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Interventions des groupes invités
Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)
Poursuite de la mobilisation contre la suspension des soignants
Après la révolte sociale de novembre 2021, la Martinique et la Guadeloupe n’ont pas connu cette année de nouvelles explosions de colère. Cette révolte était partie des grèves et de la colère des personnels soignants suspendus sans salaire pour ne s’être pas vaccinés contre le Covid. Ils tombaient et tombent encore sous le coup de la loi du 5 août 2021 sur l’obligation vaccinale.
Pendant toute l’année, le gouvernement s’est concentré minutieusement sur la répression des bandes de jeunes qui avaient organisé des émeutes nocturnes à Pointe-à-Pitre et à Fort-de-France et tiré sur la police à balles réelles. Ils avaient aussi attaqué des casernes de gendarmerie. Plusieurs chefs de bande, ceux que la presse appelle les « grands frères », ont été arrêtés à leur domicile et emprisonnés dans l’Hexagone. D’autres purgent des peines de prison aux Antilles mêmes. Régulièrement, on apprend l’interpellation de l’un d’eux par la police. Ce fut le cas encore il y a encore huit jours. Au sein de ces bandes de jeunes, il existe une grande majorité de jeunes chômeurs, déclassés, marginaux qui tombent dans la drogue, la délinquance et les règlements de comptes. Ils n’ont plus peur de rien, ne craignent ni la prison ni la mort, estimant qu’ils n’ont plus rien à perdre dans cette vie pourrie. C’est un phénomène qui s’aggrave aux Antilles et en Guyane comme partout dans le monde. Les noms que se donnent elles-mêmes ces bandes sont révélateurs : « chyenlari », les chiens de rue, « section criminelle » ou « microbes mafia ».
En Guadeloupe, les organisations du collectif contre l’obligation vaccinale, réunissant l’ensemble des syndicats et plusieurs organisations politiques, dont la nôtre, poursuivent leurs actions pour la réintégration des soignants suspendus.
En Martinique, le mouvement est moins actif sur ce point, après que l’unité syndicale s’est fissurée.
En Guadeloupe, le collectif poursuit ses meetings hebdomadaires un peu partout et ses manifestations de rue. Plusieurs manifestations ont eu lieu ces derniers jours sur le site d’arrivée de la Route du rhum. Le 17 novembre, plusieurs centaines de manifestants ont défilé avec des torches et sont montés sur le podium de la Route du rhum. Ce sont toujours les organisations nationalistes de l’UGTG et du LKP qui dirigent ces manifestations. Notre groupe soutient le mouvement et participe le plus souvent possible à ses manifestations.
Ce sont ces manifestations incessantes qui ont provoqué le débat houleux il y a quelques jours à l’Assemblée nationale sur la réintégration des soignants suspendus. Le député Olivier Serva, favorable à la réintégration des soignants, qui avait lancé à son collègue opposant, en plein hémicycle, « Toi tu vas la fermer », a été acclamé par une foule venue l’accueillir en fanfare à l’aéroport de Pointe-à-Pitre. Depuis cette petite phrase, sa popularité est montée de plusieurs crans.
Mobilisation contre l’empoisonnement de la population
En Martinique, ce sont plutôt des mobilisations anti-chlordécone qui ont eu lieu. Pour rappel, ce pesticide avait été autorisé entre 1972 et 1993. Il était utilisé surtout par les gros planteurs békés dans les bananeraies des Antilles, empoisonnant ouvriers agricoles et population, polluant eaux et productions agricoles, alors que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l’environnement étaient connus depuis les années 1960.
Après une grande manifestation de plusieurs milliers de personnes en février 2021, il y en a eu une seconde le 28 mai 2022, regroupant un millier de personnes aux cris de « Non à l’impunité », « Condamnez les pollueurs-empoisonneurs, pas les militants ».
Dans cette affaire, le réquisitoire du parquet de Paris est tombé le 25 novembre dernier. Il se prononce comme on s’y attendait pour un non-lieu, favorable donc aux empoisonneurs et leurs complices ! C’est-à-dire favorable à l’État et aux gros planteurs békés.
Toujours en Martinique, la justice, si clémente avec les empoisonneurs-pollueurs, s’acharne contre les militants anti-chlordécone, ou militants rouge-vert-noir (couleurs du drapeau nationaliste qu’ils arborent). Plusieurs d’entre eux, auteurs ou pas ces dernières années d’actions contre les biens des possédants békés ou des symboles du colonialisme, sont poursuivis. Certains sont déjà condamnés. Combat ouvrier dénonce la justice coloniale et est solidaire des militants lors des procès.
Empoisonnement de l’eau
Sur le plan social, la hausse des prix pèse énormément sur les classes populaires. Cette inflation vertigineuse est encore plus forte aux Antilles que dans l’Hexagone. Comme en France, la pauvreté augmente, avec un niveau de salaire et de revenu général encore plus bas aux Antilles.
La tempête Fiona a fait beaucoup de dégâts matériels et humains. Le réseau d’adduction d’eau a particulièrement souffert, d’autant plus qu’il était déjà pourri. Les coupures d’eau ont redoublé et les interdictions de boire l’eau se multiplient. On savait déjà que l’on trouvait dans l’eau dite potable du chlordécone et des matières fécales, mais maintenant on y trouve de l’aluminium à un taux intolérable. Résultat, il vaut mieux ne pas boire l’eau du robinet du tout. Et le prix des bouteilles d’eau minérale a augmenté, comme tous les produits.
Pendant la Route du rhum, des voix se sont élevées pour réclamer avec humour une Route de l’eau !
Un contre-feu politicien : décentralisation et autonomie régionale
Sur le plan politique, ce qui a marqué l’année a été l’Appel de Fort-de-France des élus des outre-mer français, hors océan Pacifique, le 17 mai dernier.
En quoi consistait cet appel des dirigeants locaux de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Martin, de La Réunion, de Mayotte et de la Guyane ?
J’en cite un extrait : « Face aux situations de mal-développement structurel à l’origine d’inégalités de plus en plus criantes… les présidents ont rappelé l’urgence d’ouvrir une nouvelle étape historique pour nos territoires d’outre-mer. »
Ils poursuivent en proposant d’agir sans délai pour :
« 1° Refonder la relation entre nos territoires et la République par la définition d’un nouveau cadre permettant la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune de nos régions ;
2° Conjuguer la pleine égalité des droits avec la reconnaissance de nos spécificités, notamment par une réelle domiciliation des leviers de décision au plus près de nos territoires. »
Ces dirigeants d’outre-mer concluaient en réclamant avec urgence une rencontre avec le chef de l’État.
Ils s’étaient succédé sur les ondes pour dire qu’ils ne voulaient pas de réunions petits fours. Car ils voulaient une véritable réunion de travail avec Macron.
Alors ils eurent droit à un dîner à l’Élysée.
Car, si Paris vaut bien une messe, il faut croire que Fort-de-France vaut bien une bonne table.
Les élus eurent quand même droit avant ce dîner à une réunion avec Darmanin, qui est aussi ministre des Outre-mer.
Et voilà nos dirigeants d’outre-mer sortis tous heureux de l’Élysée. « Nous avons été entendus », ont-ils déclaré ! Ou encore : « Nous avons été reçus comme nous le voulions. »
Jusqu’à présent, personne ne sait exactement où l’État et les élus veulent en venir. Et peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes.
Alors, nous en sommes réduits à supputer, à partir de ce que disent commentateurs et journalistes. Il serait question de révision de la Constitution pour revoir les différents statuts d’outre-mer, de la Nouvelle-Calédonie à la Guyane. En fait, ces changements vers une décentralisation plus poussée ne seraient pas uniquement destinés à l’outre-mer, mais aussi à la métropole. Déjà la loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration, simplification) votée en février 2022 prévoit d’étendre le pouvoir réglementaire des collectivités à de nouveaux domaines. Cette politique avait été conçue déjà, bien avant, comme une réponse au mouvement des gilets jaunes envers les « territoires » métropolitains.
Les changements iront-ils plus loin pour l’outre-mer ? Par exemple vers une véritable autonomie, avec ou sans un zeste de pouvoir législatif ? Certains représentants le demandent clairement. Mais ils sont très divisés sur ces questions. Le gouvernement se dit prêt à répondre « à la carte », selon chaque territoire.
Il veut répondre aux révoltes sociales des outre-mer par des changements juridico-administratifs et constitutionnels. Il n’y parviendra pas, car les raisons des révoltes sont profondément sociales : ce sont les bas salaires, la pauvreté accrue au sein des couches populaires, les difficultés quotidiennes pour faire face à la hausse des prix, la dégradation des services publics de santé, de la distribution de l’eau, du logement.
Ce que disent les résultats électoraux
Ce sont toutes ces raisons qui ont conduit l’électorat populaire et bon nombre de travailleurs d’une part à l’abstention massive, comme d’habitude, et d’autre part au rejet de Macron et de sa politique, aux élections présidentielle et législatives. L’électorat a très largement voté Mélenchon au premier tour et très largement Le Pen au deuxième tour. Le candidat lepéniste de la troisième circonscription de la Guadeloupe à l’élection législative a manqué son élection d’un millier de voix.
Certes, c’était un vote d’opposition, mais au deuxième tour c’était quand même un vote pour l’extrême droite.
Aux Antilles aussi, Marine Le Pen a réussi sa dédiabolisation. L’argument du racisme contre le RN ne marche plus. Marine Le Pen a maintenant des candidats et des électeurs noirs locaux et de milieu populaire. Ce ne sont plus uniquement des Blancs et de milieu aisé, comme dans le passé.
En Martinique et en Guadeloupe, l’émigration haïtienne est forte et une bonne partie de la population en fait facilement un bouc émissaire de tous les maux qu’elle subit. Elle est confortée en cela par certains individus et aventuriers locaux qui se font une petite popularité en surfant sur la xénophobie. Et les grands partis de gouvernement laissent faire, quand ils n’en rajoutent pas eux aussi.
Notre campagne présidentielle et législative s‘est bien déroulée, même si les résultats ne progressent pas. Sur les deux îles, nous avons obtenu 1,98 % à la présidentielle.
Aux législatives, nous avons obtenu 1,18 % sur huit circonscriptions, c’est-à-dire sur la totalité des circonscriptions. Le fait un peu nouveau, et qui a été remarqué dans le public, c’est que nous avons présenté cinq jeunes sur huit candidatures en position de candidats titulaires. Mais surtout le fait de voir des jeunes à la télé a plu à la population, même si, encore une fois, cela ne s’est pas traduit dans les urnes, mais pas moins que d’habitude. Aux élections, nous brillons en effet par une remarquable stabilité.
Autre nouveauté : pour la première fois, le Parti communiste guadeloupéen a appelé à voter Combat ouvrier dans toutes les circonscriptions où il n’avait pas de candidat en Guadeloupe, c’est-à-dire dans trois circonscriptions sur quatre.
Je vous en parle juste à titre d’information, mais il n’y a absolument rien à en dire de plus.
Les luttes dans les entreprises
Certaines ont été longues et sont restées isolées. Ce fut le cas à Carrefour Market en Martinique où la grève a duré six mois, et à ArcelorMittal en Guadeloupe où la grève a duré une année. À Carrefour Market, les travailleurs n’ont pas obtenu tout ce qu’ils demandaient. Mais ils ont quand même gagné 2 % d’augmentation de salaire et l’augmentation de la valeur des tickets-restaurants. Chez ArcelorMittal, il n’y a pas eu de succès matériel, mais un gros succès moral contre un patron raciste et méprisant.
Une grève vit une forme d’organisation plus poussée des travailleurs, à Datex. C’est une entreprise qui prépare des repas pour les collectivités, les écoles et collèges. Un comité de grève a été élu et a dirigé la grève. Après quinze jours de grève, le 28 octobre, les salariés ont obtenu 150 euros d’augmentation de salaire, le paiement des jours de grève et le bonus Bino. Il s’agit du bonus de vie chère instauré par l’accord Bino à l’issue de la grève générale de 2009. Il permet à certains salariés rémunérés jusqu’à 1,4 smic de bénéficier, sous conditions, d’une prime de 100 € net de la part de l’employeur. Cet accord Bino porte le nom du camarade de la CGTG Jacques Bino, assassiné on ne sait par qui, pendant les émeutes à Pointe-à-Pitre, dans la nuit du 17 au 18 février 2009.
Autre sujet de satisfaction : nos camarades de la banane de l’habitation Bois-Debout à Capesterre ont gagné en Cour de cassation. La direction se trouve donc obligée d’accorder à 62 travailleurs le respect de la loi de mensualisation, de payer les arriérés de salaire, le 13e mois, le bonus Bino. Certes, c’est une victoire juridique, mais c’est aussi le prolongement d’une forte combativité sur le terrain depuis des années. Dans cette plantation, les travailleurs ne se laissent pas faire : grèves, débrayages y sont fréquents chaque année. Car les conditions de travail sont ignobles. Les morts par accidents de travail y sont nombreuses. Le 22 avril dernier, un travailleur s’est écroulé, mort, avec un régime de 60 kg sur lui. On compte onze morts et plusieurs blessés sur cette plantation en trente ans.
