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Les déboires de l’impérialisme français dans ses anciennes colonies d’Afrique
Macron a répété plusieurs fois : « L’âge de la Françafrique est révolu », « Il n’y a plus de pré carré de France », mais le premier chef d’État africain à qui il a rendu visite, lors du voyage qu’il vient d’effectuer du 1er au 4 mars sur le continent africain, est Ali Bongo, président du Gabon, le symbole vivant et le plus pur produit de la Françafrique. C’est le fils d’Omar Bongo, intronisé en 1967 à la tête du pays (après la mort du premier président, Léon Mba) par Jacques Foccart, le Monsieur Afrique du général de Gaulle. Il a été mis à la tête de cette ancienne colonie et protégé militairement par la France jusqu’à sa mort, en 2009, car la bourgeoisie française avait besoin de garder la main sur les principales ressources naturelles stratégiques de ce pays : pétrole, uranium et manganèse. Cela reste vrai jusqu’à nos jours. La France y dispose toujours d’une base militaire permanente. L’actuel président du Gabon n’aurait pu succéder à son père sans le soutien de Paris. Par cette visite à Bongo puis à Sassou-Nguesso au Congo, Macron a réaffirmé à ces deux valets de l’impérialisme français qu’ils pouvaient toujours compter sur son soutien, en échange de leur soumission aux intérêts de la bourgeoisie française. On peut appeler ça Françafrique, pré carré ou autrement, c’est le fond qui compte, et il n’est pas du tout révolu malgré tout ce que peut prétendre Macron !
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Après le Mali et la Centrafrique, c’est le Burkina Faso qui a demandé le retrait de l’armée française, « dans un délai d’un mois » selon l’ultimatum lancé le 21 janvier 2023 par le chef de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré. Celui-ci est arrivé au pouvoir par un coup d’État, le 30 septembre 2022, contre le lieutenant-colonel Sandaogo Damiba, lui-même issu d’un coup d’État huit mois plus tôt.
Les autorités françaises ont procédé au transfert des 400 militaires de leur base du Burkina Faso vers le Niger, chez Mohamed Bazoum, un allié et serviteur des intérêts de l’impérialisme français honni par sa propre population. Celle-ci a manifesté plusieurs fois en 2021 et 2022, contre son régime dictatorial et contre la présence des troupes françaises au Niger.
Alors, demain, ne va-t-on pas voir le même scénario se reproduire au Niger, au Tchad ou dans un autre pays africain abritant une base militaire française ? C’est une crainte qu’un certain nombre de dirigeants politiques français émettent de plus en plus à haute voix. C’est probablement cette crainte qui a conduit le gouvernement français à annoncer le 20 février 2023 son intention de réduire les effectifs de sa base militaire permanente de Port-Bouët à Abidjan, bonnes œuvres de l’armée française en faveur de l’État ivoirien. Reste à savoir si cette tromperie suffira à calmer les ardeurs de ceux qui, dans la population et probablement au sein de l’armée ivoirienne, ne veulent plus de cette présence militaire, vestige du passé douloureux de l’Afrique coloniale et, en même temps, instrument de la continuation de la domination après la décolonisation.
Mauvaise foi et mensonge s’ajoutent à l’aveuglement
Le 6 octobre dernier au Sénat, lors d’une séance de questions d’actualité au gouvernement, un sénateur s’adressait en ces termes à Catherine Colonna, ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères : « Bamako, Bangui, Yaoundé, Dakar, N’Djamena et, samedi dernier, Ouagadougou : partout en Afrique, le sentiment anti-français grandit et se manifeste de plus en plus violemment. » On assiste, dit-il, à « une spirale exponentielle d’un sentiment et d’actes anti-français sur place. Les milliards d’euros d’aide publique au développement ne changent pas la donne, car ce jugement est irrationnel, et le malaise extrêmement profond. […]. Par maladresse peut-être, par manque de communication assurément, nous ne parvenons pas à convaincre ou tout simplement à rassurer les populations locales sur nos louables intentions. Il y a vingt ans, en Afrique, les slogans anti-français étaient du style : “On en a marre !” ; aujourd’hui, le slogan récurrent est : “France dégage !” […] Comment interrompre un tel processus de dégradation de l’image de notre pays ? »
Une sénatrice a aussi fait part de son inquiétude sur la francophobie qui, selon elle, serait en train de se répandre « au Cameroun, au Mali, au Burkina Faso ou encore en Côte d’Ivoire ».
