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Discussion sur les textes d’orientation (extraits)
Première partie
Comme d’habitude, et peut-être un peu plus que d’habitude, un grand nombre de questions ont déjà été discutées localement. Ces questions ont été extrêmement diverses.
Certaines ont porté sur des notions de base, notamment de l’économie politique marxiste, comme, par exemple, l’idée que la plus-value produite par l’exploitation des travailleurs l’est à l’échelle de l’ensemble de l’économie, et non pas entreprise par entreprise ; et que tout se passe comme si les multiples ruissellements de profits extraits des travailleurs par l’exploitation, que s’approprie la classe capitaliste, étaient versés dans une sorte de cagnotte commune qui est ensuite répartie au prorata des capitaux investis ou placés.
À ce type de questions, il a été répondu localement. Nous y reviendrons d’autant moins ici que nos textes de congrès ne visent évidemment pas à se substituer à la culture politique marxiste. Dans ce domaine, rien ne remplace l’étude ou la relecture autant de fois que nécessaire des œuvres de Marx (Salaire, prix et profit ; Travail salarié et capital ; et surtout Le Capital lui-même, au moins la partie des ouvrages de vulgarisation comme Marx vu par Trotsky ou encore la sélection faite par Borchardt).
D’autres questions ont donné lieu à de longs débats dont certains ont révélé des incompréhensions de fond. Certaines ont été clairement formulées, d’autres pas. Dans cette deuxième catégorie, il y avait des critiques du style : telle information n’est pas assez nuancée ou elle est exagérée, etc. C’est ce type de questions qui a donné lieu, souvent, à des débats avec des interventions nombreuses.
La préparation du congrès et nos textes d’orientation sont les fruits de l’ensemble de ces discussions.
Questions particulières, compréhension globale et démarche marxiste
Ces différents niveaux de discussion ne sont pas seulement techniques. Ils soulèvent un problème politique, un problème de méthode de raisonnement.
Les questions particulières peuvent déboucher sur un approfondissement, et c’est leur utilité. Mais, même lorsque cet approfondissement est réel, lorsqu’on va jusqu’au bout du raisonnement, il ne faut jamais oublier l’ensemble du raisonnement qui doit être guidé par le marxisme, c’est-à-dire la conception matérialiste, dialectique, de l’histoire.
Cela veut dire aborder toutes les questions concrètes, partielles, en n’oubliant pas l’ensemble, en n’oubliant pas l’infinité des interactions de la vie sociale, non pas entre un nombre limité d’individus, mais à l’échelle de l’ensemble de l’humanité. L’approfondissement de certaines questions ne doit pas non plus nous faire perdre de vue que cet ensemble est en changement en permanence.
Le raisonnement marxiste, c’est notre outil fondamental pour nous qui sommes une petite organisation, avec une implantation modeste parmi les travailleurs. C’est notre principal lien avec la classe ouvrière, avec ses expériences passées et présentes, avec sa perspective historique.
Notre ambition avec nos textes de congrès n’est pas de réinventer le marxisme à partir de l’actualité, mais d’essayer de comprendre l’actualité grâce à cet outil formidable qu’est le marxisme. C’est pourquoi nous nous appuyons si souvent sur des raisonnements du passé remontant à Marx, ou à des générations ultérieures (Rosa Luxemburg, Lénine et Trotsky).
C’est leur façon de raisonner qu’il faut comprendre et assimiler, en profondeur. Ce n’est pas une collection de recettes, pas le Petit livre rouge de Mao. Encore moins ce Canada dry du marxisme que le stalinisme a imposé de par le monde. Le slogan publicitaire de cette marque de soda affirmait : « Canada Dry a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool. »
Chaque expérience du passé du mouvement ouvrier est, d’un côté, une expérience unique : on ne reverra pas une deuxième fois à l’identique ni la Commune de Paris, ni la révolution prolétarienne de 1917 en Russie, ni juin 1936… Et pourtant, l’apport des véritables intellectuels du mouvement ouvrier, à commencer par Marx, était leur capacité à dégager d’une multitude d’expériences éparses un certain nombre de lois, et sur le fonctionnement du capitalisme dans son ensemble, et sur les tâches qui en découlent pour le courant révolutionnaire du mouvement ouvrier.
Pour formuler les choses autrement : en partant des questions concrètes qui sont si diverses et si changeantes, il ne faut pas qu’elles morcellent notre raisonnement au point d’oublier le nombre infini de liens entre les différents phénomènes sociaux. Nous y reviendrons à propos du fascisme.
Sur l’aggravation de la crise de l’économie capitaliste
Un grand nombre de questions ont été discutées à propos de ce texte.
L’ensemble du raisonnement est formulé dans le texte. On peut le relire et le relire encore, jusqu’à ce que l’arbre de telle ou telle formulation cesse de cacher la forêt du raisonnement. Et par notre raisonnement, nous n’entendons pas seulement ce qui est écrit dans le texte de cette année, mais aussi des années précédentes. Le caractère annuel de notre congrès fait que nous revenons tous les ans sur différents aspects qui marquent l’évolution de l’économie capitaliste mondiale, sans forcément redire ce qui a été dit l’année précédente.
Ce que nous avons voulu souligner particulièrement cette année est formulé dans le premier paragraphe du texte :
« La crise de l’économie capitaliste a connu cette année une aggravation brutale. La pandémie du coronavirus en a été un facteur d’amplification, mais pas la cause fondamentale. La concordance et l’interaction entre la crise économique et la crise sanitaire ont en revanche servi à nombre d’économistes de la bourgeoisie à brouiller la réalité entre ce qui est dû à l’interruption forcée de l’activité économique et ce qui est dû au fonctionnement du capitalisme en crise. »
C’est de ce constat que nous tirons la conclusion que l’aggravation de la crise aura inévitablement des conséquences sociales, changera immanquablement le rapport entre les classes sociales et déterminera toute une partie de notre activité militante.
La modification du rapport des forces entre la bourgeoisie, surtout ses sommets, et le prolétariat est déjà tangible du fait de l’accroissement brutal de la pauvreté, même dans les riches pays impérialistes, et l’enrichissement en même temps de la grande bourgeoisie.
Mais l’aggravation de la crise modifiera aussi les rapports sociaux entre la classe ouvrière et les différentes couches de la petite bourgeoisie. Là, tout n’est pas encore visible, mais pour nos tâches militantes, il est essentiel d’anticiper.
