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Grande-Bretagne : la pire attaque contre le niveau de vie depuis 25 ans
À l’heure où nous achevions d’écrire cet article, une nouvelle pénurie frappait le pays. Des soldats conducteurs de chars étaient mobilisés pour livrer du carburant aux stations-service tombées à sec. La semaine précédente, le gouvernement avait admis qu’il y avait un « problème de chaîne logistique » : de nombreux produits avaient disparu des rayons des supermarchés. Puis du jour au lendemain, les pompes des stations-service se sont retrouvées totalement ou partiellement vides de carburant, tandis que les ministres assuraient à tout le monde qu’il n’y avait pas de pénurie : selon eux, les raffineries et le stockage étaient à leur « capacité maximale » ! Non, expliquaient-ils, le problème était dû au fait qu’il n’y avait pas assez de chauffeurs de poids lourds qualifiés pour approvisionner toutes les stations du pays. Et si l’essence ou le gazole étaient venus à manquer, c’était entièrement de la faute des automobilistes et de leur ruée sur les stations-service !
L’accélération de la crise était évidente, avec des aides à domicile, des soignants en hôpital ou en Ehpad empêchés de se rendre à leur travail. Mais tout ce que les ministres trouvaient à dire à la télévision, c’est qu’il fallait que la population « se calme ». Ils ont répété jusqu’à plus soif qu’il n’y avait pas de pénurie de carburant. Celle-ci était pourtant bien réelle, frappant les travailleurs qui pouvaient le moins s’en passer. Les déclarations gouvernementales ont provoqué la colère des travailleurs qui sont tributaires de leur voiture, de leur camionnette ou de leur camion pour gagner leur vie. Les ministres étaient manifestement déconnectés de la réalité. Et contrairement à ce que prétendaient tant de journalistes, la situation n’avait rien à voir avec la ruée sur le papier toilette lors du premier confinement. Quand les pompes sont à sec, quelle qu’en soit la raison, des mesures d’urgence doivent être prises immédiatement. Elles ne l’ont pas été. Interrogé au début de la crise sur ce qui se passait, Grant Shapps, le ministre des Transports, répondit tout bonnement : « C’est le coronavirus ! » Lui et ses collègues ministres ont fait des pieds et des mains pour éviter d’admettre tout lien entre la pénurie et le Brexit.
Une explication plus directe a été fournie par Olaf Scholz, le dirigeant du SPD allemand, interviewé sur le sujet au lendemain des élections allemandes. Un journaliste de la chaîne de télévision Channel 4 lui a demandé si l’Allemagne pouvait dépanner la Grande-Bretagne en y envoyant des chauffeurs. À quoi Scholz a répondu que depuis le Brexit, la libre circulation des travailleurs entre les deux pays était entravée, et qu’en conséquence, désolé, cela n’allait pas être possible… Scholz a aussi laissé entendre que les bas salaires et les mauvaises conditions de travail n’étaient pas étrangers au problème. C’est un fait que les aires de repos en Grande-Bretagne sont moins bien équipées que dans certains pays de l’Union européenne, une raison de plus de ne pas se tourner vers le métier.
