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Interventions des groupes invités (extraits)

Nous publions ci-dessous de larges extraits des interventions des groupes invités. Nos lecteurs peuvent retrouver leurs organes de presse respectifs sur Internet (voir en quatrième de couverture, ou à partir du site de l’Union communiste internationaliste https://www.union-communiste.org/fr).

Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)

Les vraies causes de la révolte

Pour qualifier la révolte sociale aux Antilles, la presse officielle a fréquemment parlé d’un mouvement contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale. En réalité il s’agit d’une explosion sociale qui a pris la forme d’une opposition à l’obligation vaccinale et au passe sanitaire. Et ce n’est pas la même chose.

Certes, la contestation sociale est partie des travailleurs de la santé qui ne veulent pas se faire vacciner. Puis, les mêmes ont amplifié la contestation quand ils ont été suspendus et privés de salaire. Ils ont été rejoints par les pompiers, les infirmiers et assistants scolaires, les infirmiers libéraux. C’est bien cette sanction qui a été l’étincelle du mouvement. Ce sont environ 2 000 travailleurs de la santé et assimilés qui ont été le fer de lance du mouvement. Ils ont été d’autant plus compris par la population que celle-ci, bien à tort, est anti-vaccin. Oui, elle a tort, mais c’est comme ça. Et nous ne pouvions pas nous en lamenter ni passer notre temps à faire campagne pour le vaccin. Même si les nationalistes, eux, ont surfé démagogiquement sur ce sentiment populaire. Pour nous, il fallait surtout protester contre les suspensions de service et de salaire, contre la mise au pas des salariés concernés par l’obligation vaccinale.

Le blocage des deux îles

La révolte sociale s’est manifestée par la construction de barrages routiers. Les deux îles ont été totalement bloquées pendant près de 15 jours et le restent encore aujourd’hui partiellement. Dès les premiers barrages, on a vu beaucoup de jeunes participer, aider et même prendre le contrôle de certains barrages dans les quartiers et aussi sur des grands axes routiers. Très rapidement, leur nombre a dépassé celui des militants des diverses organisations. Il s’agissait le plus souvent de jeunes chômeurs, mais aussi de jeunes travailleurs. Des femmes et des hommes plus âgés étaient aussi présents. Certains apportaient à manger, à boire, le café le matin à ceux qui tenaient les barrages.

Il y eut partout des barrages, dont quelques gros barrages bloquants. Les plus importants en Guadeloupe étaient ceux de Montebello, Capesterre, Perrin, près de la caserne des pompiers aux Abymes, et ceux de Sainte-Rose sur le pont de la Boucan. Ces deux barrages sont devenus, peut-on dire, symboles de la révolte. Ils sont toujours en place aujourd’hui.

En Martinique aussi il y en eut partout, dont quelques gros sur lesquels les manifestants dormaient et se relayaient, comme à Place Mahault, à Carrère, Rivière Pilote, à Sainte-Marie, ou au Marin. Puis les barrages ou barricades se sont partout spontanément multipliés. Dans les campagnes, les petits barrages furent nombreux, parfois avec des jeunes du quartier voisin. Des gens faisaient leur petit barrage devant chez eux. Même les enfants jouaient à faire des barrages.

Les revendications s’élargissent

La revendication initiale de levée de l’obligation vaccinale fut alors élargie à d’autres revendications, comme les augmentations de salaire, pensions et minima sociaux accompagnant la dénonciation de la vie chère, des embauches massives, la résolution des problèmes de coupure d’eau courante et de pollution de cette eau, l’indemnisation rapide des travailleurs touchés par le chlordécone et les pesticides, entre autres.

À la rentrée d’octobre, l’augmentation vertigineuse des prix de l’essence et de l’alimentation, tout comme dans l’Hexagone, avait accru le mécontentement.

Les appels à la grève

Dans les entreprises, malgré les appels à la grève générale, il y eut peu de grèves. On compta un bon nombre de grévistes le jour des manifestations, mais il n’y a pas eu de réelle grève générale. Cependant, les travailleurs soutiennent le mouvement et certains viennent aider sur les barrages. Il y eut quand même des grèves, notamment dans la santé et les secteurs assimilés, où 17 piquets de grève se poursuivent, et dans les hôtels, pendant quelques jours. En Guadeloupe, les salariés d’ArcelorMittal sont toujours en grève, depuis plus de 80 jours. La grève à la caisse générale de Sécurité sociale de Martinique se poursuit depuis plus d’un mois.

Aujourd’hui, les forces de répression ont entrepris de démanteler des barrages avec d’énormes engins de chantier. Tous les barrages de Martinique ont été levés. Mais une farouche résistance se manifeste sur celui de Fond Lahaye. Certains parlent d’en reconstruire.

En Guadeloupe, ils n’ont pas encore osé démanteler ceux de Sainte-Rose et de Perrin aux Abymes. D’autres barrages sont reconstruits après le départ des gendarmes. C’est le cas depuis deux jours à Gosier. Mais, après plusieurs jours de démantèlement et de reconstruction, la RN 1 est aujourd’hui dégagée de barrages.

Nous ne nous étendrons pas sur les violences de nuit, pillages, incendies, tirs sur les flics opérés par des bandes de jeunes. Nous avons tenté de contrôler sur les barrages les petits rackets. Nous nous sommes adressés à eux politiquement dans des tracts et des vidéos. Et surtout sans faire la morale.

Aux origines du mouvement

La première grande manifestation, appelée par les syndicats, fut énorme : elle compta 8 000 personnes le 17 juillet en Guadeloupe. D’autres eurent lieu en juillet et en août, et furent jusqu’à maintenant clairement des manifestations anti-vaccin. En Martinique aussi.

 Mais nous ne sommes pas des militants du vaccin ou anti-vaccin. Nous sommes des militants de la classe ouvrière, des révolutionnaires communistes. Nous avons fait de la propagande pour le vaccin et nos camarades qui intervenaient dans le mouvement ont déclaré qu’ils étaient vaccinés. Une camarade s’est même fait huer et on a tenté de l’empêcher de parler lors d’un meeting du collectif des organisations.

Depuis le début, notre position a été de soutenir les travailleurs menacés puis suspendus et de participer, avec le collectif des syndicats et organisations politiques, au mouvement de protestation contre l’obligation vaccinale. Les travailleurs les plus combatifs s’y retrouvent et nous pouvions nous y adresser à eux. En Guadeloupe, nous avons donc participé aux actions avec la trentaine de syndicats, d’associations et d’organisations politiques. Du coup, le LKP de 2009 a resurgi. Il est ainsi devenu le nom générique du mouvement auquel nous participons, même si nous ne sommes plus membre de l’organisation LKP[1] depuis 2011.

La direction du mouvement

Aussi bien en Martinique qu’en Guadeloupe, depuis le début, puis au moment des barrages et des appels à la grève générale, les nationalistes et indépendantistes sont à la direction des mouvements par le biais syndical.

En Guadeloupe, c’est incontestablement l’UGTG, syndicat nationaliste, qui dirige le mouvement.

En Martinique, il n’y a pas d’organisation ressemblant à l’UGTG, mais plusieurs syndicats nationalistes. Leurs cadres et dirigeants donnent le ton et l’axe principal anti-vaccin.

Mais rien n’est figé ! Rien n’est définitif. Et ces nationalistes ne constituent pas pour nous un obstacle pour l’instant.

Nous exprimons notre politique, non pas en fonction des intérêts de « la Guadeloupe » ou de « la Martinique », mais des intérêts des travailleurs et des pauvres. Nos camarades interviennent dans les meetings et les manifestations d’ensemble. Nous y allons avec nos mots d’ordre et notre drapeau, au sens propre comme au sens figuré. Nous avons refusé dès le début de signer les tracts communs nationalistes et avons rédigé nos propres tracts. Nous en avons fait plusieurs au nom de Combat ouvrier et de Rebelle, notre organisation de jeunesse. D’autant qu’un numéro papier de Combat ouvrier a été bloqué, car l’imprimerie est restée fermée par les barrages. Cependant, nous avons participé régulièrement depuis le 17 juillet à toutes les manifestations du samedi et aux meetings du jeudi et du mercredi avec les autres organisations.

Le tournant du 15 octobre en Martinique

Dans la genèse de l’explosion sociale actuelle, un événement a joué le rôle de déclic en Martinique. Il s’agit de la journée du 15 octobre au CHU, dont l’effet fut très dynamique sur le moral des travailleurs. Et cela a rejailli sur le moral des travailleurs en Guadeloupe. Ce jour-là en effet, on a assisté à une véritable révolte des soignants face aux gendarmes qui entouraient le CHU et entendaient filtrer les soignants à l’entrée avec le passe sanitaire. Eh bien, les soignants vaccinés ont refusé d’aller travailler dans ces conditions. Vaccinés et non-vaccinés ont vigoureusement protesté contre les gendarmes. Ils ont alors tenté de rentrer dans les services et, devant la violence des gendarmes, ont riposté. Les forces de l’ordre ont reçu une volée de projectiles en réponse à leurs gaz lacrymogènes. Ils en ont même reçu provenant des étages du CHU. Cette confrontation a fait grand bruit en Martinique, mais aussi en Guadeloupe, et jusque dans l’Hexagone. Tous les soignants se sont sentis vengés. Ensuite, les soignants du CHUM ont reçu le soutien des taxis venus défiler devant l’hôpital, des motards aussi. Dans les jours qui ont suivi, d’autres établissements hospitaliers ont connu aussi des mobilisations.

Comme disait Lénine, il y a des périodes où les minutes valent des heures, les heures des jours, les jours des semaines et les semaines des mois ou des années. À notre petit niveau, nous tentons d’utiliser cette marche du temps définie par Lénine et de ne pas perdre une minute.

Les comités d’action

Nous avons ainsi milité dans le groupe d’abord pour la création de comités d’action élus dans la population par des travailleurs, des jeunes en lutte sur les barrages et autour, dans les quartiers.

Chaque comité a rédigé un programme de revendications du quartier ; les enseignants ont réclamé ce qui serait nécessaire pour les élèves défavorisés.

Les revendications étaient ici un terrain de basket, là de curer le canal. Les agents communaux des Abymes ont rédigé leurs revendications puis les ont présentées au maire.

Ces comités d’action doivent grossir et associer le maximum de monde aux discussions, aux décisions, aux actions.

D’autres organisations ont été créées sur certains barrages, baptisées « républiques ». Il en existe une demi-douzaine : république de Sainte-Rose, république de Port-Louis. Un des plus importants barrages, dans le quartier dit Mahault à Pointe-Noire, vit même surgir un « État fédéral de Mahault », qui demande son indépendance et son détachement de la commune de Pointe-Noire…

Les comités d’action ou les républiques peuvent être les lieux où la population se regroupe, discute de ses problèmes, formule ses revendications, fait l’apprentissage d’un certain pouvoir de base.

Trotsky écrivait dans Où va la France ?, à propos des comités d’action :

« Il ne s’agit pas d’une représentation démocratique de toutes et de n’importe quelles masses, mais d’une représentation révolutionnaire des masses en lutte. Le comité d’action est l’appareil de la lutte. Il est inutile de chercher à déterminer d’avance les couches de travailleurs qui seront associées à la formation des comités d’action : les contours des masses qui luttent se traceront au cours de la lutte.

L’énorme danger en France actuellement consiste en ce que l’énergie révolutionnaire des masses, dépensée par à-coups successifs dans des explosions isolées, comme à Toulon, à Brest, à Limoges, finisse par faire place à l’apathie. Les grèves, les protestations, les escarmouches dans les rues, les révoltes ouvertes sont tout à fait inévitables. La tâche du parti prolétarien consiste, non à freiner et à paralyser ces mouvements, mais à les unifier et à leur donner le plus de vigueur possible.

Les comités d’action prendront leurs décisions à la majorité… Les partis ne sont pas exclus, bien au contraire, puisqu’ils sont supposés nécessaires ; mais, en même temps, ils sont contrôlés dans l’action et les masses apprennent à se libérer de l’influence des partis pourris.

Les comités d’action, dans leur stade actuel, ont pour tâche d’unifier la lutte défensive des masses travailleuses en France, et aussi de leur donner la conscience de leur propre force pour l’offensive à venir.

Des tâches telles que la création de la milice ouvrière, l’armement des ouvriers, la préparation de la grève générale, resteront sur le papier si la masse ne s’attelle pas elle-même à la lutte, par des organes responsables. Seuls ces comités d’action nés de la lutte peuvent réaliser la véritable milice, comptant non des milliers, mais des dizaines de milliers de combattants. Seuls les comités d’action couvrant les principaux centres du pays pourront choisir le moment de passer à des méthodes de lutte plus décidées, dont la direction leur appartiendra de droit. »

Cela fut écrit en novembre 1935. Bien sûr, il faut adapter ce texte à la situation antillaise d’aujourd’hui. Mais en en gardant la boussole. C’est la meilleure façon en tout cas d’avoir une politique juste et une méthode d’action propre à une politique prolétarienne.