Nous insistons sur le fait que, dans bien des domaines, il s’agit d’indices sur des évolutions qui ne se sont pas encore déployées, mais dont les conséquences prévisibles risquent d’être importantes. Importantes pour l’ensemble de la société. Importantes pour notre activité militante.
La crise économique dure depuis si longtemps déjà que les expressions « crise séculaire » ou « stagnation séculaire » sont entrées dans le vocabulaire courant, tant l’histoire économique des dernières décennies témoigne de l’incapacité de l’économie à sortir du marasme sur la base du capitalisme (baisse des investissements productifs, stagnation, voire recul de la production matérielle, accroissement des inégalités, menaces périodiques de crises financières, etc.).
Comparaison avec 1929 ou 2008
Certaines discussions ont porté sur la comparaison avec la crise de 1929. D’autres avec le début d’effondrement bancaire en 2008. On peut toujours faire des comparaisons, mais il faut bien réaliser que la question qui se pose n’est pas de savoir ce qui est plus grave, entre la menace de l’effondrement bancaire de 2008 ou le recul important, en cette année 2020, de la production de biens matériels.
Si la crise dite des subprimes avait abouti en 2008 à provoquer un effondrement du système bancaire, cela aurait de toute façon débouché sur un effondrement de la production. On se souvient que les États impérialistes ont réussi à stopper l’effondrement bancaire en injectant des milliards dans l’économie. Mais la médication de 2008 s’est révélée un poison pour les années suivantes. Les sommes déversées dans l’économie ont fini par alimenter un peu plus la spéculation au détriment des investissements productifs.
On peut comparer cela avec le sida. Un malade du sida peut mourir d’une multitude de maladies, jusques et y compris d’une simple grippe, voire d’une infection qu’un individu sain ne remarquerait peut-être même pas. Car, en réalité, le problème n’est pas la maladie précise dont meurt le malade, mais l’affaiblissement ou la destruction des défenses immunitaires laissant la porte ouverte à n’importe quelle infection.
Là où s’arrête la comparaison, c’est que l’humanité trouvera et est en train de trouver la médication contre le sida, alors que la seule façon de guérir la société humaine du capitalisme en crise, c’est de le détruire, pour le remplacer par une forme d’organisation économique correspondant au niveau de développement de notre époque.
Les raisons de la financiarisation
Disons quelques mots sur l’évolution du capitalisme vers une financiarisation croissante. Nous en parlons depuis bien des années. Des camarades demandent : comment expliquer que les coteries capitalistes les plus puissantes privilégient les placements financiers par rapport aux investissements productifs, alors que la plus-value globale à la base du profit des uns et des autres ne peut venir que de l’exploitation, c’est-à-dire, en dernier ressort, de la production ?
Mais c’est une façon biaisée de poser le problème. Le comportement de chaque capitaliste, de chaque groupe capitaliste, est une chose. Le fonctionnement de l’ensemble du système en est une autre. La soif de profit du capitaliste individuel est un moteur suffisant pour expliquer son comportement individuel. Ce que Lénine avait résumé par l’expression que nous citons pour ainsi dire à chaque congrès : « Le capitaliste est prêt à vendre la corde pour le pendre. » Les lois de l’économie capitaliste s’imposent à travers l’agitation désordonnée, les chocs multiples des intérêts individuels contradictoires, par la concurrence, par la compétitivité.
Il en est ainsi de la financiarisation qui s’impose à notre époque comme une tendance de l’évolution de l’impérialisme. Pour en comprendre le mécanisme, nous en avons une illustration avec ce qui se passe sous nos yeux.
Nous constatons, dans le texte d’orientation, que pour faire face à la phase actuelle de la crise, les banques centrales ont déversé dans l’économie des centaines de milliards de crédits. Mais face à cette offre de crédits supplémentaires mis à la disposition de la classe capitaliste, il y a une demande. Sur ce qu’on appelle le marché financier, face aux États qui empruntent, il y a ceux qui ont de quoi prêter, c’est-à-dire les groupes financiers, les banques, les sociétés d’assurance, les officines spécialisées dans la gestion des placements d’argent pour le compte des capitalistes.
Un capitalisme usuraire
Les groupes financiers prêteront d’autant plus facilement aux États que prêter aux États impérialistes, aux États-Unis, au Japon ou à la coalition d’États qu’est l’Union européenne, est un placement qui passe pour relativement sûr, à remboursement garanti.
Prenons comme exemple l’Union européenne, surtout depuis qu’elle a décidé de mutualiser dans une certaine mesure la dette de ses différents États, ce qui signifie faire garantir par les États les plus riches le remboursement d’une partie de la dette même des États les plus pauvres. De la part de l’Union européenne, cela représentera un emprunt de 750 milliards d’euros. Du côté des groupes financiers, cela représente la même somme prêtée, moyennant intérêts.
Cette somme considérable augmentera les sommes encore plus considérables qui sont déjà à la recherche de placements avantageux à l’échelle du monde. Les dirigeants du monde capitaliste et ceux en particulier de l’Union européenne savent que, face à leurs besoins d’argent, il y a des groupes financiers qui ne demandent qu’à prêter, surtout dans une période où placer son argent dans un grand nombre d’entreprises industrielles, menacées de faillite, est risqué.
Aujourd’hui, nous voyons le démarrage d’un mécanisme dont il n’est pas difficile de prévoir l’enchaînement. On n’a même pas eu le temps d’oublier le « quoi qu’il en coûte » de Macron, c’est-à-dire l’argent à gogo mis à la disposition des capitalistes, qu’on entend déjà d’autres voix officielles du monde capitaliste en rappeler la contrepartie. Pour n’en citer qu’une, celle de Moscovici, ex-ministre socialiste, ex-commissaire de l’Union européenne et aujourd’hui président de la Cour des comptes, qui proclamait sur une chaîne de télévision : « Une dette, ça peut se restructurer, ça peut se renégocier, ça peut même être partiellement annulé, mais, au bout du compte, il faut la rembourser. »
Ce qui signifie, par exemple, que même le chômage partiel est un « cadeau » empoisonné et qu’on devra le rembourser. Et le « on » en question, c’est nous, que nous ayons bénéficié du chômage partiel ou pas.
Et, devant nous, se met en place une étape supplémentaire de la financiarisation. C’est en même temps une étape supplémentaire dans le devenir d’un capitalisme impérialiste de plus en plus usuraire.
