toxiques sans protection, sans gants, sans masque, alors qu’ils se plaignaient de douleurs et de gênes après chaque épandage. Le lendemain de l’épandage, Marie-Anne constatait les dégâts du produit sur d’autres animaux, lorsque gisaient les corps de lézards, de crapauds, d’oiseaux morts au pied les bananiers. À l’époque, ces produits étaient déjà connus pour être dangereux et Marie-Anne comme bien d’autres de ses camarades en sont tombés malades. C’est un cancer du sang suivi d’un cancer du sein qui l’a emportée après des années de combat contre la maladie.
Elle était une combattante dans cette grande plantation de Bois-Debout, ainsi qu’une militante politique de Combat ouvrier. Elle fut plusieurs fois candidate aux élections à Capesterre-Belle-Eau sur nos listes. Et, déjà malade, elle utilisait ses dernières forces pour venir parler et témoigner dans les meetings. J’en profite aujourd’hui pour lui rendre cet hommage devant vous.
Pendant des années, des voix se sont élevées pour dénoncer le scandale du chlordécone. Dès les années 1970, les ouvriers de la banane ont protesté contre leur empoisonnement au travail par toutes sortes de produits toxiques. Combat ouvrier a dénoncé dans ses bulletins d’entreprise l’utilisation dans les plantations de ces poisons, comme le Temik et le paraquat ou gramoxone.
C’est grâce aux grèves des travailleurs que les patrons voyous de la banane ont récemment dû mettre à leur disposition des protections pour l’usage de produits toxiques. Elles sont certes insuffisantes mais c’est un début.
Les ouvriers agricoles touchent à peine le smic mensuel et pour la plupart ne cotisent pas à une caisse de retraite complémentaire. Il est difficile avec si peu de moyens de soigner ces maladies. Bien souvent, malgré la fatigue, la maladie et l’âge, ils sont contraints de continuer à travailler sur les plantations jusqu’à épuisement. Les travailleurs de Martinique et de Guadeloupe se sont mobilisés collectivement pendant des années pour exiger de meilleures conditions de travail et une prise en charge des soins des ouvriers malades.
Les effets sur la santé des populations
Aujourd’hui, plus de 90 % de la population en Guadeloupe et en Martinique est contaminée par le chlordécone, comme l’a indiqué l’étude de Santé publique France. Les surfaces contaminées sont de 14 000 hectares en Guadeloupe et 16 000 hectares en Martinique. Le chlordécone a empoisonné les sols, les sous-sols, les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les légumes-racines (patates douces, ignames, malangas). Sa molécule est toujours présente et peut rester jusqu’à sept cents ans dans les sols.
Éric Godard, ancien chargé de mission du plan chlordécone de l’Agence régionale de santé, a fini par révéler avec des sanglots dans la voix lors d’une commission, le 30 septembre 2019, que l’État savait que l’eau du robinet était contaminée en Martinique et en Guadeloupe. Il a délibérément laissé pendant plus de dix ans des centaines de milliers de personnes la consommer.
Jusqu’en 1999, l’eau polluée a été distribuée en Martinique et en Guadeloupe, et considérée comme sans risque pour la population. Mais l’enquête a révélé que les autorités sanitaires connaissaient au moins depuis 1991 les dangers du produit.
Les travailleurs et travailleuses agricoles présentent des concentrations plus élevées de chlordécone dans le sang que les salariés des secteurs non agricoles. Ils accumulent dans leur organisme des taux de ce poison parfois dix fois supérieurs au taux jugé tolérable. Les cancers de la prostate et de nombreux cancers chez les travailleuses agricoles sont dus à cet empoisonnement.
Le 1er juillet 2021, l’Inserm a présenté de nouvelles conclusions sur les effets des pesticides sur la santé, notamment sur celle des ouvriers agricoles et des autres professionnels du secteur agricole.
Le rapport a établi une présomption forte de lien entre l’exposition régulière aux pesticides et six maladies graves : le myélome multiple (cancer du sang), le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, les troubles cognitifs, les lymphomes non hodgkiniens (cancers du système immunitaire) et les maladies des bronches.
Ce rapport confirme un lien vraisemblable entre le chlordécone présent dans les terres de Guadeloupe et de Martinique et la survenue du cancer de la prostate. De surcroît, l’exposition régulière à ce pesticide compromettrait la rémission après traitement. En effet le risque de récidive de cancer de la prostate est multiplié par 2,4 chez les patients les plus exposés au chlordécone. En Martinique, sur 100 000 hommes, 227 cas de cancers de la prostate sont constatés chaque année. Par comparaison, dans la France hexagonale, le taux d’incidence pour ce cancer est d’environ 90 cas pour 100 000 habitants par an.