Avec cette victoire obtenue en cassation, les travailleurs de Bois-Debout se sont sentis vengés.
Parmi les grèves notables, celle des agents de la CTM dans les collèges et lycées en Martinique. La CTM, collectivité territoriale de Martinique, gère la Martinique sous l’autorité de l’État. Les agents, à l’issue de leur grève en octobre, ont obtenu 12 postes. Ils ont obtenu aussi 22 contractuels et 100 agents sous contrat PEC (parcours emploi compétences). Certes, ces derniers ne sont pas des postes définitifs. Mais c’est déjà bon à prendre et c’est la lutte qui a permis d’obtenir ce résultat.
Une autre grève a fait l’actualité aussi en Martinique, c’est la grève de chauffeurs de bus de plusieurs entreprises. Elle a permis des améliorations de leurs conditions de travail.
États-Unis
Cette année a été une année électorale importante aux États-Unis. Malgré les prévisions d’une grande vague républicaine, la composition du Congrès n’a que très peu changé, après cette élection qui a coûté 67 milliards de dollars, un nouveau record pour des élections de mi-mandat. Les démocrates maintiennent une petite majorité au Sénat et les républicains ont maintenant une légère majorité à la Chambre des représentants – une petite marge similaire à celle des démocrates lorsqu’ils avaient remporté les élections en 2020.
L’élection a tourné autour de trois grandes questions tirant dans des directions différentes : l’économie, l’avortement et le nombre de candidats républicains dont les campagnes étaient centrées sur leur loyauté envers Trump et son affirmation que l’élection de 2020 lui avait été volée.
Inégalités sociales croissantes et gestion démocrate
Les démocrates se sont retrouvés face à une population qui les rendait responsables de la situation économique, puisqu’ils étaient au pouvoir et contrôlaient tous les leviers du gouvernement national. Ils n’ont pas été aidés lorsque Biden a déclaré en octobre que sa politique était efficace pour réduire l’inflation, alors que les prix des denrées alimentaires, des loyers, des articles ménagers, des voitures d’occasion, des intérêts sur les cartes de crédit et des frais de scolarité des enfants dans les écoles dites publiques s’envolaient.
Biden s’est aussi vanté d’avoir remis les gens au travail. C’est vrai que le taux de chômage s’élève officiellement à 3,5 % de la population dite active. Mais, en réalité, 37 % de la population en âge de travailler a été exclue des statistiques en septembre. Ceux qui avaient un emploi – en particulier les plus jeunes – travaillaient le plus souvent en intérim, à temps partiel, en CDD ou avaient un emploi de type Uber.
Le Parti démocrate, défenseur loyal de la classe des capitalistes, s’est bien gardé de suggérer que les problèmes économiques découlaient de l’augmentation des bénéfices des entreprises.
Mais les bénéfices continuaient d’augmenter et la population le voyait bien, aussi bien sur les lieux de travail que dans les grands titres des journaux télévisés. Les marges bénéficiaires nettes des grandes entreprises ont été de 9,5 % cette année, la valeur la plus élevée jamais enregistrée. Cette année aussi, les PDG des 350 plus grandes entreprises ont été payés environ 400 fois plus en moyenne que les ouvriers. Un autre record battu. Ce ne sont peut-être que des symboles, mais ces chiffres montrent clairement l’écart énorme et croissant qui sépare les plus riches de tous les autres aux États-Unis.
Recul de l’espérance de vie
Cet écart, qui ne cesse de s’agrandir, a des conséquences mortelles. L’espérance de vie a diminué de près de deux ans et demi au cours des deux dernières années, après une baisse de deux ans déjà en 2015-2016. Derrière ces chiffres se cache la réalité d’un pays qui a très peu de législation sociale : on peut se voir refuser des soins médicaux quand on ne peut pas payer ; il n’y a pas de crèches publiques ; presque la moitié des travailleurs qu’on disait essentiels pendant la pandémie n’ont pas eu droit à un congé maladie.
Les services publics ne fonctionnent plus et ce n’est plus seulement un problème d’infrastructures en mauvais état. Certains réseaux de distribution d’eau se sont arrêtés dans plusieurs villes cette année et des villes entières ont été détruites par des incendies ou des inondations. Les services publics comptent près d’un million de travailleurs de moins qu’avant la pandémie. Tout simplement, le gouvernement n’embauche pas et ne fournit plus les services qu’il fournissait auparavant.
Cela se voit et les gens dénoncent le fait que l’argent qui devrait servir à la population sert en fait à faire la guerre. Le budget militaire actuel sous Biden s’élève à 786 milliards de dollars, un montant record adopté par un Congrès à majorité démocrate.
Le droit à l’avortement en danger
Si les élections avaient été dominées uniquement par la question de l’économie, une vague républicaine aurait sans doute emporté beaucoup plus de sièges démocrates.
Mais les républicains se sont retrouvés face à une population qui, dans sa grande majorité, souhaite que la décision d’avorter soit laissée à la femme et à son médecin. La plupart des candidats républicains avaient affirmé haut et fort leur opposition à l’avortement lors des élections primaires précédentes, où les fondamentalistes chrétiens constituaient une part importante de l’électorat républicain. Mais la décision de la Cour suprême est arrivée, annulant le droit des femmes à choisir l’avortement. Renvoyé au niveau des États, où les républicains contrôlent la majorité des gouvernements, l’avortement voyait ainsi sa légalité menacée pour plus de la moitié des femmes du pays. Dans des États comme la Californie et New York, où le droit à l’avortement n’était pas menacé immédiatement, cela ne semblait pas être un problème majeur. Mais, dans un certain nombre d’États du Midwest et dans certains États du Sud, cette question a joué un rôle important. Ce sont ces États clés qui ont permis aux démocrates de remporter les sièges du Sénat qu’ils s’attendaient à perdre. Dans le Michigan, où un référendum avait été mis sur le bulletin de vote, visant à garantir le droit à l’avortement par le biais de la Constitution de l’État, il s’agissait d’un enjeu majeur, qui a fait passer le gouvernement de l’État aux mains des démocrates.
Enfin, les républicains ont aussi dû faire face au fait qu’un grand nombre de leurs candidats qui avaient gagné les primaires étaient des partisans de Trump et soutenaient que l’élection de 2020 lui avait été volée ; beaucoup ont cautionné la prise du Capitole le 6 janvier 2021. Cela a certainement coûté aux républicains des votes de la classe moyenne. De fait, cela leur a aussi coûté des sièges au Congrès.
Recul démocrate en nombre de voix
Les élections ont eu comme résultat immédiat un pouvoir scindé en deux, avec d’un côté un démocrate à la présidence et une majorité démocrate au Sénat, de l’autre une majorité républicaine à la Chambre des représentants. Les démocrates se sont félicités de ne pas avoir été emportés par une vague républicaine. Mais ce n’est pas toute l’histoire. Derrière le remaniement du Congrès qui peut sembler insignifiant, il y a un net glissement vers la droite. Les républicains ont obtenu beaucoup plus de voix globalement, non seulement dans les circonscriptions solidement républicaines, mais aussi dans la plupart des circonscriptions où les démocrates se sont maintenus. Au moins 5 millions de personnes de plus ont voté républicain plutôt que démocrate, ce qui représente un changement significatif par rapport au nombre global de votes qui, habituellement, favorise plutôt les démocrates.
Symptômes de colère ouvrière
En surface, il semble que le malaise social que nous avons vécu ces dernières années est toujours là cette année. Il n’y a pas eu à ce jour de grèves majeures comme dans d’autres pays.
Mais dans ce pays, le plus capitaliste de tous, des lois envoient les mouvements sociaux dans l’industrie sur des voies de garage bureaucratiques. Il y a eu néanmoins des petits aperçus de colère ouvrière. Sur six syndicats du rail, les travailleurs de deux d’entre eux ont voté contre un contrat plus ou moins imposé par Biden, et des grèves sont prévues en décembre – même si Biden pourrait les repousser encore une fois d’un trait de plume. Il y a eu des grèves locales isolées – les travailleurs du papier, des journaux, les enseignants, les mineurs, les concierges des cités. À la fin du mois d’octobre, 6 000 travailleurs de 234 magasins Starbucks ont suivi jusqu’au bout le processus juridique tortueux nécessaire pour que le gouvernement organise un vote afin de décider s’ils pouvaient se syndiquer. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans une entreprise qui compte près de 16 000 magasins et 350 000 travailleurs. Mais c’est tout de même une goutte. Tout comme le vote de l’an dernier dans le seul établissement d’Amazon qui a réussi le parcours du combattant pour voter la reconnaissance légale de son syndicat.
Cette année, alors que la police a déjà tué près de 900 personnes, il n’y a pas eu d’explosion comme celle qui avait suivi le meurtre de George Floyd. Mais il y a eu des manifestations locales contre la violence qui ont parfois permis d’inculper un policier ou de faire libérer de prison quelqu’un accusé à tort. Cela paraît minime, mais ça témoigne de la colère qui couve juste sous la surface de ce prétendu phare de la démocratie.
Il y a du mécontentement et du ressentiment à de nombreux niveaux. Nous avons pu le constater à notre petite échelle au travers de nos activités, notamment les campagnes électorales dans trois des quatre États où nous sommes présents. Cela a constitué notre principal travail de l’année, même si tout le reste – les bulletins d’entreprise, les ventes publiques, les efforts de recrutement, l’activité syndicale, notre fête, les pique-niques, etc. – a continué comme avant.
La campagne du Working Class Party
Cette fois-ci, nous avons pu, par divers moyens, présenter des candidats dans trois États sous la désignation Working Class Party (Parti de la classe ouvrière). Les États-Unis n’ont pas vu de parti politique de la classe ouvrière lors d’un scrutin depuis la candidature d’Eugene Debs à l’élection présidentielle il y a 102 ans. Et, à l’époque, c’était plutôt un parti ouvrier-paysan. Nous avons fait campagne, une fois de plus, autour de la nécessité pour les travailleurs de former leur propre parti politique. Pour illustrer ce que cela signifie, nous avons essayé de discuter des réponses qu’un parti ouvrier apporterait aux grands problèmes auxquels nous sommes confrontés : l’inflation, le manque d’emplois corrects, la capacité de contrôler nos emplois. Mais nous avons également discuté du fait que nous n’obtiendrons pas ces choses à moins que les travailleurs se battent pour les imposer. Dans le Michigan, en particulier, le référendum sur l’avortement faisait partie du scrutin, donc c’était un sujet de débat. Nous avons dit qu’il était logique de voter oui au référendum, pour ne pas laisser entendre uniquement la voix des personnes qui s’opposent aux femmes. Mais personne ne doit croire qu’un droit quelconque dans ce pays est garanti ou permanent. La décision de la Cour suprême le prouve. Et nous disions aussi que, même lorsqu’un droit existe, ce n’est pas vraiment un droit, car vous ne pouvez pas, par exemple, vous faire avorter si vous n’avez pas l’argent pour.
Quel que soit l’État où nous étions, nous obtenions une réaction immédiate lorsque nous disions que les travailleurs avaient besoin de leur propre parti. Souvent, nous n’avions même pas besoin de le dire. Le nom de notre liste sur le bulletin de vote le disait pour nous. Et nous étions bien visibles.
Dans le Maryland, nous avions des candidats au poste de gouverneur et de lieutenant-gouverneur. Nous avons obtenu un peu plus de 17 000 voix, soit 0,86 %. C’est proche du 1 % nécessaire pour rester sur le bulletin de vote, comme parti reconnu, sans avoir à présenter une nouvelle pétition.
Dans l’Illinois, nous avions pour la première fois un candidat à un siège de la Chambre des représentants. C’était la plus grande circonscription où nous pouvions nous présenter. Nous y avons obtenu plus de 4 600 voix, soit 3,4 %.
Dans le Michigan, nous nous présentons déjà depuis 2016, et nous avions cette fois-ci onze candidats. Il y a dans l’État treize circonscriptions pour la Chambre des représentants au Congrès fédéral et nous avions des candidats dans sept de ces circonscriptions, soit un peu plus de la moitié. Pour la première fois, nous en avions un dans l’extrême nord de l’État, et un autre sur sa côte ouest. Leurs scores sont variés, de 4 200 à 9 100 voix, de 1,2 % à 3,77 %. Nous avons également eu trois candidats au Sénat de l’État, qui ont eu des scores légèrement meilleurs. Et nous avions un candidat sur l’ensemble de l’État, pour un poste de conseil scolaire. Les suffrages en sa faveur vont nous permettre de demeurer parti reconnu l’année suivante : cette fois-ci, elle a recueilli plus de 135 000 voix, soit un peu plus de 3 % de tous les électeurs de l’État.
Il est vrai que nous avons bénéficié des votes de ceux qui veulent protester contre les deux grands partis. Mais, dans deux de nos trois États, nous étions en face d’autres partis minoritaires : dans le Maryland, les Libertariens (extrême droite) et les Verts. Dans le Michigan, il y avait quatre autres partis minoritaires, dont les Libertariens et les Verts. Dans cet État, nos candidats, à une exception près, ont obtenu un meilleur score que tous les autres minoritaires. Nous pouvons donc considérer que les gens qui ont voté pour nous non seulement l’ont fait contre les deux grands partis bourgeois, mais ont aussi choisi la manière d’exprimer leur protestation.
