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Féminisme, intersectionnalité et lutte de classe
Il s’agit parfois d’une volonté de se dire féministe tout en s’opposant à des courants politiques qui se drapent dans le féminisme uniquement lorsque cela les arrange – notamment l’extrême droite, qui, tout en ayant été contre tous les combats féministes en France, a tenté de récupérer et détourner le terme de féminisme, devenu consensuel, pour s’en prendre aux immigrés uniquement, en premier lieu aux musulmans. C’est aussi sans doute une réaction aux leçons de « féminisme républicain » de responsables politiques comme Marlène Schiappa ou Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, qui a récemment fustigé « l’islamogauchisme, le postcolonialisme, l’intersectionnalité » qui régneraient dans les universités. De fait, au gouvernement, ce fameux féminisme républicain se traduit tout au plus par des enquêtes constatant que les inégalités entre les femmes et les hommes reculent très peu, que les femmes ont toujours des salaires inférieurs à ceux des hommes et qu’elles subissent toujours des violences conjugales. Ces enquêtes sont suivies de leçons de morale s'adressant aux hommes, qui devraient apprendre à mieux se comporter. Pendant ce temps-là, non seulement le gouvernement n’exerce aucune contrainte pour imposer aux patrons une réelle égalité salariale, mais il ne fait même pas ce qui dépend directement de lui, par exemple consacrer des moyens suffisants à l’accueil des femmes victimes de violences. Et, plus généralement, toute sa politique anti-ouvrière contribue à aggraver la situation des femmes du monde du travail.
D’un autre côté, une partie des mouvements féministes actuels orientent leur action vers des problèmes qui sont avant tout ceux de la petite bourgeoisie, réclamant une plus grande visibilité des femmes dans les médias, un meilleur accès aux grandes écoles, aux postes de direction des entreprises. Même les appels à la « libération de la parole » dénonçant les agressions sexuelles et les comportements sexistes, par exemple à travers le mouvement MeToo, n’ont pas le même impact pour une femme qui dispose d’une certaine indépendance financière et pour une travailleuse confrontée au harcèlement sexuel de son chef mais qui ne peut pas se passer de son salaire.
Dans ce contexte, on peut comprendre que des jeunes soient attirées par des mouvements qui se disent plus radicaux. La révolte contre la persistance, dans la société bourgeoise, de multiples formes d’oppression comme le racisme et le sexisme, est légitime. Mais les militantes et militants qui se réclament de l’intersectionnalité ne font pas qu’exprimer cette révolte : leurs prises de position politiques montrent qu’ils contestent la capacité de la classe ouvrière à mettre fin à toutes les oppressions, sexistes comme racistes. Ils ne cherchent d’ailleurs pas à s’adresser aux larges masses des travailleuses et travailleurs, pourtant la seule force sociale capable de renverser le système capitaliste qui engendre et alimente ces oppressions.
L’intersectionnalité, un mot nouveau pour un constat ancien
Le mot intersectionnalité a été inventé en 1989 par une avocate et militante noire américaine, Kimberley Crenshaw, pour dénoncer, selon elle, la non-prise en compte de la situation des femmes noires tant par les mouvements féministes que par les mouvements antiracistes : elle reprochait au mouvement féministe de ne pas se préoccuper des questions raciales, incontournables pour les femmes noires, et au mouvement antiraciste de ne pas tenir compte de l’oppression liée au sexe, tout aussi pesante que le racisme dans la vie quotidienne des femmes noires. Le constat que les oppressions se cumulent, et qu’une travailleuse noire est confrontée à la fois à l’exploitation, au racisme et au sexisme, n’avait pourtant rien de nouveau, pas plus que le fait que séparer ces combats mène à des impasses. La militante américaine Angela Davis l’illustre par l’exemple du droit de vote des femmes : obtenu aux États-Unis en 1920 après plusieurs décennies de combats féministes, il n’a été de fait accordé qu’aux femmes blanches, puisque les Noirs, hommes et femmes, en ont été écartés jusqu’en 1965. Dans la lignée de Kimberley Crenshaw et d’Angela Davis, les militantes dites du Black Feminism définissent leur combat comme à la fois antiraciste et antipatriarcal, et parfois aussi comme anticapitaliste. Mais, tout en affirmant que tous ces combats sont liés, elles ne militent pas vis-à-vis de la classe ouvrière en tant que classe.