Selon les associations de transporteurs routiers, quelque 60 000 postes de chauffeurs de poids lourds étaient déjà vacants avant la pandémie, et c’était de fait un problème depuis des années. Le Brexit aussi a fait son effet, entraînant le retour de 16 000 chauffeurs européens vers leur pays d’origine. À l’heure actuelle, après 20 mois de crise sanitaire, on estime que le nombre de chauffeurs de poids lourds repartis vers l’UE est de 26 000, et qu’il y a près de 100 000 postes non pourvus. La réaction du gouvernement face à la pénurie a été comparée à une tentative d’éteindre un incendie avec un verre d’eau. Dans la grande distribution et chez les éleveurs de dindes, on a déjà averti que les festivités de Noël pourraient être annulées, du fait de la pénurie de chauffeurs et d’ouvriers dans l’agroalimentaire. Alors, le gouvernement offre 5 000 visas temporaires pour tenter de faire revenir les chauffeurs européens et 5 500 de plus dans le secteur des abattoirs. Précisons toutefois que ces visas ne dureront pas plus de 90 jours, ce qui signifie l’obligation de quitter la Grande-Bretagne la veille de Noël ! On comprend que ça ne se bouscule pas au portillon…
Exploiter les plus pauvres
Tout ce cirque prêterait à rire si les pénuries n’étaient pas un élément de plus dans une crise économique chronique que le Brexit et la pandémie sont venus aggraver, une crise qui lamine les services publics vitaux (dont le système de santé, le NHS – National Health Service) et fait exploser le coût de la vie pour la classe ouvrière à un point qui dépasse ce qui avait été observé en 2008. À cela s’ajoute le fait que toutes sortes de biens essentiels ont disparu des étalages.
Les patrons dans à peu près tous les secteurs (agriculture, aide à la personne, services de santé, commerce de détail, hôtellerie-restauration, etc.) se plaignent de leurs difficultés à recruter. Des fruits et légumes ont pourri dans les vergers et les champs, faute de travailleurs migrants pour les ramasser. En général, ces derniers sont recrutés sur des contrats temporaires, pour des salaires de misère. C’est là un effet direct du durcissement des lois sur l’immigration induites par le Brexit.
Étonnamment, c’est le quotidien Financial Times, la voix des patrons de la City, qui a récemment mis en lumière les conditions subies par ces travailleurs, révélant comment, « loin de la libre circulation préconisée par l’UE, ils sont généralement liés à un employeur ou un recruteur spécifique, ce qui rend difficile leur départ s’ils sont maltraités ». L’article poursuit : « Les plans du gouvernement risquent de tirer vers le bas salaires et conditions de travail, tout en perpétuant la dépendance des employeurs à l’égard des migrants. » Et de citer une étude d’un institut américain (l’US Economic Policy Institute) sur les travailleurs migrants : « Dans l’histoire, on n’a jamais vu le scénario suivant : une pénurie temporaire de main-d’œuvre corrigée par un appel temporaire à une main-d’œuvre migrante, puis des employeurs qui recommencent à embaucher des travailleurs locaux. […] Comme le savent les experts en migration, il n’y a rien de plus permanent qu’un programme de migration temporaire. »
Pour traiter spécifiquement le problème de la cueillette des fruits et légumes à l’approche de Noël (afin que les choux de Bruxelles puissent être au menu !), un programme pilote spécifique a été ouvert pour offrir des visas aux travailleurs migrants d’Europe et d’ailleurs. Il vient d’être étendu de 2 500 à 30 000 ouvriers. L’auteure du reportage du Financial Times, Sarah O’Connor, reproche au gouvernement de ne pas avoir anticipé la pénurie de travailleurs dans les divers secteurs où ils manquent désormais à l’appel. Elle cite un patron d’agence d’intérim qui lui a déclaré : « Nous ne mangerions pas sans les Européens de l’Est. » Et elle souligne qu’il était évident après le référendum de 2016 sur l’UE que la disparition d’une « immigration à bas salaire » libre de se déplacer affecterait les agriculteurs et particulièrement le patronat de l’agroalimentaire, des abattoirs et de l’hôtellerie.
Pour eux qui comptaient sur la possibilité de surexploiter ces travailleurs, le risque était de perdre du chiffre d’affaires, et même de voir leur entreprise faire faillite. Selon O’Connor, la solution aurait été d’améliorer les salaires et les conditions dans ces secteurs, et elle écrit : « Le gouvernement a géré le Brexit à courte vue, plutôt que de reconnaître qu’il fallait faire des compromis et les planifier. » Elle n’a probablement pas tort de conclure qu’il s’agit maintenant pour ces patrons de trouver des travailleurs migrants si désespérés qu’ils acceptent des visas temporaires et des conditions proches de l’esclavage.
