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Crise, guerres et changements des rapports de force
Même dans les pays impérialistes, riches du pillage et de l’exploitation de la majorité pauvre de la planète et malgré les gestes de charité de leurs États pour tenter de prévenir et de désamorcer des explosions de colère, les masses populaires sont poussées vers une pauvreté semblable à celle qui a prévalu pendant la précédente guerre impérialiste.
Quant aux pays pauvres, où les classes populaires sont privées du nécessaire même en temps ordinaire, ils sont déjà frappés par des famines.
Le retour aux pires calamités du Moyen Âge, à une époque où l’humanité dispose des moyens scientifiques, techniques, productifs du 21e siècle, est une des expressions les plus révoltantes de la pourriture d’une organisation sociale anachronique
La crise du capitalisme, en s’aggravant, intègre la guerre comme une forme d’existence permanente de la vie sociale.
Pour caractériser la période qui est ouverte, même une publication aussi représentative du conformisme bourgeois que le journal Les Échos hésite entre des dénominations comme « la nouvelle guerre froide », « les prémisses de la troisième guerre mondiale » ou « l’ère du chaos ».
La production de biens matériels et l’offre de services utiles à toute la population reculent partout ; le coût de la vie augmente alors même que le chômage s’aggrave et que les échanges internationaux stagnent.
L’envolée des prix de l’énergie asphyxie la métallurgie européenne, qui a « perdu la moitié de ses capacités de production en quelques semaines » (Les Échos du 22 août 2022). « Il faudra peut-être dix à vingt ans pour que l’Allemagne retrouve sa compétitivité d’antan » (Les Échos du 4 août). « La grande peur d’une pénurie de métaux » (Les Échos du 26 septembre). « Énergie : les prix flambent, des usines s’arrêtent » (Le Monde du 21 septembre).
Dans les pages économiques des quotidiens, la liste de grandes entreprises qui arrêtent leur production ou qui ferment s’allonge, de l’Allemagne à la Grande-Bretagne, de la Suède à la Slovaquie. En France, on parle plutôt de « ralentissement » ou d’« arrêt temporaire ». Mais, en même temps, « Londres enregistre une activité record sur le marché des changes » (Les Échos).
La crise financière latente, avec des soubresauts spasmodiques, est de nouveau lourde de menaces, cette fois du fait de la hausse du taux d’intérêt du dollar. Cette décision du gouvernement américain entraîne une fuite de capitaux des pays pauvres ou semi-développés, qui entraîne à son tour la dégringolade de leurs devises.
Parmi les pays frappés, il y a le Kenya, la Tunisie, l’Égypte, le Ghana, la Mongolie, mais aussi le Chili ou la Hongrie. Pour cette dernière, un analyste affirme même que sa situation pourrait reproduire ce qui s’est passé en Argentine il y a quelques années. La chute des monnaies de ces pays aggrave la cherté de la vie et la dette extérieure.
Le capitalisme mêle de tout temps étroitement les aspects économiques et politiques, qui tantôt se conditionnent, tantôt s’opposent, et sont en mouvement permanent. Ce sont cependant les périodes de crise et de violence accrue entre classes sociales et entre nations qui éclairent de la façon la plus crue les contradictions du capitalisme sénile. En reflet de la concurrence exacerbée entre groupes capitalistes et entre nations capitalistes, les relations internationales se tendent à l’extrême. Les tensions internationales et les guerres qui en sont l’expression militaire et les réactions qu’elles entraînent – sanctions, boycotts, etc. – sont des facteurs économiques majeurs.
La guerre en Ukraine entre la Russie et les puissances impérialistes regroupées dans l’alliance militaro-politique OTAN et les sanctions économiques qui l’accompagnent sont de puissants révélateurs des tendances économiques engagées, bien antérieures à son déclenchement, révélateurs aussi des rapports de force et de leurs modifications. Les guerres sont des accoucheuses de l’histoire, comme les révolutions.