C’est le cas également en France chez les militantes et militants qui se réclament d’une approche intersectionnelle. Par exemple Françoise Vergès, proche du Parti communiste réunionnais, défend un « féminisme décolonial » ayant selon elle pour objectif « la destruction du racisme, du capitalisme et de l’impérialisme ». Mais elle ne s’adresse jamais à la classe ouvrière et, lorsqu’elle parle de l’exploitation des femmes noires dans le secteur du ménage en France, c’est pour l’opposer au confort des femmes blanches des classes moyennes[1]. Rokhaya Diallo, journaliste et universitaire, se dit « féministe intersectionnelle et décoloniale » et affirme que « l’antiracisme ne peut être qu’anticapitaliste », mais elle ne fait aucun lien entre anticapitalisme et lutte des classes et ne situe pas son combat du point de vue du mouvement ouvrier. L’idée qu’il faudrait une « convergence des luttes » entre sexe, classe et race apparaît dans une partie de l’extrême gauche, parfois sous la forme de la dénonciation du lien entre patriarcat et capitalisme, mais ce que cela signifie concrètement en termes de perspectives politiques reste au mieux très flou. Ainsi, dans un article récemment publié sur le site du NPA, l’autrice, soucieuse de ne pas apparaître opposée à une idée à la mode dans la petite bourgeoisie, appelle à concilier marxisme et intersectionnalité, mais sans aller jusqu’à dire comment[2].
Car de fait, bien souvent, la prise de position intersectionnelle, partant d’une dénonciation en apparence radicale du poids du racisme et du sexisme, surtout lorsqu’ils se cumulent, se réduit à affirmer que les femmes ne forment pas un groupe social homogène (ce qui n’est pas une découverte), que l’on voit davantage dans les médias et même dans les mouvements féministes les femmes blanches des milieux aisés que les autres, et qu’il faut laisser plus de place et de visibilité aux femmes dites racisées, c’est-à-dire victimes de racisme ; dans cette catégorisation, les femmes blanches de la classe ouvrière sont d’ailleurs absentes[3].
En outre, le concept d’intersectionnalité déborde largement les milieux qui se pensent contestataires. Dans les milieux universitaires, il est utilisé dans des recherches sur les discriminations[4]. Une association du nom de Gloria propose même des formations à l’intersectionnalité en entreprise, dans le sillage des chartes de l’égalité et autres gadgets permettant à des patrons de se donner un vernis féministe[5]. Cette notion peut donc être reprise par des courants très divers, et ce n’est pas surprenant : constater que les oppressions existant dans la société capitaliste sont multiples et s’ajoutent les unes aux autres n’a rien de révolutionnaire. La question est de savoir comment on les combat.
Derrière toutes les oppressions, la division de la société en classes
Et pour les combattre, il faut d’abord les comprendre. Or l’image de l’intersection utilisée par Kimberley Crenshaw est ambiguë : elle suggère que chaque oppression est une route, et qu’une travailleuse noire est à l’intersection entre trois routes, celle du racisme, celle de la domination masculine et celle de l’exploitation capitaliste. Mais elle ne dit pas si ces routes sont toutes de la même taille, ni d’où elles viennent. Elle laisse donc penser que les divisions de genre et de race sont à mettre sur le même plan que la division de la société en classes, au sens où elles seraient aussi structurelles. Or ce n’est pas le cas. Ce ne sont ni les hommes ni les Blancs qui dirigent le monde, mais la bourgeoisie. Que celle-ci soit majoritairement masculine et blanche ne signifie pas que les hommes blancs appartenant à la classe ouvrière sont responsables de l’existence d’inégalités entre les femmes et les hommes, ni que la présence au sommet de l’État d’une femme comme Margaret Thatcher ou d’un Noir comme Barack Obama change la nature de la domination politique et sociale.