À ces inquiétudes, la ministre a répondu que « la France est victime d’une scandaleuse campagne de désinformation en Afrique » et que la lutte contre cette désinformation « est désormais une priorité » pour son ministère. En d’autres termes, elle a l’intention d’alimenter massivement les médias officiels et non officiels de propagande mensongère pour vanter les prétendues bonnes œuvres et les louables intentions de la France en Afrique.
Ces parlementaires et le gouvernement de Macron font semblant de ne pas voir que, derrière ce qu’ils dénoncent comme étant la montée d’un sentiment anti-français ou de la francophobie, il y a une réelle contestation de la mainmise de l’État français sur ses anciennes colonies. Ils font d’autant plus volontairement cet amalgame, tout en invoquant l’irrationnel, qu’ils cherchent à masquer leurs propres responsabilités dans la montée de cette hostilité.
Cette hostilité n’a rien d’irrationnel et ne date pas d’aujourd’hui. Ce ne sont pas les réseaux sociaux ni on ne sait quelle officine cachée derrière un clavier qui la créent, mais les dirigeants de l’impérialisme français eux-mêmes, par la politique qu’ils mènent dans leurs anciennes colonies. Elle est le résultat de décennies de soutien aux dictatures sanguinaires et corrompues, de pillage économique, d’exploitation et d’oppression des populations. Elle est aussi le résultat de l’arrogance, du mépris et de l’hypocrisie des dirigeants successifs de l’État français envers les populations des pays sous leur domination.
Les gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédé en France ont toujours voulu dissimuler sous le tapis les massacres, les atrocités, les viols et les vols commis dans leurs anciennes colonies. Même le simple fait de reconnaître des faits qui se sont déroulés il y a 70 ans est un geste exceptionnel, présenté comme un acte de courage et de générosité présidentielle. Lors de son récent voyage au Cameroun, Macron a voulu jouer au président ouvert et transparent en acceptant d’ouvrir une partie des archives de l’État français sur la guerre d’indépendance du Cameroun à une commission d’historiens. C’est au cours de cette guerre, qui a commencé en 1955, que le dirigeant nationaliste Ruben Um Nyobè et de nombreux militants de son parti, l’UPC, ont été traqués puis exécutés sauvagement, comme des dizaines de milliers de personnes. Les massacres se sont poursuivis bien après l’indépendance du Cameroun en 1960, sous la dictature sanglante d’Ahidjo, installé au pouvoir par l’armée française. Celle-ci a aidé Ahidjo durant de nombreuses années à éliminer physiquement les militants de l’UPC. L’actuel président Biya a commencé sa carrière politique en 1962 en tant que chargé de mission d’Ahidjo puis ministre et ensuite Premier ministre, avant de l’évincer du pouvoir en 1982 avec l’appui de l’ancienne puissance coloniale.
L’État français a tout fait pour que le sang qu’il a fait couler dans ce pays ne soit pas connu du public. Cela fut le cas dans bien d’autres massacres du même genre dans d’autres colonies. La chape de plomb du secret d’État couvre jusqu’à nos jours de nombreux faits coloniaux.
Ce sont aussi les réactions provoquées par ce « Circulez, il n’y a rien à voir ! » qui reviennent comme un boomerang à la figure de l’ancienne puissance coloniale !
La prétendue lutte contre les groupes terroristes au Sahel
Les troupes françaises dépêchées au Mali, au Burkina Faso et au Niger étaient prétendument destinées à protéger les populations contre les groupes armés djihadistes qui semaient la terreur dans cette région du Sahel. Mais les opérations Serval, Barkhane et autres ont surtout servi à maintenir des valets locaux au pouvoir, afin de permettre à la bourgeoisie française de continuer à s’enrichir au détriment des populations de ces pays.