Si les statistiques officielles recensent plus d’un million de postes non pourvus dans l’ensemble de l’économie, il s’agit d’emplois faiblement rémunérés dans certaines branches, telles que les transports, la logistique, l’hôtellerie-restauration, les soins à la personne. Des emplois en CDD ou en contrat zéro heure qui, en effet, étaient le plus souvent occupés jusqu’alors par des travailleurs venus de l’UE. Les patrons sont apparemment si inquiets qu’ils demandent encore plus de visas temporaires pour embaucher des travailleurs étrangers. La principale organisation patronale, la Confédération de l’industrie britannique (en anglais : le CBI), est elle aussi au bord de la crise de nerfs, à cause du manque de travailleurs qualifiés qu’elle voit comme « une menace pour la compétitivité britannique ». Eh bien, les patrons n’ont qu’à s’en prendre au Premier ministre conservateur, Boris Johnson, et à son slogan « Get Brexit Done » (Réalisons le Brexit).
La loi de l’offre et de la demande suspendue ?
Curieusement, la pénurie de main-d’œuvre a eu peu d’effet sur les salaires. On aurait pu s’attendre à ce que ceux-ci augmentent étant donné le manque de travailleurs. Pourtant, les employés du NHS se battent toujours pour une augmentation supérieure aux 2 % actuellement proposés (au départ, il ne leur était proposé que 1 % !), alors que l’inflation est de 3 % et ne cesse de croître. Les cheminots, eux aussi, on vu leurs salaires gelés.
Selon certains rapports, la pénurie de main-d’œuvre pourrait entraîner une augmentation des salaires de l’ordre de 8 à 10 %. Apparemment, la Banque d’Angleterre s’inquiète même de ce « vieux problème » selon lequel les augmentations de salaire font grimper l’inflation. Sauf que c’est l’inverse : ce sont les hausses de prix qui poussent les travailleurs à lutter pour obtenir des hausses de salaires au moins équivalentes.
Il y a quelques exceptions au gel général des salaires qui, compte tenu de l’inflation, représente en fait une baisse des salaires réels. Par exemple, certains supermarchés et désormais certains fournisseurs de carburant promettent à leurs salariés un salaire annuel de 60 000 livres (71 000 euros) ou plus. Des primes sont proposées aux travailleurs sociaux pour empêcher leur embauche par des concurrents. Dans le bâtiment aussi, les salaires sont plus élevés, en particulier ceux des maçons et des installateurs.
Bien que le Bureau national des statistiques (l’ONS : Office for National Statistics) ait estimé la croissance annuelle du salaire moyen à 7,4 % entre mars et juin (à 5,2 % en tenant compte de l’inflation), la croissance des salaires réels a été plus faible : entre 3,5 et 4,9 %. La Banque d’Angleterre a constaté une croissance encore plus lente, un peu au-dessus de 3 % sur la même période. Selon la Resolution Foundation, un groupe de réflexion qui prétend se consacrer à « l’amélioration du niveau de vie des ménages à faible ou à moyen revenu », cette croissance a été « plus forte que la croissance dérisoire des salaires pendant la période suivant la crise financière de 2008 au cours de laquelle les salaires ont à peine dépassé l’inflation ». C’est peut-être vrai. Mais pour la plupart des travailleurs, les propositions d’augmentations de salaire n’ont pas dépassé les 2 % lors des négociations obligatoires, et seulement pour les plus chanceux d’entre eux.
Adrian Jones, le responsable national du syndicat Unite the Union pour le transport routier et les chauffeurs de poids lourds, a ainsi déclaré que, même dans ce secteur, les patrons ne proposent pas d’augmentations de salaire durables mais seulement des primes exceptionnelles. Nombreux sont ceux qui se sont mis à acheter plus de fourgons pour pallier à la fois le manque de chauffeurs et les retards importants pris dans l’octroi des permis poids lourd. Dans ce contexte qui incite à l’embauche, les nouvelles recrues peuvent paradoxalement être plus payées que les travailleurs de longue date ce qui, selon Jones, a poussé à des menaces de grève.