L’absence d’un parti de la classe ouvrière à l’échelle fédérale a fourni une belle opportunité à un démagogue comme Donald Trump. Il a joué sur la colère des gens face à leur appauvrissement croissant et leur ressentiment d’être balayés comme des déchets, méprisés par ceux qui ont des privilèges. À grande échelle, ce que nous avons fait n’est peut-être pas très perceptible. Mais ce n’est pas négligeable car, sans nous, il n’y aurait rien du tout. Et nous l’avons fait au nom des intérêts communs à l’ensemble de la classe ouvrière. Nous avons dénoncé le racisme, le nativisme (la xénophobie) et la misogynie que les deux partis déversent – Trump ouvertement, les autres insidieusement.
Workers’Fight (Grande-Bretagne)
Pour une fois nous commençons par de bonnes nouvelles.
Comme vous l’avez rapporté dans votre propre presse, que ce soit dans les chemins de fer, les services postaux ou les ports, des dizaines de milliers de travailleurs ont fait grève pour les salaires et les emplois depuis le début de l’été. Et maintenant, avec le renfort des profs à l’université, des infirmières, des fonctionnaires et des enseignants, ce sont des centaines de milliers de personnes qui pourraient bientôt être en grève.
Certes, à cause des nombreuses lois antisyndicales, un vote en faveur de la grève – même s’il dépasse 90 % – ne signifie pas qu’il y aura effectivement une grève ! Mais ce qui est nouveau avec les votes récents c’est que, cette fois, les dirigeants syndicaux ne les ont pas seulement utilisés comme monnaie d’échange dans leurs négociations avec les patrons.
Il y a eu de véritables grèves. Sur les docks, les travailleurs ont débrayé plusieurs semaines d’affilée. Cela dit, la grève des dockers à Felixstowe – le plus grand port à conteneurs de Grande-Bretagne – a pris fin sans solution en octobre. Les patrons ont juste imposé une augmentation de salaire de 7 % plus une prime de 500 livres sterling, alors que les travailleurs avaient rejeté cette offre par leur vote. Sur les docks de Liverpool, la dirigeante du syndicat Unite, Sharon Graham, a fait mieux. Les travailleurs ont obtenu des augmentations de salaire de 14 % à 18,5 %, plus que l’inflation. Graham attribue ce succès à sa capacité à « faire levier ». Ce qu’elle entend par là, c’est qu’elle a examiné les comptes des patrons afin de les mettre dans l’embarras pour qu’ils paient davantage. Elle prétend que c’est une nouvelle stratégie brillantissime. Apparemment, elle n’a jamais entendu parler d’une très ancienne revendication : « ouvrir les livres de comptes ».
Ce qui est également sans précédent, c’est l’annonce faite par le syndicat des infirmières, fort de 300 000 membres, de deux jours de grève pendant cette même semaine précédant Noël où cheminots et postiers annoncent aussi des grèves. Le contexte dans la santé, ce sont sept millions de patients sur liste d’attente, des attentes aux Urgences allant jusqu’à 18 heures, des lits d’hôpitaux fermés faute de soignants en nombre suffisant, des patients qui meurent en attendant les ambulances, etc. Pourtant, 60 % de la population interrogée soutient ces grèves !
Les médias parlent d’un nouvel « hiver du mécontentement », en référence à la vague de grèves de 1978-1979. Dans les années 1970, l’inflation avait atteint un pic de 27 %. Aujourd’hui, le taux officiel est de 9,6 %. Mais, selon l’ancienne mesure, il est de 14,6 % ! Une inflation plus élevée que dans les autres pays riches ; alors que les travailleurs britanniques sont parmi les moins bien payés. On n’avait pas vu ça depuis plus de quarante ans. Pour couronner le tout, les prix de l’énergie ont doublé.
Précisons que, si toutes ces grèves sont réconfortantes, elles ne sont pas militantes. Les syndicats se contentent d’appeler les travailleurs à la grève tel et tel jour, et ne cherchent pas à coordonner les grèves. La nouvelle vedette des cheminots, Mick Lynch, a prétendu cet été que « la classe ouvrière est de retour ». Mais non, malheureusement, pas encore ! En fait, les travailleurs laissent encore la plupart du temps la tenue des piquets de grève aux délégués et permanents syndicaux. Surtout, ils ne se sont pas montrés aux deux rassemblements qui ont eu lieu à Londres pour essayer de réunir les travailleurs de différents secteurs.
Cela dit, la colère et la détermination des grévistes sont réelles. Dans les chemins de fer, à cause de lois antisyndicales vraiment dingues, les travailleurs ont été appelés à se prononcer de nouveau pour la grève, par courrier, car le premier mandat, de six mois, avait expiré. Et ils ont de nouveau voté pour la grève, à plus de 70 % ! Nous verrons donc ce qui se passera dans les prochaines semaines.
Tournons-nous maintenant vers Westminster
En 2022, la Grande-Bretagne a été la risée du monde entier, car cette « mère de toutes les démocraties modernes » a eu trois Premiers ministres en moins d’un an. Des journalistes ont comparé Liz Truss à une salade… et constaté que la longévité de Truss, 45 jours, était moindre ! Un caricaturiste a représenté Truss serrant la main de la reine la veille de sa mort. Mais si Truss peut être accusée de beaucoup de choses, elle peut difficilement être accusée de régicide… La reine avait 96 ans, après tout. Cependant, Truss a fait s’effondrer la livre sterling et les obligations de l’État britannique, faisant presque s’écrouler toute la précieuse économie des capitalistes !
C’est ce qui a permis à son remplaçant, Rishi Sunak, de justifier son budget d’austérité et de prétendre que le gouvernement n’a pas d’argent pour payer les travailleurs du secteur public, pas même les héros du NHS (le système de santé), qui ont sauvé tant de vies pendant le Covid.
L’hebdomadaire patronal The Economist appelle la Grande-Bretagne « l’homme malade du monde », et pas seulement « l’homme malade de l’Europe », comme on disait dans les années 1970. Tous les économistes s’accordent à dire que le Brexit est un facteur majeur de la récession en Grande-Bretagne, au-delà de l’effet de la récession mondiale. Oui, le Brexit a affecté le commerce, en faisant perdre aux capitalistes leur plus grand marché.
Mais, surtout, l’offre de travailleurs qualifiés a été réduite. La pénurie est aiguë : 200 000 postes vacants rien que dans la santé et le social. Et les chauffeurs de poids lourds manquent encore. Mais qu’importe : la politique anti-migrants, draconienne, se poursuit. Alors que les réfugiés risquent déjà la mort en traversant la Manche sur des embarcations de fortune en caoutchouc, ils risquent de nouveau la mort en arrivant. Certains ont attrapé la diphtérie dans les centres de détention. Et, au bout du bout, ils risquent la déportation au Rwanda !
Sur cette toile de fond, le Parti travailliste (Labour Party) propose une politique quasi identique à celle du Parti conservateur (les Tories). Le chef du Labour Party, Keir Starmer, a fait savoir il y a deux semaines qu’il n’a pas l’intention de remettre en cause le Brexit, malgré le basculement de l’opinion publique contre celui-ci, et qu’il est contre la libre circulation des personnes. Inutile de dire qu’il a en ligne de mire les élections de 2024 et qu’il vise à ratisser des voix à droite.
Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d’Ivoire)
Ce qui a marqué notre actualité de ces derniers mois c’est un mouvement de grève inédit par son ampleur, qui a réussi à paralyser durant quelques heures toute la zone industrielle de Yopougon et bloqué la production de la grande majorité des usines durant cinq jours.
Cette zone industrielle est la plus importante du pays et se trouve à quelques kilomètres du centre d’Abidjan. Elle s’étend sur un peu plus de 400 hectares et regroupe 419 entreprises, avec près de 70 000 ouvriers déclarés à la sécurité sociale. Compte tenu du fait que de nombreux travailleurs ne sont pas déclarés, on peut estimer que dans cette zone il y a environ 100 000 travailleurs.
Les aspirations des travailleurs et celles des bureaucrates syndicaux
À l’origine de ce mouvement, ce sont quelques ouvriers, principalement des délégués syndicaux affiliés pour la plupart à de petits syndicats sans notoriété ou en rupture avec leur direction syndicale. Les usines où la présence de ces petits syndicats est plus importante sont celles où la grande majorité des travailleurs sont des précaires, en CDD ou journaliers. Pour cette catégorie d’ouvriers, la carte syndicale n’est pas ponctionnée à la source, contrairement à ce qui se pratique pour les travailleurs permanents, notamment dans les grandes entreprises. Aussi les grandes centrales syndicales sont peu représentées dans ce milieu de travailleurs journaliers. Ce qui laisse la voie libre à un foisonnement de petits syndicats.
Ainsi, l’un des principaux animateurs de ce mouvement de grève, sinon probablement son initiateur, est un ex-ouvrier particulièrement combatif. Il a été licencié il y a de cela quelques années pour fait de grève dans une entreprise textile située dans cette zone industrielle. Il a ensuite créé sa propre boutique syndicale, qui lui permet en même temps d’avoir une petite ressource pour subvenir à ses besoins.
Ce genre de petits syndicats n’ont pas une notoriété suffisante pour être considérés par les autorités patronales et gouvernementales. Du coup, ils sont exclus du CITEF, qui est l’unique intersyndicale reconnue par l’État et qui regroupe uniquement les cinq principales centrales syndicales. Ce sont elles qui empochent les subventions de l’État allouées aux syndicats.
Ainsi, dans ce mouvement de grève, il y a d’un côté une histoire d’argent que les petits syndicats voudraient bien toucher, et de l’autre une colère accumulée des travailleurs face à toutes ces augmentations de prix qui aggravent leur misère. Les ouvriers délégués syndicaux qui ont été les militants de cette grève sont logés à la même enseigne que tous les travailleurs. De ce fait, ils espéraient eux aussi que cette lutte allait leur permettre d’améliorer leur situation.
Le mouvement a été préparé de longue date. Le dernier week-end du mois d’août, une rencontre s’est tenue dans une école et a réuni plus d’une centaine d’ouvriers de cette zone industrielle. La suivante s’est tenue le week-end suivant, avec cette fois-ci trois cents travailleurs. C’est lors de cette rencontre que les revendications ont été listées. Parmi elles, figurent la fin de la journalisation du travail et l’augmentation du salaire minimum (actuellement de 91 euros) à 305 euros, le doublement de la prime de transport, de 46 euros à 91 euros, et enfin, une prime de logement de 106 euros, qui n’existe pas actuellement. Toutes ces revendications ajoutées bout à bout multiplieraient par trois le revenu mensuel (salaire plus primes), de 137 euros actuellement à 457 euros.
C’est fort de ces revendications que, le 5 septembre dernier, les dirigeants de ces petits syndicats se sont rendus dans les bureaux du syndicat patronal pour lui présenter ces revendications. Mais les représentants du patronat ont refusé de les recevoir, les renvoyant auprès des directions des grandes centrales syndicales, seules représentatives à leurs yeux.
Sans se décourager, ils se sont rendus le lendemain à la Primature, où on leur a promis d’organiser une rencontre entre eux et le patronat. Mais une fois encore, le jour de la rencontre prévue, le patronat n’a pas daigné y envoyer le moindre représentant.
C’est après cette déconvenue que les dirigeants du mouvement ont décidé de changer de politique et de mobiliser les travailleurs. À partir de là, le mouvement va prendre un autre chemin et se structurer un peu plus. Des cotisations sont levées pour préparer la grève, des travailleurs tiennent la trésorerie, font le compte rendu des réunions, des dépenses, etc.
Une trentaine de travailleurs se sont portés volontaires pour propager les revendications en faisant quotidiennement la tournée des usines par groupe de cinq. Cela a duré quinze jours. Ils expliquaient aux travailleurs que la grève sera « légale », puisqu’un préavis de grève avait été déposé et qu’il n’y avait donc rien à craindre ni du gouvernement ni du patronat.
Le patronat a eu des échos de ce qui se tramait. Pour la petite anecdote, une entreprise suisse, Sizag, spécialisée dans la production de graviers utilisés dans la construction, a eu la fâcheuse idée de renvoyer l’une de ses employées en apprenant qu’elle était membre active de ce mouvement. Résultat, plusieurs dizaines de travailleurs organisés venus d’autres entreprises ont débarqué dans la boîte et sommé la direction d’annuler ce renvoi. Ils ont eu gain de cause.
Le 8 octobre, un meeting a été organisé dans la cour d’une école du quartier pour préparer la grève. Trois cents travailleurs étaient présents. La date du 12 octobre a été décidée pour le déclenchement de la grève. Deux cents volontaires se sont inscrits pour faire partie des groupes dits d’intervention chargés de bloquer les entrées de la zone. C’est ce petit groupe de deux cents militants de la grève, déterminés et organisés, qui a réussi à bloquer l’ensemble de la zone industrielle, avec le soutien de la grande majorité des travailleurs.