Un premier recul

La phase aiguë de la révolte est sans doute maintenant derrière nous. Mais le mouvement n’est pas terminé. Une grande manifestation est prévue aujourd’hui même à Capesterre. Hier encore, le port de Fort-de-France était toujours bloqué par des manifestants, et les dockers sont furieux de l’intervention brutale des gendarmes il y a deux jours. Les forces de répression n’ont pas encore osé s’attaquer aux deux gros barrages très populaires de Perrin aux Abymes et à la Boucan Sainte-Rose. À Saint-Martin aussi la révolte a éclaté, surtout dans le quartier pauvre de Sandy-Ground, dit Sandygoon.

Lecornu et le gouvernement ont voulu jouer les durs avec leurs troupes, Raid et GIGN, mais ils ont quand même lâché du lest. Ils parlent maintenant d’adapter la loi du 5 août aux Antilles. Une mission interministérielle devrait venir sur place. Mais une chose est sûre : si le gouvernement ne réintègre pas au moins les 2 000 travailleurs suspendus et privés de salaire, l’agitation ne cessera pas. Il y aura encore des soubresauts. Et les autres revendications demeurent : eau, salaires, emploi, etc. Une rencontre entre le collectif et les élus locaux a eu lieu.

Les manœuvres du gouvernement

Pour terminer, ajoutons que Lecornu, donc Macron, a tenu à faire savoir qu’ils sont prêts à discuter de l’autonomie comme une des réponses aux problèmes des Antilles. De cela, la population se contrefiche. Ils ont en fait répondu aux notables, pas aux travailleurs, pas à la population laborieuse, pas aux jeunes des barrages.

Certaines chapelles indépendantistes et certains notables tentent aussi d’utiliser la situation actuelle pour reparler d’autonomie ou de « domiciliation du pouvoir en Guadeloupe ou en Martinique ». Mais quel pouvoir ? Celui de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie locales avec leur personnel politique permanent, les notables. Leur seul but : plus de pouvoir local, pour commander eux-mêmes aux travailleurs et aux pauvres.

Il faut donc que les travailleurs, les pauvres, construisent leur propre force politique, leur propre parti, afin de pouvoir décider de leur propre sort, obtenir des avancées sociales réelles, en attendant de prendre le pouvoir politique par la révolution sociale. Il n’y a aucune autre issue valable pour les travailleurs et les pauvres.

États-Unis

Démocrates et républicains incapables de combattre le Covid

Avec toute leur richesse, les États-Unis possèdent peut-être les équipements de santé les plus avancés au monde. Mais leur population présente le taux de mortalité due au Covid le plus élevé de tous les pays développés. Et le pays se trouve maintenant derrière les autres pays riches pour la vaccination, alors même qu’il avait utilisé tout son poids économique pour préempter le marché des vaccins. Par son incapacité à organiser la vaccination complète de sa propre population et par son refus d’envoyer des doses de vaccins ailleurs, le capitalisme états-unien a favorisé l’arrivée à expiration et le gaspillage de stocks de vaccins déjà limités. Cela en dit long sur ce que signifie la domination des États-Unis sur l’humanité, y compris pour leur propre population.

Avant d’être élu, Biden s’est targué d’être le candidat « anti-Trump », au cœur d’une pandémie associée au comportement irresponsable de Trump. Quelques semaines après son élection, il s’est présenté comme le président qui libérerait le pays du Covid. Il est même allé jusqu’à prédire que le pays célébrerait son « indépendance » du virus le 4 juillet 2021, jour de la fête nationale (Independence Day).

Mais le Covid a accéléré son expansion, alors même que la campagne de vaccination s’enlisait. Biden et de nombreux gouverneurs démocrates s’en sont alors pris aux non-vaccinés, disant : « Nous avons un problème, et vous en êtes la cause. »

Ils ont fini par imposer l’obligation vaccinale, d’abord dans l’armée, puis dans les services publics et le personnel de santé, et ont demandé aux entreprises privées d’en faire autant. Et cette obligation vaccinale est en train de tourner au fiasco. Certains officiers ont été relevés de leurs fonctions, et des travailleurs du rang ont été poussés dehors : c’est le cas de certains travailleurs de la santé et des services publics, qui ont été licenciés ou suspendus sans salaire, et les grandes entreprises commencent également à virer leurs employés. Sous la menace de perdre leur gagne-pain, certains vont peut-être se faire vacciner. Mais toute cette campagne a accru la méfiance et la frustration vis-à-vis de Biden, et pas seulement chez les partisans de Trump.

Une méfiance réelle envers le système de santé

Frappés par la campagne de la présidentielle de 2020 qui avait rendu Trump responsable de la propagation du virus, les républicains se sont concentrés sur les difficultés entraînées par les mesures de santé publique pour la population. Ils auraient pu s’opposer uniquement à l’aspect obligatoire, mais ils ont choisi de mettre en doute toutes les mesures prises par le gouvernement, y compris la vaccination.

La propagande des républicains a sans doute grossi la résistance à la vaccination, mais cette résistance existait bel et bien. Une part importante de la population est sceptique vis-à-vis du système de santé, et pas seulement dans les milieux favorables à Trump, mais également dans les quartiers ouvriers des grandes villes, où vivent des Noirs et des migrants. Combien d’entre eux ont été ignorés par le système de santé, voire utilisés comme cobayes pour tester des médicaments ?

Et il ne s’agit pas uniquement de gens qui refusent la vaccination. Malgré les discours affirmant que le vaccin était disponible, beaucoup de gens n’y avaient pas accès. Le système de santé des États-Unis, très largement privatisé et décentralisé, n’est pas organisé matériellement pour permettre une vaccination générale de la population.

Alors, quand Biden a reproché aux non-vaccinés d’être égoïstes, il a touché un nerf à vif.

La nécessité d’une réponse de classe

La position prise par les deux grands partis a transformé ce qui aurait dû être une simple mesure de santé publique en champ de bataille partisan. Et aucun des belligérants ne représente les intérêts de la classe ouvrière.

Un grand nombre d’universitaires, d’organisations féministes, certaines Églises établies, une grande partie des classes moyennes aisées et la plupart des organisations d’extrême gauche, à l’exception du SWP, se sont rangés derrière les démocrates pour demander une obligation vaccinale sur le lieu de travail. Les syndicats, quant à eux, n’ont pas pris une position claire : certains soutenaient la vaccination, tandis que d’autres proposaient de négocier l’obligation avec le patron.

Derrière les républicains, on retrouve leur base traditionnelle parmi les Églises fondamentalistes d’extrême droite et dans les zones rurales, dont la plupart sont appauvries. Mais les républicains n’étaient pas seulement soutenus par des conspirationnistes blancs qui prétendaient que l’injection du vaccin introduisait une puce électronique dans le sang, mais aussi par des organisations nationalistes noires, telles que Nation of Islam, qui considérait que la vaccination était une « déclaration de guerre » contre la population noire.

Ce qui manquait cruellement, c’était une organisation ayant du poids dans la classe ouvrière et dénonçant la responsabilité de la bourgeoisie et de son État dans la dégradation et l’appauvrissement du système de santé, ne lui laissant que le levier des restrictions sur la population pour combattre le virus. Aucune organisation ayant du poids dans la classe ouvrière ne s’est adressée aux travailleurs pour leur expliquer l’intérêt de la vaccination et reconnaître la légitimité de leur méfiance vis-à-vis d’un vaccin développé par les laboratoires pharmaceutiques et de leur crainte d’être traités comme des cobayes.

Oui, nous avons dit tout cela dans notre matériel de propagande, dans nos bulletins et nos tracts, et par l’intermédiaire de nos candidats, qui continuent de s’exprimer après les élections. Mais, dans ce pays qui a la dimension d’un continent, nous sommes à peine plus grands que la fameuse goutte d’eau dans l’océan.

Rapide discrédit des démocrates au pouvoir

Dans la mesure où nous pouvons en juger, Biden a perdu une bonne partie des soutiens dont il a bénéficié avant son élection. Certes, les prochaines élections présidentielles n’ont lieu que dans presque trois ans. Et les démocrates peuvent se consoler aujourd’hui du fait que Trump n’arrive pas à faire beaucoup plus que 40 % dans les sondages. Mais les sondages les plus récents montrent aussi que les intentions de vote en faveur de Biden sont maintenant en dessous de 30 %, voire de 25 %, soit plus bas que les scores les plus bas attribués à Trump. Les sondages n’ont pas été très fiables lors de l’élection de 2020, mais leur erreur a été de sous-estimer les soutiens de Trump. Aujourd’hui, rien ne laisse penser qu’ils surestiment ces soutiens. Et il est évident qu’une importante minorité de la population continue de penser que Trump a gagné l’élection.

De fait, l’élection de 2020 a montré qu’une part importante des classes moyennes a peur de Trump, bien plus qu’elle n’a traduit un soutien effectif à Biden. Il s’agit de la base traditionnelle du Parti républicain qui a voté démocrate à cause de Trump – c’était déjà un peu le cas en 2016, et encore plus en 2020. Il s’agit de gens aisés, éduqués, qui ont des « bonnes manières », habitant le plus souvent dans des banlieues cossues, qui ont été choqués par l’attitude de Trump. Plus les démocrates chercheront à conserver cette base électorale, plus ils décourageront les travailleurs qui avaient voté pour eux – quand ils votaient.

Et, malgré toutes les gesticulations de Biden sur les nouveaux programmes qu’il essaie de faire adopter par le Congrès, les travailleurs n’en voient pas la couleur.

Droite extrême et soutiens capitalistes

Aujourd’hui, le climat politique aux États-Unis semble plus favorable à la droite, c’est-à-dire d’abord aux républicains, mais également, dans une certaine mesure, à l’extrême droite.

Certes, l’extrême droite aux États-Unis est quelque peu marginale. Mais il y a également un milieu de droite affirmée bien plus large, assez cohérent. Les mêmes groupes et forces qui se sont opposés aux vaccins, aux masques et aux autres mesures de santé publique se retrouvent également sur d’autres sujets. Ils veulent privatiser les écoles publiques, soutiennent les mesures anti-avortement adoptées par plusieurs États fédérés, s’opposent à l’immigration, soutiennent le droit individuel à « porter une arme » et, aujourd’hui, ils cherchent à transformer en héros Kyle Rittenhouse, qui vient juste d’être acquitté alors qu’il a tué deux personnes [lors d’une manifestation de Black Lives Matter, en août 2020, à Kenosha dans le Wisconsin, NDLR]. Ils sont contre les mesures visant à protéger l’environnement, et notamment toute restriction de l’exploration pétrolière et de l’extraction du charbon. Ils soutiennent les policiers qui tuent des civils. Ils épluchent les livres scolaires pour les censurer. Et nombre de ces causes, en l’absence d’autres, bénéficient du soutien de pans de la population laborieuse, certainement davantage de sa frange blanche, mais pas uniquement.

Ces objectifs réactionnaires, qui semblent juste être dans l’air du temps, ne sont pas sortis de la tête des gens : ils font partie d’une même vision du monde profondément ancrée à droite, qui a reçu le soutien du grand capital.

Cela fait longtemps que l’argent coule à flots des grandes entreprises vers des fondations qui, par exemple, ont financé des initiatives légales pour empêcher les campagnes de syndicalisation ou pour priver les syndicats des cotisations de leurs adhérents. Mais ils ont aussi pris en charge les frais de justice de Kyle Rittenhouse, ou de flics accusés d’avoir assassiné des civils. Ils financent des actions de lobbying et des manœuvres législatives destinées à empêcher l’adoption de réglementations visant à limiter les accidents du travail ou les dommages environnementaux. Ils financent également des lois destinées à réduire les effectifs dans la santé publique et à privatiser la poste. Mais beaucoup d’entre eux ont également soutenu financièrement des organisations impliquées dans l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021, comme les Oath Keepers (« ceux qui ont prêté serment ») ou les Proud Boys (les « fiers garçons »), ou encore les milices qui voulaient kidnapper la gouverneure démocrate du Michigan. Une grande partie des fonds qui ont soutenu la campagne de Trump « Stop the steal » (« Arrêtez le vol »), après l’élection de 2020, venait de plusieurs de ces fondations.

Ces actions ne sont pas soutenues par toute la bourgeoisie, mais un certain nombre de multimilliardaires les soutiennent. Le Charles Koch Institute, par exemple, a soutenu financièrement à un moment ou à un autre toutes ces « causes » de la droite dure ; il est financé par les profits de Koch Industries, dont les usines produisent entre autres des gobelets en papier, des produits chimiques, du kérosène, des fertilisants, du matériel électronique et du papier toilette. De l’argent pour les mouvements d’extrême droite vient également d’autres fondations mises en place par le fondateur d’un fonds spéculatif, ou encore par le responsable d’un groupe de la métallurgie, par la chaîne de supermarchés Wal-Mart, par un fabricant de matériel électronique, par une compagnie pétrolière – et directement par AT & T.