Guerre en Ukraine et changement des rapports de force
Le rapport de force que la guerre est susceptible de bouleverser le plus directement est celui entre la Russie et la coalition des puissances impérialistes occidentales. Mais pas seulement celui-là. Un renforcement du rapport de force en faveur de ces dernières se répercutera inévitablement sur le rapport de force entre les États-Unis et la Chine. Ce n’est pas pour rien que cette dernière témoigne d’une certaine solidarité avec la Russie de Poutine, fortement freinée cependant par les liens tissés au fil des dernières années entre l’économie chinoise et l’économie américaine. Ce n’est pas pour rien non plus qu’un certain nombre de pays sous-développés, y compris parmi ceux qui ont les moyens – économiques, démographiques ou monopoles miniers – de postuler à une certaine autonomie par rapport aux pressions de l’impérialisme américain, hésitent à emboîter le pas aux États-Unis quant aux sanctions contre la Russie, les contournent, voire refusent franchement de les appliquer.
Par ses conséquences économiques, la guerre modifie également le rapport de force entre puissances impérialistes elles-mêmes, à l’avantage de l’impérialisme américain et au détriment de la principale puissance d’Europe, l’Allemagne, avec des conséquences inéluctables pour l’Union européenne.
Le poids économique croissant de l’Allemagne, protégée au temps de la guerre froide militairement et diplomatiquement par les États-Unis, reposait après l’éclatement de l’URSS sur trois piliers : le gaz russe, le marché chinois et l’existence d’un hinterland dans les pays de l’Est européen – hinterland historique de l’impérialisme allemand, reconstitué après la dislocation de l’URSS en États indépendants et l’écroulement des ex-Démocraties populaires. Cette partie pauvre de l’Europe, qui fournit de la main-d’œuvre à la fois compétente et nettement moins chère qu’en Europe occidentale, a permis au grand capital allemand de délocaliser toute une partie de sa sous-traitance, voire toute une partie de sa production vers une région proche (donc a priori avec l’avantage de ne pas subir certains aléas d’un transport lointain). « De 1991 à 1999, les flux des investissements directs allemands vers les pays de l’Europe de l’Est sont multipliés par vingt-trois », rapportait Le Monde diplomatique (février 2018), pour préciser : « Les usines d’équipementiers automobiles, de plasturgie, d’électronique, poussent comme des champignons, car, de Varsovie à Budapest, les salaires moyens représentent un dixième de ceux qui sont pratiqués à Berlin en 1990. » Voilà comment les entreprises capitalistes des puissances impérialistes d’Europe maintiennent la partie pauvre de l’Europe dans une économie de sous-traitance et de subordination, c’est-à-dire de sous-développement.
Si les Mercedes et autres BMW ou Audi portaient le tampon Made in Germany, nombre de leurs pièces étaient produites en Hongrie, en Slovaquie ou en Pologne (dans ce dernier cas, souvent par des ouvriers ukrainiens, plus chichement payés encore que les ouvriers polonais). Derrière les grands discours sur la « démocratie » ou sur le « droit du peuple ukrainien à disposer de lui-même », voilà les véritables raisons de l’intérêt des puissances impérialistes d’Europe à l’égard de l’Ukraine.
Le profit tiré des pays de l’Est européen par le grand capital allemand, mais aussi français, notamment par PSA et Renault, est perturbé, en Ukraine, par la guerre et, en Russie, par les sanctions qui la frappent pour en avoir déclenché le tout dernier épisode
Les États-Unis, en revanche, y gagnent la valorisation de leur gaz de schiste, que la hausse des prix rend compétitif sur le marché international. Leurs entreprises capitalistes sont avantagées par le fait que les prix auxquels elles couvrent leurs besoins en gaz ou en énergie ont nettement moins augmenté que ceux de leurs concurrents européens.
Étant donné le poids de l’Allemagne dans l’Union européenne, son affaiblissement ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la solidité, voire sur le maintien même de cette union. Il est possible que les États-Unis, qui ont porté naguère le Marché commun sur les fonts baptismaux, soient derrière l’enterrement de sa forme actuelle, l’Union européenne.