Le 11 octobre, la veille de la grève, des demandes de suspension de la grève sont venues des patrons et même d’un représentant du syndicat patronal, ceux-là mêmes qui avaient méprisé les représentants des travailleurs quelques jours plus tôt. Une rencontre s’est aussi tenue avec le commissaire de police qui a demandé que la grève soit « pacifique ».
Grève, barricades et répression policière
Le premier jour de grève, dès 4 heures du matin, des groupes d’intervention se sont positionnés sur les dix-neuf voies d’accès à cette zone industrielle. Au départ ils étaient une centaine de travailleurs, rejoints ensuite par d’autres. C’est comme ça qu’ils ont réussi à bloquer toute la zone. Ils ont été très vite réprimés à coups de grenades lacrymogènes. Une vingtaine d’entre eux ont été arrêtés par la police.
Dès l’après-midi, les représentants du mouvement ont été conviés à une réunion de « conciliation » à la direction de l’Inspection de travail, en la présence des représentants du gouvernement. Le patronat a encore une fois brillé par son absence. Les délégués syndicaux et les délégués des travailleurs étaient cette fois-ci accompagnés d’une délégation de grévistes, qui est restée sur les lieux de la rencontre jusqu’à la fin de la réunion, à 21 heures.
Alors qu’aucune revendication des travailleurs n’a été satisfaite, les délégués syndicaux étaient prêts à signer un accord, en échange d’une vague promesse de bénéficier des subventions de l’État. Cela a été ressenti comme une trahison par les délégués ouvriers présents à cette réunion. Les travailleurs qui attendaient dehors se sont alors introduits de force dans la salle et ont mis fin à cette rencontre. Aucun accord n’a pu être signé.
Le lendemain, les groupes d’intervention se sont de nouveau positionnés à leurs postes de blocage de la zone. La police a de nouveau arrêté douze travailleurs, portant à une trentaine le nombre des arrestations. Entre-temps, ceux de la veille avaient été libérés.
La CNDH (Commission nationale des droits de l’homme) a proposé ses bons offices pour jouer le rôle de conciliatrice entre les représentants des travailleurs et le patronat. Elle a aussi promis d’intervenir auprès du gouvernement pour libérer les travailleurs embarqués ce jour-là.
Reprise du travail et sanctions patronales
Quelques usines ont repris le service grâce à la présence des forces de l’ordre. Des travailleurs en colère ont proposé de jeter des cocktails Molotov sur les usines qui ont repris le travail et de tabasser les ouvriers qui n’ont pas respecté leur consigne de grève.
Finalement, les dirigeants syndicaux ont réussi à dissuader ces ouvriers en colère et leur ont demandé de rentrer chez eux et de ne plus reconstituer les groupes d’intervention.
Dès le lundi, à la reprise du travail, le retour de bâton venant du patronat a été immédiat. Les patrons avaient entre leurs mains la liste des militants actifs de la grève ainsi que les vidéos circulant dans les réseaux sociaux. Beaucoup de travailleurs ont été mis à la porte.
Dans la liste des licenciés ou en instance de licenciement figurent aussi des délégués actifs, y compris ceux affiliés aux cinq principales centrales syndicales. C’est le cas par exemple à Nutri Food Industry, une entreprise dans l’agro-industrie de plus de 600 travailleurs. Ici, la totalité des six délégués syndicaux ont été suspendus durant un mois, en instance de renvoi. L’un d’eux est délégué affilié à l’UGTCI, le syndicat historique en Côte d’Ivoire. Trente ouvriers du rang ont été aussi mis à la porte sur-le-champ, dont l’un a onze ans d’ancienneté.
Les entreprises ont profité de l’occasion pour se débarrasser à bon compte des travailleurs, notamment ceux en CDD qui étaient dans la liste des futurs embauchés en CDI.
Des leçons à retenir pour les prochaines mobilisations
Lors de ces journées de lutte, la majorité des travailleurs de la zone étaient pour la grève. Par contre, ils n’ont à aucun moment été impliqués dans son organisation. À notre connaissance, il n’y a pas eu une seule entreprise où s’est tenue une assemblée générale des travailleurs. Dès le début, les petits bureaucrates syndicaux contrôlaient le mouvement et l’organisaient à leur manière, car ils avaient en vue leurs propres objectifs à faire valoir en se servant des aspirations des travailleurs.
Ainsi, le lundi de la reprise du travail, pendant que le patronat jetait des travailleurs à la porte, ces petits syndicats étaient déjà en train de s’organiser pour se constituer en une seule et unique centrale syndicale, en espérant cette fois-ci obtenir une petite place auprès de cinq principales centrales syndicales reconnues.
Alors, souhaitons que l’expérience de cette grève serve de référence aux travailleurs. On a vu pour la première fois des travailleurs de plusieurs centaines d’usines se reconnaître autour des mêmes revendications. Ils ont eu l’occasion de mesurer la force sociale de la classe ouvrière quand elle entre en lutte. C’est quelque chose de très important, qu’aucun discours ne peut remplacer.
Selon les toutes dernières nouvelles, un accord entre les principales centrales syndicales et le patronat a abouti à une augmentation de l’ordre de 20 euros. Ce qui est une misère comparé à ce que les travailleurs réclament. On verra dans les jours qui suivent quelle sera la réaction des travailleurs de la zone.
Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR, Haïti)
Depuis plus de deux mois, pas de carburant, pas de commerce, formel ou informel, pas d’écoles depuis la rentrée officielle en septembre, pas de transport, des hôpitaux se ferment. Quasiment rien ne fonctionne. La capitale, Port-au-Prince, est aussi coupée du reste du pays. La population est au bord de l’asphyxie.
Il y a, d’une part, ascension fulgurante des bandes armées, massacres répétés de riverains au cours des guerres entre gangs rivaux, enlèvements en série contre rançon, fusillades à l’aveuglette, exécutions sommaires, déplacements massifs de populations, viols, des maisons abandonnées sont pillées et incendiées ; d’autre part, aggravation brutale des conditions de vie de la population due à plusieurs facteurs, comme la chute de la gourde (la monnaie locale), l’envolée exponentielle des prix en général, la hausse de plus de 100 % des prix du carburant, le licenciement massif de travailleurs, la pénurie de carburant et de produits de consommation courante.
La pénurie du carburant eut un effet boule de neige sur toutes les activités économiques du pays, sur le fonctionnement des entreprises.
Le principal port, celui de Port-au-Prince, est aussi bloqué par le mouvement de contestation. Haïti importe presque tout. Imaginez la situation. La zone industrielle en fait directement les frais : la majorité des entreprises relèvent de la sous-traitance. Les matières premières en provenance des USA sont bloquées et les containers de produits finis ne peuvent pas être expédiés. D’où la fermeture en série des manufactures et d’autres entreprises dépendant des produits importés.
Les gangs s’attaquent aux classes laborieuses
Mais le point dominant de l’actualité, c’est la recrudescence de l’insécurité. C’est la prolifération des gangs et la terreur qu’ils font régner sur la population. De la périphérie de la capitale, ils progressent sans difficulté vers le centre, en marquant les nouveaux territoires acquis par l’installation des chefs. Ces installations sont en général précédées d’un massacre de riverains, pour intimider ces derniers et tuer dans l’œuf toute tentative de résistance.
Comme exprimé dans le numéro de novembre de notre mensuel, les bandes armées se comportent comme un État, avec leurs territoires, leurs populations, leur machine de rançonnement, d’imposition de taxes, sans oublier leur appareil de répression, qui font des victimes au quotidien dans la population. Dans les quartiers où ils règnent, les gangs remplacent l’État dans toutes ses fonctions et ses composantes. Ces vermines en font voir de toutes les couleurs aux classes laborieuses, tant dans les quartiers que dans les entreprises.
Depuis plus de cinq ans, la classe ouvrière subit dans sa chair les conséquences des luttes entre politiciens et gangs armés pour le contrôle du pouvoir. Elle est l’objet régulièrement des attaques ciblées et préméditées. Nos copains ouvriers nous racontent que les bandits se mettent en action dès 4 heures du matin, au moment où les ouvriers s’apprêtent à aller au boulot, et continuent jusque vers 7 heures. Puis ils reprennent leur sale besogne aux heures correspondant à la sortie du travail, vers 15 heures. Des jeunes ouvrières, reconnues par leur allure – elles marchent en groupe, sont bien mises –, sont prises à partie, à coups de matraque, de gifles. Certaines d’entre elles sont violées, d’autres sont traumatisées, avec des membres fracturés, certaines sont tuées tout simplement.
Il leur est reproché de ne pas se joindre aux luttes politiques pour changer tel ou tel gouvernement. En se rendant au travail pour gagner une pitance permettant de survivre, elles sont accusées de consolider le pouvoir de celui qui est en place.
Les licenciements condamnent les travailleurs à la famine
Selon le président de l’Association d’industrie d’Haïti, ADIH, ce sont 100 000 emplois directs et un million d’emplois indirects qui sont affectés par la crise. Même en temps normal, le licenciement est toujours vécu comme un drame par les travailleurs mais, en période de crise comme celle que vivent les travailleurs aujourd’hui, c’est presque une condamnation à mort.
Au parc Sonapi, le lieu où se concentrent près de 20 000 ouvriers de la sous-traitance, les activités sont presque à l’arrêt. Sur la route de l’aéroport aussi. Même cas de figure dans d’autres zones industrielles : à Covedi et Caracol dans le nord-est du pays.
Mais il n’y a pas seulement le secteur de la sous-traitance qui est en voie de disparition : petites, moyennes et grandes entreprises ne résistent pas à la fureur des bandes armées. Dans leur grande majorité, elles ont jeté l’éponge.
La façon dont les patrons ont fermé leurs usines choque aussi. La plupart ont fui, laissant les travailleurs sur le carreau, sans un sou.
Les patrons de l’usine Valdor, qui employaient plus de 1 000 ouvriers, ont fui pendant que les travailleurs étaient en vacances. Alertés, ces derniers se sont rendus aux informations. Mais ils ont retrouvé les portes de l’entreprise fermées, sans personne pour les informer. Aux bureaux des affaires sociales du gouvernement, les responsables feignent de ne pas reconnaître les licenciés. Aucune archive n’est paraît-il disponible. Alors que pas moins de cinq taxes et obligations sont prélevées de leur salaire chaque quinzaine, c’est maintenant à eux de prouver qu’ils appartiennent bien à une entreprise où tout a disparu illico. Les institutions qui collectent leurs cotisations n’ont pas non plus d’archives.
Suivant la motivation et la détermination des licenciés, après maintes péripéties, ils peuvent obtenir de l’État un pécule comme dédommagement. D’autres travailleurs licenciés finissent par se décourager, comme ceux de l’usine Horizon dont le patron a pris la poudre d’escampette au mois de juin dernier.
D’autres patrons usent les ouvriers sur le long terme, pour les pousser à abandonner et à partir sans indemnités de licenciement. Les patrons mettent en place des congés sans solde répétitifs communément appelés par les travailleurs en créole « ale ma relew », et en français « partez, je vous rappelle ». Ainsi, les suspensions de travail peuvent aller jusqu’à deux mois. Et quand ils reviennent, c’est pour une ou deux journées de travail. À nouveau, ils sont renvoyés chez eux. Ce subterfuge permet aux patrons de se conformer avec la loi, si toutefois ils sont titillés par quelques agents tempétueux.
D’autres patrons inventent des motifs de licenciement sans indemnité. Dans une usine, une ouvrière a été convoquée au bureau du personnel, puis révoquée parce qu’elle aurait eu une altercation en dehors de l’usine avec une autre collègue. Dans une autre, un ouvrier est révoqué sans indemnités, le patron l’accuse d’avoir voulu soulever les travailleurs contre une décision de la direction.
Dans une quincaillerie, le patron, en catimini, a fait signer à ses travailleurs un document dans lequel il annonce ne pas payer le boni et le congé annuel en fin d’année. Sans la vigilance d’un ouvrier, aucun de ses camarades n’aurait vu cette duperie.
Retournés dans leurs quartiers sans un sou, ces travailleurs s’engouffrent dans une misère effroyable. Certains, qui en ont la possibilité, fuient vers les villes de province, d’autres se convertissent en petits marchands de rue ambulants.
Les gens meurent de faim. Les enfants pleurent à longueur de journée. Un bol de riz, un morceau de pain est partagé entre plusieurs personnes. Certains, qui ont un petit quelque chose, n’osent le cuire, pour que l’odeur n’arrive pas chez le voisin.
Et, comme s’il en fallait plus, l’épidémie de choléra a refait surface. Après trois ans sans nouveau cas dans le pays, le choléra a ressurgi à la faveur de la détérioration des conditions d’existence des travailleurs et de leurs proches dans les quartiers déshérités où tout manque, sans eau, sans électricité, sans latrines, encerclés des tonnes d’immondices dont les hauteurs peuvent aller jusqu’à 2 mètres. Les travailleurs vivent dans une insalubrité permanente.
Ceux qui conservent leur travail à peine mieux lotis
Mais, si celles et ceux parmi les travailleurs qui conservent encore leur boulot peuvent s’estimer chanceux, ils ont vite déchanté devant la détérioration des conditions de travail.