Les réactions face à l’extrême droite

Il y a toujours eu aux États-Unis des mouvements comme ceux qui ont envahi le Capitole le 6 janvier. Le Ku Klux Klan, les milices, d’autres forces paramilitaires, les suprématistes blancs ont toujours fait partie du paysage – de manière plus ou moins ouverte, plus ou moins violente, mais toujours prêts à s’engouffrer dans une brèche comme celle que Trump leur a offerte. Le danger ne vient pas tant de ces forces ; il tient à l’absence d’une organisation politique de la classe ouvrière, qui s’appuie sur les forces et représente les intérêts de celle-ci. Il faut reconnaître que la situation politique actuelle n’est pas entièrement dominée par la droite. Même si la vague de manifestations qui a déferlé à l’échelle nationale en 2020 après l’assassinat de George Floyd a reflué, elle reste encore présente dans les têtes. Et il y a encore des gens qui ont toujours milité localement pour organiser la résistance et manifester quand quelque chose arrive, comme, toute l’année, les manifestations dans l’État rural de Géorgie, qui ont permis de faire condamner trois racistes qui avaient assassiné Ahmaud Arbery.

Et les réactions ouvrières

Nous avons également vu quelques grèves – certes peu nombreuses pour l’instant, mais des grèves qui semblent prendre la suite de celle de General Motors en 2019, avec des travailleurs prêts à continuer la lutte jusqu’à arracher au moins la satisfaction d’une partie de leurs revendications. Et c’est cette agitation au sein de la classe ouvrière qui apporte la réponse non seulement aux problèmes immédiats des emplois et des salaires, mais aussi au danger que constitue, pour l’unité de la classe ouvrière, une extrême droite organisée.

Notre activité en temps de Covid

C’est la situation dans laquelle nous militons au quotidien. Comme vous tous, nous avons dû trouver le moyen de continuer à militer malgré les restrictions dues au Covid. À Los Angeles, en raison de la météo en général ensoleillée, nous avons pu continuer à organiser nos réunions publiques en plein air… en tout cas tant qu’il n’y avait pas d’incendies ! À Detroit et à Chicago, nous avons pu avoir des activités en extérieur aussi, jusqu’à ce que nos nez commencent à geler ! Dans les usines, le travail a rapidement repris comme avant, et il a continué dans de nombreux bureaux. Mais, dans l’administration des États, la plus grande partie du travail a été et continue à être effectuée par les travailleurs… chez eux. Alors nous avons dû trouver des moyens, par courriel et par d’autres canaux sur Internet, pour poursuivre nos bulletins. En fait, il a semblé plus difficile de trouver ces ajustements lors de la première vague du Covid que cela ne l’a été par la suite. Et nous avons également découvert que, si certaines personnes évitaient tout contact, bien plus recherchaient le contact, du fait de toutes les restrictions. Même si de nombreux syndicats ont annulé leurs réunions publiques, le fait que nous continuions le travail autour des bulletins nous ouvrait des portes. Et il y avait une activité syndicale sur site. Dans l’État du Michigan, l’Assemblée législative a adopté une mesure restreignant la liberté syndicale : il fallait désormais que chaque travailleur adhère chaque année à nouveau au syndicat, en se rendant physiquement à l’administration de l’État pour enregistrer cette intention, et autorise l’État à prélever la cotisation syndicale du salaire. Cette mesure a contraint le syndicat à agir un peu comme un syndicat, à discuter des avantages de s’organiser syndicalement. Notre camarade a trouvé le moyen de discuter individuellement avec les travailleurs de la région qu’il représente dans le syndicat, que ce soit par téléphone, par courriel ou par visioconférence, et il a amené d’autres délégués syndicaux à faire de même. Cela leur a permis de surmonter la distance imposée.

Nos campagnes électorales

Enfin, il y a eu la campagne pour l’élection de 2020 à Baltimore et à Detroit. Les camarades de Chicago ont fait campagne dans l’ouest de l’État du Michigan. C’était l’année dernière, et nous n’allons pas revenir sur tout ce qui s’est passé. Mais cette campagne était importante, car elle nous a permis de continuer à militer dans la période la plus difficile, et cela a eu un impact sur notre travail d’aujourd’hui. Quels qu’aient été les moyens utilisés – visioconférence, activités en extérieur, réunions dans des locaux privés mis à disposition par des sympathisants, campagnes dans les rues ou devant les usines – les élections nous ont permis d’avoir une audience bien plus importante pour parler des problèmes de la classe ouvrière, et de revenir encore et toujours sur la nécessité que la classe ouvrière construise son propre parti politique. Bien que l’élection ait été dominée par Trump, nous avons de nouveau permis aux travailleurs d’exprimer leur accord sur cette nécessité, et nous avons obtenu plus de voix qu’en 2018. Au Michigan, nous avons pu ajouter deux candidats à la liste de 2018 du Working Class Party. Au Maryland, le Working Class Party a pu se présenter pour la première fois.

Ce travail va continuer en 2022, avec en plus Chicago, où nous avons réussi à constituer une liste Working Class Party. Trois petites campagnes dans seulement trois États, dans un si grand pays… ce n’est pas beaucoup, mais c’est bien plus que ce qu’il y avait avant que nous commencions.

Workers’Fight (Grande-Bretagne)

Commençons par évoquer la réaction de Boris Johnson à la noyade des migrants dans la Manche. Sa ministre de l’Intérieur, Patel, avait proposé que leurs canots pneumatiques soient arrêtés et reconduits en France par des bateaux policiers. Suivant la même logique, Johnson a twitté une lettre appelant la France à reprendre tous « ses » réfugiés. Sans surprise, Macron a riposté dans le même esprit en interdisant à Patel de participer à la réunion de crise de l’UE sur ce sujet.

La guéguerre nationaliste enclenchée autour des problèmes insolubles produits par le Brexit, comme l’Irlande du Nord et la pêche, se concentre désormais sur le sort de ces « damnés de la terre » : ces réfugiés qui essayent de se rendre en Grande-Bretagne par les seuls moyens que leur laissent les criminels au gouvernement. Johnson et Macron se valent – on dirait deux monstres de dessin animé. Sauf que leur politique est meurtrière. Dans le cas de Johnson, le populisme nationaliste, anti-français et ouvertement anti-immigré, remonte au référendum sur le Brexit en 2016. Et il continue sur sa lancée.

Catastrophe sanitaire… et sociale

Rappelons que la politique criminelle du gouvernement a fait de la Grande-Bretagne l’un des pays au monde avec le plus grand nombre de morts du Covid. Pour se faire valoir, Johnson ne dispose que du prétendu « grand succès » de la campagne vaccinale. Sur ce thème, il en a fait des tonnes. Ce sont de toute façon les intérêts de la classe capitaliste qui ont façonné sa politique sanitaire. Maintenant, pour couvrir ses échecs en série, il se vante de la campagne en cours pour une troisième dose. Elle ne renforcera probablement pas l’immunité contre le variant Omicron. Mais elle augmentera à coup sûr les profits des capitalistes.

En juillet dernier, Johnson a supprimé toutes les restrictions anti-Covid, et les taux d’infection ont de nouveau battu des records. Johnson, bien sûr, prétend que cette décision est à l’origine de l’apparente reprise économique. Pour éviter les erreurs de 2020-2021, des interdictions de voyager et de nouvelles restrictions, partielles, contre Omicron ont été annoncées en urgence. Il faut bien sauver les bénéfices escomptés à Noël !

Le Covid occupant le devant de la scène, la réalité sociale est cachée. Comme vous le savez, il y a une pénurie dramatique de main-d’œuvre en Grande-Bretagne, révélée au grand jour lorsque les stations-service se sont retrouvées à sec en raison du manque de chauffeurs de camion. Alors, aujourd’hui, le Financial Times se demande : « Où sont passés tous les travailleurs ? » La pénurie de plus de 200 000 travailleurs dans la santé et les services sociaux est à peine mentionnée, car elle ne peut l’être, alors que le système de santé est en train de s’effondrer. La liste d’attente des hôpitaux s’élève, chiffre inimaginable, à 6 millions de malades. La combinaison « grippe hivernale plus Covid » signifie que des patients meurent à la maison, en attendant l’ambulance, ou à l’intérieur d’une ambulance, en attendant un lit à l’hôpital.

Les effets additionnels du Brexit

La principale cause des pénuries est le Brexit. Il est écœurant d’entendre les politiciens se féliciter du fort taux d’emploi alors que tout le monde prédisait un chômage en augmentation avec la fin du financement du chômage partiel par l’État en septembre. En fait, le nombre élevé de postes vacants non pourvus est presque exactement égal au nombre des travailleurs qui sont rentrés en Europe.

Pour tous les travailleurs, le coût de la vie augmente fortement. C’est à eux qu’on fait payer le « trou noir » dans le budget de la santé et la facture du Covid. Et, comme partout, le coût de l’énergie monte en flèche. L’inflation officielle est déjà de 6 %.

Il n’est pas étonnant que Johnson baisse dans les sondages. Le mois dernier, il est même tombé 3 points en dessous du chef du Parti travailliste, Keir Starmer, lui-même très peu populaire, qui se voit en nouveau Tony Blair. Le scandale autour des manœuvres de Johnson au Parlement pour tenter de protéger un député conservateur corrompu a bien sûr contribué à cette baisse.

Libertarisme… et béquille étatique

Lorsque nous disions, au lendemain des élections de décembre 2019, que le gouvernement Johnson serait le gouvernement conservateur le plus à droite de tous les temps, nous n’avions alors pas pleinement conscience du type de libertarisme qu’il représentait. Mais, pendant la pandémie, nous l’avons vu à l’œuvre… Cette liberté pour les individus de faire ce qu’ils veulent, ou plus précisément pour les patrons de s’empiffrer avec l’argent public, l’emporte sur les intérêts de la société dans son ensemble, et évidemment sur les intérêts de la classe ouvrière. Et, bien entendu, les choix de Johnson sont toujours dictés par la pêche aux voix.

En ce qui concerne la nécessité d’un « État fort », c’est-à-dire d’une intervention d’envergure pour aider la classe capitaliste, Johnson a dû effectuer une volte-face sans précédent, aux antipodes des choix traditionnels des conservateurs. Ainsi, on assiste à une recentralisation de la gestion des chemins de fer, à un retour à un certain contrôle public, après des années de privatisation et de fragmentation. Bien sûr, c’est d’abord pour sauver les entreprises concernées. Mais, sans l’intervention du gouvernement, les trains s’arrêteraient. En ce sens, la pandémie a offert une excuse utile à ce gouvernement conservateur censé prôner le « moins d’État ».

Résistances ouvrières

Dans tout cela, où en est la classe ouvrière ? Dans l’usine BMW d’Oxford, où sont produits des véhicules électriques et où une grande partie des travailleurs sont intérimaires, l’esprit de résistance s’est accru pendant la pandémie. Les premiers mini-débrayages ont été le fait, non pas du noyau des embauchés, mais des sous-traitants de la logistique. De petites grèves sur les salaires ont eu lieu, souvent dans des entreprises de taille moyenne, ainsi que dans les transports (bus et train). Actuellement, les conducteurs du métro de Londres sont engagés dans une grève pour défendre leurs emplois et leurs conditions de travail. Comme toujours, les grèves sont sectorielles, souvent symboliques, et il n’y a pas de présence militante pour les pousser plus loin. Pour raviver les illusions, le plus grand syndicat corporatiste, Unite, a une nouvelle secrétaire générale, pour la première fois une femme, qui prétend qu’elle va « reconstruire à la base » ; la gauche britannique a soutenu sa campagne, afin de contribuer aux illusions.

Quant à l’extrême gauche, elle ne s’est pas encore remise du coup reçu l’an passé : l’éviction par le Parti travailliste de son leader, Jeremy Corbyn. Ils avaient tous attaché leur bannière à son mât. Maintenant qu’il est tombé, les voilà à la recherche de nouveaux mâts…

Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)

La coalition SPD-Verts-libéraux

Le week-end des 4 et 5 décembre se tenaient les congrès des partis pour entériner officiellement la nouvelle coalition gouvernementale, avec comme chancelier Olaf Scholz du Parti social-démocrate (SPD). Il y a un an encore, cela semblait inimaginable, tellement ses scores étaient bas.

Mais la CDU s’est d’abord livrée à une foire d’empoigne pour choisir son candidat à la succession de Merkel, puis en a présenté un, Armin Laschet, qui a réussi à afficher si ouvertement son carriérisme, son incompétence et son mépris social qu’en six mois la CDU a chuté de 36 % à 24 %. Cela a finalement permis au SPD de gagner de justesse les élections.