Ce qu’ont vécu les classes populaires en Grèce, nous le vivrons, y compris dans les pays impérialistes les plus riches. On ne peut que spéculer sur l’infinité des moyens qu’ont les États pour prélever l’argent : blocage des salaires et des retraites ; réduction des effectifs dans les services dits publics ; augmentation des cotisations sociales, des loyers, de l’énergie (gaz, électricité, eau), des taxes qui frappent les produits de consommation courante ; diminution des allocations et des prestations, etc.
Nous pouvons faire marcher notre imagination, mais soyons sûrs que les États trouveront plus que nous les moyens de faire payer la classe ouvrière et plus généralement toutes les classes laborieuses. Le capitalisme sénile se donne de moins en moins la peine d’exploiter directement ses salariés. Il charge son appareil d’État de la tâche. Le grand capital se donne les moyens de prélever sa prébende croissante sur la société sous la forme du remboursement perpétuel des intérêts de la dette. Perpétuel jusqu’à ce que le prolétariat, en expropriant la bourgeoisie, annule par la même occasion toutes les dettes. Comme l’a fait le prolétariat russe en 1917.
Sur le fascisme
Les assemblées locales ont débattu d’une série de questions sur le fascisme.
La possibilité de l’émergence d’un mouvement de type fasciste, nous l’évoquons depuis toujours. Cela fait partie de notre culture politique tant que la grande bourgeoisie domine la société. Comme doit faire partie de notre culture politique la conscience que la bourgeoisie se battra bec et ongles pour préserver sa dictature sur la société. Et ce sont les mêmes périodes de crises graves, susceptibles de conduire à la révolution prolétarienne, qui favorisent l’émergence de mouvements fascistes. Des périodes de crises où la société ne trouve pas de solution dans le cadre capitaliste. Des périodes où la lutte de classe devient particulièrement aiguë et se transforme en lutte pour le pouvoir.
Trotsky avait résumé cela dans l’expression : « Si le parti communiste est le parti de l’espoir révolutionnaire, le fascisme en tant que mouvement de masse est le parti du désespoir contre-révolutionnaire. »
Mais il faut savoir de quoi nous voulons parler. Et déjà, ne pas se contenter de raisonner en fonction des seules situations qui permettent à un mouvement de type fasciste de s’emparer du pouvoir politique, avec l’autorisation, voire à la demande explicite de la grande bourgeoisie.
Cela ne s’est produit sous sa forme pour ainsi dire chimiquement pure que dans deux pays, en Italie sous Mussolini et en Allemagne sous Hitler. Mais l’entre-deux-guerres a vu émerger une multitude de mouvements de type fasciste qui ont pesé sur l’histoire des pays où ils se sont développés, en composant de diverses façons avec les appareils d’État bourgeois en place.
Alors, avant de revenir sur ce qui était commun à ces différents mouvements fascistes, nous voudrions souligner que, pour le moment, la dynamique est à peine engagée. Il s’agit d’un raisonnement par anticipation sur ce qui peut se passer, sur ce qui menace de se passer avec l’aggravation de la crise.
Mais, même si c’est une anticipation pour le moment, les échéances pour qu’elle devienne réalité peuvent être extrêmement proches. Car les éléments humains, les futurs soldats du rang des troupes fascistes, existent déjà, comme en existent les futurs cadres. Tant que le capitalisme n’est pas détruit, comme disait Brecht, « le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ».
Regardez avec quelle rapidité sont apparus au grand jour aux États-Unis tous les courants racistes, du Ku Klux Klan et des suprémacistes blancs à d’autres courants de l’extrême droite violente.
Dans l’Italie des années 1920 comme dans l’Allemagne des années 1930, les cadres, les futurs officiers du mouvement fasciste, étaient issus d’une génération d’officiers et de sous-officiers qui avaient fait la guerre, socialement frustrés une fois la guerre finie et qui ont appris pendant la guerre à user de violence. À l’époque présente, ces cadres seront-ils issus d’une des innombrables guerres menées par les États-Unis au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak, et par la France dans ses ex-colonies sous prétexte de la lutte contre le terrorisme ? Nous n’en savons rien. Ici en France, certains sont déjà présents dans les commissariats, comme ceux qui ont tabassé le producteur de musique noir Michel Zecler.
L’analyse du fascisme par Léon Trotsky
Pour comprendre ce qu’est le fascisme, nous avons la chance d’avoir en héritage les écrits de Trotsky.
Nous savons qu’un des apports essentiels de Trotsky est l’explication de la dégénérescence de l’État ouvrier soviétique et de l’émergence d’une bureaucratie contre-révolutionnaire. C’est à lui aussi que nous devons une analyse pertinente du fascisme dont il a suivi l’émergence en Italie, en Allemagne et dans un grand nombre d’autres pays, y compris en France. Au début des années 1920, en tant qu’un des principaux dirigeants de l’Internationale communiste. Plus tard, chassé de l’Union soviétique, dans l’opposition au stalinisme.
Discuter du fascisme comme si c’était une simple question de vocabulaire, sans avoir lu et étudié ce qu’a écrit Trotsky tout au long des quelque vingt ans qui vont de la fondation des premiers « faisceaux de combat » par Mussolini en mars 1919 jusqu’à la mort de Trotsky, c’est au mieux de l’amateurisme et, en réalité, du bavardage stérile.
Nous voudrions citer un extrait d’un rapport fait par Trotsky devant l’assemblée des vétérinaires de Moscou le 28 juillet 1924, alors que le fascisme était déjà au pouvoir en Italie, mais neuf ans avant l’arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne. Trotsky y est très nuancé dans le constat et très clair dans le raisonnement et la généralisation :
« Le fascisme peut, selon les pays, avoir des aspects divers, une composition sociale différente, c’est-à-dire se recruter parmi des groupes différents ; mais il est essentiellement le groupement combatif des forces que la société bourgeoise menacée fait surgir pour repousser le prolétariat dans la guerre civile. Quand l’appareil étatique démocratico-parlementaire s’empêtre dans ses contradictions internes, quand la légalité bourgeoise est une entrave pour la bourgeoisie elle-même, cette dernière met en action les éléments les plus combatifs dont elle dispose, les libère des freins de la légalité, les oblige à agir par toutes les méthodes de destruction et de terreur. C’est là le fascisme. Ainsi donc, le fascisme est l’état de guerre civile pour la bourgeoisie qui rassemble ses troupes, de même que le prolétariat groupe ses forces et ses organisations pour l’insurrection armée au moment de la prise du pouvoir. »
Une autre formulation de Trotsky date de 1930, donc bien avant l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne : « Sous les coups de la crise, la petite bourgeoisie a basculé, non du côté de la révolution prolétarienne, mais du côté de la réaction impérialiste la plus extrémiste, en entraînant des couches importantes du prolétariat »[1].