Certes, la bourgeoisie n’a pas inventé l’oppression des femmes. Mais durant toute son histoire, le capitalisme a utilisé, aggravé, creusé toutes les inégalités qui lui permettaient de tirer les conditions de vie de l’ensemble de la classe ouvrière vers le bas : travail sous-payé des femmes, mais aussi des enfants ou des travailleurs immigrés. Ce n’est pas parce qu’il est sexiste ou raciste que le patronat sous-paye les femmes ou les immigrés : c’est parce que l’exploitation capitaliste repose sur la mise en concurrence des travailleurs, et qu’elle attise nécessairement tous les éléments qui peuvent aggraver cette mise en concurrence. Mais il ne faut pas oublier que l’objectif de cette mise en concurrence, c’est d’exploiter l’ensemble de la classe ouvrière. Toutes ces discriminations pèsent donc non seulement sur ceux qui les subissent directement, mais aussi sur l’ensemble de la classe ouvrière.
Ces discriminations économiques ont des conséquences qui débordent largement la question des inégalités dans le monde du travail. La crise sanitaire l’a rappelé : majoritaires dans les secteurs de la santé, de la distribution, de la propreté, les travailleuses sont surreprésentées dans les emplois dits de première ligne. Mais elles sont aussi plus nombreuses que les hommes à avoir un travail à temps partiel ou à vivre de missions et de contrats courts, et ont donc été particulièrement frappées par l’explosion du chômage et les baisses de revenus. Il faut ajouter à cela que les tâches domestiques et la prise en charge des enfants reposent encore beaucoup sur les femmes, et que ces tâches ont été alourdies par les mesures sanitaires, en particulier lorsque les écoles ont été fermées. Les périodes de confinement ont aussi aggravé les violences conjugales, et ce n’est malheureusement pas surprenant. La société bourgeoise, parce qu’elle est fondée sur des rapports d’exploitation, charrie une multiplicité de préjugés qui entraînent aussi dans l’ensemble de la vie sociale, jusqu’à la sphère privée, des comportements violents et dominateurs. L’oppression des femmes est le reflet d’une société dont les principales valeurs sont le pouvoir et l’individualisme. Elle touche l’ensemble des femmes, même celles qui ne sont pas les plus exploitées, mais on ne peut pas la comprendre si on l’isole de l’existence de rapports d’exploitation, en d’autres termes de la domination de la bourgeoisie.
Alors, utiliser la notion d’intersectionnalité pour décrire les multiples formes que prend l’oppression des femmes, c’est pointer une réalité : être une femme de milieu populaire, avec un petit salaire et en butte au racisme, aggrave tous les autres problèmes, car la liberté de choisir sa vie, de quitter un mari violent, est très limitée lorsque l’on n’arrive pas à joindre les deux bouts. Mais les femmes de la classe ouvrière le savent et le vivent depuis toujours. Pourquoi donc introduire un nouveau concept, si ce n’est pour en tirer des conclusions politiques ? En réalité, l’approche intersectionnelle donne lieu à des prises de position bien éloignées de la transformation révolutionnaire de la société, et même des intérêts immédiats des travailleuses et des travailleurs.
Des positions réactionnaires
Car, si les féministes intersectionnelles, qui dénoncent conjointement le racisme et le sexisme, affirment se préoccuper des femmes des classes populaires, elles n’en parlent jamais en tant que travailleuses, et les perspectives qu’elles proposent conduisent à les enfermer dans des combats souvent réactionnaires.