Pendant la pandémie, les bagarres à la Clochemerle autour des masques et des doses de vaccins ont déjà illustré à quel point la simple solidarité était limitée entre les pays de l’Union européenne.
La bronca soulevée dans plusieurs États de l’Union par les 100 milliards par an d’aide promis par l’État allemand à ses groupes capitalistes est significative. Ceux qui protestent considèrent qu’il s’agit là d’une distorsion de concurrence favorisant les capitalistes allemands aux dépens de leurs capitalistes nationaux. La plupart des États, dont les finances sont moins bien pourvues que celles de l’Allemagne, réclament bruyamment que ce genre de subventions soit mutualisé à l’échelle de l’Union. Malgré sa dénomination pompeuse, l’Union ne résiste pas à la rivalité, attisée par la crise, entre États à l’intérieur même de l’Europe.
Dépenses militaires, gaspillage et rationnement
Les dépenses militaires, qui se sont envolées surtout en Allemagne suite à l’alignement des pays européens derrière les États-Unis, représentent des prélèvements supplémentaires au détriment des dépenses collectives indispensables. Les difficultés d’approvisionnement dues aux soubresauts de l’économie, en matière d’énergie notamment, se traduisent par le rationnement pour les classes populaires. Les dirigeants allemands annoncent déjà à leur peuple qu’il doit se préparer au rationnement du gaz.
Rationner le gaz pour les consommateurs lambda n’affecte pas outre mesure la bourgeoisie. Les gouvernements sont payés pour gérer ce genre d’affaires et inventer les justifications des mesures qu’ils prennent.
Mais comment faire pour la puissante industrie allemande ? Elle a un besoin vital du gaz, et pas seulement comme source d’énergie, mais aussi comme matière première. Les Échos du 14-15 août rappellent que « rien que pour le géant de la chimie BASF et les 45 000 produits qui sortent de ses chaînes de production, comment arbitrer ? » Et de donner la parole à un haut responsable du patronat de la chimie qui « rappelle que son secteur, qui avale 15 % des réserves de gaz, « est au centre du modèle économique allemand », indispensable à l’agriculture, la pharmacie, le bâtiment mais aussi à la construction automobile ».
Puces électroniques et automobile : deux industries dans la crise
L’opinion publique a découvert pendant l’année que deux entreprises de Taïwan disposaient d’un quasi-monopole dans la fabrication d’un certain type de puces électroniques performantes, dont plusieurs branches industrielles, l’automobile notamment, ne peuvent pas se passer. « En 1990, les États-Unis représentaient pourtant 44 % de la production mondiale de puces et l’Europe 37 % ». « Aujourd’hui, le trust taïwanais TSMC assure à lui seul 53 % de la fabrication mondiale des semi-conducteurs ». « Avec UMC, le n° 2 taïwanais, la part de marché grimpe à 60 %. » (Le Figaro, 12 août 2022).
Pour les capitalistes américains ou européens du secteur qui détiennent les brevets, il était plus profitable à une certaine époque de sous-traiter leur production dans un pays comme Taïwan, où la main-d’œuvre qualifiée coûtait nettement moins cher qu’aux États-Unis et où, de surcroît, le régime autoritaire était capable de peser pour maintenir les salaires bas !
Les choix privés des entreprises capitalistes de l’industrie des semi-conducteurs se sont traduits par un mouvement collectif : leurs compères et clients en aval ont fini par subir une des lois de leur économie.
À peine les groupes capitalistes de l’industrie automobile, de la téléphonie, les fabricants d’ordinateurs, etc. souffraient-ils du blocage venu du monopole des semi-conducteurs spécialisés, que leurs États respectifs intervenaient pour mettre en œuvre sur leurs propres territoires la fabrication des composants électroniques concernés.
« L’électronique mondiale serait-elle en train de basculer de la pénurie au trop-plein ? », se demandait Le Monde du 20 septembre 2022.
Les gouvernements des États qui en avaient les moyens ont volé au secours de leurs capitalistes.