Même à une très faible dose, le chlordécone peut avoir des effets sur la santé. Il a des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons, il altère la fertilité, c’est un perturbateur endocrinien, il augmente le risque de prématurité, c’est un poison pour le système nerveux.
L’État complice des empoisonneurs
Durant plus de vingt ans, une ribambelle de ministres ont autorisé l’utilisation de ce pesticide, y compris après son interdiction en 1990.
Avant l’interdiction en France, différents ministres de l’Agriculture, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont protégé et soutenu les empoisonneurs. Jacques Chirac, alors ministre de l’Agriculture, signa le 18 septembre 1972 l’autorisation de mise sur le marché provisoire de ce produit. Elle ne fut réexaminée qu’en 1976, pour être prolongée.
Christian Bonnet prolongea en 1976 l’autorisation provisoire. Pierre Méhaignerie maintint l’autorisation, alors que la molécule était classée comme cancérogène. Édith Cresson autorisa aux riches békés la mise sur le marché du Curlone de 1981 à 1983.
Un arrêté du 3 juillet 1990 interdit l’usage du chlordécone. Mais deux riches békés, Laguarigue et Hayot, obtinrent une dérogation pour « écouler les stocks ». L’État, par l’intermédiaire de ses ministres de l’Agriculture, a permis aux grandes familles békés de poursuivre l’empoisonnement de la population et de continuer à réaliser leurs profits en toute tranquillité. Henry Nallet, ministre de l’Agriculture de François Mitterrand, accorda une dérogation de deux ans, de 1990 à 1992, pour les Antilles françaises, et en mars 1992 ce fut au tour du nouveau ministre de Mitterrand, Louis Mermaz, du Parti socialiste, d’accorder une dérogation pour un an. Jean-Pierre Soisson, autre ministre de l’Agriculture de Mitterrand, en mars 1993 allongea de six mois la dérogation.
Officiellement, le chlordécone était interdit depuis 1990, mais les ouvriers de la banane ont confirmé que son utilisation s’est poursuivie.
De mai à juin 2002, 10 tonnes de Curlone ont été saisies dans des hangars en Martinique et 3 tonnes en Guadeloupe5.
Depuis plusieurs décennies, les syndicats de travailleurs, des associations, des organisations politiques anticolonialistes, dont Combat ouvrier, dénoncent les riches békés, les empoisonneurs capitalistes, et leurs complices, les élus et les représentants de l’État qui les ont couverts.
En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé trois plaintes pour empoisonnement et mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible. Des hommes politiques du milieu nationaliste et écologique comme Louis Boutrin ou comme Harry Durimel ont aussi déposé plainte.
Les pouvoirs publics ont pris du temps pour se pencher sur ce problème. En 2008, un premier plan chlordécone fut adopté. L’État a depuis mis en place quatre plans chlordécone, notamment pour lutter contre la pollution et ses impacts. Le dernier plan pour la période 2021-2027 prévoit 92 millions d’euros, il est présenté comme un chemin vers la réparation.
Une commission d’enquête parlementaire dirigée en 2019 par Serge Létchimy, à l’époque député, aujourd’hui président de la collectivité territoriale de Martinique, député du Parti progressiste martiniquais, a été mise en place. L’un des objectifs était de « comprendre clairement comment ce pesticide jugé toxique dès la fin des années 1960 a pu être utilisé en toute connaissance de cause dans les bananeraies antillaises jusqu’en 1993 ». La commission a rendu ses conclusions, elle a proposé de créer un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone, notamment les travailleurs de la banane. Elle parle de mesures à prendre pour la décontamination des sols, et d’autres mesures, mais ce n’est qu’un avis, car elle n’a aucun pouvoir.
Certes, la commission dit que « les responsabilités de l’État sont partagées avec les industriels, les groupements de planteurs ». Mais ce qu’elle ne dit pas, c’est que ce sont ces derniers qui ont fait pression sur l’État pour qu’il leur laisse le droit d’utiliser le chlordécone à grande échelle pendant plus de vingt ans.
Les riches békés ont toujours fait la pluie et le beau temps aux Antilles françaises, ayant porte et table ouvertes à l’Élysée. Alors, que l’État soit le premier responsable du scandale du chlordécone, c’est une évidence. Cependant, dans ce crime social de masse, les commanditaires sont les capitalistes békés, les riches planteurs. La commission d’enquête semble leur attribuer un rôle bien trop secondaire, comme pour les abriter derrière l’État.
Notre analyse de l’État comme serviteur politique des capitalistes n’a jamais été aussi juste.