Ainsi, le fait de voir les femmes d’origine immigrée d’abord comme des « femmes racisées », et non comme des travailleuses, conduit certaines militantes à défendre le port du voile islamique. Parce que celui-ci serait plus souvent porté par des femmes qu’elles qualifient de « non blanches », il serait raciste de considérer le voile comme un symbole d’infériorisation des femmes. Les féministes qui s’y opposent sont ainsi rangées du côté d’un féminisme blanc néocolonial. Cela revient à jeter aux oubliettes les combats des femmes de famille musulmane pour ne pas porter le voile, en France et ailleurs dans le monde, de l’Iran à l’Arabie saoudite.
Le refus de raisonner en termes de classes sociales conduit à des aberrations, comme la thèse d’un privilège masculin ou d’un patriarcat indépendant des classes sociales, qui amène à dénoncer les hommes dans leur ensemble, et non les responsables et bénéficiaires de l’exploitation. Sur le terrain de la lutte antiraciste, l’équivalent est le privilège blanc, qui met sur le même plan les préjugés racistes répandus dans la population et le racisme systémique de la société capitaliste[6]. La conséquence militante ne peut être que de traiter un ouvrier qui a des préjugés machistes ou racistes comme un adversaire, et non de militer pour qu’il devienne un frère de combat.
Autre prise de position dérivant de cette approche intersectionnelle qui prétend inclure toutes les femmes dans les luttes : des femmes qui se disent féministes légitiment la prostitution, rebaptisée « travail sexuel », et ont été jusqu’à agresser des militantes la dénonçant lors de la dernière manifestation du 8 mars à Paris. Comme si on ne pouvait pas être à la fois solidaire des prostituées et opposé à la prostitution, qui n’est rien d’autre que la vente du corps des femmes !
Ces exemples de prises de position montrent qu’il ne suffit pas de dénoncer les oppressions pour se donner les moyens de les combattre, ni de se proclamer radical ou antisystème pour l’être. Quand l’approche intersectionnelle consiste à dire que tous les combats se valent et que le droit de porter le voile à l’école est un objectif féministe au même titre que les luttes pour l’égalité salariale ou le droit à l’avortement, elle conduit en réalité à des prises de positions communautaristes et réactionnaires, qui contribuent à diviser les femmes des classes populaires – et les hommes avec elles.
Féminisme et conscience de classe
Car le problème est là : tient-on à reprendre les divisions qui existent dans la société, et dans la classe ouvrière, ou à les combattre ? L’approche intersectionnelle insiste sur les divisions. Au contraire, pour des marxistes, la seule perspective permettant de combattre l’oppression des femmes, c’est de combattre l’exploitation capitaliste et l’ordre social bourgeois qui maintient cette oppression, et c’est donc de militer pour l’unité de la classe ouvrière, pour que les travailleuses et travailleurs soient conscients de leur identité de classe, au-delà des différences de sexe, de nationalité ou de religion.
Il ne s’agit pas de nier la diversité des origines et des croyances dans la classe ouvrière. Mais les travailleurs forment une classe qui a des intérêts communs et ils doivent en avoir conscience pour pouvoir mener leurs combats. C’est le rôle des militants révolutionnaires, convaincus que la société capitaliste doit être renversée et que la classe ouvrière en a les moyens, de militer pour cette conscience de classe, car c’est la division en classes qui est fondamentale dans la structuration de la société, et parce que c’est en s’organisant comme classe que le prolétariat peut renverser le capitalisme. Reprendre et figer les divisions qui contribuent à aggraver l’exploitation de tous est un piège.