Le salaire est amputé par les effets additionnels de l’inflation, de la décote de la gourde, par le prix du transport en commun particulièrement. Pour de nombreux travailleurs, le salaire minimum ne suffit même pas pour payer le transport. Certains font alors une partie ou l’ensemble du trajet à pied. D’autres cherchent un hébergement chez un ami ou chez un proche parent près de leur usine. Ou abandonnent tout simplement.
Pour anticiper une mobilisation éventuelle des travailleurs, pour faire oublier leurs responsabilités dans la misère et leur extrême pauvreté, les patrons avaient eux-mêmes émis le vœu de voir le gouvernement ajuster le salaire minimum, et éliminer certaines taxes, comme l’impôt sur le revenu imposable pour les travailleurs de la sous-traitance. Mais c’était pour distraire la galerie. Car, dans la réalité, ces patrons pourraient eux-mêmes procéder à cet ajustement de salaire, comme ils le font pour les cadres supérieurs de leurs entreprises, et assurer la nourriture et le transport de leurs travailleurs. Mais ils ne le font pas.
Les travailleurs se défendent collectivement
Au contraire, dans les entreprises qui continuent de fonctionner, ils ne prennent pas de gants avec les travailleurs. La discipline y est encore plus dure, des cadences de travail plus élevées y sont imposées.
Dans cette situation, les ouvriers n’ont pas baissé les bras, ils ont trouvé les moyens pour se défendre.
Par exemple, dans une usine, les ouvriers ont débrayé deux jours au mois d’octobre. Ils protestaient contre un train de mesures du patron qui voulait leur faire perdre une journée de travail en cas de retard, procéder à des licenciements sans indemnités en cas d’absence trois jours consécutifs et remettre en cause le calcul du quota de travail journalier.
Pour la pause repas, le prix du plat de base du midi, un bol de riz surmonté d’un pilon de poulet, a connu des hausses continues en fonction de l’augmentation générale des prix. Il est aujourd’hui de 300 gourdes, soit 60 % du salaire de la journée. La marchande de nourriture peut consentir à donner quelque chose pour 150 ou 200 gourdes. Mais, dans ce cas, le ratio du riz va diminuer de moitié et ce sera sans le pilon. En général, selon la tradition dans le milieu, les marchandes vendent à crédit aux ouvriers, qui payent lorsqu’ils perçoivent leur quinzaine. Mais par ces temps de crise, en absence d’un paiement régulier, cette entente est brisée. La vente à crédit est stoppée et avec elle toute l’activité.
Pour pallier cette situation, certains prennent pour repas le matin un morceau de pain et de l’eau sucrée, un pâté qu’ils mangent à plusieurs. Certains s’organisent en groupe en faisant une cagnotte. Lundi un ouvrier apporte à manger au groupe, le lendemain c’est le tour d’un autre, et ainsi de suite. Ensemble, ils mangent le peu qui est apporté. Dans les usines, on peut voir pendant la pause des attroupements de quatre ou cinq ouvriers autour d’un plat de riz, de pâtes, d’un morceau de pain qu’ils se partagent.
D’autres, en l’absence de solution, crèvent littéralement de faim.
Le problème du transport
Cité Soleil, qui eut longtemps la palme du plus grand bidonville de Port-au-Prince et où vivaient la majorité des travailleurs, se situe tout près du principal centre industriel, Sonapi. Les travailleurs pouvaient s’y rendre à pied. D’autres bidonvilles pires que Cité Soleil ont vu le jour très loin de la zone industrielle. Canaan, Sartre, Carrefour, pour ne citer que ceux-là, ont vu le jour avec l’augmentation de la population. En temps normal, de gros camions en piteux état venaient chercher les travailleurs tôt le matin, vers 4 heures 30, et à partir de 16 heures à la sortie du boulot, pour un prix modeste. Mais, avec la crise du carburant, de l’insécurité, de l’inflation, ces camions disparaissent. Aller et venir de leur travail devient un casse-tête. Il n’y a pas que les prix du transport en commun, devenu rare, qui ont augmenté. Tous les produits de consommation courante ont vu leur prix doubler, tripler, voire plus.
Quelle solution pour les travailleurs confrontés aux gangs armés ?
Le pouvoir de fait conquis par les gangs et la répression qu’ils imposent pèsent particulièrement sur les travailleurs. Mais, en plus de tout cela, il leur est reproché de sortir travailler, car cela affaiblit le mouvement contre le gouvernement.
Cette hostilité aux travailleurs a pris beaucoup d’ampleur durant ces deux derniers mois et ces attaques étaient reprises sur de nombreux médias par des journalistes, des petits bourgeois qui se disaient de gauche, et même des syndicalistes qui se disent défenseurs des travailleurs. Tous ces gens conseillent aux travailleurs de rester chez eux. Et l’assassinat d’un ouvrier handicapé sur son lieu de travail par des groupes armés n’a pas suscité plus d’indignation que cela chez les responsables syndicaux qui militent dans cette usine.
Pour empêcher ces agressions, la seule proposition faite par les organisations syndicales est de se joindre à leurs luttes politiques à travers trois jours de mobilisation contre le pouvoir du premier ministre, Ariel Henry.
Pour ces trois jours, rien n’a été fait en direction des travailleurs. Par contre, ils ont pris le soin d’avertir les associations patronales et la police. Et, le jour venu, des syndicalistes ont pris la parole en parlant des ouvriers en des termes malsains et offensants. Ils les ont appelés à venir manifester, s’ils ne veulent plus être agressés dans les rues et dans leurs quartiers. « Vous êtes pires que des chiens », ont-ils lancé à des travailleurs au visage endolori par la fatigue de plusieurs heures de marche, par la faim et par la peur.
Les derniers événements qui ont eu lieu dans le pays ont démarré d’abord en province, avec des manifestations presque quotidiennes contre la cherté de la vie, contre l’insécurité. La seule réponse que le gouvernement a donnée, c’est d’augmenter de plus de 100 % en moyenne les prix des produits pétroliers, sous prétexte de trouver de l’argent pour renflouer les caisses de l’État qui sont vides. Mais la population n’est pas dupe.
Le lendemain de l’allocution du chef du gouvernement, tout était bloqué. Des barricades ont été mises sur la chaussée dans les principaux quartiers de la zone métropolitaine. Toutes les activités étaient paralysées. Les usines, les écoles, le commerce, les banques, rien ne marchait.
Lieu de rassemblement, de débats et de mobilisation de la classe ouvrière, la zone industrielle elle aussi était à l’arrêt.
Le premier constat est que les travailleurs, les petites marchandes, les djobeurs n’étaient majoritairement pas sur ces barricades. Dans le meilleur des cas, elles étaient animées par des jeunes des quartiers populaires, qui reprenaient certes les revendications exprimées dans les manifestations précédentes, mais ne cherchaient pas à encourager les gens à y venir. Dans d’autres cas, ce sont des gens proches des politiciens traditionnels qui les tenaient, parfois des lumpens armés, menaçants et intolérants. Les jeunes n’étaient nullement intéressés à faire de leur barricade un lieu pour permettre aux habitants du quartier d’exprimer leur colère et leurs revendications.
Et, avant même la fin de la semaine, presque toutes ces barricades étaient transformées en des lieux de racket, d’agression de la classe ouvrière et de la population pauvre.
Les manifestations furent nombreuses dans le pays. Celles ayant eu lieu dans les villes de province semblaient plus démocratiques. On y voyait beaucoup de femmes avec leurs assiettes vides. Les revendications mises en avant étaient la baisse du coût de la vie, de l’insécurité.
C’était moins le cas à Port-au-Prince, où c’est la démission du Premier ministre qui progressivement remplaçait les revendications des travailleurs et des masses populaires.
Trois jours seulement après le début des contestations à Port-au-Prince, l’un des principaux chefs de gang avait fait savoir qu’il rejoignait le mouvement. Depuis, c’était lui qui conduisait les manifestations venant de Cité Soleil, qui emmenait les gens piller des magasins hors de son fief, alors que les entreprises de sa zone d’opérations n’ont enregistré aucune perte. C’était pareil à Carrefour, où sévissait un autre chef de gang allié de Jimmy Cherisier. Aux Gonaïves, c’est un autre chef de gang qui conduisait les manifs, et un politicien. Au Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, c’est un politicien de la classe traditionnelle qui avait le vent en poupe. Se disant de gauche, il a invité les gens à incendier les locaux des banques pour faire pression sur ces dernières.
Les slogans contre l’insécurité et les gangs armés étaient mis au rancart. Si les politiciens en parlaient, c’étaient des balivernes qui n’avaient rien à voir avec la mobilisation et l’organisation des masses exploitées pour en venir à bout.
Et de fait, se sentant confortés dans leurs tactiques, les gangs armés en ont profité pour serrer encore plus leur étau autour de la population, en élargissant leurs territoires, en procédant à des kidnappings, en massacrant la population. Alors que certains chefs déambulaient aux côtés des manifestants en criant « À bas Ariel Henry » dans une rue, d’autres bandits armés opéraient sans être inquiétés dans une autre rue.
Parti de la population et des travailleurs, ce mouvement a été confisqué par les politiciens et les gangs armés. Et cela s’est retourné contre les travailleurs et a aggravé leur situation.
C’est seulement par leurs luttes que la classe ouvrière et les masses peuvent changer leurs mauvaises conditions de travail et de vie. Elles ne doivent pas se limiter à descendre dans les rues pour servir de chair à canon aux politiciens bourgeois, aux gangs armés. Les masses doivent pouvoir diriger leurs luttes pour mener à bien leurs revendications.
Pour cela, elles doivent se doter d’un parti révolutionnaire qui, regroupant une frange importante et consciente de la classe ouvrière, des paysans pauvres et des autres exploités, sera en mesure de diriger leurs luttes et les mener à la victoire.
Vers une intervention armée américaine ?
Le pays étant complètement bloqué, les patrons de l’Association des industries d’Haïti et de la Chambre de commerce ont crié au secours. Les gangs attaquaient des entreprises commerciales américaines. La majorité des ambassades ont fermé leurs portes, celles qui restaient réduisaient leurs services a minima. Des ressortissants étrangers ont été kidnappés, un convoi de l’ambassade américaine venu de l’île voisine a été attaqué par les gangs armés. Le grand ami d’Haïti, l’Oncle Sam, s’est inquiété.
Devant l’irresponsabilité des dirigeants haïtiens qui, dans leur grande majorité, pactisent avec les gangs armés, l’administration américaine pense que le moment est propice pour venir mettre un peu d’ordre directement. Le gouvernement haïtien en a officiellement fait la demande.
Tant que ces chiens de garde, ces cannibales lâchés aux trousses des travailleurs et des masses populaires dans leurs quartiers, massacraient leurs proies pour le compte des classes dominantes, de la mafia et des politiciens, il n’y avait pas de quoi émouvoir les dirigeants des pays impérialistes. Mais les centaines de gangs armés criminels qui sont éparpillés dans le pays sont devenus incontrôlables au point de vouloir mordre les mains de leurs maîtres.
D’un côté comme de l’autre, les travailleurs subissent. Certains se rappellent que les différentes occupations militaires ne leur avaient rien apporté de bon. Directement ou par le truchement de l’ONU ou de l’OEA, tout en apportant des maladies, comme le choléra, la prostitution ou la répression, ces forces impérialistes étaient en effet là en soutien aux classes dominantes. Mais une majorité d’entre eux pensent qu’il ne peut pas y avoir pire que la situation actuelle. Ils ne jurent que par cette intervention, la voyant porteuse ne serait-ce que d’un répit.
À ces millions de travailleurs, de djobeurs, de petites marchandes de rue qui, tout en vouant une haine implacable aux classes riches haïtiennes, aux politiciens, aux gangs qui les ont amenés à la situation actuelle, ne rêvent que de cette intervention militaire, nous répondons : « L’impérialisme ne fait jamais de cadeaux aux travailleurs et aux masses populaires. »
Leur libération passera par leur capacité à s’organiser, se mobiliser, à se mettre en lutte pour détruire le système qui a accouché de cette infamie, des gangs armés, de l’exploitation des classes riches. Ce sera l’œuvre de la classe ouvrière aux côtés de ses frères de classe, les paysans pauvres et le reste des classes exploitées.
Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)
L’année a été avant tout marquée par la guerre en Ukraine. Il y a évidemment les conséquences économiques liées à l’arrêt des livraisons du gaz venu de Russie. Si Macron patauge, que dire du gouvernement allemand : tiraillé entre les exigences des États-Unis et les intérêts des trusts allemands, débordé par la crise économique mondiale, le gouvernement annonce presque chaque semaine une nouvelle mesure « pour combattre la crise », mesure qu’il retire une semaine plus tard pour en annoncer une autre… qu’il va de nouveau retirer ou modifier après quelques jours.
Le gouvernement en place depuis un an apparaît complètement incompétent aux yeux de la population. Et, comme c’est une coalition entre sociaux-démocrates, verts et libéraux, cette farce gouvernementale profite avant tout à la droite et à l’extrême droite.
Le gaz et les liens économiques avec la Russie et l’Ukraine ne sont pas les seules raisons pour lesquelles cette guerre marque plus encore la population en Allemagne qu’en France.