La spéculation financière s’en est mêlée. S’attendant à ce que ces subventions étatiques se traduisent par de nouvelles usines et, par conséquent, par une surcapacité de la fabrication, les spéculateurs parient déjà sur ce retournement de l’offre !
Le Monde a publié une photo illustrant bien plus clairement ce problème que bien des explications : Biden annonçant, le 9 septembre, le cadeau de 52 milliards de dollars promis à la branche, devant des engins de chantier défrichant un terrain appartenant à Intel pour poser la première pierre d’une future usine dans l’Ohio. Même si l’usine se monte très vite, elle commencera peut-être à vendre lorsque le marché sera saturé !
L’histoire économique de la France capitaliste des dernières décennies se souvient encore de la construction de hauts fourneaux dans la région de Fos-sur-Mer, au début des années 1970, à un moment où on s’attendait à une demande accrue d’acier de la part de l’automobile en expansion. Mais la demande avait atteint son maximum, la construction d’une gigantesque usine sidérurgique en bord de mer avec quatre hauts fourneaux fut stoppée en cours de réalisation, aboutissant à un site industriel à deux hauts fourneaux démesuré et incomplet.
L’intervention étatique, outre le fait que ce sont les classes exploitées qui sont obligées de financer un investissement qui ne rapporte qu’aux capitalistes, ne supprime pas les crises. Elle peut en revanche contribuer à les amplifier. L’exemple des hauts fourneaux de Fos, aussi bien qu’à une plus grande échelle celui des puces électroniques, l’illustrent.
La prédominance de Taïwan dans le domaine des semi-conducteurs est l’expression de la poussée de la centralisation, de la concentration, dans lesquelles Marx et plus tard Lénine (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme) avaient vu un des aspects fondamentaux de l’évolution du capitalisme vers l’impérialisme. Mais aussi de la nécessité d’une planification à l’échelle du monde.
La mondialisation et la concentration à l’échelle du monde sont aussi puissantes que la loi de la gravité, tant que dure le capitalisme. Les causes de cette évolution fondamentale, dont les capitalistes eux-mêmes et leurs dirigeants politiques déplorent certaines conséquences, sont dans les lois d’un système économique anarchique.
À la nécessité d’une planification internationale qui suinte de tous les pores du capitalisme s’opposent deux de ses caractéristiques fondamentales : la propriété privée des moyens de production et leur morcellement en États. L’une comme l’autre rendent impossible d’aller jusqu’au bout de ce qu’exige l’évolution capitaliste elle-même : la planification à l’échelle internationale de l’activité des principaux moyens de production.
La déréglementation du marché de l’énergie voulue par les requins de la finance se retourne contre les capitalistes eux-mêmes et illustre la même contradiction fondamentale qui, sous le capitalisme, impose une coordination croissante, mais sans pouvoir aller jusqu’au bout pour répondre à cette nécessité.
Même la grande bourgeoisie demande que l’État intervienne et régule. Elle veut des prix administrés pour l’énergie. Elle est d’accord pour que l’État orchestre et planifie la distribution de l’énergie. Elle préfère encore cela au black-out. C’est l’aveu que les lois du marché et de la concurrence ne sont plus compatibles avec la concentration. C’est l’aveu que la loi du profit est absurde. Comme sont absurdes les frontières.
Trotsky affirmait, en 1934, en pleine Grande dépression : « Si les frontières des États pouvaient être effacées d’un seul coup, les forces productives, même sous le capitalisme, pourraient continuer à s’élever – au prix, il est vrai, d’innombrables sacrifices – à un niveau supérieur. » Il concluait : « Avec l’abolition de la propriété privée des moyens de production, les forces productives peuvent, comme le montre l’expérience de l’URSS, atteindre un niveau plus élevé, même dans le cadre d’un seul État. Mais seule l’abolition de la propriété privée, avec celle des frontières d’État entre nations, peut créer les conditions d’un système économique nouveau, la société socialiste. »
C’est une évidence plus encore aujourd’hui qu’en 1934, dans nombre de domaines où les problèmes pour l’humanité se posent à l’échelle planétaire, comme le réchauffement climatique, la gestion rationnelle du vivant dans les océans, etc.