Le mouvement ouvrier révolutionnaire a su éviter ce piège durant son histoire. Louise Michel écrivait déjà : « Le sexe fort est tout aussi esclave que le sexe faible, et il ne peut donner ce qu’il n’a pas lui-même ; toutes les inégalités tomberont du même coup quand hommes et femmes donneront pour la lutte décisive. »[7] Dans le mouvement socialiste du début du 20e siècle, des militantes comme Clara Zetkin ont lié le combat féministe à la perspective socialiste, par exemple en créant une journée internationale de lutte pour les droits de femmes, qui perdure aujourd’hui tous les 8 mars. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de préjugés dans la classe ouvrière, même socialiste, à cette époque, mais ces militantes et ces militants les combattaient au nom de la conscience de classe.
Elles s’opposaient aux suffragettes, qui défendaient un droit de vote censitaire pour les femmes de la bourgeoisie, tout en s’opposant aux autres combats sociaux et politiques au nom de la priorité au seul combat féministe. Sur la question de la conquête du droit de vote pour les femmes, Rosa Luxemburg écrivait ainsi en 1912 : « Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne n’est qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple […]. Le suffrage féminin est une horreur et une abomination pour l’État capitaliste actuel, parce que derrière lui se tiennent des millions de femmes qui renforceraient l’ennemi de l’intérieur, c’est-à-dire la social-démocratie révolutionnaire. S’il n’était question que du vote des femmes bourgeoises, l’État capitaliste ne pourrait en attendre rien d’autre qu’un soutien effectif à la réaction. Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les « prérogatives masculines » marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote. En fait, elles seraient certainement bien plus réactionnaires que la fraction masculine de leur classe […]. La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir […]. En luttant pour le suffrage féminin, nous rapprocherons aussi l’heure où la société actuelle tombera en ruines sous les coups de marteau du prolétariat révolutionnaire. »[8]
Le Parti communiste, à ses débuts, a lui aussi affirmé que la lutte pour l’émancipation des femmes faisait partie intégrante du combat révolutionnaire, en organisant des grèves de femmes et même en présentant des femmes à des élections alors qu’elles n’avaient même pas encore le droit de vote. La stalinisation du mouvement communiste a conduit au retour à des idées conservatrices, notamment sur la famille, dès les années 1930. D’ailleurs Trotsky, dans le Programme de transition, soulignait que les organisations ouvrières staliniennes et réformistes ne s’intéressaient qu’aux couches supérieures du prolétariat. Ce programme s’adressait au contraire aux travailleurs, aux jeunes et aux femmes : après avoir rappelé que « l’époque du capitalisme en décadence porte les coups les plus durs à la femme, tant comme ouvrière que comme ménagère », il se concluait par un appel aux travailleuses et aux travailleurs : « Ouvriers et ouvrières de tous les pays, rangez-vous sous le drapeau de la IVe Internationale ! »
C’est cette tradition féministe qu’il faut faire revivre, celle qui n’a pas l’illusion que les femmes, ou les hommes, pourront se débarrasser de l’oppression sans mettre fin à la domination de la bourgeoisie et à son cortège d’inégalités, de violence, de préjugés.
Contre toutes les oppressions, le combat communiste révolutionnaire
Les femmes qui se révoltent se heurtent à ce même État qui défend le pouvoir des capitalistes sur toute la société. Pour ne parler que de la France, c’est un État capable d’imposer à toute la population de respecter un couvre-feu pendant des mois, mais pas d’imposer l’égalité salariale aux patrons ; un État qui utilise une police pourrie de préjugés racistes et sexistes, parce que la fonction principale de celle-ci est de défendre l’ordre de la classe sociale dominante. Alors, mener le combat pour l’émancipation des femmes jusqu’au bout, c’est être prêt à remettre en cause tout cet ordre social, et d’abord et avant tout l’exploitation capitaliste, qui est au fondement de tous les rapports sociaux. Et cela, seule la classe ouvrière peut le faire.
Tant que le patronat aura le droit de décider qui travaille, pour quel salaire, à quels horaires, dans quels lieux, et que la vie des travailleurs dépendra de ces diktats patronaux, ce même patronat aura les moyens de diviser et faire subir un chantage à la survie à certaines catégories du prolétariat : les femmes, les immigrés, les jeunes… Et tant que ces divisions subsisteront, elles entraîneront une multiplicité de formes d’oppression, y compris dans la sphère familiale.