Fascisme et régime autoritaire
D’autres discussions ont mélangé l’évolution autoritaire de l’État avec le fascisme. Même si les deux constituent des offres de service à la bourgeoisie, il s’agit d’étapes différentes et de moyens utilisés différents.
Avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, il y avait des régimes archi-réactionnaires par rapport auxquels l’évolution autoritaire d’ici en France fait pâle figure. Sous la houlette de Hindenburg, tous les régimes qualifiés de bonapartistes qui ont précédé l’arrivée au pouvoir de Hitler étaient des régimes très autoritaires, mais qui composaient quand même avec le mouvement ouvrier qui existait. Alors que le but du fascisme, c’est de démolir le mouvement ouvrier complètement.
Il ne faut pas raisonner en se disant qu’aujourd’hui, il n’y a pas de parti ouvrier à détruire. Dans plusieurs textes, Trotsky explique que l’utilisation par la bourgeoisie d’un mouvement fasciste poussée jusqu’au bout a pour objectif de démolir complètement tous les éléments de démocratie ouvrière que les luttes passées du mouvement ouvrier ont imposés à l’intérieur même de la société capitaliste.
Et par « éléments de démocratie ouvrière », Trotsky n’entendait pas seulement les partis politiques que le mouvement ouvrier s’est donnés au fil de ses combats pour son émancipation. Trotsky entendait par là aussi, bien sûr, les syndicats, même les plus réformistes, même les plus pleutres face à la bourgeoisie. Mais aussi, surtout à l’époque, une multitude de coopératives, d’associations mises en place par le mouvement ouvrier, y compris des associations sportives. Les islamistes radicaux savent d’ailleurs bien créer et utiliser toutes sortes d’associations pour développer leur influence.
Alors, aujourd’hui, il n’y a pas énormément de choses à démolir ? Mais si ! La lutte de classe continue même lorsque les travailleurs ne réagissent qu’à un niveau élémentaire contre telle ou telle injustice ou saloperie.
Les syndicats sont un des piliers de la démocratie parlementaire bourgeoise en contribuant à assurer la « paix sociale ». Mais ils constituent en même temps des canaux par lesquels s’exprime la lutte de classe à un niveau élémentaire. Le fascisme, c’est le choix de la bourgeoisie de briser tout cela et d’écraser tous les canaux par lesquels peut s’exprimer une contestation ouvrière.
Même les grèves, – on peut dire que, par rapport aux dangers qui menacent la classe ouvrière, ce n’est pas grand-chose – mais on peut en faire, on ne sera pas fusillé pour autant. On peut être militant de la classe ouvrière, on peut être syndicaliste, sans encourir le risque qu’on vous fasse boire de l’huile de ricin devant la boîte, pour vous humilier.
Le fascisme sous couleurs islamistes
Dans le texte « Socialisme ou barbarie », nous écrivons : « … le courant fasciste qui se revendique de l’islam… »
Cette expression décrit un phénomène incontestablement nouveau, du moins dans l’ampleur qu’il prend. Encore que… l’expression a déjà été utilisée dans l’Internationale communiste.
Original et produit de notre époque, même si des pouvoirs autoritaires, dictatoriaux se revendiquant de l’islamisme ne sont vraiment pas une nouveauté. Mais justement, utiliser cette expression a l’avantage de distinguer un pouvoir dictatorial déjà établi d’un mouvement qui ambitionne de prendre le pouvoir en s’appuyant sur une mobilisation contre-révolutionnaire. La parenté entre les deux phénomènes réside précisément dans ce côté mobilisation révolutionnaire, en réalité contre-révolutionnaire.
Il y a un autre point commun avec les mouvements fascistes de l’entre-deux-guerres en Italie et en Allemagne : c’est la démagogie qui s’appuyait sur des colères, ou en tout cas sur des frustrations réelles. Mussolini était un ex-dirigeant du Parti socialiste italien, qu’il combattit ensuite, et il avait pour slogan : « Les socialistes parlent de révolution, mais ils ne savent qu’en parler sans la faire, alors que nous, les fascistes, nous la ferons. » Le parti de Hitler, de son côté, portait dans son nom national-socialiste le mot « socialiste » et même « ouvrier ». Les deux s’appuyaient sur des formulations anticapitalistes, tout en se mettant au service du capitalisme menacé.
La démagogie des islamistes radicaux s’appuie sur des sentiments anti-impérialistes, anticolonialistes, antiaméricains, pour les détourner et les canaliser au profit de leur lutte pour le pouvoir. Et quand nous parlons de pouvoir, il s’agissait pleinement de cela en Algérie, pendant la décennie noire marquée par le terrorisme du Fis, ainsi que dans les régions de Syrie ou d’Irak où s’est constitué Daech.
Bien sûr, la lutte pour le pouvoir par des organisations terroristes islamistes n’a pas la même signification ici, en France. Mais c’est quand même une lutte pour le pouvoir sur la communauté de ceux de confession musulmane ou qui y sont assimilés malgré eux. Et c’est une lutte pour le pouvoir même vis-à-vis de gens comme les enseignants contraints de s’autocensurer pour leurs discours ou leur façon d’agir.
Crise sanitaire, mesures autoritaires et embrigadement
Dans les discussions locales, certains camarades ont contesté l’affirmation dans le texte « Aujourd’hui comme hier, socialisme ou barbarie » : « Ici même, en France, la crise sanitaire et les mesures gouvernementales pour la combattre sont un moyen d’embrigader la population pour l’habituer à obéir. La pandémie et les moyens employés pour la freiner ne servent pas seulement à dissimuler les responsabilités passées et présentes de l’État dans l’insuffisance criminelle des moyens matériels et humains de l’hôpital public. Ils sont utilisés pour préparer un avenir plus autoritaire. »
Pour appuyer leurs critiques, ils ont évoqué un certain nombre de fonctions utiles de l’État, ainsi formulées par un de ces camarades : « Pour n’en rester qu’au domaine sanitaire, l’obligation de vacciner les enfants contre la poliomyélite ou la tuberculose avait-elle un caractère autoritaire critiquable ? Le dépistage systématique du cancer colorectal ou du cancer du sein est-il un moyen de contrôler de façon autoritaire la population ? » Et il a demandé que ce paragraphe soit purement et simplement retiré du texte.