Scholz sera donc chancelier. Il a déjà gouverné huit ans dans des gouvernements de Merkel, d’abord en tant que ministre de Travail, où il a mis en place la retraite à 67 ans, puis en tant que ministre des Finances.

Le gouvernement qu’il est en train de former est une coalition de trois partis : le SPD, les Verts et le parti libéral FDP. Ce dernier est le porte-parole caricatural des patrons, son leitmotiv étant la prétendue « défense des libertés individuelles » contre toute « ingérence de l’État », que ce soit en matière de salaires, de taxes ou de normes écologiques. Même une limitation de vitesse sur les autoroutes est pour lui une atteinte insupportable à la liberté. Son programme électoral était donc assez opposé à celui du SPD et des Verts, ce qui ne les a pas empêchés de s’unir pour gouverner.

Attaques antiouvrières et prétextes écologiques

Parmi ses premières mesures, la nouvelle coalition annonce la mise en cause de la journée de huit heures et du repos obligatoire de onze heures entre deux journées de travail, l’introduction d’un début de retraite par capitalisation et la poursuite de la privatisation des chemins de fer. Mais le cœur de son programme, ce sont d’énormes cadeaux au patronat, de l’ordre de 500 milliards d’euros sur dix ans. Le prétexte ? L’aider dans la transition écologique.

Le soi-disant « combat contre le changement climatique » est l’étiquette que s’est donnée la nouvelle coalition. Ce sujet avait déjà dominé toute la campagne électorale. Autrement dit : les attaques contre les travailleurs et autres mesures propatronales seront avant tout justifiées par l’écologie. Le ministère de l’Économie, transformé en « ministère pour l’Économie et la Protection du climat », est confié à un dirigeant des Verts, de même que les Affaires étrangères, dont la ministre est officiellement chargée d’aider l’industrie allemande à exporter ses « technologies vertes » de pointe.

De la part des patrons aussi, la conversion énergétique est devenue le prétexte numéro un des plans de licenciements et des fermetures d’usines dans les secteurs clés de l’économie allemande : automobile et acier, construction mécanique, secteur de l’énergie. De Bosch à Continental, de ThyssenKrupp à Siemens, tous annoncent des fermetures d’usines, des plans de licenciements et d’autres attaques au nom de la transformation écologique.

Complicités syndicales sans limites

Les directions syndicales les y aident activement. Dans la métallurgie, IG Metall explique par exemple que la transition écologique créerait nécessairement de longues phases de sous-activité et que, pour éviter les licenciements, il faudrait réduire temporairement le temps de travail, à 32 heures, mais avec réduction de salaire. IG Metall a donc organisé des débrayages massifs dans les usines, qui ont « imposé » que les patrons aient le droit de diminuer le temps de travail et les salaires quand cela les arrange, ce qui ne les empêche évidemment pas de licencier en plus.

Et, le 29 octobre, IG Metall a mobilisé 50 000 travailleurs à travers le pays pour exiger du gouvernement 500 milliards d’euros d’aides pour le patronat – seule garantie selon IG Metall pour éviter les licenciements avec la transformation écologique. Il fallait oser revendiquer des aides pour le patronat, à un moment où l’industrie allemande, malgré la baisse de production liée notamment au manque de pièces, affiche des profits records, et où l’exemple de Daimler, qui distribue de généreux dividendes en même temps qu’il encaisse des milliards de subventions et se fait payer le chômage partiel tout en supprimant massivement des emplois, a vraiment indigné.

Une politique favorable à l’extrême droite

En absence d’une perspective de classe, c’est l’extrême droite qui essaie de se positionner en porte-parole de toutes les petites gens accablées par la hausse des prix et les licenciements. Elle a fait campagne en en rendant responsables les mesures sur le climat et les Verts. Un groupe fascisant portant le nom de Troisième chemin avait même des affiches « Pendez les Verts ». Il faut dire que cette propagande de l’extrême droite prend un peu dans une fraction des classes populaires. Dans nos activités, on rencontre par exemple des retraités très pauvres, pris à la gorge par l’explosion des prix, et qui en rendent responsables… les jeunes qui militent pour le climat. La classe ouvrière se trouve donc piégée entre gouvernement, patronat et syndicats d’une part, qui l’attaquent sous prétexte de sauver l’humanité, et d’autre part l’extrême droite, qui fait semblant de la défendre avec des idées encore plus dangereuses.

Ripostes ouvrières

Ce dilemme, on le retrouve dans les agissements politiques autour de la pandémie, dont la vague actuelle est pire que celles d’avant. Pour la première fois, des malades doivent être transférés dans d’autres régions. Cette situation est encore aggravée par le fait qu’il y a cette année 4 000 lits de soins intensifs en moins, pendant que le gouvernement continue à fermer des hôpitaux. Toute cette situation a créé un petit climat de contestation dans les hôpitaux, ce qui s’est vu récemment lors des négociations salariales dans les CHU. Au lieu de faire un ou deux jours de débrayages ritualisés, comme d’habitude, une partie des salariés ont poussé pour faire grève deux, trois ou quatre jours d’affilée, en refaire la semaine d’après, etc., pour exprimer leur révolte contre les conditions de travail et les salaires insuffisants. Les dirigeants politiques et les médias les traitaient d’irresponsables, car ils faisaient grève en plein regain de la pandémie, mais n’ont par là fait qu’attiser l’indignation.

Un épisode qui est caractéristique de l’attitude du gouvernement depuis l’automne dernier a eu lieu à Pâques. Pour endiguer une nouvelle vague, il avait annoncé prolonger le week-end de Pâques, c’est-à-dire tout arrêter, même les usines, pendant cinq jours. Les ouvriers, qui auraient eu quelques jours de congés payés supplémentaires, étaient évidemment contents. Mais, à peine l’annonce faite, il y eut une réunion avec les patrons de l’automobile, suite à laquelle le gouvernement a retiré cette mesure et à la place il appelait les gens à être responsables et à éviter les contacts… pendant les jours fériés. La meilleure réponse fut donnée par des travailleurs d’Amazon qui, en guise de journées de congés supplémentaires, ont fait grève ces jours-là.

Nous, évidemment, nous mettons en lumière tous ces exemples pour donner une perspective de classe autour de nous. Mais, en dehors du milieu que nous pouvons toucher, la seule alternative offerte à la classe ouvrière c’est le choix entre la logique des patrons et partis politiques qui imposent leur gestion irresponsable de la pandémie et qui l’utilisent pour justifier des attaques – et celle de l’extrême droite.

Après s’être érigée à l’été 2020 comme le porte-parole politique des manifestations anti-masques, l’extrême droite a fait de la lutte contre toute mesure sanitaire et contre les vaccins son deuxième cheval de bataille. Et, même si cela n’a pas vraiment été payant sur le plan électoral, cela a des conséquences. Les régions où l’extrême droite est particulièrement forte sont aussi les régions où le taux de vaccination est au plus bas, en dessous de 60 % comme en Saxe. Si la discussion actuelle du gouvernement autour d’une obligation vaccinale générale provoque des réactions, il y a de fortes chances que les réactions se produiront justement dans ces régions-là, et l’extrême droite sera donc en meilleure position pour en profiter. De plus, la campagne agressive anti-masques et anti-vaccin a rapproché de l’extrême droite de nouveaux nervis prêts à agir, comme cet homme qui a assassiné un employé de station-service pour la simple raison que celui-ci lui demandait de mettre son masque.

Gauche réformiste… anti-immigrés

Quant à Die Linke, sa porte-parole la plus connue et longtemps considérée comme la plus à gauche, Sahra Wagenknecht, a fait scandale en publiant un livre dans lequel elle reproche à son parti de suivre les courants écolos et petits-bourgeois et de mépriser les vraies préoccupations de la classe ouvrière. Quelle alternative propose-t-elle ? Des déclarations où elle refuse de se faire vacciner, et un soi-disant programme de défense des travailleurs qui revendique notamment… la fermeture des frontières aux migrants et aux travailleurs détachés. L’extrême droite n’a d’ailleurs pas raté l’occasion d’affirmer son accord sur ce point.

C’est justement de ces travailleurs détachés ou immigrés que sont venues cette année quelques réactions sortant de l’ordinaire. Dans les abattoirs, les clusters de Covid avec des milliers de malades et plusieurs morts ont attiré l’attention sur les conditions de travail de ces ouvriers, qui sont quasiment tous des travailleurs détachés de Bulgarie et de Roumanie. Face à l’indignation générale, le gouvernement a imposé aux patrons d’embaucher directement ces travailleurs, sans passer par des sous-traitants. Mais ce changement de statut ne changeait rien à leur exploitation. Des centaines d’entre eux se sont alors mis en grève dans différents endroits et ont imposé un salaire minimum de 11 euros et une convention collective. Et depuis il y a eu plusieurs grèves spontanées pour imposer son application.

Lutte de travailleurs immigrés

Par ailleurs, il y a un mouvement des travailleurs, immigrés et précaires, qui livrent à vélo les courses à domicile. À Berlin, après quelques débrayages spontanés, ils se sont organisés et ont fait grève dans plusieurs entrepôts début octobre, se rassemblant en assemblée générale pour voter leurs revendications. En Allemagne, faire grève comme ça, sans appel d’un syndicat qui a défini par avance les revendications, c’est simplement illégal. Ces travailleurs immigrés n’étant pas « intégrés » dans ce système allemand, ils ont eu moins de mal à franchir cet obstacle juridique et ont tout simplement fait grève comme ils le connaissaient de chez eux. Peut-être aussi par peur que cela puisse donner des idées à d’autres travailleurs, le patron a réagi brutalement en licenciant 350 grévistes. Mais pour le moment cela n’a pas étouffé la contestation.

Sur un autre plan, dans la foulée du mouvement contre la hausse massive des loyers à Berlin, un référendum d’initiative populaire revendiquant l’expropriation des grandes sociétés immobilières a obtenu en septembre 56 % des voix des Berlinois. On devine bien que ce vote ne sera pas appliqué, mais il est intéressant pour nous. En Allemagne, avec l’anticommunisme toujours fortement ancré, de telles idées et ce vocabulaire provoquent habituellement méfiance et rejet, pouvant rappeler aussi l’Allemagne de l’Est. Cette fois, l’avidité brutale des trusts immobiliers a vaincu ces préjugés, convainquant les manifestants que, face aux « requins de l’immobilier », seules des solutions radicales auraient une efficacité.

Lutte ouvrière (La Réunion)

À La Réunion, le mouvement de révolte aux Antilles n’occupe pas une place de premier plan dans les médias. En revanche, dans la population, parmi les travailleurs, les grèves, les barrages, les réactions de jeunes en Guadeloupe et en Martinique attirent de la sympathie et font discuter.

Ce qui revient assez souvent, ce sont des phrases ou des propos du genre : « Les Antillais, eux, sont solidaires, contrairement à nous les Réunionnais » ; « Nous devrions faire pareil ». Mais, pour l’instant, il n’y a pas eu de réactions concrètes venant de la population ou des jeunes, contrairement aux mouvements gilets jaunes, où le mot d’ordre national avait été relayé tout de suite à La Réunion.

Lors d’une réunion de militants de la CGTR de la région Est, nous avons proposé d’envoyer une motion de soutien à la CGTG. Le samedi suivant, nous avons tenu le 6e congrès de la CGTR Est, au cours duquel nous avons à nouveau apporté notre soutien en présentant une motion de soutien aux travailleurs et aux camarades des Antilles, qui a été adoptée à l’unanimité des 65 congressistes.

Une camarade d’origine guadeloupéenne, retraitée des hôpitaux, qui a milité à la CGT en métropole, est intervenue pour apporter un témoignage poignant sur la situation en Guadeloupe, en particulier sur l’hôpital, les problèmes de l’eau et sur le scandale du chlordécone.

De son côté, l’intersyndicale, CGTR, FSU, FO et un syndicat autonome d’enseignants du premier degré, a appelé à un rassemblement qui a réuni une petite centaine de personnes dimanche dernier à Saint-Denis. Ce rassemblement a surtout été marqué par des altercations avec les anti-vaccins reprochant aux syndicalistes d’avoir été absents des mobilisations contre la vaccination obligatoire et le passe sanitaire des samedis des mois d’août et septembre, et de complicité avec les patrons et le gouvernement.

La baisse de pouvoir d’achat est au cœur des discussions et des préoccupations des classes populaires à La Réunion. Mois après mois, les augmentations continues des produits de première nécessité réduisent le pouvoir d’achat des travailleurs et de ceux qui ont des faibles revenus, comme les étudiants. En effet les étudiants de La Réunion ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Le nombre de ceux qui fréquentent les boutiques « solidarité » ou ont recours à des colis alimentaires est en constante augmentation. Aujourd’hui, un élève boursier touche environ 560 euros par mois. Quant aux non-boursiers, ils ne sont pas forcément mieux lotis, car souvent les revenus des parents ne permettent pas de venir en aide à leurs enfants. Le 23 octobre dernier, pas moins d’un millier d’étudiants, boursiers et non boursiers, de la fac de Saint-Denis sont venus à l’opération solidarité organisée par le syndicat Unef. La paupérisation grandit.

