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L’économie capitaliste entre ravin et précipice
Le rôle officiel des banques centrales est de réguler le système financier en adaptant la masse monétaire en circulation aux besoins du marché capitaliste, c’est-à-dire aux volumes de production et de circulation des marchandises. En fixant les divers taux d’intérêt auxquels les banques privées peuvent se refinancer, les banques centrales encouragent ou freinent les emprunts des entreprises comme des particuliers, ce qui est supposé se répercuter sur les investissements productifs et la croissance économique. Mais ce sont les capitalistes, et d’abord les plus puissants d’entre eux, qui décident de l’usage qu’ils font des capitaux disponibles, en fonction des profits qu’ils escomptent et de l’idée qu’ils se font de l’avenir de leur propre système.
De la baisse des taux à leur remontée
Pendant une longue période, depuis la crise du système financier mondial en 2008, les taux d’intérêt pratiqués par les banques centrales avaient baissé jusqu’à 0 %, quand ils n’étaient pas devenus négatifs. Elles rachetaient sans barguigner leurs titres douteux (dettes, obligations d’État…) aux banques privées, voire à certaines grandes entreprises. Durant ces quinze années de crédit facile, les milliers de milliards de dollars, d’euros ou de yens injectés dans l’économie ont très peu relancé les investissements productifs. Ils ont en revanche alimenté la spéculation, qu’elle porte sur l’immobilier, les matières premières ou bien d’autres secteurs. Ils ont donné du carburant aux banques de tout type pour inventer de nouveaux montages financiers. Ils ont accéléré le développement des Gafam et autres entreprises de la nouvelle économie, qui ont pu faire grossir le montant de leur capital sans construire et développer en parallèle des moyens de production réels, ayant une valeur du même ordre de grandeur. Ils ont facilité les fusions-acquisitions, les rachats d’actions et finalement la concentration du capital. Durant toutes ces années, sans inflation, l’exploitation s’est accrue et la part de richesses prélevée par les capitalistes n’a cessé d’augmenter au détriment des travailleurs. C’est d’ailleurs l’aggravation de l’exploitation et le maintien des salaires au plus bas, dans tous les pays, qui permettaient la faible inflation sur le prix des produits manufacturés.
Depuis un an, avec le retour de l’inflation et sous prétexte de la juguler, les banques centrales, après une longue période d’hésitation, n’ont cessé d’augmenter leurs taux de refinancement. De mars 2022 à mars 2023, la banque fédérale américaine (Fed) a porté son principal taux de 0 % à 4,75 %. La banque centrale européenne (BCE) l’a suivie, portant son taux de 0 % en juillet à 3,5 % à la mi-mars. L’objectif explicite des banques centrales est de « ralentir le marché » en réduisant la demande de tous les biens, produits manufacturés ou immobiliers, en espérant que les prix baisseront. Les particuliers ne pourront plus emprunter pour acheter un logement ou une voiture. Faute d’acheteurs en nombre suffisant, les prix sont supposés baisser. Avec des taux en hausse, les entreprises, petites, moyennes ou même des grosses jugées moins rentables, trouveront plus difficilement des crédits pour investir. Elles réduiront la voilure ou feront faillite. Dans tous les cas, elles supprimeront des emplois. Un surcroît de chômage et, de préférence, des chômeurs peu ou pas indemnisés, obligera tous les travailleurs à accepter des salaires plus faibles. Cela mettra les patrons en position de force pour refuser des augmentations de salaire. Voilà l’objectif explicite des banquiers centraux. En septembre, l’économiste Patrick Artus l’avait formulé sans fioriture (Les Échos) : « Pour faire baisser l’inflation, il faut faire monter le chômage. »
En réalité, ces gens-là n’en savent rien. Pendant quinze ans, ils se demandaient doctement pourquoi l’injection de capitaux dans l’économie, avec une masse monétaire multipliée par quatre entre 2008 et 2021, ne provoquait pas d’inflation. Aujourd’hui, les banquiers centraux n’ont pas la moindre garantie que la restriction monétaire fera baisser l’inflation.