Scandale dans le scandale : le non-lieu
Le 24 novembre 2022, après seize ans de procédure, le parquet de Paris a requis un non-lieu dans l’affaire du chlordécone. Cette infamie a déclenché un grand mécontentement de la population en Guadeloupe et en Martinique. En 2021, le parquet avait déjà déclaré une possible prescription de l’affaire. Il y avait eu des milliers de manifestants dans les rues de Fort-de-France en février 2021. De nombreux rassemblements et manifestations eurent lieu pour dénoncer ce non-lieu dans les deux îles et à Paris en décembre 2022. Lors de ces manifestations, les ouvriers de la banane ont pu dénoncer leur empoisonnement aux pesticides et leurs conditions de travail inhumaines dans les plantations.
Le tribunal de Paris a tranché, lundi 2 janvier 2023, dans l’affaire du chlordécone : non-lieu ! Bel exemple de mépris colonial ! Il n’y a donc, du point de vue de la justice, ni coupables ni responsables d’un empoisonnement qui atteint 90 % de la population dans les deux îles des Antilles, en Guadeloupe et en Martinique.
Les juges ont décidé qu’il y avait prescription, affirmant même que l’impact du produit sur la santé n’était pas scientifiquement prouvé lors de son interdiction. Alors que des études ont prouvé le lien entre l’empoisonnement au chlordécone et le cancer et d’autres maladies. L’enquête de Radio France a dévoilé en avril 2023 qu’il manquait huit années d’archives des différentes commissions qui étaient chargées d’évaluer les produits chimiques mis sur le marché. Non seulement les autorités savaient depuis 1981 que ce produit était dangereux, mais les huit années d’archives qui éclaireraient le détail des responsabilités ont disparu. Il y a certainement eu une volonté d’effacer les preuves de la culpabilité des vrais responsables.
Autrement dit : la décision des juges c’est « circulez, il n’y a rien à voir ».
Alors que cette affaire fait grand bruit, les grandes familles de riches békés nient leur responsabilité dans cet empoisonnement. C’est un comble ! Le chlordécone a été commercialisé par l’entreprise Laguarigue. Le nom de son ancien directeur général était Yves Hayot, décédé en 2017, l’aîné de la puissante famille béké des Hayot. Son frère Bernard Hayot, le plus riche patron béké des Antilles, est spécialisé dans la grande distribution.
La lutte doit continuer
En Martinique, en 2019, tous les samedis pendant plusieurs semaines, des jeunes protestataires, liés aux groupes nationalistes, se rassemblaient devant les magasins appartenant aux gros possédants de l’île, le Groupe Bernard Hayot (GBH). Ils sont dénommés les « antichlordécone » ou encore les « rouge-vert-noir », car ils brandissent le drapeau nationaliste martiniquais avec ces couleurs. Le 23 novembre, ils bloquaient les accès des magasins et dénonçaient la responsabilité de ces riches békés dans l’empoisonnement au chlordécone et la passivité de la justice pénale. Les gendarmes ont réprimé des militants qui bloquaient l’entrée du centre commercial Océanis et le supermarché Euromarché de GBH dans la commune du Robert. Les forces de répression sont aux ordres de ces békés.
Les riches békés ne sont nullement inquiétés par la justice mais ce sont les militants anti-chlordécone qui sont réprimés. Cinq jours après, sept militants ont en effet été arrêtés car suspectés d’avoir participé à ces échauffourées. Après plusieurs renvois, face aux nombreuses mobilisations, leur procès a été annulé en avril dernier.
Toujours en Martinique, des militants ont occupé l’Espace Camille Darsières à Fort-de-France et l’ont rebaptisé Lakou kont non-lieu (espace contre le non-lieu). Ils occupaient ce lieu, situé en face de l’ancien tribunal, depuis le 24 janvier 2023, pour protester contre le non-lieu dans l’affaire du chlordécone. Les gendarmes mobiles ont délogé les militants parce que leur mobilisation gênait les autorités.
Grâce aux luttes menées ces dernières années, quelques avancées furent obtenues. D’abord, le cancer de la prostate provoqué par les pesticides est reconnu comme maladie professionnelle par le décret du 22 décembre 2021.
Dernièrement, l’État a reconnu le droit pour les travailleurs qui ont été directement exposés aux pesticides, dont le chlordécone, d’obtenir une indemnisation, à condition de fournir toute une série de papiers. Mais il faudra poursuivre la lutte pour que l’ensemble des ouvriers agricoles, les femmes comme les hommes, soient indemnisés.
Le scandale du chlordécone nous montre que les capitalistes, les gros békés et leurs valets gouvernementaux ne changeront pas. Il faut les renverser !
1 DDT : l’insecticide le plus utilisé après la Deuxième Guerre mondiale.
2Pierre-Benoît Joly, La saga du chlordécone aux Antilles françaises – Reconstruction chronologique 1968-2008, Inra, juillet 2010.
3 Charlie Hebdo, 12 mars 2021.
4 Pierre-Benoît Joly, op. cit.
5 Pierre-Benoît Joly, op. cit.