Pendant la crise, les capitalistes de La Réunion, en particulier ceux de la grande distribution, qui soit dit en passant appartient en grande partie aux békés antillais du groupe Hayot, continuent à faire d’énormes profits avec l’aide de l’État et des collectivités locales, notamment de la région, qui leur distribuent des millions, voire des milliards en cadeaux.

Depuis les dernières élections, la région a basculé à gauche, avec à sa tête Huguette Bello, ex-dirigeante du PCR. Le fiasco de la NRL, la Nouvelle route du littoral, réputée être la plus chère du monde alors que pour l’instant elle n’aboutit nulle part, et les surcoûts à envisager pour la terminer ont contribué à faire chuter la droite. Au lendemain de son élection à la région, Huguette Bello a, dans une envolée lyrique, rendu hommage à ses ex-compagnons de lutte, au PCR et à la CGT. Elle a aussi fait le geste symbolique de supprimer les indemnités pour les élus siégeant dans divers organismes et affirmé qu’il faut « corriger les inégalités », « avoir conscience des oligarchies, d’une minorité qui écrase les autres ». Mais, une fois passés les discours à destination des classes populaires, la nouvelle présidente régionale est passée aux actes de soutien sonnants et trébuchants aux chefs d’entreprise, avec qui il faut, dit-elle, avoir de bons rapports. Bref, un langage et une politique pas bien éloignés de l’ancien président de droite.

Les luttes des travailleurs

Il y a eu des grèves et des manifestations dans certaines boîtes et un peu plus largement dans des secteurs d’activités comme les hôpitaux ou le service des aides à la personne, contre les licenciements, les suppressions de postes et bien sûr le passe sanitaire. Comme en métropole, il y a eu des manifestations et des défilés tous les samedis à Saint-Pierre dans le sud et à Saint-Denis, qui ont rassemblé parfois plus de 2 000 personnes. Dans l’ensemble, notamment à Saint-Pierre, ce sont les slogans en faveur de la « liberté », de la « démocratie » qui ont dominé. Mais pas seulement. À Saint-Denis, on a vu des soignants, des pompiers aussi, dans les cortèges qui ont dénoncé les sanctions, le manque de personnels et de moyens, etc. Nous nous y sommes rendus à plusieurs reprises avec notre journal, des panneaux et des drapeaux LO. Mais le mouvement a assez vite perdu de l’ampleur et seuls quelques irréductibles anti-vax ont continué à quelques dizaines à se rassembler dans ces deux villes jusqu’à fin octobre.

Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d’Ivoire)

L’aggravation de la situation socio-économique

D’année en année, les conditions d’existence des travailleurs et des couches populaires ne cessent de se dégrader. Le coût de la vie continue désespérément d’augmenter avec la flambée des prix, alors que les salaires sont bloqués et les revenus des populations pauvres au plus bas.

À Abidjan

Le prix des loyers dans les quartiers populaires et les bidonvilles d’Abidjan ont augmenté de manière vertigineuse. Cela vient du fait que de nombreux quartiers, se trouvant sur le passage des eaux pluviales, sont littéralement rasés depuis plusieurs années. D’autres, parce qu’ils sont implantés sur le passage de nouvelles routes, ou encore à cause de l’élargissement des voies déjà existantes. Il y en a aussi qui sont détruits tout le long de la ligne du nouveau métro aérien en construction, sans compter les terrains accaparés et cédés notamment aux promoteurs immobiliers.

Du coup, là où le loyer était par exemple à 15 euros, il s’élève jusqu’à 80 euros. Les demandes de logements sont telles que beaucoup de propriétaires dans les quartiers pauvres en profitent pour chasser les locataires existants en vue d’augmenter ensuite le loyer.

La ville d’Abidjan ne cesse de s’agrandir. Elle est devenue une vraie mégalopole s’étendant sur des dizaines de kilomètres. Il y a plus de 6 millions d’habitants. Les conséquences, ce sont les bouchons à n’en plus finir. Les propriétaires de gbaka et de wôrô-wôrô, qui sont les véhicules de transport en commun, en profitent aux heures de pointe pour diviser un trajet unique en plusieurs étapes. Ce qui multiplie d’autant le coût du transport. Beaucoup de travailleurs sont obligés de se lever à 3 heures du matin et d’attendre tard dans la nuit pour rentrer dans leur quartier. Cela leur évite le surcoût et aussi les longues queues et les bousculades dans les files d’attente. Sinon, il reste la marche à pied ou la bicyclette, un mode de locomotion très dangereux à Abidjan.

Le taux de chômage est tel que, dans les zones industrielles, même pour avoir un travail très mal payé (entre 6 et 7 euros par jour), les travailleurs sont rançonnés de l’équivalent de 60 à 120 euros (comme dessous-de-table) juste pour une période de 6 mois et dans des conditions infernales. Après quoi, il faut payer à nouveau la même somme pour espérer avoir un nouveau contrat.

À l’intérieur du pays

Dans les villes et villages de l’intérieur, ce qui frappe, aussi bien au sud, à l’ouest qu’à l’est, qui sont des régions pluvieuses et fertiles, c’est le manque de plus en plus criant de produits maraîchers, même les plus courants tels que la tomate ou l’oignon. Ils sont de plus en plus importés.

Cette situation s’explique par le fait que la production vivrière est de plus en plus délaissée au profit des cultures de rente. Du coup, les paysans n’arrivent pas à alimenter les villes environnantes et sont eux-mêmes souvent obligés de tout acheter. Il arrive souvent que certains produits vivriers soient acheminés depuis Abidjan, où on les trouve à meilleur prix. L’igname pousse aussi beaucoup dans ces régions, mais son prix au kilo est en gros le même que celui du riz, qui reste finalement plus avantageux et permet de nourrir plus de bouches.

La terre et la main-d’œuvre ne manquent pas pour nourrir le pays, mais elles sont accaparées par les cultures d’exportation telles que le palmier, l’hévéa, le cacao ou le café, dans les régions pluvieuses ; coton et anacarde dans les régions de savane, au nord et au centre. Cette situation rend la paysannerie de plus en plus dépendante du marché mondial et des intermédiaires de la filière qui va du petit acheteur jusqu’au gros exportateur.

Au centre et au nord, qui sont des régions de savane, il y a une demande accrue de main-d’œuvre à cause d’une ruée vers l’or. En effet les gisements d’or ont été découverts dans certaines parties de ces régions. L’ampleur est telle que le gouvernement n’arrive pas à limiter le nombre d’orpailleurs dits clandestins. Mais, à côté, il y a de grandes multinationales australo-anglo-canado-américaines ou sud-africaines qui ont de très gros moyens d’extraire de l’or et qui bénéficient de la protection de l’État ivoirien. Tous les notables y trouvent leur compte, à travers divers dons et autres avantages.

L’engouement pour l’or est actuellement tel que beaucoup de paysans dans ces régions cèdent leurs parcelles aux orpailleurs. En contrepartie, il y a un certain partage qui se fait entre les différentes parties. Actuellement, le propriétaire terrien, le village et les ouvriers en tirent chacun 2 000 FCFA par gramme d’or. Ce revenu est supérieur à ce que touche un ouvrier agricole. La ruée y est telle que même les orpailleurs ne trouvent pas assez de main-d’œuvre. Il y a donc un afflux venant du Burkina voisin, où la main-d’œuvre est abondante et prête à travailler au fond des puits dans des conditions absolument dangereuses et pénibles.

Ce manque de main-d’œuvre est aussi accentué par l’augmentation continue des productions des cultures d’exportation, qui demandent toujours plus de bras. Une grande partie de ces productions reste encore paysanne ou le fait de petits planteurs. Une production qui ne permet pas la mécanisation. Le passage de cette culture artisanale à la production industrielle n’est pas possible à cause d’énormes problèmes fonciers qui ne sont pas résolus jusqu’à présent, malgré l’aide financière de la Banque mondiale depuis plusieurs années.

En attendant, cette demande accrue de main-d’œuvre met les ouvriers agricoles en meilleure position pour négocier en faveur d’un travail à la tâche au lieu d’une rémunération journalière. Ils peuvent ainsi multiplier leur revenu par 3 à 4. Il n’en reste pas moins que c’est un salaire de misère. Le grand planteur peut s’en sortir, mais il n’en va pas de même pour un petit.

Même dans les plantations de coton au nord, beaucoup de paysans abandonnent cette culture, faute de main-d’œuvre et aussi faute d’une bonne rémunération de leur produit de vente. Et, avec cette nouvelle ruée sur l’or, ils espèrent aussi mieux gagner leur vie en se transformant en orpailleurs ou en louant une partie de leur terre à ces derniers. Le problème à terme, pour eux, c’est que ces terres deviennent ensuite inutilisables pour l’agriculture.

La montée de la pauvreté et ses conséquences sur les enfants

Globalement aujourd’hui, à la ville comme à la campagne, la pauvreté gagne du terrain. Les conséquences visibles à Abidjan, ce sont des enfants qui envahissent de plus en plus les trottoirs. Ils sont encore plus nombreux durant le week-end et pendant les périodes de vacances scolaires. On les voit partout, à la recherche de quelques sous pour venir en aide à leurs parents. Beaucoup de ces enfants ont commencé cette année scolaire avec du retard, car les parents n’ont pas eu les moyens de payer à temps les frais de rentrée des classes.

Dominique Ouattara, l’épouse de l’actuel président ivoirien, parraine une fondation de bienfaisance qui se donne pour objectif d’avoir « zéro enfant dans les rues ». Elle prétend également lutter contre l’exploitation des enfants dans les plantations de cacao. Cela rappelle les dames patronnesses du 19e siècle en Europe, qui faisaient de la charité le dimanche aux enfants qui trimaient durant les autres jours de la semaine dans les mines ou les ateliers de filature appartenant à leur mari. La seule différence est que Dominique Ouattara est elle-même une femme d’affaires fortunée, en plus d’être la femme du président !

La situation politique

L’instabilité créée par le troisième mandat de Ouattara en 2020, dont la légalité était contestée par son opposition, est aujourd’hui endiguée. Entre-temps, Gbagbo, l’ex-président, est rentré au pays. Il a finalement été libéré par la CPI (Cour pénale internationale) après une dizaine d’années passées à La Haye, aux Pays-Bas, pour crimes contre l’humanité.

Aujourd’hui, pouvoir et opposition parlent de réconciliation nationale mais, dans leur rivalité pour conquérir le pouvoir ou pour le conserver, ils sont prêts à tout, y compris à ressortir les discours ethnistes et xénophobes qui ont fait tant de morts dans ce pays.

L’ex-président Laurent Gbagbo, après son enfermement en 2011, avait confié la direction de son parti, le FPI, à son ancien Premier ministre, Affi N’Guessan. Après sa libération, Gbagbo a voulu reprendre possession de son parti, mais Affi N’Guessan a refusé de céder sa place sans une contrepartie alléchante. Il faut dire que, pendant les dix années durant lesquelles il a été à la tête du parti, il a eu le temps de placer ses pions dans les postes clés.

Du coup, dès son retour à Abidjan, Gbagbo s’est lancé dans la création d’un nouveau parti politique, le PPA-CI : Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire. Il se revendique du socialisme, comme son ancien parti le FPI, auquel il a ajouté le panafricanisme. C’est un peu fort de café, pour un parti dont le principal initiateur a été poursuivi pour crimes à caractère ethnique et xénophobe ! Le panafricanisme est un peu dans l’air du temps actuellement mais, pour plaire à toute sa clientèle politique, il y a ajouté en même temps le souverainisme. Comprenne qui pourra !

En tout cas, avec la création de son nouveau parti, Gbagbo a littéralement aspiré le contenu du FPI, et laissé l’enveloppe vide à Affi N’Guessan. Il a pu ainsi démontrer que le FPI c’était bien lui.

Les prochaines élections présidentielles sont théoriquement prévues en 2025. D’ici là, beaucoup de choses peuvent se passer. D’abord, à cause de la loi de la biologie sur les trois principaux ténors, étant donné leur âge avancé. Ensuite, à cause du fait que, dans la petite mare des politiciens ivoiriens, de plus jeunes crocodiles se sont déjà positionnés. Parmi eux, il y a de nombreux hommes d’affaires, dont quelques-uns sont de nouveaux parvenus qui se sont enrichis à l’ombre du pouvoir de Ouattara durant ces dix dernières années.