En revanche, elle provoque déjà des catastrophes, au point que certains économistes bourgeois s’en inquiètent. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie américain, dénonçait dans une tribune publiée dans Les Échos, le 15 décembre dernier, « la détermination sans faille des banques centrales à rehausser les taux d’intérêt ». « Au nom de la maîtrise de l’inflation, elles ont choisi une trajectoire vouée à provoquer une récession – ou à l’aggraver si cette récession devait survenir en tout état de cause. » Trois mois plus tard, après la faillite de la Silicon Valley Bank, il critiquait : « Si l’on considère les hausses importantes et rapides des taux d’intérêt voulues par Powell, il était à prévoir que la brutalité des évolutions des prix des actifs financiers causerait quelque part dans le système financier un trauma. » Les règlements de comptes entre Stiglitz, ex-conseiller d’Obama, et Jerome Powell, mis en place sous Trump, laissent entrevoir les inquiétudes de ces économistes proches du pouvoir.
SVB, Crédit suisse : le spectre de 2008
Le 9 mars, la banque californienne SVB, qui hébergeait les comptes de nombreuses entreprises de la Silicon Valley, a subi la plus grande panique bancaire de l’histoire. En une seule journée, ses clients ont voulu récupérer, par un simple clic, 42 milliards de dollars. Cette banque, qui n’était pas classée parmi les trente banques internationales jugées « trop grosses pour faire faillite », n’avait pas fait d’opérations douteuses ou frauduleuses. Elle ne possédait pas de titres pourris, comme les subprimes qui ont provoqué la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers en 2008 et déclenché la crise du système bancaire. Elle avait placé l’argent de ses clients dans des bons du Trésor américain à longue échéance, les titres les plus sûrs au monde. Mais, justement, la valeur de ces obligations d’État a baissé, du fait de la remontée des taux de la Fed. Avec des taux plus hauts, les nouvelles obligations émises par l’État rapportent plus aux financiers qui vendent les anciennes, provoquant leur dévaluation. Un autre effet collatéral de la remontée des taux et du recul de l’argent facile, qui s’ajoute à la crise économique, c’est une plus grande difficulté pour les start-up, californiennes ou autres, de lever des fonds pour accroître leur capital. Quand certaines de ces start-up, ayant besoin d’argent frais, ont commencé à retirer leurs fonds, la SVB s’est retrouvée piégée, incapable d’honorer les retraits.
Devant la panique provoquée par la faillite de SVB, la Fed est intervenue sans délai. Biden en personne s’est exprimé pour assurer les banquiers que l’État garantirait, quoi qu’il en coûte, tous les fonds placés dans les banques. L’État est toujours là pour sauver la mise des capitalistes avec l’argent public. Comme le faisait remarquer un observateur : « Les entrepreneurs californiens sont tous libertariens, jusqu’à ce qu’ils soient frappés par une hausse des taux d’intérêt. » Cette intervention immédiate montre que les dirigeants de la bourgeoisie savent que leur économie est instable et qu’ils redoutent en permanence une nouvelle crise systémique.
Pratiquant la méthode Coué, comme Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie de Sarkoky, qui déclarait en 2008 : « Ceci n’est pas un krach », Bruno Le Maire a déclaré après la faillite de SVB : « Je ne vois pas de risque de contagion en Europe. » Patatras, moins de vingt-quatre heures plus tard, le Crédit suisse, deuxième banque helvétique, était menacé de faillite, tandis que les actions de la BNP et de la Société générale perdaient 30 % à la Bourse de Paris. Le Crédit suisse étant l’une des trente banques dont la faillite menacerait la stabilité de tout le système, les autorités suisses ont imposé à UBS, en moins d’un week-end, de racheter le Crédit suisse pour 3 milliards d’euros. Les emplois des salariés de la banque, eux, n’ont pas été sécurisés. Ils risquent de disparaître par milliers, alors que le Crédit suisse a déjà licencié 9 000 de ses 52 000 salariés au cours des deux dernières années. Pour convaincre les patrons d’UBS, réticents malgré le prix bradé, car bien placés pour savoir que les coffres du Crédit suisse pouvaient contenir des titres douteux, les autorités suisses leur ont ouvert avec l’argent public un fonds de garantie de 9 milliards. Le Crédit suisse, comme UBS et tant d’autres banques dans le passé, a été récemment mis en cause dans divers scandales de corruption, d’opérations de blanchiment ou d’évasion fiscale, de manipulations de taux. Il avait des participations dans un fonds spéculatif, Archeos, qui a fait faillite en 2021. Toutes les casseroles du Crédit suisse ont fini par faire douter les autres financiers de sa solidité. La faillite de la SVB, en semant le doute sur la solidité de chaque banque, a accéléré sa chute.