Dire que le combat féministe ne peut aboutir que par la transformation de toute la société n’est donc ni minimiser l’importance de ce combat, ni le remettre à demain, pas plus que dire que les luttes économiques partielles ne peuvent pas offrir de perspective durable n’empêche de mener des grèves partielles. Les révolutionnaires doivent mener tous les combats, mais d’une façon qui fait progresser la conscience de classe et l’organisation des travailleurs, et toujours en expliquant qu’une société fondée sur l’exploitation ne peut pas être en même temps fraternelle et égalitaire. Pour un travailleur de sexe masculin, militer contre les salaires inférieurs des femmes est vital, car ces salaires peuvent servir de prétexte à baisser ceux de tout le monde. Il est aussi vital pour lui de militer contre le harcèlement des chefs envers les travailleuses : le petit chef qui se permet de harceler une salariée est le même qui sanctionnera son collègue masculin pour une broutille. Lutter contre les comportements machistes et racistes dans la classe ouvrière, c’est faire avancer le combat pour la conscience, c’est renforcer notre camp, cela fait partie du combat quotidien pour l’unité de la classe ouvrière.
Alors si des jeunes entrent en révolte contre cette société parce qu’elles et ils constatent qu’elle n’est pas capable de faire avancer les droits des femmes ni de faire reculer le racisme, c’est évidemment une bonne chose ; mais la seule perspective leur permettant de mener réellement ces combats, c’est de se tourner vers les idées communistes et vers la classe ouvrière, la seule qui peut jeter les bases d’une société réellement égalitaire en mettant fin à l’exploitation capitaliste.
3 mai 2021
[1] Un féminisme décolonial, La Fabrique, 2019.
[2] https://nouveaupartianticapitaliste.org/actualite/strategie/lintersectionnalite-est-elle-soluble-dans-le-marxisme (29 avril 2021).
[3] Voir, à titre d’exemple, le site féministe lespotiches.com, qui écrit : « Le but est de développer un féminisme qui ne serve pas uniquement la cause des femmes blanches, cisgenre et hétérosexuelles appartenant aux classes moyennes ou supérieures » et donne comme exemples de discriminations : « des femmes noires qui cumulent racisme et sexisme, les femmes musulmanes qui combinent islamophobie, sexisme et souvent aussi racisme, ou encore les femmes transgenres qui vont subir un mélange de transphobie et de sexisme ».
[4] Voir par exemple l’introduction du livre Le genre du capital de Céline Bessière et Sibylle Gollac, publié en 2020 : « Notre travail s’inscrit ainsi dans une perspective intersectionnelle, qui articule, sans les hiérarchiser, plusieurs rapports de domination. »
[5] www.gloriaforbusiness.com
[6] C’est ainsi que Rokhaya Diallo appelle à « renoncer au privilège blanc » en écrivant : « Si les minorités sont discriminées c’est que les majoritaires bénéficient de leur discrimination : si une Arabe ou un-e Noir se voit refuser un appartement en raison de sa couleur de peau, c’est un Blanc qui l’obtiendra et ce quel que soit son degré d’engagement antiraciste. Renoncer à ces privilèges indus serait déjà un grand pas vers l’égalité » (http://www.slate.fr/story/146466/non-mixite-rokhaya-diallo). Comme si le fait de renoncer à prendre un appartement allait changer quoi que ce soit au problème de fond : l’absence d’un nombre suffisant de logements !
[7] Louise Michel, Mémoires, chapitre XII, p. 136
(https://fr.wikisource.org/wiki/Mémoires_de_Louise_Michel).
[8] R. Luxemburg, « Suffrage féminin et lutte de classe », mai 1912
(https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1912/05/suffrage.htm)