À ces hommes d’affaires anciens et nouveaux, il faut ajouter des politiciens comme Soro Guillaume, le dirigeant de l’ex-rébellion, en rupture actuellement avec son ancien allié Ouattara. Il y a aussi Simone Gbagbo, en rupture avec son ex-mari, qui cherche aussi à se positionner et qui a un réel poids politique dans le Sud. Il y a enfin Blé Goudé, l’homme des basses besognes de Gbagbo durant la crise ivoirienne, prêt probablement à se vendre au plus offrant de n’importe quel camp.

Risques de conflits ethnico-fonciers

Les plans des uns et des autres pour les prochaines années pourraient aussi être perturbés par des conflits ethnico-fonciers, notamment dans la partie ouest, le long de la frontière libérienne, où sont installés de longue date des peuplements agricoles venant d’autres régions : les Baoulés venus du centre, les peuples du Nord communément appelé les Dioulas, et enfin de nombreux Burkinabés et aussi des Maliens, dont un grand nombre sont installés en Côte d’Ivoire depuis plusieurs générations. Entre-temps, de nouveaux venus, notamment du Burkina Faso, s’y sont ajoutés.

Cette région Ouest a connu beaucoup d’exactions et de massacres depuis 1998, avec la politique haineuse de l’ « ivoirité » lancée par Bédié et popularisée ensuite par Laurent et Simone Gbagbo. C’est cette propagande xénophobe et ethniste qui a engendré par la suite la crise ivoirienne et la partition du pays en deux en 2002.

La tension dans cette région Ouest est toujours très grande, avec beaucoup de frustrations et de haines accumulées. La braise couve toujours. Même un simple changement de pouvoir à Abidjan pourrait la faire basculer dans un nouveau bain de sang.

Les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs luttes collectives pour changer leur sort.

La colère couve aussi à Abidjan, mais des luttes de travailleurs entraînant plusieurs entreprises, nous n’en avons plus connu depuis vingt ans. Le dernier mouvement de ce genre date des années 2000, à la faveur d’une situation politique où les petits soldats avaient chassé Bédié du pouvoir. À ce moment-là, notamment dans la zone industrielle de Yopougon, les travailleurs de plusieurs entreprises s’étaient mis en grève pour revendiquer leur embauche, à la place des contrats de journaliers sans lendemain. Des travailleurs se rassemblaient parfois devant les portails des usines munis de machettes, rubans rouges sur la tête. Les petits soldats étaient alors maîtres des lieux et il se trouvait que nombre d’entre eux avaient des liens familiaux avec les travailleurs en grève. Du coup, ils se sont mis du côté des travailleurs et ont obligé les patrons à régulariser les embauches.

Sous la présidence de Gbagbo, les travailleurs du port s’étaient aussi mis en grève à plusieurs reprises, mais leur mouvement, marqué par le corporatisme, n’a pas entraîné les travailleurs des usines, pourtant nombreux autour du port d’Abidjan.

Nous avons aussi vu, il y a quelques années, des mouvements de colère des ménagères, qui n’en pouvaient plus de voir leur panier vide quand elles revenaient du marché. Elles criaient leur colère et bloquaient les rues. Parfois, cela a entraîné des élèves dans le mouvement, mais les manifestations ont été très vite dispersées par la répression policière ou militaire.

L’aggravation de la crise économique actuelle, le chômage, les bas salaires, la généralisation des contrats journaliers, la flambée des prix des denrées et des loyers, la question du logement, la dégradation de l’école publique, des hôpitaux, etc., tout cela finira tôt ou tard par déclencher des réactions de colère et des grèves. La goutte d’eau qui fera déborder le vase peut arriver à tout moment. Il faudra que les travailleurs s’y préparent dès maintenant sur leurs lieux de travail et dans leurs quartiers, sans se laisser diviser entre ethnies, religions, nationalités ou corporations, et sans compter sur les dirigeants des centrales syndicales ni sur les politiciens, car ceux-là ne pensent qu’à leur carrière professionnelle et à leur enrichissement personnel.

C’est dans cette perspective que notre petit groupe milite, avec la ferme conviction que l’émancipation des travailleurs ne pourra être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR, Haïti)

L’État : une bande d’hommes armés

La nouvelle est tombée comme un couperet dans la nuit du 6 au 7 juillet dernier. Le président Jovenel Moïse, paillasson des dirigeants américains et des riches d’Haïti, a été assassiné dans sa résidence, sans difficulté, malgré toute l’armada de sécurité dont il jouissait, et dans l’indifférence totale de la population pauvre. Jusqu’à maintenant, l’opposition politique officielle n’a pas été accusée et tout laisse croire que le coup est venu de son propre camp, avec lequel il avait maille à partir, de son propre parti PHTK, un repaire de bandits, de dealers de drogue et de dilapidateurs de fonds publics.

La complicité des autorités américaines n’est pas à écarter. Les États-Unis considèrent l’Amérique latine en général et Haïti en particulier comme leur arrière-cour. Ils font et défont les présidents, les Premiers ministres et contrôlent toutes les décisions d’importance. Le Premier ministre actuel, Ariel Henry, le pion de l’ancien président Michel Martelly, a été nommé par Jovenel Moïse quelques jours avant son assassinat. Sa servilité est telle qu’il bombe le torse après chaque rencontre avec des autorités américaines.

En l’absence du président, il concentre tous les pouvoirs entre ses mains et vient de procéder au replâtrage du cabinet ministériel. Le PHTK de Michel Martelly s’est taillé la part du lion et quelques strapontins ont été attribués aux politiciens de l’ancienne opposition qui se sont murés dans un silence complice depuis la prise de fonction du nouveau Premier ministre, qu’elle considère comme un des siens. La mangeoire étant petite, quelques chefs de file de l’opposition sont sortis bredouilles et les partisans zélés de Jovenel Moïse sont chassés du sommet de l’État. L’opposition politique est ainsi replâtrée avec ces derniers, les jovenélistes, et les déçus comme Youri Latortue. La révocation de tous les hauts fonctionnaires partisans de Jovenel Moïse vient confirmer l’hypothèse de l’implication du PHTK dans l’assassinat de ce dernier.

Cela dit, ce qui fait l’actualité en Haïti, ce n’est pas l’assassinat du président, encore moins le remaniement du cabinet, mais plutôt la prolifération et la dictature des bandes armées qui font basculer le pays dans le chaos. Cela fait environ trois ans que l’insécurité prend des proportions dramatiques, à travers des enlèvements contre rançon, des exécutions sommaires et des massacres dans les quartiers pauvres. Rien que pendant la semaine écoulée, les réseaux sociaux ont rapporté une trentaine de cas de kidnapping, dont celui d’un Français, ancien chargé d’affaires culturelles à l’ambassade de France.

Corrompue, vassalisée, la police échoue à toutes les tentatives d’affronter les gangs. Manifestant même une complaisance suspecte envers les criminels, elle se révèle pourtant particulièrement efficiente dès qu’il s’agit de réprimer les manifestations populaires, dont celles des travailleurs de la zone industrielle.

Le pays vient de connaître environ deux mois de paralysie quasi totale des activités à la suite d’une pénurie artificielle de produits pétroliers, aggravée par l’insécurité et son cortège de problèmes que sont le chômage, la vie chère, la misère croissante et l’exode massif ; pénurie artificielle suite au blocage des axes routiers conduisant aux terminaux où se fait l’approvisionnement en carburant. Blocage opéré par des gangs !

Le terminal de Varreux, situé au nord, qui représente environ 70 % de la capacité totale de stockage de produits pétroliers du pays, est inaccessible depuis le 1er septembre. Celui de Martissant, au sud, est fermé depuis le 5 juillet, depuis que des gangsters ont tiré sur un navire de propane alors qu’il déchargeait sa cargaison.

Port-au-Prince, la capitale, devient une ville morte, assiégée, subissant la loi des gangs. Parallèlement à la déconfiture accélérée de l’État, les gangs consolident leurs bases, accaparent de nouveaux territoires, recrutent de nouveaux jeunes chômeurs, se dotent d’armes sophistiquées. Pour financer leur déploiement, en plus de l’argent venant des kidnappings, des trafics d’armes et des stupéfiants, les gangs rançonnent les ouvriers qui se rendent au travail, ils rançonnent les petits marchands, les petits entrepreneurs.

Forts de leur pouvoir de nuisance, ce sont les gangs qui, selon leur bon vouloir, décrètent des cessez-le-feu pour permettre aux hôpitaux de s’approvisionner en carburant, aux ONG d’aller porter secours aux sinistrés du tremblement de terre du 14 août dans le Grand Sud.

Les habitants des quartiers, sous la férule des gangs armés, sont surveillés. Ils sont obligés de prêter allégeance aux bandits, sous peine d’être considérés comme des ennemis, donc en attente de se faire tuer. Ce processus continue et se met en place un peu partout, quartier après quartier, d’une ville à une autre, parfois avec la complicité des politiciens au pouvoir ou de l’opposition.

Le pays vit une crise économique et sociale sans précédent.

Les répercussions de la crise sur les classes populaires

En apparence, on peut penser que n’importe qui peut être affecté par cette grave crise, notamment la vague de violence des gangs armés qui secoue le pays depuis de nombreux mois. D’ailleurs, même le président de la République, l’individu le plus protégé, a été abattu comme un chien errant. Plus d’une cinquantaine de personnes de nationalité étrangère sont déjà kidnappées en Haïti. Mais cette sale guerre des classes dominantes pour le contrôle des maigres ressources du pays est principalement dirigée contre les masses populaires, qui en paient le plus lourd tribut.

Ce sont toutes les classes populaires sans exception qui sont atteintes dans leur existence. Pour elles, il n’y a pas d’échappatoire, il n’y a pas d’amortissement, c’est la chute vers l’abîme.

Le chômage, qui était déjà l’apanage de la majorité de la population, près de 80 %, a explosé ces derniers mois avec la fermeture de nombreuses petites et moyennes entreprises. Leurs patrons fuient le chantage, les menaces ou les violences des gangs armés. Des milliers de travailleurs sont ainsi privés d’un salaire, leur seul gagne-pain.

Ceux qui ont encore la chance d’avoir un boulot boivent le calice jusqu’à la lie. Les patrons profitent de la situation pour les presser encore plus. Les salaires sont bloqués depuis 2018. Les cadences de travail ont augmenté. Les licenciements abusifs, les fraudes sur les salaires sont légion.

Avec le renchérissement du coût de la vie, le pouvoir d’achat des travailleurs est réduit comme peau de chagrin. Beaucoup d’ouvriers font de longs trajets à pied, parfois au péril de leur vie.

Dans la réalité, les travailleurs crèvent à petit feu. Pour survivre et pour apporter un peu de soutien à leur famille, ils prennent sur leur physique. Ils ne mangent pas à leur faim, ils se contentent pendant la journée d’un biscuit, d’un morceau de pain, ils font des kilomètres à pied pour venir à leur boulot, ils s’habillent comme ils peuvent, ils s’endettent pour payer un petit logis dont le prix a flambé, dans un quartier populaire. C’est une mort lente programmée par les maladies comme la malnutrition, la tuberculose, la fatigue, les maladies infectieuses, etc., quand ce n’est pas la mort violente qui les emporte.

De nombreuses activités informelles, qui faisaient vivre les chômeurs, disparaissent petit à petit, tels les marchés publics, les petits « démêlés » sur les trottoirs au bord des rues.

Les travailleurs et les masses exploitées vivent la violence des gangs armés au plus près, dans leur chair. Ils sont les premières victimes de l’insécurité. Tout d’abord, les territoires occupés par les malfrats sont tous des zones déshéritées où habitent les classes populaires. Une grande partie de ces habitants ont fui vers d’autres quartiers non encore occupés, vers des camps. D’autres, hélas sans solution, restent encore sous la férule de ces criminels. Ces territoires, qui dès les premières heures du matin fourmillaient de gens en quête de moyens de subsistance, deviennent des endroits fantômes, des terrains d’entraînement des bandits qui se complaisent à tuer, à violer.

Les kidnappings, partie émergée de l’iceberg de la vague de terreur, frappent les classes populaires de plein fouet. On n’en parle pas souvent dans les médias. Mais des travailleurs, des petites marchandes sont kidnappés. Souvent dans l’impossibilité de payer, ils sont égorgés dans l’indifférence générale.

Ce n’est certes pas la situation rêvée pour l’ensemble de la bourgeoisie. Mais, s’il y en a quelques-uns qui y laissent des plumes, ils essaient de tirer leur épingle du jeu en s’adaptant. En revendant au marché noir dix fois plus cher les produits pétroliers, les actionnaires de ce secteur engrangent des profits énormes. Il en va de même dans la commercialisation des produits alimentaires et des produits de première nécessité, dont les prix augmentent tous les jours. Le secteur bancaire n’est pas en reste. Certains bourgeois se spécialisent dans l’armement des gangs armés.