D’autres banques pourraient être entraînées par la chute de la SVB et du Crédit suisse. La Deutsche Bank, première banque allemande, pourrait être le prochain domino à tomber. Le 24 mars, son cours boursier a commencé à chuter dangereusement. Dans un climat de défiance générale, l’annonce qu’elle souhaitait rembourser par anticipation certaines de ses créances, au lieu de rassurer les marchés, a déclenché leur méfiance. Les rodomontades de Christine Lagarde, présidente de la BCE, qui déclarait le 20 mars, lors du sommet des dirigeants de l’UE : « Le secteur bancaire de la zone euro est résilient », ne suffiront pas à protéger la société du risque d’une nouvelle crise financière systémique. Depuis 2008, les banques ont trouvé le moyen de contourner les mesures dites prudentielles qui leur avaient été imposées pour éviter des faillites en chaîne. Elles ont inventé de nouveaux instruments pour spéculer et s’enrichir par tous les moyens, s’exposant à des faillites en cas de retournements brutaux. Quand les marchés financiers, c’est-à-dire une poignée de grands banquiers ou de grands fonds d’investissement comme BlackRock, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, perdent confiance dans telle ou telle banque soupçonnée d’être trop exposée, ce qui est le cas de la Deutsche Bank, ils peuvent la faire couler en peu de temps.
Vers une crise de la dette publique ?
La remontée des taux renchérit la dette des États. Après avoir longtemps justifié les économies drastiques dans tous les services utiles à la population par la nécessité de limiter la dette publique, les États ont ouvert les vannes pour verser des centaines de milliards aux capitalistes, au moment du Covid, puis pour amortir la flambée des prix de l’énergie, favoriser la transition énergétique ou financer leur réarmement. Ainsi la dette de l’État français est-elle passée d’un peu moins de 100 % du PIB en 2019 à 114 % en 2022 (Insee). Elle n’était que de 67 % avant la crise de 2008. Pour 2023, l’agence France trésor, qui gère la dette de l’État français, prévoit d’emprunter 270 milliards d’euros aux taux du jour. La dette publique totale française va dépasser les 3 000 milliards d’euros à la fin de l’année. L’Allemagne, endettée à hauteur de 68 % de son PIB pour une dette publique totale de 2 500 milliards d’euros, prévoit d’émettre un emprunt record de 579 milliards d’euros en 2023. La hausse des taux fait gonfler toutes les dettes. Alors que l’État français empruntait à 0,2 % en janvier 2022, il le fait à plus de 3 % un an plus tard. En un an, le service de la dette, c’est-à-dire les sommes remboursées en intérêts, est passé de 38 à 52 milliards d’euros, une somme proche du budget de l’Éducation nationale. Ces dettes colossales profitent à la bourgeoisie, mais sont et seront entièrement payées par les classes populaires.
La hausse des taux relance la spéculation sur la dette des États, car les marchés financiers prêtent à des taux plus faibles aux États jugés plus solvables, moins endettés et à la croissance économique plus forte, comme l’Allemagne, plutôt qu’à ceux qui sont plus endettés, comme l’Italie. L’attaque des marchés financiers contre la dette du Royaume-Uni et la livre sterling, en octobre dernier, après l’annonce de fortes baisses d’impôts par la Première ministre Liz Truss, a rappelé que ces marchés sont sans cesse à l’affût, prêts à utiliser toutes les failles pour spéculer. Ces marchés financiers sont aussi schizophrènes qu’impitoyables avec le personnel politique au pouvoir. Ils réclament des baisses d’impôts, exigent que l’argent public leur revienne sous toutes les formes, mais sanctionnent les gouvernements qui le font trop brutalement. Ils profitent à fond de la dette publique mais prêtent à des taux usuraires à ceux qui sont trop endettés. Un Macron est sommé par les marchés financiers d’attaquer la retraite des travailleurs, mais il est sanctionné si, en le faisant, il déclenche une crise politique et sociale.