Mais cela ne signifie pas que les conditions s’améliorent pour les chauffeurs de poids lourds, au contraire. Jones explique : « L’un de nos syndiqués a vu une annonce pour un poste de chauffeur qui proposait un salaire annuel de 62 000 livres (73 000 euros). Il a postulé et il s’est avéré que, pour obtenir ce salaire, il fallait travailler la nuit et les week-ends non-stop, sans s’arrêter une minute. Pour obtenir un tel salaire, il faut accepter de tout faire, et d’être limite hors la loi. »
Pour l’instant, les infirmières et les cheminots ont donc une cause commune à défendre avec beaucoup d’autres travailleurs du public comme du privé. Car presque tous voient leur salaire bloqué. Et même dans le cadre de négociations salariales, ils ne se voient proposer que des hausses inférieures à l’inflation. Aucune proposition d’action collective par secteur et encore moins de grève interprofessionnelle n’est venue pour l’instant de la part de leurs dirigeants syndicaux. Ce n’est certes pas une surprise. Mais ce serait pourtant le seul moyen d’avancer.
Le marché de l’énergie : un casino
Selon le régulateur public de l’énergie, Ofgem, et selon les ministres, c’est la loi de l’offre et de la demande qui est la raison de l’envolée des prix de l’énergie : puisque la pandémie s’est calmée et qu’on a besoin de plus d’énergie […], les prix ont augmenté. Il est indéniable que les producteurs de gaz ont saisi l’occasion pour se constituer un magot : les prix ont quadruplé depuis août 2020. Il est naturellement dans l’intérêt des capitalistes de l’énergie de se prévaloir d’une pénurie pour pousser les prix vers le haut. Néanmoins, malgré tous ceux qui évoquent un retour de la guerre froide, le russe Gazprom n’est pas responsable du problème de l’approvisionnement.
En Grande-Bretagne, le problème est amplifié par un marché de l’énergie hypertrophié, chaotique et non réglementé, créé il y a 35 ans par la privatisation. Il y a dix ans, la fourniture d’électricité et de gaz était encore dominée par les « six grands » que sont British Gas, EDF Energy, Eon UK, Npower, ScottishPower et SSE, qui ont réalisé d’énormes bénéfices, versé des primes massives à leurs dirigeants et fait augmenter de façon vertigineuse les prix de l’énergie pour les ménages. D’où un large mécontentement. Le gouvernement a donc allégé le maigre cadre réglementaire existant et le nombre de fournisseurs pour les particuliers est passé de 12 en 2010 à 70 en 2018. Cette mesure était censée, pour les partisans du libre marché, entraîner une baisse des prix.
La Grande-Bretagne se vantait alors d’avoir « les marchés les plus libéralisés du monde ». Mais les prix ont continué de s’envoler. Certaines sociétés se sont entendues pour qu’ils restent élevés, même si d’autres ont cassé les prix des contrats jusqu’à ce que les anciens « six grands » perdent le monopole du terrain. Mais un certain nombre des 70 nouveaux fournisseurs firent faillite en 2018-2019. D’où la mise en place de nouvelles règles pour protéger ces affairistes d’eux-mêmes, en les empêchant de vendre à perte. Ce plafonnement des prix mis en place en 2019 pour protéger le consommateur de prix qui crevaient le plafond fut bien entendu considéré par les capitalistes de l’énergie et certains parlementaires conservateurs comme une « entrave inappropriée à la libre concurrence ».
En mars de cette année, il y avait encore 49 fournisseurs de toutes tailles. Mais seuls les plus grands ont eu les moyens de « couvrir leurs paris » convenablement face aux hausses des prix vertigineuses. En effet, face à un prix du gaz qui a augmenté de 250 % depuis janvier, toutes ces entreprises ne disposaient pas de suffisamment de capital pour assurer les approvisionnements promis. [...] Comme l’a fait remarquer le patron de Green, un petit nouveau dans le secteur, ses collègues traitent le marché de l’énergie comme un casino. Depuis la mi-septembre, dix des plus petits parieurs sont déjà allés au tapis.