Et cela devient une nécessité même dans les domaines où le capitalisme lui-même a été contraint de réaliser un ersatz caricatural de concentration par des tractations entre États nationaux, chacun cherchant à faire prévaloir ses propres intérêts. Il en est ainsi dans le domaine de l’énergie, où il a fallu des décennies pour mettre en place un système qui tienne compte des intérêts divergents de ceux qui ont plus facilement accès, les uns au gaz et au pétrole, les autres au charbon, d’autres à l’hydroélectrique ou encore à l’éolien.
Les crises financières, les pénuries, les tempêtes économiques ne sont pas des aberrations accidents dans le fonctionnement du capitalisme, elles en sont les conséquences inévitables.
La société est mûre pour le socialisme, mûre pour la planification, mûre pour la collectivisation et l’organisation rationnelle des moyens de production.
La controverse opposant voiture thermique et voiture électrique, chère aux écologistes, sert d’écran de fumée à de grandes manœuvres impliquant trusts de l’automobile et trusts du pétrole.
Le journal Les Échos du 9 août 2022 exprime son admiration pour le patronat de l’industrie automobile dans un article qui porte un titre évocateur : « Sept ans après le « dieselgate », la voiture a fait sa révolution ». Après avoir cité les problèmes qui ont frappé cette industrie – effondrement des ventes, en particulier des voitures diesel, manque de composants, perturbations dans la chaîne de production, etc.– « le plus frappant dans tout cela, c’est que les constructeurs automobiles ont transformé ces difficultés en aubaine. Ils en ont profité pour basculer d’un modèle économique à l’autre. Et à leur avantage, passant d’une logique de course aux volumes à une recherche exclusive de profitabilité. […]
« C’est un changement de paradigme. Les industriels se battaient pour des parts de marché. Désormais, la marge opérationnelle dictant sa loi, ils donnent priorité aux véhicules à forte rentabilité. »
Voilà le grand tournant qui se dessine dans l’automobile : miser sur le haut de gamme, aussi bien en thermique qu’en électrique.
Quant aux voitures thermiques, elles auront toujours leur marché, ne serait-ce que dans les pays sous-développés.
Les voitures thermiques répondent à l’impératif de profit depuis plus d’un siècle, entraînant le développement de la demande de pétrole. On n’a pas le même type de certitude pour les voitures électriques pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles il y a tous les impératifs d’équipements collectifs pour les trajets longue distance (recharger les batteries, etc.).
Les groupes capitalistes peuvent compter en la matière sur les États. Dans le passé, aux États-Unis notamment, la fordisation de la production et la démocratisation de la consommation n’ont pas été gênées par l’insuffisance d’infrastructures, et pour commencer par le manque de routes carrossables et de réseaux denses de distribution de carburant !
Pour les voitures électriques, les investissements dans la fabrication des batteries sont en retard, comme l’est le réseau des bornes de recharge rapide le long des routes. Surtout, personne n’a la certitude que les matières premières nécessaires (lithium, nickel, cobalt, terres rares…) permettent un développement aussi illimité que celui des voitures thermiques jusqu’à présent. De surcroît, les terres rares sont concentrées surtout en Chine, en Russie…
Alors, faute de certitude en la matière, les intérêts des capitalistes de l’automobile et ceux du pétrole coïncident pour refaire une opération du même type que celle qu’avaient exécutée les trusts du pétrole lors de la crise que l’on sait, au début des années 1970 : profiter d’une situation de monopole pour vendre moins mais plus cher. Avec cet avantage supplémentaire qui va avec : faire payer par les consommateurs dès à présent et à l’avance les investissements présents et futurs que cela implique.
Sans même connaître encore l’avenir de la voiture électrique, la rivalité entre trusts a déjà commencé autour de pays dont on peut supposer qu’ils disposent des métaux nécessaires à sa fabrication. « L’industrie automobile dans la course aux matières premières », titrait Les Échos du 26 septembre 2022. Elon Musk a déjà mis la main sur certaines régions de l’Indonésie.