Le ciel ne cesse de s’obscurcir pour les masses populaires, il n’en demeure pas moins que seules leurs luttes conscientes peuvent leur donner l’espoir de changer le rapport de force, qui leur est défavorable aujourd’hui. Même s’ils sont rares, nous présentons, dans l’actualité, des faits qui mettent en avant une certaine combativité de la population. Par exemple dans quelques usines, en plusieurs occasions, des travailleurs ont fait grève contre leurs mauvaises conditions de travail. Dans certains quartiers, des habitants n’ont pas hésité à affronter certains malfrats.

Exode massif de la population

Pour fuir la misère et la terreur grandissante des gangs, de nombreux Haïtiens ont cherché à fuir le pays. Si les nantis et une partie de la petite bourgeoise ont pu le faire légalement vers certains pays d’Europe et les États-Unis, des milliers de travailleurs et de jeunes ont tenté leur chance, pour une bonne partie illégalement, vers la République dominicaine, certains pays d’Amérique latine et des îles des Caraïbes. Mais peu importe le pays, les capitalistes ne font jamais de cadeaux aux pauvres. Même après plusieurs années dans ces pays d’accueil, les conditions de vie de ces travailleurs ont peu changé et c’est pourquoi ils ont continué leur migration vers les États-Unis ou d’autres pays riches, où là encore ils sont souvent traités comme des parias. En République dominicaine, des femmes enceintes en plein travail d’accouchement sont arrêtées sur leur lit pour être expulsées.

Ces derniers jours, sur la zone industrielle, certaines initiatives, isolées, ont vu le jour. Dans l’usine Premium Apparel, appartenant à la famille Apaid, des ouvriers ont mené une grève qui a duré plus qu’une semaine. Dans d’autres usines, il y a eu des débrayages d’une journée, parfois deux. Ce sont de bons signes !

D’autre part, dans plusieurs quartiers, la population commence à réagir face à la violence et la terreur des gangs. À Canapé Vert, en plein cœur de Port-au-Prince, deux chefs de gang ont été tués à coups de machette. À Puits Blain, encore à Port-au-Prince, deux autres bandits qui circulaient à motocyclette avaient braqué un homme de 57 ans. Ils ont été lynchés illico par des riverains. Il y a aussi des cas pareils dans des villes de province. Espérons que ces initiatives éparses s’étendront à l’échelle du pays dans le cadre d’une riposte collective de la population.

Car, en dépit de leur férocité et de la terreur qu’ils font régner sur la population, ces nouveaux tontons macoutes ne sont qu’une minorité. Comme par le passé, ils ne pèseront pas grand-chose devant la révolte de toute une population qui, déterminée, voudra retrouver sa liberté.

Sinif Mücadelesi (Turquie)

Effondrement économique

En Turquie, la situation économique était déjà catastrophique l’an dernier. Eh bien, elle a encore empiré.

La chute vertigineuse de la monnaie, la livre turque, continue. Le pouvoir d’achat de la population s’effondre. Il paraît que plus de 5 millions de personnes n’arrivent plus à payer leurs factures de gaz et d’électricité. Le vrai chiffre du chômage, surtout chez les jeunes, continue à augmenter et il serait de l’ordre de 18 %. Plusieurs millions de familles pauvres n’arrivent plus à se nourrir correctement. Un ministre a eu le culot de conseiller à ceux qui ne réussissent plus à arriver à la fin du mois de n’acheter qu’une seule tomate à la fois, au lieu d’en acheter plusieurs… On parle de 13 millions de retraités qui sont dans la misère et n’arrivent pas à s’en sortir.

L’opposition contient les manifestants

Mais, depuis plusieurs mois, ce sont aussi des millions de travailleurs qui ont du mal à s’en sortir. La livre turque a perdu 45 % de sa valeur depuis le début de l’année. Elle a même perdu 17 % en une seule journée, le mardi 16 novembre, et le soir même il y a eu des manifestations spontanées dans plusieurs grandes villes comme Istanbul, Ankara… Mais aussitôt les partis de l’opposition, dont le CHP (Parti républicain du peuple, qui se définit comme social-démocrate), sont intervenus pour les faire arrêter, en disant que cela ne pouvait que provoquer des violences et servir Erdoğan !

En tout cas, les effets de la dévaluation sont là. Le salaire minimum, soit 2 800 livres par mois, équivalait à 383 dollars le 4 janvier de cette année. Depuis le 16 novembre, ce n’est plus que l’équivalent de 217 dollars. L’inflation, d’après les chiffres officiels, serait de 19,89 %, mais en fait elle est bien supérieure, sans doute de 50 %, proportionnelle à la perte de valeur de la monnaie.

Erdoğan en difficulté

Du fait de cette dégradation économique, la situation devient explosive. Le patronat turc et les grandes puissances impérialistes font pression sur Erdoğan pour qu’il organise des élections anticipées et pour qu’il laisse la place, sans que cela ait un effet sur lui. De la même façon, il y a quelques semaines, dix ambassadeurs de grands pays comme les États-Unis, la France et l’Allemagne… ont fait une déclaration commune pour dire au gouvernement d’Erdoğan de libérer Kavala, un homme d’affaires très connu, qui est en prison depuis plus de quatre ans. La Tusiad, autrement dit le Medef turc, a fait une déclaration dans le même sens. Elle a ajouté que maintenant, en Turquie, il faut « un gouvernement qui respecte la démocratie ». Selon les patrons turcs, il ne faut pas non plus qu’il crée une situation explosive car cela dégoûte les « cerveaux », et ceux-ci sont en train de quitter le pays. Erdoğan serait aussi responsable du fait que 70 % des jeunes veulent quitter la Turquie.

Il y a aussi ce scandale créé par les révélations d’un parrain de la mafia. Ce parrain se trouve à l’étranger, après avoir été lâché par le gouvernement d’Erdoğan, qui l’avait protégé. Au début du mois de mai, il a décidé de se venger en publiant des vidéos sur les réseaux sociaux et en étalant au grand jour des exemples de corruption, d’assassinats, de menaces de mort, d’enrichissement illicite, etc., dont il a été témoin. Ces vidéos ont battu des records d’audience, ayant été visionnées plus de cent millions de fois. Dans le contexte de la crise économique grave que traverse le pays, elles ont frappé les spectateurs, qui n’imaginaient pas ce degré de pourriture du pouvoir. Ce grand déballage sème le malaise jusque dans les rangs de l’AKP, dont un ancien dirigeant, Cemil Ciçek, a réclamé l’ouverture d’une enquête, ajoutant : « Même si un millième seulement de tout cela est vrai, c’est un désastre. »

Bien sûr, ces révélations ne sont pas vraiment une surprise. Les liens du parti d’Erdoğan avec des boss mafieux, les trafics d’armes avec la Syrie, l’aide donnée plus ou moins directement à des djihadistes de Daech, tout cela était connu. Mais le déballage de Sedat Peker, ce parrain de la mafia, a créé un choc, contribuant énormément au discrédit du gouvernement d’Erdoğan.

Un système répressif qui convient aux grandes puissances

Le grand patronat turc et les grandes puissances impérialistes pensent qu’il est temps de trouver une alternative à ce gouvernement, avant que cela ne finisse par une explosion sociale. En fait, il y a déjà trois ans, depuis début 2018, que le patronat turc voudrait qu’il y ait une alternative à ce gouvernement. Déjà, lors des élections municipales de mars 2018, l’AKP avait perdu les grandes villes. Cependant, si le patronat et les puissances impérialistes voudraient bien remplacer Erdoğan, ils trouvent que l’opposition n’est pas à la hauteur. Ils pensent même sans doute que, si elle arrivait au pouvoir, cela risquerait rapidement de finir mal. Normalement, les prochaines élections générales devraient avoir lieu en juin 2023, mais on voit mal comment la situation actuelle pourrait durer jusqu’à cette date. Certains journalistes évoquent des préparatifs pour une solution à l’égyptienne, autrement dit pour un coup d’État.

Pour pouvoir tenir, le gouvernement actuel compte sur la répression et la peur qu’elle inspire. Toutes les semaines on apprend de nouvelles arrestations arbitraires parmi les gülenistes, les nationalistes kurdes, dans les milieux de gauche et parmi tous ceux qui osent critiquer Erdoğan et le gouvernement. Celui-ci utilise aussi l’épidémie de Covid-19 pour renforcer son contrôle de la population. C’est ce que permet le passe sanitaire, appelé HES (Hayat Eve Siğar), qui comporte votre adresse et le numéro de votre carte d’identité, et avec lequel on peut surveiller tous vos déplacements : ainsi personne ne peut se déplacer, par exemple prendre un autobus, sans montrer le HES, qui peut vous obliger à vous confiner. Dans les grandes villes, il est enregistré sur l’équivalent de votre passe Navigo. Il faut le montrer pour prendre les transports en ville ou pour se déplacer d’une ville à l’autre, et même pour entrer dans un centre commercial. Le contrôle se met en rapport avec l’ordinateur de la police et peut vous obliger à rester chez vous, quand ce n’est pas en prison.

Pour ce qui est de la situation de la classe ouvrière, il y a une dégradation nette des conditions de travail et du niveau de vie des travailleurs, surtout dans les petites entreprises. Aussi bien le gouvernement que le patronat ont peur qu’il y ait une explosion de mécontentement, notamment dans les grandes entreprises de la métallurgie. Ils font même un petit effort concernant les salaires de ce secteur.

La discussion des conventions collectives de la métallurgie est en cours et elle doit se terminer fin décembre. Il y a des réactions dans certaines entreprises sur le fait que les propositions des syndicats ne sont pas satisfaisantes en face des fortes augmentations des prix des produits de base, du pétrole et du gaz. Même si ce n’est pas à une grande échelle, on voit certaines luttes dans des entreprises de textile et dans des municipalités, concernant les salaires et les conditions de travail. Dans les semaines qui viennent, il pourrait y avoir une certaine agitation dans les grandes entreprises de la métallurgie.

Lutte ouvrière (Belgique)

En Belgique, nous avons le même virus et le même capitalisme, les mêmes prix qui montent, la même gestion calamiteuse de la pandémie et la même offensive patronale qui frappe dans toutes les entreprises.

La seule différence est peut-être que, grâce au virus, nous avons finalement eu un gouvernement fédéral, pour l’ensemble du pays. Car, au moment du premier confinement, la formation d’un nouveau gouvernement fédéral était une nouvelle fois en panne.

En Belgique, nous n’avons donc pas une figure qui personnifie l’offensive patronale, comme Macron. À la place, nous avons une coalition de huit partis pour qui chaque décision est un accouchement difficile et qui débouche sur une cacophonie difficilement déchiffrable.

Non pas qu’ils ne soient pas d’accord sur le fond, mais ils jouent chacun leur existence de politiciens. Du côté wallon, le Parti socialiste francophone participe, tout en se donnant un air d’opposition. Car le PTB, parti ex-maoïste qui se présente comme la « vraie gauche », continue à grimper dans les sondages et à piquer des voix au PS.

Du côté flamand, les partis traditionnels sont attendus au tournant par la montée de l’extrême droite flamande. Les voix réunies de la droite et de l’extrême droite nationaliste frôlent déjà la majorité absolue, qu’ils risquent d’atteindre en 2024. Et il n’est pas sûr que le cordon sanitaire qui écartait du gouvernement le parti d’extrême droite Vlaams Belang tiendra encore. La formation d’un gouvernement deviendrait alors encore plus un casse-tête.

Mais cela n’empêche pas l’offensive antiouvrière. Les patrons la mènent dans les entreprises. Et ils peuvent tout à fait compter sur ce gouvernement fédéral… comme sur les cinq autres gouvernements régionaux et communautaires. La cacophonie d’un gouvernement de coalition représente d’ailleurs aussi un avantage pour le patronat : c’est qu’elle couvre la vraie musique qui s’y joue.

Obligation vaccinale et manifestation

Entre-temps, après « 13 heures de psychodrame », comme titrait le journal Le Soir, le gouvernement a décidé de l’obligation vaccinale pour le personnel soignant, sous peine de perte de salaire pour ceux qui ne veulent pas se faire vacciner.

Alors que les hôpitaux débordent à nouveau, par manque de personnel, et qu’on impose désormais le masque aux enfants de 6 ans, ils s’apprêtent à suspendre des milliers de travailleurs de la santé !

Le 21 novembre, 35 000 personnes ont manifesté à Bruxelles contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale. C’est beaucoup, pour une manifestation non organisée par les syndicats. Des travailleurs des entreprises où nous avons quelques contacts nous ont dit qu’ils ont participé à ce rassemblement organisé par des gilets jaunes et on ne sait pas qui. L’extrême droite était évidemment présente, et des anti-vax, mais pas seulement, loin de là.

Nous avons des discussions pour dire que les intérêts des travailleurs doivent s’y exprimer, que pour les travailleurs la liberté n’existe pas, et que ce qui nous retient d’aller au restaurant c’est surtout le salaire qui est trop bas. Cela nous fait des bonnes discussions.