D’abord, l’Ukraine est plus proche de l’Allemagne géographiquement, historiquement, et à cause de l’immigration. Trois millions et demi d’immigrés de l’ancienne Union soviétique, de Russie mais pas seulement, vivaient déjà en Allemagne. Et, avec la guerre, un million de réfugiés ukrainiens sont arrivés cette année. Ces réfugiés ne sont pas obligés de s’entasser dans des tentes ou des stades comme en 2015, car bon nombre d’entre eux sont accueillis et logés par leurs proches ou par des familles volontaires.
D’ailleurs, un nombre non négligeable de ces volontaires sont des immigrés d’origine russe. Et, comme s’il fallait encore démontrer toute l’absurdité de cette guerre, dans presque toutes les grandes entreprises travaillent côte à côte des travailleurs d’origine russe, ukrainienne, biélorusse, polonaise ou lettonne dont les familles, à quelques centaines de kilomètres de là, sont dressées les unes contre les autres par leurs gouvernements respectifs.
Tout cela ne change rien au fait qu’en Allemagne aussi on assiste à un véritable embrigadement idéologique de la population. D’un côté, une propagande permanente appelle la population à économiser de l’énergie pour vaincre Poutine dans sa prétendue « guerre du gaz » contre l’Allemagne. Il y a même eu une manifestation organisée sous le mot d’ordre « Économisons le gaz. Ayons froid pour la paix ! », manifestation dont les syndicats étaient parmi les organisateurs.
Mais ce qui marche bien plus encore est la propagande selon laquelle Poutine serait devenu fou et mégalomane, un nouvel Hitler ; et que, si on ne l’arrête pas tout de suite, il va engloutir l’Ukraine, puis la Pologne et demain attaquera l’Allemagne.
Avec cette propagande, ils ont réussi à faire accepter les livraisons d’armes à l’Ukraine et des investissements massifs dans l’armée allemande, à commencer par une dépense exceptionnelle de 100 milliards d’euros à cette fin. Alors que l’armée et les dépenses militaires étaient généralement mal vues jusque-là, on entend maintenant : « C’est nécessaire. Il faudra bien pouvoir se défendre. »
Quasiment tous les partis politiques et syndicats participent à cette propagande ; les plus va-t-en-guerre sont d’ailleurs les Verts, autant vis-à-vis de la Russie que désormais vis-à-vis de la Chine.
Les seuls à tenir un peu un autre langage c’est l’extrême droite. Évidemment l’AfD (Alternative für Deutschland) salue elle aussi les dépenses pour l’armée allemande. Mais elle s’oppose aux sanctions économiques contre la Russie… au nom de la défense de l’industrie allemande et de la sécurité énergétique. Cela lui a permis de profiter du mécontentement social qui a commencé à s’exprimer cet automne, suite à la hausse spectaculaire des factures de gaz – la moitié de la population se chauffe au gaz.
Déjà, dans les mois précédents, une partie des classes populaires fut jetée dans la pauvreté par l’explosion des dépenses pour la nourriture et le carburant. Mais, quand en septembre beaucoup de ménages apprirent que leur facture de gaz allait tripler, la peur existentielle toucha pour la première fois aussi une partie des travailleurs qualifiés, dont ceux en CDI dans les grosses boîtes. Et, dans bien des villes d’Allemagne de l’Est, des manifestations contre le prix du gaz s’organisèrent et regroupèrent rapidement jusqu’à 50 000 manifestants.
Ces manifestations étaient plus ou moins ouvertement organisées par l’extrême droite sous le slogan « L’Allemagne d’abord ». Elles revendiquaient que « le gouvernement arrête de sacrifier le peuple et l’industrie allemande pour l’Ukraine ». Concrètement, elles demandaient que le gouvernement cesse les sanctions et les livraisons d’armes, qu’il s’entende avec Poutine et qu’il arrête de dépenser tant d’argent pour les réfugiés ukrainiens.
C’est à ce moment-là que le gouvernement a décidé de mettre le paquet, 200 milliards d’euros, pour faire baisser le prix du gaz et le plafonner. Évidemment, surtout et d’abord pour l’industrie, à qui revient la part du lion. Mais une partie de cet argent servira aussi à plafonner le prix de l’énergie pour les consommateurs.
Ceux-ci payeront désormais le double de l’année dernière, ce qui est toujours une catastrophe pour beaucoup dans les classes populaires. Mais, pour les autres, ce tampon social a néanmoins calmé – provisoirement – une partie de leurs peurs.
Pour financer toutes ces mesures pour l’armée, les quelques tampons sociaux, et le patronat, le gouvernement va contracter 350 milliards d’euros de nouvelles dettes rien que cette année. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour deviner les conséquences de cet endettement record.
C’est dans ce contexte d’endettement massif et de crise qu’a eu lieu une longue grève dans les six CHU de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Cette grève contre le manque d’effectifs, organisée par le syndicat Verdi, était une grève minoritaire, avec 2 000 grévistes en moyenne par jour sur l’ensemble des établissements. Mais elle a regroupé beaucoup de catégories différentes : infirmières, ASH, personnel d’administration, kinés, brancardiers, personnel de cuisine et bien d’autres.
Commencée au mois de mai, la grève a duré trois mois sans interruption. Il faut savoir que le syndicat compense une bonne partie du salaire, et tout le monde n’a pas fait grève tous les jours. Parmi les infirmières, une partie étaient astreintes un jour sur deux. Mais les grévistes ont réussi à imposer que des lits et des services entiers soient fermés pour toute la durée de la grève, ce qui a beaucoup facilité la participation des infirmières.
Un fort noyau de toutes les catégories a fait grève douze semaines sans interruption. Grâce à leur ténacité, les grévistes ont finalement obtenu la création d’environ 60 postes par CHU pour les secteurs non soignants, et plusieurs centaines de postes et jusqu’à 18 jours de congé en plus pour le personnel soignant.
Cela étant, le succès principal est la progression de la conscience des grévistes et leur expérience de la démocratie ouvrière. À commencer par une chose quasi inexistante en Allemagne : les grévistes ont eux-mêmes élaboré leurs revendications. Et c’étaient des travailleuses du rang qui parlaient dans les manifestations, dans les médias, lors des rencontres avec la direction et le gouvernement.
Au CHU d’Essen, la grève fut dirigée par un comité de grève élu toutes les semaines.
Déjà lors de la précédente grève, il y a quatre ans, l’élection d’un comité de grève avait été proposée. À l’époque, celui-ci se mit en place sans résistance, car les bureaucrates syndicaux n’avaient pas tout de suite compris ce que c’était.
Cette fois-ci, évidemment, les permanents du syndicat le savaient et auraient préféré l’empêcher. Ils ont fait de la propagande contre. Mais un noyau de militants a lui aussi fait de la propagande, et même obtenu le soutien de plusieurs syndicalistes de base qui avaient commencé à militer il y a quatre ans justement grâce au comité de grève.
Cette fois, le comité de grève élu a regroupé une vingtaine de grévistes, dont la moitié étaient des militants syndicaux, l’autre non. Pour un tiers, c’était même leur première grève. Presque tous y ont participé sur toute la durée des douze semaines. C’était une vraie direction de la grève, sous réserve cependant que c’était dans le cadre d’un mouvement plus large, dirigé quant à lui par le syndicat, qui détient aussi la caisse de grève.
Le comité s’est réuni tous les jours pour discuter de tous les problèmes qui se posaient : l’évolution du nombre et du moral des grévistes, les manœuvres du camp d’en face, notamment pour diviser les grévistes entre infirmières et autres catégories, la nécessité de faire connaître voire d’élargir le mouvement, la stratégie de la direction syndicale, etc.
Toutes les discussions furent rapportées et votées dans les assemblées générales (AG) quotidiennes auxquelles participaient une petite centaine de grévistes. Grâce à ces AG et grâce aux activités où elles et ils sont allés rendre visite à des travailleurs d’autres branches, ou ont interpellé la direction ou des responsables politiques, beaucoup de grévistes ont appris bien des choses : sur le lien entre la dégradation des hôpitaux et la crise du capitalisme, sur le rôle du gouvernement, sur les intérêts communs à tous les travailleurs au-delà des catégories et des branches, et évidement sur la démocratie ouvrière.
Et d’ailleurs, contrairement à la grève d’il y a quatre ans, les militants du CHU d’Essen ont pu imposer que ce ne soit pas de fait la direction syndicale qui décide de la fin du mouvement, mais que les grévistes des six CHU puissent discuter librement et décider toutes et tous ensemble s’ils voulaient terminer ou continuer la grève. Après douze semaines, la grande majorité des travailleurs ont décidé d’accepter la proposition finale. Fiers de leur combat, mais aussi avec la conscience que ce ne sera pas la dernière bagarre, qu’il en faudra bien d’autres face à la dégradation de la situation.
Lutte ouvrière (La Réunion)
Ça y est ! Le 28 août, neuf ans après le lancement des travaux, la NRL, la nouvelle route du littoral, a été enfin ouverte à la circulation, du moins partiellement et seulement dans un seul sens. D’après les spécialistes, il faudra attendre 2028 voire 2030 pour que la route réputée la plus chère au monde, estimée à 2,2 milliards d’euros pour 13 kilomètres, soit terminée. Pour la poursuite des travaux, l’État va mettre 420 millions d’euros supplémentaires, la région autant. Cette nouvelle route a pris la place du projet de tram-train qui était celui de la région, alors dirigée par le PCR et son leader décédé, Paul Vergès. Ce projet a été enterré par la droite, qui a été aux affaires entre 2010 et 2021. Elle a préféré la NRL, sans doute plus à même d’offrir des profits aux Bouygues, Vinci et à quelques dizaines de petits entrepreneurs locaux et concessionnaires automobiles.
Déjà en 1976, le chemin de fer, qui ceinturait la moitié de l’île, avait été abandonné au profit du tout-automobile. La conséquence de cette gestion absurde du territoire, c’est un réseau routier congestionné par les 475 000 voitures, bus et camions qui y circulent. Ceux qui en pâtissent le plus, ce sont les travailleurs, qui passent des heures dans les embouteillages et surtout qui consacrent une partie importante de leur revenu à l’achat de la voiture, à l’assurance, à l’entretien et au carburant. Et toutes ces dépenses ne cessent d’augmenter.
Catastrophe sociale pour les travailleurs
Le niveau de vie des travailleurs continue de se dégrader. Le chômage touche 18 % de la population active, soit 60 000 personnes au sens du BIT. D’après l’Insee, en 2019, 37 % des 860 000 Réunionnais vivaient sous le seuil métropolitain de pauvreté et la moitié ont un niveau de vie inférieur à 1 320 euros par mois. La jeunesse est particulièrement touchée par la pauvreté, à commencer par les enfants. En 2019, 110 500 enfants mineurs vivaient dans un ménage pauvre, soit 46 % d’entre eux. Les jeunes ont beaucoup de difficulté à trouver du travail. 41 000 jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, soit un jeune sur quatre.
Face à cette catastrophe sociale, des politiciens et des patrons proposent des gadgets bons pour leur communication : les job-dating, les forums de l’emploi ou autres « rdv métiers » organisés par la région, ou les journées portes ouvertes. Et, signe des temps, l’armée se positionne, elle, en caserne ouverte, pour le RSMA, le régiment du service militaire adapté, qui n’existe qu’en outre-mer.
Le RSMA a lancé récemment une campagne de recrutement de 1 400 jeunes, pour les former pendant six à douze mois aux métiers du BTP, du transport, de l’agroalimentaire, etc. L’ex-dirigeante du PCR, présidente du conseil régional, Huguette Bello, n’est pas à la hauteur avec son projet fumeux de « lycée de la mer » qui s’inscrirait dans une « grande politique maritime », à condition que l’État condescende à son financement. Par contre, quand il s’agit de soutenir les capitalistes locaux, Bello a du sonnant et du trébuchant. En août, elle a lancé « la nouvelle économie », nom donné au futur schéma régional de développement économique, d’internationalisation et d’innovation (SRDEII). Un panel varié d’aides directes et indirectes de plusieurs centaines de millions d’euros pour près de 6 000 entreprises. Sans compter l’enveloppe des fonds européens dont la région est autorité de gestion, qui s’élèvera à 1,4 milliard d’euros pour la période de 2021 à 2027.
Le pouvoir politique craint la jeunesse et lui jette des os à ronger, un illusoire avenir sous l’uniforme.
Ces dernières semaines, les visites de ministres voulant parader, se faire connaître ou reconnaître, se succèdent à La Réunion et à Mayotte. Darmanin, le Dark Vador du gouvernement, qui prétend vaincre l’immigration à coups d’unités du Raid et d’intercepteurs maritimes ; Pap Ndiaye, le ministre venu faire son livre d’images dans quelques écoles bien choisies et, comme par hasard, n’ayant pas le temps de répondre aux questions dérangeantes d’un quotidien relayant les préoccupations des parents d’élèves comme des syndicats d’enseignants ; François Braun, l’inconnu du système hospitalier dont on retiendra qu’il va se pencher sur la difficulté rencontrée à La Réunion pour faire établir des certificats de décès, par manque de médecins habilités. Les ministres n’ont pas la tâche facile. D’ici qu’ils demandent la retraite anticipée pour travaux pénibles…
Démagogie régionaliste
Dans le cadre de la crise économique et sociale et des frustrations qu’elle engendre, la préférence régionale est à toutes les sauces. Politiciens et syndicats défendent la préférence locale à l’embauche, notamment dans la fonction publique. Mais ils revendiquent aussi la préférence régionale… patronale.