Ces populations, prises en étau entre les bandes armées terroristes et les armées officielles, qui ne se comportent pas mieux que ceux qu’elles prétendent combattre, se sont rendu compte que les troupes françaises n’étaient pas venues pour éradiquer le terrorisme, mais pour autre chose. Les groupes armés terroristes ont continué de sévir, parfois sous les yeux indifférents des troupes de Barkhane et des trois États sahéliens concernés. Des milliers de villageois ont été assassinés, d’autres ont dû abandonner leur village pour aller vivre là où ils le pouvaient, dans des camps de réfugiés quand ils en trouvaient. Entre 2013 et 2021, il y a eu plus de 2,5 millions de déplacés dans le Sahel selon le HCR, organisme des Nations unies chargé des réfugiés. Leur nombre a continué d’augmenter depuis 2021.
La colère des populations contre les régimes corrompus et sanguinaires qui les volaient et les opprimaient s’est retournée contre la France qui a servi de bouclier à ces régimes. Des officiers de l’armée, comme Assimi Goïta au Mali ou Ibrahim Traoré au Burkina Faso, ont profité de ce climat de contestation pour s’emparer du pouvoir (le 19 août 2020 au Mali et le 30 septembre 2022 au Burkina Faso). Leurs discours nationalistes et la rupture des accords militaires avec l’ancienne puissance coloniale leur ont permis de redorer leur blason auprès d’une partie de la population, mais pour combien de temps ? Un changement de personnes à la tête de l’État et de l’armée ne suffit pas pour que brusquement ils changent de nature. Ils restent et resteront fondamentalement des instruments au service de la classe des possédants et des exploiteurs pour maintenir l’ordre capitaliste dans leur pays. Comme tous les pouvoirs qui les ont précédés, ils n’hésiteront pas à réprimer violemment les populations lorsque celles-ci se mobiliseront pour réclamer plus de justice et de meilleures conditions d’existence.
En Centrafrique et au Mali, ce sont les mercenaires de l’entreprise russe Wagner qui ont remplacé les troupes françaises. Demain ce sera peut-être le tour du Burkina Faso. Il s’agit d’une entreprise privée qui fait payer ses services, comme n’importe quelle entreprise capitaliste. Le paiement se fait en nature, sous forme de droit d’exploitation d’une mine d’or, de diamant ou autres richesses naturelles. Ces mercenaires ne sont ni pires ni meilleurs que les légionnaires que l’État français a l’habitude d’envoyer en Afrique pour sauver un de ses valets en difficulté.
La bourgeoisie française concurrencée dans sa chasse gardée africaine
Face à cette nouvelle situation au Mali et au Burkina Faso, Macron, chef de file de l’impérialisme français, a dû s’adapter et accepter de retirer ses troupes de ces deux pays, tout en gardant la possibilité d’y intervenir à partir du Niger ou de ses bases militaires permanentes de Côte d’Ivoire, du Sénégal ou du Tchad.
L’État français tient d’autant plus à maintenir son rôle de gendarme de l’Afrique que sa bourgeoisie a de plus en plus de mal à faire face à la rude concurrence des autres puissances capitalistes, y compris dans les pays considérés jusqu’à ces dernières années comme faisant partie de son pré carré. Mais le bouclier militaire doublé du bouclier monétaire que constitue le franc CFA1 ne suffit plus à préserver le quasi-monopole que la bourgeoisie française a longtemps détenu dans ses anciennes colonies.
Selon un rapport de la Coface2 publié en juin 2018, les parts de marché à l’exportation de la France en Afrique (à l’exception du secteur de l’aéronautique) ont été divisées par deux depuis 2000, passant de 11 % à 5,5 % en 2017. Durant cette même période, la part de la Chine est passée de 3 % à près de 18 %, suivie par celle de l’Inde, de la Turquie et de l’Espagne.
Dans les domaines des équipements électriques et électroniques, de l’automobile ou de la pharmacie, où la France détenait la première place, c’est la Chine et l’Inde qui sont passées devant. Même au Sénégal, pays politiquement et économiquement le plus lié à la France de par ses liens historiques, elle a perdu jusqu’à 25 % de ses parts de marché, tandis qu’en Côte d’Ivoire elle en a perdu entre 15 % et 20 %, toujours pour la période de 2000 à 2017.
Le retrait, en décembre 2022, de Vincent Bolloré (un des plus grands capitalistes français ayant de grosses affaires en Afrique) de ses principales activités logistiques portuaires et ferroviaires en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays d’Afrique, au profit de l’armateur italo-suisse MSC, est la toute dernière illustration de cette tendance au déclin.