La guerre pour les matières premières est un des aspects de l’impérialisme. Les affrontements entre grandes puissances, les uns, ouverts, d’autres, discrets, pour un nouveau partage de l’Afrique en sont l’illustration.
Depuis la première conférence de Berlin (en 1884-1885) en effet, le progrès des sciences et des techniques a engendré des besoins en matières premières dont on ne soupçonnait même pas l’usage il y a plus d’un siècle. Depuis, certains sont déjà exploités. D’autres, pas encore. Mais les trusts savent anticiper et chercher à mettre la main sur des réserves minières, ne serait-ce que pour empêcher un concurrent de s’en emparer. C’est le cas de la République démocratique du Congo, pays auquel les géologues accolent le qualificatif de « miracle géologique » vu sa richesse en métaux rares. Certains, comme le cobalt, sont déjà exploités dans des conditions infectes, d’autres déjà appropriés grâce à des concessions.
À ce propos, plus continue la guerre en Ukraine, plus l’actualité éclaire le fait que l’intérêt des États-Unis pour ce pays ne tient pas seulement de leur volonté de le faire basculer du côté de l’Occident sur les plans politique et militaire, mais aussi des intérêts économiques sonnants et trébuchants. Le journaliste Marc Endeweld a montré, dans son ouvrage Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien, l’intérêt que le trust spécialisé Westinghouse ainsi que le géant du BTP américain Bechtel portent aux centrales nucléaires de l’Ukraine depuis des années.
Le combat fondamental
La seule fois où l’ordre bourgeois a été menacé dans son existence, c’était lors de la vague révolutionnaire commencée en octobre 1917 par la victoire du prolétariat en Russie, mais pas achevée.
Cette vague a été contenue. La révolution prolétarienne internationale a été vaincue. Pas dans la guerre ouverte entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat, mais d’une autre manière, non prévue par Marx : par la dégénérescence bureaucratique de l’État ouvrier créé par le prolétariat russe.
Cette première grande bataille entre les classes, avec pour enjeu : quelle classe exercera le pouvoir à l’échelle internationale, a marqué l’histoire des années suivantes.
Entre les deux guerres, la lutte de classe a continué à être particulièrement exacerbée. La bourgeoisie impérialiste en est sortie victorieuse, au prix du fascisme, de régimes autoritaires, et finalement d’une guerre mondiale.
La crainte profonde de la bourgeoisie envers le prolétariat, inspirée par la menace incarnée par la vague révolutionnaire d’après la Première Guerre mondiale, a duré une génération. Elle a motivé les bombardements de Dresde et de Hiroshima et Nagasaki.
Crainte justifiée car la Deuxième Guerre mondiale a été suivie, comme la précédente, d’une nouvelle vague révolutionnaire, la révolution coloniale. Mais cette révolution-là, aussi ample, aussi déterminée que la première vague, n’était plus dirigée par le prolétariat avec pour objectif de renverser l’ordre capitaliste, mais par des bourgeoisies nationales dont l’objectif était limité à défendre leur droit à l’existence contre la mainmise directe de l’impérialisme.
Ces dirigeants, même les plus déterminés et les plus combatifs, de Mao à Castro en passant par Hô Chi Minh et bien d‘autres, n’avaient pas pour objectif la destruction de l’impérialisme en mettant fin au capitalisme, mais seulement l’aménagement de cet ordre social pour qu’il leur laisse une petite place au soleil.
L’ordre capitaliste a fini par absorber toutes ces tentatives, par les intégrer dans son ordre social. Le grand capital impérialiste est resté maître sur la planète. Ce n’est cependant pas la « fin de l’histoire ».
Le capitalisme triomphant restait le capitalisme, et les maux qui le minent de l’intérieur lui sont consubstantiels.