C’est ainsi que l’intersyndicale et une brochette d’élus de gauche et de droite menés par la même présidente de région se sont mobilisées contre le « mariage forcé » de la compagnie aérienne Air Austral, dont l’actionnaire majoritaire est le conseil régional, avec Corsair, pour ne pas servir, dit-elle, « les intérêts des Antillais ». Huguette Bello en appelle au « patriotisme économique », en invitant des investisseurs réunionnais à entrer au capital d’Air Austral ; il s’agit essentiellement du groupe privé Clinifutur, qui possède notamment toutes les cliniques de l’île.
De même, elle est montée au créneau pour se dire opposée au rachat des grandes surfaces de l’enseigne Run Market par le groupe mauricien IBL, au prétexte que « ce serait un mauvais signal pour les acteurs réunionnais ». Traduction : nos bourgeois réunionnais doivent être encouragés à investir, pour ne pas laisser à d’autres capitalistes l’exploitation des travailleurs et le profit qui en découle.
Ceci n’est qu’une petite illustration du garde-à-vous nationaliste des politiciens, de gauche à droite.
Les grèves
Contre l’exploitation, contre la précarité, les licenciements et pour les salaires, les travailleurs ont fait entendre leur ras-le-bol par des grèves dans plusieurs entreprises :
– À Newrest, une entreprise qui prépare les repas pour les compagnies aériennes, où l’année dernière, quelques jours avant Noël, la quarantaine d’employés se sont mis en grève pour des augmentations de salaire et le 13e mois.
– À la Semittel, cinq jours de grève.
– À la CANE, une coopérative agricole.
– À Kélonia, un centre de soins des tortues marines, une partie du personnel a cessé le travail pendant neuf jours.
– À l’usine sucrière de Bois Rouge, appartenant à Téréos, les ouvriers ont fait reculer leur direction au tout début de la campagne sucrière et ont gagné une prime de démarrage de 1 000 euros.
– Aux laboratoires d’analyse Reunilab/Inovie.
– À la poste de Saint-Benoît, contre la réorganisation des services et pour réclamer des moyens supplémentaires.
Comme diraient nos camarades de Combat ouvrier, c’est bon pour le moral !
Démagogie contre les migrants
En revanche, ce qui n’est pas bon pour la conscience des travailleurs ce sont les propos confus, voire xénophobes, tenus par les médias et les politiciens sur les immigrés. Les arrivées successives entre juillet et octobre de quelques dizaines de migrants sri-lankais ont donné du grain à moudre aux réactionnaires et à l’extrême droite, qui déversent leur bile sur les immigrés. Mais, parfois, les positions ambiguës de politiciens de gauche sont de nature à embrouiller la conscience des travailleurs. C’est le cas du député LFI, Jean-Hugues Ratenon, qui a interpellé la ministre des Affaires étrangères en lui demandant de se saisir de « ce grave problème et d’apporter des réponses dans l’intérêt du bien-vivre à La Réunion et de l’ordre public ». Ce qu’ils appellent « vivre ensemble » ne sert qu’à vendre l’image d’une société mythifiée, où tout le monde serait bon et gentil s’il n’y avait pas d’immigrés fauteurs de troubles. Avec les 60 % de Le Pen à la présidentielle, on voit qu’une partie de l’opinion qui s’exprime dans les urnes regarde de ce côté-là. Même si Ratenon parle de trafic d’êtres humains entre le Sri-Lanka et La Réunion et s’est indigné du traitement fait aux Sri-Lankais dans le centre de rétention, il a déclaré : « L’arrivée de ces migrants est de moins en moins acceptée par les Réunionnais » et « La Réunion n’a pas les moyens de les accueillir. » Cela s’appelle souffler sur des braises, alors que les Mahorais de La Réunion s’inquiètent des retombées de la situation à Mayotte et semblent tout près d’approuver toutes les mesures policières anti-Comoriens.
Le poison est bien là. Souhaitons qu’il soit expurgé par la conscience que les travailleurs peuvent acquérir dans les luttes contre l’exploitation, au coude-à-coude avec leurs frères immigrés de toutes origines.
Sınıf Mücadelesi (Turquie)
Ces dernières années, on parlait de l’aggravation de la crise économique en Turquie. Cette année, on peut parler de l’écroulement de l’économie.
En effet depuis décembre 2021 les prix, notamment ceux des produits de base indispensables à la population, ont augmenté de 85,5 % d’après les chiffres du gouvernement. Mais en fait, d’après les chiffres des économistes indépendants du Groupe de recherche sur l’inflation (ENAG), ils ont augmenté réellement de 186 %. Exemple révélateur, le paquet d’un kilo de pâtes est passé de 3 à 12 livres.
En décembre 2021 l’économie turque s’est effondrée, comme l’a fait l’économie grecque en 2015. Le gouvernement grec de l’époque avait décidé de diminuer les salaires des fonctionnaires et les retraites de plus de 20 %. Mais le gouvernement d’Erdogan, ayant peur d’une explosion sociale, a choisi une autre méthode pour obtenir le même résultat : il prend indirectement dans la poche des gens par le biais de l’inflation. Au mois d’octobre, le déficit commercial s’est encore creusé. Et le montant de la dette extérieure est monté à près de 500 milliards de dollars.
Résultat de tout cela, plus de 13 millions de retraités et la grande majorité de la population n’arrivent plus à finir les mois ; 24 millions de personnes sont citées au tribunal pour des dettes, des loyers impayés, des chèques sans provision, etc. Tout cela à cause d’une baisse incroyable de leur pouvoir d’achat !
Cet écroulement de l’économie a accru le mécontentement déjà existant. Alors, pour faire peur aux gens, on peut vous arrêter pour un oui ou pour un non. En France, récemment, on a parlé de l’arrestation d’une chanteuse à la mode, et de celle du président de l’association des boulangers d’Istanbul, pour des prétextes bidons. Ceux-là ont été libérés quelques semaines après, mais la présidente de l’association des médecins d’Istanbul, qui avait été également arrêtée sous un prétexte, est toujours en prison.
Autre chiffre révélateur : près de 200 000 personnes sont citées en justice pour insulte à Erdogan. Et, début octobre 2022, Erdogan a fait adopter un projet de loi criminalisant la diffusion d’informations trompeuses. La loi permet de sanctionner très facilement les médias et les journalistes turcs. Et, chaque semaine, des dizaines d’arrestations touchent les nationalistes kurdes, les partisans de Fetullah Gülen (un dissident religieux) et des gens de gauche.
La répression et le flicage se sont étendus aussi à l’Europe. Erdogan a déployé à travers celle-ci tout un réseau d’information, d’agents du renseignement et même de tueurs à gage pour surveiller et contrôler ceux qui pourraient nuire à son pouvoir.
De plus en plus paranoïaque depuis la révolte de Taksim de 2013 et le retour de la guerre civile avec le mouvement kurde en 2015, puis le coup d’État raté de 2016, le régime d’Erdogan considère toute opposition comme une menace existentielle.
Le parti d’Erdogan, l’AKP, ne cesse de chuter dans les sondages. Selon le dernier en date, fin novembre, les intentions de vote en sa faveur seraient de 36,3 % au lieu de 50 % en 2011.
Le récent attentat d’Istanbul serait, d’après l’opposition, une mise en scène du gouvernement Erdogan, car il voit d’après tous les sondages qu’il va perdre les élections de juin 2023. Je rappelle que ce gouvernement avait déjà fait ce genre de manœuvre en 2015 et 2016 pour pouvoir gagner les élections. Et là aussi, quelques heures après l’attentat, le gouvernement a interdit aux médias de diffuser des images de la scène.
Le pourrissement du pouvoir d’Erdogan se reflète, non seulement dans la baisse de son électorat, mais dans l’ensemble de la société, notamment parmi la jeunesse. Depuis plusieurs mois, tous les sondages confirment que plus de 70 % des jeunes voudraient quitter le pays, car ils ne voient aucun avenir pour eux en Turquie.
Les séances au Parlement deviennent surréalistes. Par exemple on y a vu le ministre de l’Intérieur traiter d’idiot le maire d’Istanbul, qui appartient à l’opposition. Il a traité un autre député de terroriste. Un député de gauche a interpellé le ministre de l’Intérieur à propos des photos où on le voit avec les parrains de la mafia, disant « Tu vas pourrir en prison », etc.
Au Parlement toujours, une députée du parti pro-kurde HDP a lancé à l’AKP : « Vous avez déjà tout un arsenal qui vous permet d’arrêter toute diffusion d’information dérangeante, mais cela ne vous suffit pas. À quelques mois des élections, vous avez besoin de plus que cela, car vous avez les mains sales et cela se voit. »
En même temps, la dégradation de la société se manifeste par la propagation de l’usage de la drogue, qui maintenant atteindrait des enfants de 10 ans. Cette emprise de la drogue se voit dans tous les domaines et, de plus, la Turquie devient le quartier général de la mafia mondiale. Il y a quelques semaines, on apprenait que le plus grand parrain de la mafia serbe et un parrain important de la mafia italienne, qui sont recherchés sur la liste rouge, se trouvent en Turquie depuis plusieurs années !
D’un autre côté, Erdogan est devenu un hyper-président, assurant le rôle de président, de Premier ministre et de chef des armées, et aussi de grand décideur de la politique économique. « L’économie c’est moi », déclare-t-il. Mais il n’a toujours pas montré l’original de son faux diplôme universitaire !
Du côté de la classe ouvrière, le mécontentement se manifeste plutôt par de petites grèves dans les entreprises de taille moyenne, notamment dans le textile. Bien sûr, dans les grandes entreprises, notamment de la métallurgie, ça proteste, mais pour l’instant il n’y a pas de grandes grèves. Très récemment, le 28 novembre, une usine de textile de 4 500 personnes, Yasar Tekstil à Bursa, s’est mise en grève pour refuser les 5 % d’augmentation de salaire proposés. Au bout de deux jours, ils ont obtenu 42 % d’augmentation de salaire.
Le gouvernement et les patrons surveillent de près ce qui se passe dans les grandes entreprises. Dans les semaines qui viennent, il n’est pas exclu qu’il y ait des réactions de ce côté, et bien sûr c’est notre espoir.
Les prochaines élections doivent avoir lieu en juin 2023 et, s’il ne parvient pas à empêcher qu’elles aient lieu, le parti d’Erdogan pourrait les perdre. Mais, du point de vue des travailleurs, il n’y a rien à attendre de l’opposition politique, si celle-ci gagnait les élections. Nous mettons nos espoirs dans la classe ouvrière.
Lutte ouvrière (Belgique)
En Belgique, nous avons pour l’instant un gouvernement composé de sept partis. Une coalition qui avait déjà eu beaucoup de mal à se mettre en place. Cette coalition, dans laquelle chaque ministre joue en même temps sa carte pour les prochaines élections, semble limiter son ambition au simple fait de tenir jusqu’aux prochaines élections en 2024. Il n’est pas sûr qu’ils y arrivent.
En attendant la crise politique future, voici quelques explications sur l’indexation des salaires, qui existe encore en Belgique.
Les limites de l’indexation des salaires
Ainsi, les travailleurs de la métallurgie ont par exemple été augmentés de 8 % en juillet. Sans grève. Les employés s’attendent pour leur part à être indexés de 10 % en janvier.
Mais, en même temps, l’inflation a frôlé les 13 % en octobre, parmi les plus hautes en Europe. Les factures de gaz et d’électricité ont parfois quadruplé. En fonction des contrats et des fournisseurs, des gens peuvent se retrouver avec des factures de 400, 600, voire 800 euros par mois.
Le simple fait de n’être indexé qu’une fois par an représente un manque à gagner important. Et l’indexation ne correspond pas à l’augmentation réelle des prix.
Et c’est normal, car le contrôle des prix n’est bien sûr pas dans les mains des travailleurs, mais dans celles d’un groupe de spécialistes qui se réunit derrière des portes closes… où ils composent le fameux panier de la ménagère.
Leurs calculs savants se veulent objectifs, voire scientifiques. Aujourd’hui, ce sont des centaines de produits qui sont pris en compte, même des choses aussi indispensables que les chemins de table.
Mais cette composition du panier de la ménagère est en fait très politique. Pour le comprendre, il suffit de dire que les prix des carburants ne sont plus pris en compte depuis 1994. Les loyers, avec le chauffage et l’électricité, ne pèsent même pas 18 % dans la pondération des produits, alors que le loyer moyen, à Bruxelles, atteint désormais 1 000 euros, souvent plus que la moitié d’un salaire.
Et puis, les ouvriers d’Audi ont certes été indexés en juillet. Mais depuis lors ils n’ont quasiment pas connu un mois sans chômage temporaire. Loin de mieux faire face aux factures, ils ont eu plus de difficultés.
Alors, l’indexation des salaires, à quoi nous sert-elle sans la répartition du travail entre tous ?