Mais que le gouvernement intervienne pour que ce marché d’escrocs continue, que l’Ofgem transfère les clients vers British Gas ou d’autres grandes entreprises, ou qu’il joue le rôle de fournisseur de dernier recours, le plafonnement des prix de l’énergie va être supprimé et les factures vont augmenter : en moyenne de 139 livres sterling (soit 164 euros) ce mois-ci et de 17 % l’année prochaine.
Cependant, le transfert des clients des entreprises qui ont fait faillite vers des entreprises plus solides n’est pas gratuit. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existe un accord avec les compagnies de gaz selon lequel l’ensemble des consommateurs d’énergie partagera le coût engagé par les grandes entreprises pour racheter la clientèle des sociétés en faillite. À première vue, cela pourrait ajouter 90 livres (106 euros par an) ou plus à la facture de chaque ménage en fonction du nombre d’entreprises qui font faillite. En d’autres termes, les clients se sont portés garants pour leurs fournisseurs, ces affairistes qui leur ont fait les poches ! Et ce n’est pas tout : ces mêmes affairistes sont pris en charge de sorte qu’ils ne supportent aucun risque et ne perdent pas un centime.
L’économiste Robert Peston l’a formulé ainsi : « Dans le cadre du mécanisme garantissant un fournisseur de dernier recours afin de protéger les clients des entreprises d’énergie en faillite, chaque client récupéré d’une entreprise en faillite coûte à l’entreprise de sauvetage environ 600 livres (709 euros), somme qu’elle a le droit de réclamer sur 15 à 24 mois à tous les clients d’énergie du pays. En d’autres termes, les coûts des erreurs des clients qui achètent de l’énergie à des entreprises fragiles sont “socialisés”. » Mais Peston a tort. Ce ne sont pas les erreurs des clients qui posent problème, mais le fait que des entreprises douteuses aient vu le jour avec la bénédiction du régulateur. Sans parler du bourrage de crâne opéré par les sites de comparaison pour inciter les clients à changer de fournisseur en vue de bénéficier des tarifs les plus bas.
Devant le petit tollé tout de même suscité par ce système de compensation, le Trésor met en place un plan de sauvetage pour ces parieurs et ces escrocs, mais les clients continueront à payer ; les prélèvements seront simplement étalés sur plusieurs années.
L’ancien chef de l’Ofgem, Dermot Nolan, qui a dirigé le régulateur de l’énergie de 2014 à février 2020, a déclaré que, s’il avait su, il aurait mis en œuvre « plus tôt des conditions de licence plus strictes » pour les fournisseurs existants et nouveaux. Un tel aveu ne manque pas de sel de la part de celui qui a présidé à la libéralisation à outrance.
Comment remédier à cette situation ? Bien sûr, les services essentiels comme le gaz et l’électricité devraient être sous contrôle public. Mais même s’ils l’étaient, il n’y aurait aucune garantie d’amélioration. Il suffit de regarder le système de santé pour s’en convaincre. En effet, tout dépend de la classe sociale qui détient le pouvoir. L’inaction du gouvernement actuel, qui se contente de regarder l’incendie progresser, fournit des arguments supplémentaires en faveur du contrôle des travailleurs sur l’économie.
Et maintenant ?
L’augmentation du coût de la vie frappe d’ores et déjà durement la classe ouvrière. L’inflation s’élève à 3 % et ne cesse de croître. Le prix des denrées alimentaires va encore augmenter de 5 %, selon le patron de la chaîne de supermarchés Tesco lui-même. Le prix de l’essence et du gazole, déjà inabordables avant les pénuries actuelles, va augmenter encore. En outre, au moment où le dispositif de chômage partiel mis en place par le gouvernement britannique arrive à terme (le 30 septembre)[1], une nouvelle attaque commence : le 1er octobre, le plafond des prix du gaz et de l’électricité passera de 1 150 livres (1 355 euros) à 1 277 livres (1 504 euros), soit une hausse de 11 %. Le même jour, la somme supplémentaire de 1 000 livres (1 178 euros) par an qui avait été attribuée au Crédit universel sera supprimée[2].