Un continent convoité
Les grandes puissances et leurs multinationales (les États-Unis et la Chine en tête) sont en compétition pour s’emparer des richesses naturelles et de tout ce qui peut leur rapporter des profits énormes sur le continent africain. Celui-ci possède plus de la moitié des réserves mondiales de manganèse, de chrome et de platine, 44 % de vanadium, 78 % de diamant, 40 % d’or… Sans oublier les gisements de terres rares, recherchées entre autres par les industries de l’électronique et de la téléphonie.
Environ 60 % des surfaces arables mondiales non exploitées seraient situées sur le continent africain. Les grandes firmes de l’agrobusiness ont déjà commencé à accaparer les terres les plus fertiles pour y planter des cultures industrielles, au détriment des cultures vivrières et des besoins alimentaires des populations locales. Les côtes poissonneuses du continent sont également pillées par les grandes sociétés internationales de pêche, avec la complicité des États côtiers africains, au détriment des petits pêcheurs locaux et des populations proches des côtes, victimes de la raréfaction du poisson.
Cette ruée des puissances capitalistes et de leurs industriels vers l’eldorado africain est en train de dessiner le contour d’un nouveau partage du continent africain. La crise actuelle du capitalisme, notamment l’aggravation de la crise énergétique à la suite du déclenchement de la guerre entre l’Ukraine de Zelenski épaulée par les puissances occidentales et la Russie de Poutine, a aiguisé la compétition entre les grandes puissances pour prendre possession des réserves d’hydrocarbures en Afrique. Leurs multinationales font la course pour signer des contrats de forage et d’exploitation avec les régimes en place, en échange de bakchichs. L’appétit insatiable de ces prédateurs voraces est en train de transformer le continent africain en un futur terrain de bataille des puissances en compétition, à commencer par les deux plus grandes d’entre elles, les USA et la Chine, mais aussi le Japon, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, la Russie et quelques autres.
Par-delà les frontières et les continents, les travailleurs ont les mêmes intérêts et un avenir commun à construire.
Pendant que le capitalisme mondial fait main basse sur les richesses du continent, l’écrasante majorité de la population africaine, en ville comme dans les campagnes, s’enfonce dans la misère. Le chômage pousse toujours plus de jeunes à migrer vers l’Europe ou ailleurs, quitte à risquer leur vie en chemin. Ceux qui restent au pays essaient de survivre en faisant des petits boulots précaires et mal payés ou en travaillant la terre. La cherté de la vie aggrave leurs conditions d’existence déjà catastrophiques. Chaque flambée de prix est comme un coup de poignard enfoncé dans leur chair. Pendant ce temps, une petite minorité de parasites et d’exploiteurs locaux étale avec insolence sa richesse au milieu de cet océan de pauvreté.
Dans un monde dominé par le système capitaliste, ceux qui n’ont que leurs bras pour vivre sont les plus mal lotis. Ce sont eux qui produisent les richesses et, sans leur labeur, rien ne fonctionnerait. Mais c’est la classe sociale des exploiteurs et des parasites qui profite de ces richesses et des moyens dont dispose la société.
Que ce soit dans un pays riche ou pauvre, par-delà leur niveau de vie différent d’un pays à l’autre, les travailleurs subissent cette même logique implacable d’un système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, la recherche du profit individuel et la concurrence entre les individus et les nations. Dans une telle société, où règne la loi du plus fort, les guerres et les rapines font partie des armes de la bourgeoisie pour protéger ses intérêts ou pour agrandir son terrain de chasse.
Les travailleurs n’ont rien de bon à attendre d’un tel système. Ils ont au contraire tout à gagner à le combattre et à le remplacer par un autre, où les frontières seront abolies, où personne n’aura le droit d’exploiter et d’opprimer son semblable, et où l’humanité pourra enfin respirer et profiter librement de la vie. C’est la société que veulent construire les révolutionnaires communistes.
1Ancienne monnaie coloniale, repeinte en monnaie commune des territoires devenus indépendants, et dont la parité fixe avec l’euro est garantie par le Trésor public français.
2Compagnie française d’assurances pour le commerce extérieur, créée par l’État français pour couvrir, entre autres, les risques politiques encourus par les capitalistes français opérant à l’étranger.