Il n’est pas question d’introduire en contrebande dans nos textes d’orientation des formulations qui conduisent à un raisonnement typiquement réformiste en oubliant le b.a.-ba de la conception marxiste de l’État.
Nous ne voyons vraiment pas ce que ces considérations sur la vaccination obligatoire ou le dépistage systématique du cancer colorectal ont à faire dans un texte d’orientation politique de Lutte ouvrière ! Au mieux, c’est parler pour ne rien dire. Au pire, justifier l’utilité de l’État en évoquant les domaines où il fait des choses utiles, c’est opposer aux affirmations des marxistes pour qui « L’État, c’est les bandes armées » qu’il y a des flics qui font traverser la rue aux personnes âgées.
Nous administrer la leçon que l’État de la bourgeoisie fait aussi des choses utiles, voire indispensables, c’est ridicule.
Le rôle de l’État bourgeois
Pour tout marxiste, l’État, tout bourgeois qu’il soit, peut remplir des rôles utiles ! Il est même une nécessité absolue pour la survie d’une société divisée en classes. C’est une des questions de fond qui oppose depuis toujours le marxisme et le courant anarchiste, pour qui l’État, c’est la source même du mal et c’est par sa destruction que commence le cheminement vers la société future.
« L’État, produit des contradictions de classe irréconciliables » est le sous-titre du premier chapitre de L’État et la révolution de Lénine. Le troisième s’intitule : « L’État, instrument d’exploitation de la classe opprimée. »
L’analyse de l’État, au cœur de l’opposition marxisme/réformisme
Là, cependant, où l’on dérive d’un « oubli » du b.a.-ba du marxisme vers des raisonnements typiquement réformistes, c’est lorsqu’on légitime ou soutient le rôle de l’État, ne serait-ce que dans la lutte contre le coronavirus.
Oui, c’est précisément parce que l’État est celui de la classe qui domine et dirige la société qu’il prend en charge une multitude de fonctions y compris utiles ! Et alors ? Il n’en découle nullement qu’on saucissonne en deux notre attitude entre les fonctions indispensables de l’État et ce qui est son rôle fondamental dans la société dominée par la bourgeoisie.
C’est du même type que le raisonnement des staliniens, quand ils évoquaient le rôle utile de De Gaulle face à l’invasion allemande pour justifier leur politique d’alignement ; et, avant eux, des réformistes de l’an 1914 qui, sous prétexte qu’il y avait une situation exceptionnelle, la guerre, et que, dans cette guerre, l’État jouait un rôle utile, déclaraient qu’il fallait le soutenir ! Eh bien, non, coronavirus ou pas, l’État bourgeois reste l’ennemi, et quelle que soit sa politique, l’objectif fondamental des communistes révolutionnaires est sa destruction !
Deuxième partie
La situation du confinement a suscité de nombreuses discussions, en rapport avec le texte sur la situation intérieure et le texte « Socialisme ou barbarie ». La période du premier confinement et du déconfinement qui l’a suivi fut beaucoup plus tendue et anxiogène que celle d’aujourd’hui, parce qu’on découvrait le virus, parce qu’on voyait les hôpitaux débordés, parce qu’il n’y avait pas de masques. La pression sanitaire était forte et il y avait des problèmes politiques nouveau.
Le confinement
Nous n’avons jamais été des militants du confinement.
Pas même en mars-avril. Au début du premier confinement, nous avons dénoncé la politique patronale consistant à faire tourner les entreprises et à envoyer les ouvriers au casse-pipe, alors que le gouvernement et les soignants suppliaient la population de se protéger en restant chez elle. Et beaucoup de camarades ont bataillé, à juste titre, pour que leur entreprise s’arrête et pour qu’ils puissent rester chez eux. Mais cela n’a jamais fait de nous des militants du confinement.
Nous avons toujours souligné les conséquences terribles de ce confinement pour les familles ouvrières en termes de pertes de salaire, d’emplois, et de problèmes de logement. Et surtout, nous avons dénoncé le fait que pour des millions de travailleurs, il n’y avait pas de confinement possible ! Ils n’avaient pas de solution pour se protéger, ils étaient forcés d’aller travailler pour que la société tourne ! C’est vrai dans les hôpitaux bien sûr, mais aussi dans toutes les activités dites essentielles.
Pour beaucoup de travailleurs, le confinement était une solution qui posait plus de problèmes qu’elle n’en résolvait. Il était un pis-aller pour la bourgeoisie et le gouvernement. Mais c’est la classe ouvrière qui a fait les sacrifices les plus lourds. Assez vite d’ailleurs, beaucoup de travailleurs ont eu envie que cela s’arrête. Quand le patronat a levé très progressivement le confinement, il n’a jamais manqué de volontaires.
C’est une période où les travailleurs ont été très divisés, entre eux, mais aussi dans leur for intérieur, parce qu’entre leur problème d’argent et le danger de reprendre le travail et de tomber malade, il n’y avait pas de bonne solution. Le même dilemme s’est d’ailleurs posé sur la question d’envoyer ou pas les enfants à l’école.
Il a alors fallu pas mal discuter entre nous pour trouver la bonne attitude et surtout pour se sortir de la tête que se confiner était un acquis qu’il fallait préserver le plus longtemps possible : c’était le réflexe de la plupart des syndicalistes, mais ce n’était pas celui des travailleurs.
Nous avons milité pour appeler les travailleurs à prendre les choses en main, à défendre leurs intérêts que ce soit dans le cadre du confinement ou du déconfinement. Nous avons mis en avant l’idée du contrôle ouvrier non seulement sur les conditions de travail dans l’entreprise, mais sur le fonctionnement de la société parce qu’il n’y avait aucune confiance à avoir ni dans le patronat ni dans le gouvernement.
Nous n’avons jamais transformé le confinement en totem, nous ne nous sommes pas transformés en médecins ou en avant-garde sanitaire. Nous avons cherché à défendre et porter les intérêts généraux des travailleurs, et milité en communistes révolutionnaires.
***
Nous revenons sur ces questions parce qu’au fond, nous avons encore aujourd’hui les mêmes discussions. Elles furent déclenchées dans plusieurs des assemblées locales préparatoires à ce congrès à propos de l’emploi de l’expression « confinement moyenâgeux ». C’est en fait une idée banale, reprise de tous les côtés. Le 18 décembre, Dominique Seux, un journaliste du journal patronal Les Échos qui tient une chronique sur France Inter a commencé son intervention en parlant de mesures moyenâgeuses. Et on ne peut pas dire qu’il soit très critique de la gestion sanitaire par le gouvernement !