Le fait qu’un tel système d’indexation existe pour une majorité des travailleurs du pays pourrait cependant faciliter les luttes d’ensemble pour les salaires, au lieu de luttes secteur par secteur, voire entreprise par entreprise, comme celles qui ont lieu en France.
Mais voilà comment la FGTB, le syndicat socialiste, vante l’indexation :
« L’indexation des salaires favorise la paix sociale car, sans indexation automatique des salaires, des conflits sociaux pourraient surgir à chaque fois que les prix augmentent. »
Et en effet, en Belgique, les grèves pour les salaires sont très rares. Aujourd’hui, où le problème est clairement à l’ordre du jour, l’idée même de se battre contre les patrons pour leur imposer une augmentation est bien lointaine.
Même le Parti du travail de Belgique, qui se dit à la gauche de la gauche, ne revendique pas des augmentations de salaire. Pour le pouvoir d’achat, il propose de baisser les taxes et d’introduire un bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie… Comme en France.
Alors, certes, les organisations syndicales ont organisé plusieurs manifestations nationales, et même une grève générale…
Mais pas vraiment pour imposer une augmentation des salaires, mais pour l’abolition de la loi de 1996. Une loi qui limite la marge salariale, c’est-à-dire l’augmentation maximale que les syndicats peuvent négocier en plus de l’indexation. Marge qui est négociée nationalement tous les deux ans, et qui est proche de zéro depuis 2009, et annoncée à zéro pour les deux ans à venir.
Les directions syndicales prétendent que, sans cette loi, elles pourraient négocier des augmentations plus importantes dans les secteurs où il y a des profits.
C’est la revendication d’un appareil qui est là pour s’entendre avec les patrons. Et prétendre que nos salaires dépendent d’une loi et des négociations, c’est de la poudre aux yeux pour les travailleurs
En tout cas, l’assureur AXA, qui fait notablement partie des secteurs où il y a des profits, vient de montrer ce qu’il en est réellement : au lieu d’augmenter les salaires, il supprime l’indexation pour les salaires au-delà de 5 400 euros par mois.
C’est-à-dire qu’ils sont en train de miner l’indexation automatique, tout en montant les différentes catégories de travailleurs les unes contre les autres.
Car, bien sûr, ce n’est pas parce que l’indexation des salaires a servi si bien à maintenir la paix sociale que le patronat va continuer à la tolérer. Au contraire, plus les travailleurs en ont besoin, plus le patronat monte à la charge contre l’indexation des salaires. Et, déjà, il a obtenu une baisse des cotisations sociales pour le soulager du fardeau intolérable de l’indexation.
Alors, il faudra bien se battre. Et poser la revendication de l’indexation des salaires dans le sens du Programme de transition : c’est-à-dire comme la revendication légitime d’une classe qui défend son droit d’exister et qui se prépare à arracher le pouvoir à la classe capitaliste.
La grève des bus de la région de Charleroi
Et, en fait, cela peut se poser très rapidement.
En octobre, nous en avons eu un tout petit aperçu : après un jour d’action des syndicats, environ 200 chauffeurs de bus des transports en commun de la région de Charleroi ont continué la grève quatre jours de plus. En plus, ils avaient l’idée qu’il fallait élargir le mouvement pour arriver à un mouvement d’ensemble, car la perte du pouvoir d’achat concerne tout le monde. Ils ont donc essayé d’entraîner des travailleurs d’autres entreprises dans la région.
Ils n’y ont pas réussi. Pas tant parce que les travailleurs des autres entreprises ne voulaient pas les rejoindre. Mais parce qu’ils n’étaient pas suffisamment préparés et déterminés pour résister à leur délégué, qui s’est chargé de les en décourager.
Avec plusieurs grévistes, les camarades ont pu discuter de la démocratie ouvrière, de la nécessité d’un comité de grève.
Ces discussions sont essentielles. Car il n’y a pas que nous qui avons remarqué le potentiel de cette action des chauffeurs de bus. Depuis quelque temps, les conseillers de la bourgeoisie se demandent si les syndicats seront en mesure de canaliser la colère des travailleurs.
Eh bien, nous militons pour que les travailleurs se donnent les moyens pour ne pas se laisser canaliser.
L’Internazionale (Italie)
Comme vous le savez, le nouveau gouvernement, qui a pris ses fonctions, à la suite des élections anticipées du 25 septembre, est un gouvernement ouvertement de droite. Ses trois principaux partis sont la Lega de Salvini, Forza Italia de Berlusconi et Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni (l’hymne national commence par les mots Fratelli d’Italia, Frères d’Italie).
Ce dernier parti a obtenu le plus large consensus électoral lors d’une consultation qui, il est bon de le savoir, a connu le taux de participation le plus faible d’après-guerre : moins de 64 % des personnes susceptibles de voter l’ont fait.
La presse et les autres médias se sont empressés de décrire le nouveau cadre politique issu de ces élections, en ne prenant en compte qu’une partie de la vérité. On a dit du parti de Meloni qu’il avait obtenu un « triomphe », une « avalanche de bulletins », etc. On a parlé aussi d’un désastre pour le PD, le Parti démocrate, et d’une remontée du Mouvement 5 étoiles.
Le PD et son invertébré de secrétaire, Enrico Letta, se sont immédiatement alignés sur le jugement que d’autres ont porté sur leur parti. Letta a même annoncé sa démission du poste de secrétaire et promu un congrès extraordinaire.
En fait, par rapport aux précédentes élections générales, en 2018, le résultat n’était pas si mauvais pour le PD, qui n’a perdu que 800 000 voix, à comparer aux 6 millions perdues par le Mouvement 5 étoiles et aux plus de 5 millions perdues par Forza Italia et la Ligue réunis. Mais ces deux derniers sont apparus comme les vainqueurs, et c’est en vainqueurs qu’ils se présentent en toute occasion, ayant bénéficié du succès de Meloni avec qui ils avaient passé un accord électoral, même si les électeurs votaient aussi pour chacun des partis participants.
Quels changements les élections du 25 septembre indiquent-elles vraiment ? En résumé, la liste qui a gagné est celle du seul parti qui était dans l’opposition au précédent gouvernement dit de « salut national » dirigé par Draghi, c’est-à-dire Fratelli d’Italia. Les voix perdues par la Ligue et Forza Italia correspondent à celles gagnées par le parti de Meloni. Ainsi, au sein d’un électorat de droite ou de centre-droit déjà existant, les voix se sont déplacées d’un parti à l’autre.
L’autre fait important est la croissance de l’abstentionnisme, surtout dans les couches sociales les plus populaires. Le désintérêt pour la politique a, dans ce cas, une explication évidente et immédiate, comme le montrent bien les statistiques sur l’augmentation du nombre de pauvres en Italie.
Le parti de Meloni plonge ses racines dans l’histoire du fascisme. Beaucoup se sont demandé si l’Italie ne se dirigeait pas vers un régime fasciste. Le fait que la mise en place du nouveau gouvernement ait eu lieu presque exactement cent ans après la Marche sur Rome a rendu les analogies journalistiques avec le passé plus frappantes. Mais les différences avec la situation d’alors sont si nombreuses que la comparaison ne tient pas la route.
Il serait trop long de les énumérer, mais les camarades savent que Mussolini est arrivé au pouvoir, avec le soutien des grands industriels et d’une bonne partie de l’armée et de la police, pour écraser une fois pour toutes un mouvement ouvrier qui avait causé à la bourgeoisie italienne une grande peur pendant au moins deux ans, jusqu’à la défaite de l’occupation des usines en septembre 1920.
Une véritable guerre civile s’est alors déclenchée dans le pays, les commandos fascistes, presque toujours armés et encadrés par l’armée et les carabiniers ou gardes royaux, incendiant les sièges socialistes et les Bourses du travail, tabassant et assassinant les militants les plus connus du mouvement ouvrier.
Cela dit, le fascisme en Italie, depuis la Deuxième Guerre mondiale, en tant que mouvement, en tant que courant politique et aussi « culturel », a toujours été là. Dans un certain sens aussi, c’est évident, puisque les cadres dirigeants de l’appareil d’État sont passés presque indemnes de la double décennie de fascisme à la « démocratie ».
Les magistrats, les préfets, les hauts gradés de la police et des forces armées, les recteurs d’université, les responsables et les cadres intermédiaires de toutes les administrations d’État ont simplement retiré l’insigne du Parti fasciste de leur veste et continué à exercer leurs fonctions. Cette masse de personnes portait avec elle, à des degrés divers, le bagage idéologique du régime mussolinien et a nourri des partis tels que le MSI (Mouvement social italien) de Giorgio Almirante, qui est l’ancêtre de l’actuel parti de Meloni.
Mais, s’il est vrai que le gouvernement Meloni ne vise pas, du moins dans les circonstances actuelles, à établir un régime fasciste, il est vrai qu’il doit tenir compte d’une partie de son électorat à qui il doit montrer que quelque chose a changé, dans le sens d’une référence explicite aux « valeurs » de la droite. Cela explique le changement de nom de certains ministères, comme le ministère de l’Égalité des chances qui est devenu le ministère de la Famille et de la natalité, ou le ministère de l’Agriculture qui est aussi devenu le ministère de la Souveraineté alimentaire, ou encore le ministère de l’Éducation qui s’appelle désormais Éducation et mérite !
Même les premières mesures du gouvernement ont manifestement voulu donner le sentiment d’un gouvernement « de la loi et de l’ordre ». On l’a vu avec la honteuse affaire du navire Ocean Viking, dans laquelle la vie de quelques centaines d’immigrés a été mise en danger pour montrer que l’Italie sait « se défendre ».
On l’a vu aussi avec le matraquage des étudiants qui protestaient contre une conférence néofasciste à l’université La Sapienza de Rome, ou encore avec la proposition de loi anti-rave, dirigée contre les rassemblements non autorisés de jeunes qui, au moins dans le projet initial, prévoyait des peines allant jusqu’à six ans de prison.
Mais les aspects les plus importants sont les aspects économiques. Et là, on continue sur la voie tracée par Draghi. Ces jours-ci, les derniers détails de la loi de finances sont définis. On y trouve le souci de garantir quelques miettes à la petite bourgeoisie commerçante et professionnelle, par le relèvement du plafond des revenus taxés au taux unique de 15 % pour les indépendants. S’y ajoutent la possibilité d’effectuer des transactions commerciales en espèces jusqu’à 5 000 euros et l’obligation pour les commerçants d’accepter les paiements par carte bancaire seulement au-delà de 60 euros.
D’autres mesures portent de petites couleurs « sociales », comme la taxation des superbénéfices des entreprises de l’énergie qui se sont enrichies de façon scandaleuse avant même la guerre russo-ukrainienne. Mais une mesure similaire avait été adoptée dans les derniers mois du gouvernement Draghi et s’était soldée par un fiasco total.
Les conditions de la classe ouvrière et des classes défavorisées n’ont cessé de se dégrader ces dernières années et ce gouvernement, comme les autres avant lui, n’a pas l’intention de changer les choses. La pauvreté se répand, comme le confirment toutes les enquêtes statistiques et les rapports des organisations caritatives. Selon les données les plus récentes, 5,5 millions de personnes sont en situation de pauvreté absolue.
Dans cette situation, le gouvernement Meloni propose, conformément à ce qu’elle a dit pendant la campagne électorale, de démolir en grande partie le « revenu de citoyenneté ». Cette mesure (sorte de RSA – NDT), instituée par le Mouvement 5 étoiles lors du gouvernement dit jaune-vert qui comprenait aussi la Ligue de Salvini, a apporté à des millions de personnes un revenu minimum de survie, même s’il est absolument insuffisant et si une grande partie des pauvres n’en bénéficient pas, notamment les immigrés ayant moins de dix ans de résidence en Italie.
La question des salaires, que plus ou moins tous les partis ont fait semblant de s’approprier depuis un an, reste maintenant un laborieux sujet de débat. Tout le monde dit et écrit depuis des mois que les salaires ont perdu en pouvoir d’achat ces trente dernières années ; des courbes et des tableaux comparant avec les salaires dans d’autres pays développés, etc. ont paru dans les journaux.
Le résultat a été : rien. Les gouvernements en place n’ont rien fait et les syndicats, pour leur part, n’ont promu aucune lutte, ou plutôt aucun plan de luttes pour un salaire minimum généralisé décent.
Il serait certainement utile à propos du gouvernement et de la politique italienne de parler de la politique étrangère, mais cela serait trop long. Il suffit de dire ici que le gouvernement italien, avec Draghi auparavant et avec Meloni aujourd’hui, est complètement aplati sur les positions de l’OTAN, autant et plus que ses homologues européens. Le PD rivalise avec la droite pour démontrer la plus grande loyauté atlantiste.
Sur ce terrain, il y a un clivage clair entre le sentiment de la population et la quasi-totalité des partis et des grands journaux, qui sont tous engagés dans la croisade antirusse. Même selon les sondages officiels, le pourcentage de la population opposée à l’envoi d’armes au gouvernement Zelensky et, plus encore, à la participation à la guerre, est proche de 50 %.
Face aux exigences que la situation impose, nous voulons représenter un point d’appui pour la reconstruction, en Italie aussi, d’une organisation communiste ouvrière et révolutionnaire.