Menace de nouveaux krachs bancaires, risque d’une crise de la dette, la crise de l’économie capitaliste continue de s’approfondir. Elle prend en plus aujourd’hui la forme d’une inflation durable qui, couplée à la hausse des taux d’intérêt, pourrait entraîner une récession économique, c’est-à-dire un recul de la production matérielle, et des fermetures d’entreprises. La directrice du FMI a pronostiqué, début janvier : « Un tiers de l’économie mondiale sera en récession en 2023. »
L’inflation et ceux qui la déclenchent
L’inflation et les récessions sont toujours présentées comme des phénomènes naturels, conséquences plus ou moins mécaniques des aléas subis par l’économie. Les revues économiques sont pleines d’analyses sur les causes conjoncturelles ou structurelles de l’inflation. Ceux qui n’arrivaient pas à comprendre, pendant quinze ans, pourquoi l’argent facile ne provoquait pas d’inflation prétendent l’expliquer aujourd’hui et font des pronostics, régulièrement démentis, sur sa durée. Évidemment, ils n’en savent rien.
L’inflation, comme les récessions, ne sont pas des phénomènes naturels. Elles sont provoquées et amplifiées par les décisions des capitalistes les plus puissants, en situation de monopole dans des secteurs clés de l’économie. La guerre en Ukraine, la crise énergétique, la transition énergétique, les pénuries engendrées par le long confinement de la Chine, la rivalité économique qui s’est accélérée entre l’Europe et les États-Unis et bien d’autres facteurs contribuent certes à l’inflation. Mais les prix de l’énergie avaient augmenté bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et la fermeture des gazoducs en provenance de Russie. Si la pénurie de conteneurs et la désorganisation du trafic maritime lors de la reprise post-Covid ont servi de prétexte aux armateurs pour multiplier le prix d’un trajet Shanghai-Le Havre par sept voire dix, deux ans plus tard les prix ne sont pas redescendus à leur niveau d’avant la pandémie. Derrière ces hausses, il y a avant tout les choix faits par les patrons en position de force, comme les cinq plus grandes compagnies pétrolières mondiales, qui ont réalisé 200 milliards de dollars de profits en 2022, ou comme les transporteurs maritimes, dont le français CMA-CGM (25 milliards d’euros de profits en 2022) ou le danois Maersk (27 milliards d’euros).
Les dernières négociations annuelles entre les géants de la grande distribution et les capitalistes de l’agroalimentaire avaient levé un coin du voile. Jouant les défenseurs des consommateurs, les patrons de la grande distribution avaient balancé : « Les industriels demandent des hausses de tarifs délirantes » (Alexandre Bompard de Carrefour) ; « Les industriels profitent de la situation en demandant des hausses non justifiées » (Michel Biero de Lidl). Un chroniqueur du Figaro rapportait, le 20 mars, l’inquiétude du très patronal institut allemand IFO : « Certaines entreprises ont pris prétexte de l’inflation pour augmenter fortement leurs profits, tout spécialement dans le commerce, la construction et l’agriculture. » La BCE a timidement froncé les sourcils : « La croissance des profits reste très forte, ce qui signifie que la transmission des coûts plus élevés aux prix de vente demeure robuste. » Le chroniqueur du Figaro concluait par une formule bien parlante : « L’inflation, c’est la loi de la jungle et les plus forts en sortent gagnants. »
Pour le dire autrement, quelle que soit la politique monétaire des banques centrales, argent facile ou restriction du crédit, les capitalistes les plus puissants se débrouillent toujours pour rafler la part du lion des richesses créées par les travailleurs, au détriment des capitalistes intermédiaires et, au bout de la chaîne, au détriment des consommateurs des classes populaires. Celles-ci n’ont pas profité des années où les taux d’intérêt étaient bas, mais vont payer au prix fort leur remontée, par tous les bouts. Pour les travailleurs, l’inflation se traduit par un appauvrissement, car les salaires sont toujours en retard sur les prix, et les récessions entraînent des licenciements et la montée du chômage. Au spectre de la crise des banques de 2008, qui accélérerait la récession, s’ajoute le spectre de la crise de la dette grecque de 2010, qui avait déclenché une saignée dramatique pour les retraités, les fonctionnaires et les classes populaires de ce pays, sous prétexte de réduire l’endettement du pays et de rassurer les marchés financiers. Le sort de la population grecque, symbolisé par le tragique accident de train sur la ligne Thessalonique-Athènes, qui subit des services publics défaillants, dans le transport, la santé, l’éducation, des prix exorbitants, des salaires et des pensions de misère, est celui qui menace les travailleurs de toute l’Europe s’ils ne contestent pas le pouvoir de la bourgeoisie.