Il n’y a pas là de jugement médical. C’est un jugement politique. Nous ne voulons pas discréditer le confinement, nous voulons discréditer le pouvoir, les classes dirigeantes qui se retrouvent, au 21e siècle, à devoir recourir à une méthode du Moyen Âge, malgré les moyens modernes actuels, malgré les connaissances et les progrès scientifiques accumulés, y compris sur les maladies infectieuses.
C’est tout un ordre social qui est en cause ! Les dirigeants de la planète se sont retrouvés sans aucun plan pour affronter une épidémie, sans masques, sans respirateurs, sans écouvillons pour tester… mais ils font des plans pour envoyer des missions sur Mars, la Nasa en projette une en 2033. Ce décalage est accablant, il est lié à la direction aveugle et parasitaire de la bourgeoisie.
Alors ce mot est un jugement politique, il est accusatoire. Le recours au confinement est un aveu d’échec des classes dirigeantes. Elles le disent elles-mêmes. Ni les dirigeants politiques ni la bourgeoisie ne voulaient de ce confinement. Ils ne s’y sont résolus qu’en dernière extrémité, et d’ailleurs souvent trop tard.
Le confinement a son utilité sur le plan sanitaire. Il a une efficacité redoutable puisqu’il coupe les contacts humains ! Mais cela n’enlève rien à son caractère archaïque.
Le confinement a été une source de sacrifices et de souffrances pour de très nombreux travailleurs. Et ne parlons pas de ce qui s’est passé dans des pays comme l’Inde, où il a été synonyme de famine pour des millions de femmes et d’hommes. Nous parlons d’ici, des files d’attente devant les soupes populaires, de l’isolement des personnes en Ehpad.
Ce confinement a mis en colère des millions de personnes, et cela doit nous mettre, nous aussi, en colère. En colère, non pas contre ceux qui dérogent au confinement, mais contre ceux qui nous ont plongés dans cette situation ! Et cette colère-là, nous devons l’exprimer politiquement.
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Toujours sur le confinement, et au fond pour les mêmes raisons, des camarades ne sont pas d’accord avec un passage du texte « Socialisme ou barbarie », et la formulation « les mesures gouvernementales pour combattre l’épidémie sont un moyen d’embrigader la population pour l’habituer à obéir… ils sont utilisés pour préparer un avenir plus autoritaire ».
Cette discussion a animé presque toutes les AG. Beaucoup de camarades ont répondu en racontant comment la pandémie était utilisée par le patronat pour resserrer la discipline et avait renforcé l’autoritarisme des chefs. Certains ont parlé de leur procès-verbal pour avoir manifesté le 1er mai 2020. D’autres ont rappelé comment, au nom de la reprise de l’épidémie, le ministre de l’Éducation et bien des proviseurs, qui se moquent complètement des mesures sanitaires, ont interdit aux professeurs de se rassembler pour discuter après l’assassinat de Samuel Paty. D’autres encore ont témoigné de l’état d’esprit autour d’eux, la pression des interdits et des contrôles, la peur du gendarme.
Et les choses vont vite. Il faut se rappeler quand les images du confinement à Wuhan nous sont parvenues, il y a un an, beaucoup de gens se sont dit que c’était un autre monde, qu’ici c’était impossible, que seul un régime totalitaire pouvait faire ça. Eh bien, on y avait droit trois mois plus tard et les rues de nos villes ressemblaient bien à celles de Wuhan ! Et neuf mois après, on vit encore au rythme des interdits, des attestations et des couvre-feux. Et la réalité, c’est que l’on s’y habitue !
Si certains camarades estiment que tout cela n’est que temporaire et sans conséquence, ils se trompent parce que cela s’inscrit dans une évolution bien plus globale, avec une crise économique et sociale d’une gravité inédite, avec une société qui, de fait, est de plus en plus violente : avec le terrorisme, mais aussi avec la grande délinquance, et avec une police qui est elle-même de plus en plus violente.
Cela survient dans une période où les idées réactionnaires et la demande d’autorité et d’ordre sont de plus en plus fortes, et cela pousse dans le même sens.
D’ailleurs, au moment même où les camarades se demandaient si on n’exagérait pas, il y avait des manifestations massives dont une, samedi 28 novembre, a rassemblé 45 000 personnes à Paris contre la loi sécurité globale, ressentie et dénoncée comme une évolution autoritaire du pouvoir. Et tout cela s’est passé après la rédaction des textes d’orientation.
L’autoritarisme du gouvernement
Autre point de la discussion : des camarades sont choqués du parallèle que l’on fait entre la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la pandémie. Mais c’est le gouvernement qui le fait. Macron a décrété la guerre contre le virus. Comme contre le terrorisme, il a fait appel à l’union nationale. Il gère la crise dans un Conseil de défense et de sécurité nationale. Exactement comme à chaque attentat, le gouvernement utilise l’émotion et la peur du virus pour faire taire les voix discordantes. Et tous ceux qui ne font pas l’effort de guerre sont voués aux gémonies et là encore, les médias jouent parfaitement leur rôle de chiens de garde.
Une camarade a dit que le but du confinement et des mesures sanitaires n’était pas d’embrigader la population. Ce n’est pas le but des médecins. Mais c’est toujours le but d’un gouvernement. Le gouvernement cherche toujours à embrigader la population derrière lui, à l’attacher à sa politique et à l’ordre social bourgeois. Il se sert de tout pour ça. Et il se sert d’autant plus de la lutte contre le Covid qu’il peut prétendre nous protéger et œuvrer pour le bien de tous, et que pour ça, il faut de la discipline.
Et il y va gaiement ! Tantôt c’est un couvre-feu à 21 heures, tantôt il est à 19 ou 20 heures. Tantôt c’est le confinement total, et plus personne ne sort. Pour un peu, Castex allait nous dire ce qu’il fallait manger à Noël ! Et globalement, la population a accepté, y compris les mesures aberrantes et absurdes, par discipline… Alors oui, cela installe l’idée que l’État nous veut forcément du bien et qu’il est normal de lui obéir. Cela fait partie des leviers de l’autoritarisme.