Manifestation pour le pouvoir d’achat

L’augmentation des prix non plus ne s’arrête pas à la frontière. Officiellement, les salaires sont toujours indexés, mais depuis les années 1990 les produits pétroliers ont été sortis du calcul. Cette indexation ne résoudra donc rien pour les travailleurs.

Ce qui n’empêche pas le patronat de lancer une campagne contre l’indexation qui, à l’entendre, ferait sombrer la Belgique tout entière.

En juillet, les syndicats ont signé un accord qui fixe l’évolution des salaires pour les deux ans à venir. Il prévoit une augmentation maximum de 0,4 % des salaires, hors indexation.

La FGTB a dû torturer sa « démocratie syndicale » pour faire accepter la décision à une majorité de… 50,05 %.

Ça avait vraiment du mal à passer. Et le 24 septembre, la FGTB a appelé à une manifestation… contre « la loi de 1996 sur la compétitivité des entreprises ». Cette loi limite les augmentations des salaires en fonction de l’évolution des salaires des pays voisins… et donc, disent les directions syndicales, les marges de négociation dans les secteurs où ces marges existent.

Entre-temps, ils doivent constater que, même dans ces secteurs, comme le secteur pharmaceutique, les patrons ne veulent rien céder. Au contraire, ils s’apprêtent à supprimer des primes et des congés d’ancienneté.

Parallèlement, on assiste à une criminalisation préoccupante du syndicalisme. Ces deux dernières années, un responsable syndical flamand et 17 militants et dirigeants wallons de la FGTB ont été condamnés pénalement pour « entrave méchante à la circulation », les 17 de Liège à une peine de prison avec sursis, pour un blocage d’autoroute à Liège. C’est une première.

Dans ce contexte, et poussées aussi par l’angoisse qui monte parmi les travailleurs face à l’envolée des prix, les directions syndicales appellent à une nouvelle manifestation nationale demain, pour défendre les droits syndicaux et le pouvoir d’achat.

Ils se gardent bien cependant de mettre en avant quoi que ce soit qui permettrait aux travailleurs de se préparer à une vraie lutte pour les salaires.

N’empêche, pour les travailleurs, la manifestation de lundi sera une occasion pour manifester ensemble, tous secteurs confondus. Et il faut espérer qu’il y aura du monde.

Grèves dans les entreprises

Les travailleurs sont loin d’avoir dit leur dernier mot. Au contraire. De plus en plus, ils sont devant des situations qui les font réagir. Pour ne citer qu’un exemple, une bonne partie des magasins Lidl ont été touchés par une grève de plusieurs jours contre la surcharge de travail inhumaine et une direction qui veut désormais pouvoir utiliser les GSM des travailleurs pour les géolocaliser et étudier leurs déplacements dans les magasins…

Pour une fois, on entendait les travailleuses dénoncer l’exploitation ! Et cela a beaucoup touché. D’ailleurs, d’autres débrayages et grèves s’organisent dans d’autres chaînes de supermarchés.

L’Internazionale (Italie)

En Italie, comme dans le reste du monde, la pandémie est toujours d’actualité et l’apparition de la nouvelle variante Omicron a fait chuter les actions en Bourse.

Il y a également eu des manifestations contre le passe sanitaire mais, quoi qu’il en soit, nous vivons dans un climat politique d’« unité nationale » depuis presque un an.

Relance étatique et reprise… des profits

En fait, en février dernier, l’ancien banquier de la BCE Mario Draghi a pris ses fonctions à la tête du gouvernement, ce que Le Monde a récemment décrit comme « la dernière chance de l’Italie ».

En bref, l’agenda politique est dominé par les fonds européens qui doivent être dépensés selon un plan appelé PNRR, c’est-à-dire un plan de « reprise et de résilience ».

Il s’agit d’une belle somme : environ 200 milliards d’euros. On comprend que, pour cette masse d’argent, on affile les dents et les couteaux entre les différentes composantes de la bourgeoisie, bien que tout se fasse sous le couvert de l’unité nationale.

La bourgeoisie dans son ensemble, par la voix de ses principaux représentants, fait preuve d’optimisme. Tous les médias et tous les partis au pouvoir ont souligné la reprise de la production italienne et du PIB dans son ensemble.

Mais les prévisions, pour ce qu’elles valent, disent que ce n’est qu’en 2023 que l’économie retrouvera son niveau d’avant la pandémie. Et il faut souligner que l’État a joué le rôle principal dans ce redémarrage du moteur industriel. Tout cela ne fait qu’accroître la dette publique, qui s’élève désormais à 155 % du PIB.

Cela n’enlève rien au fait que d’énormes bénéfices sont encore empochés, les bénéfices distribués atteignant 49,3 milliards et devant passer à 54,6 milliards l’année prochaine. La bourgeoisie a également augmenté sa richesse.

En termes absolus, il y a 400 000 personnes en Italie qui ont un patrimoine d’au moins un million de dollars et, parmi elles, 1 700 dépassent les cent millions.

Dans le classement mondial, l’Italie occupe la neuvième place pour la richesse financière. Cela signifie que la pandémie n’a pas la même signification pour tout le monde, et que les appels à rester unis face à « l’ennemi commun » représenté par le Covid sonnent comme une mauvaise farce.

Ce qui a amené Mario Draghi au gouvernement peut se résumer à la nécessité, pour la bourgeoisie, de disposer d’une personne accréditée dans les milieux financiers et non liée formellement à un quelconque parti.

Toutes les pressions qui ont précédé sa nomination avaient pour dénominateur commun les conditions imposées par les autorités de l’UE pour obtenir les fonds du plan de relance. Le plus important d’entre eux était la compétence financière.

Il a été dit que le gouvernement actuel unit presque tous les partis. L’exception est le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni. Mais même ce parti est lié à la Lega de Salvini et à Forza Italia de Berlusconi, avec lesquels il a présenté des listes communes.

La situation sociale

Sur le plan social, le gouvernement a maintenu le décret sur le gel des licenciements collectifs jusqu’à l’été et, comme on pouvait s’y attendre, les licenciements et les fermetures d’entreprises ont commencé à son expiration.

Les dernières élections locales ont vu un taux d’abstention de près de 50 %. Cet abstentionnisme de masse est à l’image d’un malaise social qui se traduit également par une défiance généralisée à l’égard des institutions.

Les manifestations de rue, d’abord contre les restrictions des activités commerciales ouvertes au public, puis contre le passe sanitaire, sont aussi révélatrices de ce malaise. Ces mouvements ont subi une certaine transformation dans leur composition sociale.

Au départ, il y avait une forte caractérisation petite-bourgeoise, notamment dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie.

Mais d’autre part, même pour les secteurs du prolétariat les plus durement touchés par la crise, il n’y avait pas d’autre possibilité d’exprimer leurs revendications, et les syndicats se sont bien gardés d’en organiser.

Peu à peu, avec l’augmentation du nombre de personnes vaccinées et l’assouplissement des mesures anti-Covid, de nombreuses activités ont repris, et aujourd’hui c’est le phénomène inverse qui se produit.

Les mêmes couches sociales qui envahissaient les places réclament maintenant de l’ordre, car les défilés dans les centres-villes font fuir les touristes et même les clients normaux.

Pendant une courte période, ce sont les dockers du port de Trieste qui ont organisé des manifestations contre le passe sanitaire, mais tout cela a été absorbé assez rapidement.

Néanmoins, chaque samedi, les manifestations, bien que moins suivies, se poursuivent, prenant de plus en plus un caractère politique protestataire, vaguement subversif. Des groupes organisés d’extrême gauche et d’extrême droite y participent.

C’est au cours de l’une de ces manifestations, à Rome le 9 octobre, qu’un groupe de manifestants a pris d’assaut le siège du syndicat CGIL.

C’était la confirmation de la capacité des groupes d’extrême droite, acquise au cours des derniers mois, à prendre la tête et le contrôle de facto de grandes manifestations.

Pour les travailleurs, c’était le signe que l’activisme fasciste n’est pas seulement une affaire d’il y a un siècle, mais qu’il est toujours une carte dans le jeu politique.

Pas besoin de dire que la réaction des dirigeants de la CGIL, avec leurs appels pleurnichards à la démocratie, à la « République née de la Résistance » et ainsi de suite, avec la présence et la « solidarité » de Draghi lui-même, n’a pas été à la hauteur de la situation.

Bien plus, elle a alimenté la haine de ceux qui, même parmi les travailleurs, considèrent les syndicats comme des complices du système, comme faisant partie de l’establishment.

Les dégâts causés par la crise du Covid se sont ajoutés à ceux accumulés au cours des années et décennies précédentes. La tendance à la précarisation s’est poursuivie. Cette année, on a vu un véritable remplacement massif des emplois permanents par des emplois précaires.

Les salaires, bien sûr, reflètent cette dégradation et donc cette faiblesse de la classe ouvrière face aux patrons. Il y a quelques jours, la grande presse a publié des comparaisons entre les salaires moyens italiens et ceux d’autres pays européens.

Il en ressort que, de 1990 à 2020, les travailleurs italiens non seulement n’ont pas vu leurs salaires augmenter, mais les ont vus baisser. Camarades, nous ne pensons pas que les entrepreneurs allemands et français sont particulièrement généreux. Mais cela confirme que le capitalisme italien, plus que d’autres, s’appuie sur la réduction des salaires pour soutenir la compétitivité de ses produits et préserver ses taux de profit.

La question des bas salaires, dans la mesure où elle ne devient pas un terrain de lutte généralisé pour la classe ouvrière, est utilisée par les forces politiques bourgeoises et les patrons eux-mêmes. Ainsi, il est à nouveau question de réduire, en même temps que les cotisations payées par les patrons, celles payées par les salariés. Un peu plus d’argent sur la feuille de paie, payé non pas par les patrons mais par la « fiscalité générale », voilà la recette !

Mais on parle également d’une loi sur le salaire minimum légal, qui n’existe pas en Italie. La loi est soutenue par le Parti démocrate, et paradoxalement combattue ou désapprouvée par les syndicats. Ces derniers, en accord avec la Confindustria patronale, craignent qu’elle ne réduise la marge de négociation entre les « partenaires sociaux ».

Il est vraiment curieux que, alors qu’en trente ans ils n’ont pas réussi à « négocier » quoi que ce soit de décent, les syndicats aient l’audace d’opposer leurs capacités de négociation à la garantie d’un minimum légal.

La précarité, le chômage et les bas salaires sont le prix que les travailleurs paient pour la « reprise ». À cela s’ajoute le nombre élevé de morts et de blessés au travail. C’est un autre record italien : un décès toutes les huit heures.

Occupation de l’usine GKN à Florence

En général, les luttes des travailleurs ont été défensives et ont répondu à des licenciements collectifs. Une lutte a marqué une forte différence avec toutes les autres : celle des travailleurs de GKN à Florence, une usine comptant 420 salariés et environ 80 d’entreprises sous-traitantes.

Les travailleurs ont occupé l’usine en juillet dernier, suite à l’annonce de la fermeture par la direction, avec les licenciements qui en découlent. Cependant, contrairement à ce qui s’est passé dans des situations similaires, leur lutte a eu immédiatement un caractère très actif, organisé et ouvert sur l’extérieur.

Jusqu’à présent, les travailleurs du « collectif d’usine » ont fait preuve d’une détermination et d’un esprit d’initiative hors du commun et ont réussi à attirer la sympathie des travailleurs d’autres entreprises.

Dans leurs appels, ils soulignent que la meilleure aide pour eux serait que les luttes s’étendent à d’autres entreprises et s’unissent en un seul front.

Si nous voulons tirer quelques premières leçons de cette lutte, sans en faire un mythe, il y en a au moins deux : la première est qu’un groupe de militants politisés, actifs depuis longtemps dans le syndicat local et dans l’usine, peut faire une grande différence.

Nous ne connaissons pas l’affiliation politique précise des promoteurs et des organisateurs du « collectif d’usine », mais il est clair qu’il s’agit, du moins pour certains d’entre eux, de militants d’extrême gauche, dont la motivation et le militantisme savent insuffler aux travailleurs cette confiance en leurs propres forces qui a presque toujours manqué ces dernières années.

La seconde leçon est que, lorsque la classe ouvrière résiste, elle bouleverse tous les jeux politiques qui tournent habituellement autour d’elle. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une grande usine, l’occupation des travailleurs a obligé tous les responsables politiques à faire au moins semblant d’être solidaires des travailleurs, mais surtout le syndicat des métallurgistes a dû s’impliquer.

Il s’agit maintenant de voir si la lutte de GKN, qui se poursuit, restera un événement isolé ou encouragera de nouvelles luttes plus déterminées contre les licenciements et pour les droits des travailleurs en général.

 

 

[1]     Le Liyannaj kont pwofitasyon (LKP), « collectif contre l’exploitation outrancière », est un regroupement d’organisations qui dirigea le mouvement de 2009 en Guadeloupe.

 

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