Puis, en avril 2022, les cotisations sociales subiront une hausse de 1,25 %, alourdissant d’autant la ponction sur les salaires. Dans le même temps, les prix du gaz et de l’électricité devraient encore augmenter de 17 %.
Avant même les problèmes d’approvisionnement et les pénuries de carburant en cours, le ministre des PME/PMI, Paul Scully, avait averti que, au vu du gonflement de la facture énergétique, l’hiver serait rude et que le risque de pénuries alimentaires était préoccupant.
Lorsqu’une journaliste de la BBC a demandé à Johnson comment les gens allaient pouvoir faire vivre leur famille, il a déclaré que toute personne qui « avait du mal » devrait chercher un meilleur travail et travailler davantage. La plupart des travailleurs qui gagnent ce que ce gouvernement a le culot d’appeler le salaire national de subsistance[3] sont dépendants du Crédit universel pour compléter leurs misérables revenus. Le perdre, c’est se retrouver la tête sous l’eau.
Il va de soi que la « reprise économique » post-confinement et la pénurie de travailleurs n’ont pas amélioré les emplois et les salaires, bien au contraire. Les chemins de fer, par exemple, suppriment des postes à tour de bras afin de préparer le grand lancement de leur privatisation réinventée – ce que le gouvernement appelle les Grands chemins de fer britanniques[4]. Et c’est aux cheminots qu’est présentée la note en termes d’emplois et de salaires.
Mais les travailleurs ne restent pas l’arme au pied. Ainsi les techniciens d’Abellio Scotrail, parmi de nombreux autres travailleurs « essentiels » qui ont travaillé pendant toute la pandémie, revendiquent une augmentation de salaire. Ils refusent les heures supplémentaires et préparent leurs revendications sans aller, pour l’instant, jusqu’à la grève. Les chauffeurs de bus et techniciens de nettoyage de la société Stagecoach votent actuellement la grève. Cette entreprise a fait cette année des bénéfices de 58,4 millions de livres (68,8 millions d’euros), a encaissé le cadeau des mesures d’urgence du ministère de l’Industrie et du Commerce, mais n’a pas accordé d’augmentation de salaire à ses salariés depuis deux ans. Dans la santé, les transports, la distribution, l’industrie manufacturière, l’agroalimentaire, le commerce de détail… partout, les patrons veulent imposer le gel des salaires ou des augmentations en dessous de l’inflation.
Les travailleurs ont des intérêts communs à défendre. S’ils décident de transformer ces intérêts communs en une grève commune, les petites grèves pour des augmentations de salaire qui apparaissent de manière éparse à travers le pays pourraient se transformer en une vague que les patrons seront incapables d’arrêter.
29 septembre 2021
[1] Comme en France, c’est l’État qui s’est chargé au plus fort de la pandémie de compenser en partie les salaires que les patrons ne voulaient plus verser dans les entreprises à l’arrêt ou au ralenti.
[2] Le Universal Credit ( Crédit universel) est une fusion de six aides sociales introduite par le Premier ministre conservateur David Cameron en avril 2013. Les obstacles administratifs sont nombreux pour ceux qui souhaitent accéder à ce crédit, en fait loin d’être universel.
[3] Ce National Living Wage, conçu en 2016 par les conservateurs comme devant être plus élevé que le smic britannique (le National Minimum Wage créé en 1998 par les travaillistes), est en fait au même bas niveau aujourd’hui : 8,91 livres par heure (10,5 euros) pour les plus de 23 ans.
[4] Voir l’article « ‘Great British Railways’: rail workers need a central plan », Class Struggle, no 113.