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Des camarades sont beaucoup revenus sur le fait que le confinement était utile. Mais on ne peut évidemment pas mettre la lutte sanitaire à part. Elle n’est pas hors sol. Elle est décidée dans le cadre d’une société de classe, par un État et un gouvernement bourgeois. Et il ne s’arrête pas de faire de la politique quand il gère une crise sanitaire. Castex nous a dit, presque par le menu, comment il fallait passer les fêtes de fin d’année. Mais il n’a rien, absolument rien à dire aux patrons qui concentrent des centaines et des milliers de travailleurs. Les patrons, ils ne sont pas concernés. Eux font ce qu’ils veulent ! Elle est où la lutte sanitaire, là ? Eh bien, elle passe après la lutte de classe, et cette lutte de classe, non seulement elle ne s’est pas arrêtée avec le confinement mais elle s’est renforcée.
Le gouvernement veut mettre dans la tête des travailleurs que les sacrifices ont été imposés pour le bien de tous. Nous, nous avons à mettre dans leur tête que c’était pour le bien de la bourgeoisie, de son système et de son ordre social, parce que les classes dirigeantes se moquent des problèmes des travailleurs, de leur santé comme de leur situation économique !
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D’autres camarades ont pris la discussion en se demandant ce que nous aurions fait, nous, au pouvoir.
Cette question ne se pose pas, nous ne sommes pas à leur place ! La situation est le résultat de leur politique, de décennies de restrictions budgétaires dans la santé, de coupes budgétaires criminelles. Ils nous ont mis dans le pétrin. Ce que l’on sait, c’est que l’on ne sortira pas du pétrin sans les renverser. Alors la question qui se pose à nous c’est comment on les renverse !
Et dans la question des camarades, ou de ceux qui nous la posent – nous pensons aux journalistes qui adorent poser cette question – il y a l’idée qu’au pouvoir, on n’aurait pas fait mieux. Eh bien si, les travailleurs au pouvoir auraient fait mieux !
Avec un pouvoir ouvrier, il y aurait aussi eu des contraintes imposées et peut-être un confinement. Mais ces contraintes auraient été décidées et imposées par les travailleurs, pour leurs intérêts et ceux de la société, contre les intérêts de la minorité bourgeoise. Et cela changerait tout. Nous n’allons pas faire de la politique-fiction, mais le confinement avec le gîte et le couvert, aux frais de la princesse, sans le couperet du chômage… ce n’est plus le même confinement, ce n’est plus du tout la même contrainte.
Et cela changerait aussi l’efficacité de la lutte car – on le répète d’édito en édito – la gestion bourgeoise de la crise, avec la volonté de préserver les profits des grands groupes, est contradictoire, schizophrénique, inefficace. La presse a des pages entières sur les mesures de bon sens qui ne sont pas prises ; tous ici, nous en avons des exemples. Alors, les travailleurs au pouvoir auraient géré mieux, plus vite et plus efficacement les choses !
Complotisme et complotistes
Une autre critique, toujours sur ce paragraphe, est qu’il donne des arguments aux complotistes.
Mais quand nous parlons de grand capital, de grande bourgeoisie, de financiers… cela n’alimente-t-il pas les complotistes ? Quand nous dénonçons la cupidité des Big Pharma, oui, nous risquons d’alimenter les antivaccins. Mais nous ne sommes pas les militants de la vaccination, nous sommes des militants communistes révolutionnaires. Notre travail, c’est de dénoncer l’irresponsabilité des capitalistes. Et si ce n’est pas compris, si c’est déformé, il faut s’expliquer, il faut essayer de convaincre, tout en sachant que cela ne sera possible que dans une étroite limite.
Beaucoup de travailleurs préfèrent les histoires de complots ourdis par une poignée de milliardaires tout puissants à notre analyse rationnelle du capitalisme et de l’exploitation qui les implique et les interpelle, eux. Le foisonnement de ces idées va de pair avec l’acceptation de la situation. Et nous ne pourrons pas les raisonner en assénant de belles démonstrations, car ce sont des histoires qu’ils veulent entendre et qu’ils relaient, et qui leur font croire qu’ils ne se font pas avoir.
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Des camarades regrettent que le texte ne développe rien sur le complotisme. Il n’y a pas de point à part parce qu’il ne s’agit pas d’une force politique organisée. Pour l’instant, il y a très peu d’organisations, on entend parler de tout petits groupes, de réseaux avec quelques figures connues et ils recoupent souvent les milieux d’extrême droite.
Au-delà des charlatans qui essayent de se trouver une clientèle, on sait que l’extrême droite participe largement à la propagation de ces idées complotistes et il y a de fortes chances pour que ce soit l’extrême droite qui tire profit de ce poison.
Nous parlons du complotisme quand nous évoquons le recul des idées en général. À la faveur de l’épidémie, il a pris beaucoup de place dans les discussions, mais ce n’est pas non plus un phénomène nouveau. Les charlatans en ont toujours fait commerce. C’est un mélange de défiance, d’obscurantisme et d’impuissance.
Le complotisme est à mettre dans le même sac que la poussée des préjugés racistes, xénophobes ou des idées religieuses. Quant à notre démarche militante vis-à-vis des travailleurs complotistes, elle est similaire à celle que nous avons vis-à-vis des travailleurs croyants.
Pour lutter contre ce poison, comme contre les idées religieuses, on n’a qu’un levier : développer la conscience de classe, la conscience de constituer une seule et même classe aux intérêts communs, et la conscience de devoir et de pouvoir mener la guerre contre la bourgeoisie et son ordre social.
Tant qu’il n’y a pas de luttes puissantes, cette prise de conscience ne peut être que moléculaire. Il n’y a que la lutte de classe qui peut balayer ou, au moins, faire passer ces préjugés et ces idées farfelues au second plan.
Mais nous l’avons souvent dit, la nature a horreur du vide et les idées réactionnaires qui ont aujourd’hui le vent en poupe se développent sur le recul du mouvement ouvrier socialiste qui avait non seulement à cœur d’éduquer les classes laborieuses mais qui leur apportait une compréhension des évènements au quotidien et des perspectives pour agir et changer la situation. Il y a de moins en moins de militants qui se battent sur ce terrain alors qu’il y a, en face, de plus en plus de militants religieux, entre autres ; alors forcément les consciences reculent. Eh bien avec nos faibles forces, là où nous sommes, il faut occuper le terrain et tout faire pour reconstruire un parti communiste révolutionnaire.