L’agonie du capitalisme et les tâches des révolutionnaires
Face aux périls multiples que l’économie capitaliste fait peser sur la société, il n’y a pas de voie réformiste. Il n’existe aucune bonne gouvernance des banques centrales, aucun bon gouvernement qui organiserait « une autre répartition des richesses », comme le réclament les réformistes de notre époque. « La bourgeoisie elle-même ne voit pas d’issue », disait Trotsky dans le Programme de transition en 1938, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. En déclarant récemment « Le monde se dirige les yeux grands ouverts vers une guerre plus large », Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a formulé la même idée : en dehors d’une nouvelle guerre mondiale, dont tous les chefs d’état-major accélèrent la préparation depuis un an, il n’y a pas d’issue à la crise générale du capitalisme.
La seule autre issue, c’est la révolution sociale. La seule issue positive est d’arracher les banques et le système bancaire, l’ensemble des moyens de production, de transport et de distribution des mains du grand capital, pour les placer sous le contrôle de ceux qui produisent tout, les travailleurs, et les réorganiser entièrement, pour les mettre en œuvre de façon rationnelle, coordonnée et planifiée, dans le but de satisfaire l’ensemble des besoins de l’humanité, sans exploiter des centaines de millions de femmes et d’hommes, sans détruire toutes les ressources, les espèces vivantes et l’environnement. Toutes les bases économiques pour une telle organisation communiste de la société sont en place. La classe ouvrière internationale n’a jamais été aussi nombreuse, rassemblée et unifiée par l’organisation capitaliste elle-même.
Mais les travailleurs sont très loin, aujourd’hui, d’avoir conscience de leurs tâches et de leurs forces potentielles. Ils ont perdu jusqu’à la conscience de former une classe homogène face à la bourgeoisie. Tout l’héritage politique du mouvement ouvrier révolutionnaire, incarné successivement par Marx, Engels, Lénine ou Trotsky, toutes les leçons des révolutions ouvrières du passé, résumées en particulier dans le Programme de transition, sont entièrement à réapprendre. L’accélération de la crise va cependant pousser des millions de travailleurs, y compris parmi les catégories, techniciens, cadres, longtemps épargnées par la crise, y compris dans les pays riches, à se mobiliser pour défendre leurs conditions d’existence. Ces luttes et ces mobilisations, pour des augmentations de salaire, contre la vie chère, contre le chômage et les licenciements, contre l’austérité imposée à coups de trique, contre les réformes antiouvrières successives, contre la fermeture d’hôpitaux ou d’écoles, contre le retour du service militaire, doivent être autant d’occasions pour que les travailleurs retrouvent une conscience de classe. Cela suppose la présence dans la classe ouvrière de militants communistes, cherchant à s’appuyer sur chaque événement, chaque lutte partielle, et a fortiori sur les mouvements de masse qui éveillent politiquement des dizaines de milliers de personnes, pour faire progresser la conscience de classe. Cela commence par comprendre que les Macron, Le Pen ou Mélenchon, qui portent les attaques ou se posent en alternatives, ne sont que du petit personnel interchangeable au service du capital ; que la police, la justice, le Parlement, toutes les institutions sont un appareil d’État entièrement conçu pour défendre la propriété privée des moyens de production ; qu’il n’y a pas d’autre dialogue social que le rapport de force et que le patronat ne fera aucune concession, n’accordera aucun droit, sans que soient menacés ses profits ; que la bourgeoisie reprend chaque fois de la main gauche le double de ce qu’elle a donné de la main droite ; que les travailleurs doivent mettre en avant leurs revendications vitales, sans se censurer, et qu’ils doivent se donner les moyens, en mettant en place des organismes sous leur contrôle, de diriger eux-mêmes leurs luttes et leurs affaires, sans s’en remettre aux chefs des syndicats.
Toutes les luttes partielles ou générales doivent être saisies pour que de nouvelles fractions de travailleurs comprennent que leur classe doit renverser la dictature de la bourgeoisie et prendre la direction de la société, seule voie pour éviter le précipice.
27 mars 2023