Sans même que le règne de la bourgeoisie soit contesté en un moment donné par le prolétariat, nouvelle classe capable d’incarner une forme sociale supérieure dans le développement humain, le capitalisme continue à être rongé de l’intérieur.
La construction d’un parti communiste révolutionnaire, ayant pour objectif le renversement du pouvoir de la bourgeoisie, n’est pas un pronostic, mais un objectif de combat.
Actualité du Programme de transition
Ce texte rédigé en 1938 est d’une actualité brûlante. À bien des égards, il semble avoir été écrit tout récemment afin d’analyser la crise présente et d’en tirer des indications pour un programme de combat permettant au prolétariat de reprendre sa lutte fondamentale visant le renversement du pouvoir de la bourgeoisie. Il est impossible de militer aujourd’hui pour la révolution prolétarienne sans s’appuyer sur ce texte.
Bien qu’écrit il y a quatre-vingt-quatre ans, dans un contexte différent de la situation internationale actuelle, il s’appuie sur une compréhension pour ainsi dire intime de la crise du capitalisme et de l’intensification de la lutte de classe qu’elle entraîne ou est susceptible d’entraîner.
S’appuyant sur « les prémisses objectifs de la révolution socialiste », la plupart des revendications restent d’une brûlante actualité. Comme le précise le chapitre du programme consacré aux soviets : « Aucune des revendications transitoires ne peut être complètement réalisée avec le maintien du régime bourgeois. » Elles supposent toutes « une pression croissante des masses » susceptible de conduire à ce que le mouvement entre « dans un stade ouvertement révolutionnaire ».
Ce n’est pas une juxtaposition de recettes, mais un programme de combat. Il serait vain d’essayer de deviner le cheminement de la mobilisation ouvrière et, par conséquent, celui des revendications exigées par l’évolution de la situation. Il faut cependant être conscient que, dans une période de montée ouvrière, les situations changent avec une extrême rapidité et exigent de définir avec la même rapidité les revendications et les mots d’ordre à mettre en avant. L’analyse et la compréhension des étapes concrètes de la mobilisation des travailleurs doivent être à la base du raisonnement des militants communistes révolutionnaires.
Que l’on songe seulement qu’avant même que les travailleurs se mettent en mouvement, certains mots d’ordre du Programme de transition, à défaut de pouvoir être suivis, étaient compréhensibles au-delà du nombre modeste de militants révolutionnaires qui les propageaient.
Face à la montée du chômage, le mot d’ordre de « répartition du travail entre tous sans diminution de salaire » était un outil utile sur le plan de la propagande et même, dans certaines circonstances, de l’agitation. L’envolée récente des prix et la prise de conscience de la cherté de la vie ont rendu perceptible la revendication d’échelle mobile des salaires. L’irruption de la guerre sur le sol européen vient de rendre compréhensibles les chapitres du Programme de transition sur « la guerre et le combat contre l’impérialisme ».
Il n’est pas difficile d’imaginer avec quelle rapidité une vague de grèves – et même de grèves durables – pose immédiatement le problème des piquets de grève et, partant, des milices ouvrières. Comme il posera dès le départ la question des comités de grève, c’est-à-dire « ces comités d’usine » qui sont « un élément de dualité du pouvoir dans l’usine ».
Il ne sert à rien de spéculer pour savoir dans quel ordre toutes ces revendications peuvent être mises en avant. Tous les objectifs avancés par le Programme de transition sont entrelacés entre causes et effets.
On pourrait être tenté de considérer que le chapitre sur « l’URSS et les tâches de l’époque de transition » est aujourd’hui dépassé. Il l’est, mais par son objet – l’URSS est aujourd’hui disloquée –, et non pas par la méthode de raisonnement, ni par le parti pris de Trotsky de considérer la révolution russe comme un passé dont le prolétariat peut être fier.
Malgré l’évolution de la bureaucratie soviétique, disons depuis les années 1930 qui marquent la consolidation de son pouvoir pour un temps, ce sont toujours les analyses de Trotsky qui permettent de saisir au plus près la réalité russe.
10 octobre 2022