Les mobilisations de la petite bourgeoisie
Pour finir, nous voulons parler de notre politique vis-à-vis des mouvements éventuels de la petite bourgeoisie. C’est une discussion que nous avons déjà eue à propos des gilets jaunes, mais elle est revenue dans différentes AG, d’abord sous l’angle « on s’est dit solidaire avec les commerçants confrontés à la fermeture administrative de leurs affaires et c’est très bien », puis avec l’idée qu’il faudrait que l’on avance une politique pour cette petite bourgeoisie.
L’édito qui a réjoui ces camarades s’exprimait sur la colère des commerçants marseillais. Il s’intitulait « Les intérêts des travailleurs doivent s’exprimer ! » et ne laissait aucune ambiguïté : avec le mot « travailleurs », on parlait des intérêts des salariés. Il se concluait avec l’idée que si, à Marseille, les gérants de cafés et restaurants s’étaient mobilisés, les ouvriers de Bridgestone ou de Smart, les salariés de la Halle ou du groupe Auchan avaient autant, si ce n’est bien plus, de raisons de le faire.
Il finissait ainsi : « Que l’on se sente capable ou pas de faire reculer les multinationales et les licencieurs, il faut crier notre révolte. Licencier, aujourd’hui, dans cette période de crise, doit être assimilé à un crime ! La moindre des choses est de forcer les multinationales à préserver tous les emplois ! Pour travailler tous, il faut répartir le travail ! Que l’argent public serve à la création d’emplois dans les hôpitaux et les Ehpad ! »
Nous nous sommes saisis d’une injustice faite à la fraction la plus pauvre de la petite bourgeoisie, injustice à laquelle de nombreux ouvriers sont sensibles parce qu’il y a de nombreux liens familiaux ou amicaux entre la classe ouvrière et cette petite bourgeoisie. Mais notre but était d’interpeller les femmes et les hommes de la classe ouvrière sur leurs propres intérêts, et c’était de s’en servir pour contester tout l’ordre bourgeois devant la classe ouvrière. Notre choix fondamental est en effet d’armer politiquement la classe ouvrière, parce qu’elle est la seule force révolutionnaire capable de renverser et de remplacer la bourgeoisie au pouvoir.
Exprimer une solidarité vis-à-vis d’un tel et d’un tel, ce n’est pas une politique. Et la plupart du temps, cela conduit au suivisme, c’est ce que nos camarades du NPA font de mieux, et cela revient presque toujours à abandonner la politique et les perspectives révolutionnaires.
La seule politique que nous avons à défendre vis-à-vis des commerçants et autres petits-bourgeois, c’est celle que nous proposons aux travailleurs pour entraîner la petite bourgeoisie derrière eux. La petite bourgeoisie n’a pas de politique propre, elle n’a pas de perspective indépendamment de la bourgeoisie ou du prolétariat.
Trotsky écrivait en septembre 1932 dans « La seule voie » : « À l’époque […] de l’épanouissement du capitalisme, la petite bourgeoisie, malgré de violentes explosions de mécontentement, restait avec une relative docilité dans l’attelage capitaliste. […] Mais dans les conditions du capitalisme pourrissant, dans une situation économique sans issue, la petite bourgeoisie aspire, tente et essaye de s’arracher à la tutelle des anciens maîtres et dirigeants de la société. Elle est tout à fait susceptible de lier son sort à celui du prolétariat. Pour cela, une seule chose est nécessaire : il faut que la petite bourgeoisie soit persuadée de la capacité du prolétariat à engager la société sur une voie nouvelle. Le prolétariat ne peut inspirer une telle confiance que par sa force, […] et le succès de sa politique révolutionnaire.
Mais, malheur si le parti révolutionnaire ne se montre pas à la hauteur de la situation ! La lutte quotidienne du prolétariat accentue l’instabilité de la société bourgeoise. Les grèves et les troubles politiques détériorent la situation économique du pays. La petite bourgeoisie pourrait se résigner provisoirement à des privations croissantes, si son expérience prouvait que le prolétariat est capable de l’arracher à sa situation présente pour l’amener sur une nouvelle voie. Mais si le parti révolutionnaire, malgré la constante aggravation de la lutte des classes, […], s’agite vainement, sème la confusion et se contredit lui-même, la petite bourgeoisie perd alors patience et commence à voir dans les ouvriers le responsable de ses propres malheurs. »
Plus loin, il résume : « La petite bourgeoisie peut se ranger du côté des ouvriers si elle voit en eux un nouveau maître. La petite bourgeoisie ne suivra pas un laquais ! La politique du réformisme enlève au prolétariat toute possibilité de diriger les masses plébéiennes de la petite bourgeoisie et, par là même, transforme cette dernière en chair à canon du fascisme. »
C’est un problème fondamental à comprendre dans la période.
Nous ne nous désintéressons pas de la petite bourgeoisie, nous ne pensons pas qu’elle soit quantité négligeable. Elle joue dans les périodes révolutionnaires et contre-révolutionnaires un rôle fondamental. Aucune révolution prolétarienne ne peut être victorieuse si elle ne parvient pas à s’attacher la fraction la plus populaire de la petite bourgeoisie. Il faut se souvenir de la politique de Lénine pour gagner la paysannerie pauvre au pouvoir bolchevique avec la politique de la terre aux paysans. Mais il n’a pu le faire que parce que la classe ouvrière était aux portes du pouvoir.
Gagner les fractions les plus révoltées de la petite bourgeoisie dépend d’abord et avant tout de l’action de la classe ouvrière, de sa combativité, de sa détermination, de son organisation et de la capacité qu’elle affiche de prendre les rênes de la société.
Nous n’en sommes pas là ! Et en l’absence de réactions de la classe ouvrière, les revendications de la petite bourgeoisie, si elle se bat, seront étrangères voire contraires aux intérêts de la classe ouvrière. Beaucoup de petits patrons voient les prolos comme des privilégiés qui bénéficient des aides sociales, du chômage partiel… ils voient les socialistes et les communistes comme ceux qui menacent la petite propriété pour laquelle ils se battent…
Nous ne pouvons pas prédire que la classe ouvrière se battra et sera capable d’entraîner la petite bourgeoisie, mais c’est la seule issue et c’est pour celle-là que nous militons. C’est la raison pour laquelle il faut utiliser le temps que nous avons encore avant le déclenchement des grandes tempêtes pour développer notre propagande et construire des noyaux de travailleurs dans les entreprises susceptibles de propager une politique révolutionnaire quand la classe ouvrière se lancera vraiment dans le combat.
[1] Le tournant de l’Internationale communiste et la situation en Allemagne (26 septembre 1930).