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En lutte contre la réforme des retraites
Promis par Macron au patronat, mais repoussé en raison du mouvement des gilets jaunes, le plan d’attaque gouvernemental contre le droit à la retraite a été dévoilé le 18 juillet dans le rapport Delevoye.
Au travers de multiples réformes depuis 1993, le droit à la retraite a pourtant déjà considérablement reculé. Ainsi, si l’âge moyen de départ en retraite était de 61,6 ans en 2009, il est aujourd’hui de 62,6 ans. Et, dans le même temps, la pension de retraite moyenne n’a cessé de chuter. En 2017, à 66 ans, un retraité touchait en moyenne 1 514 euros brut, l’équivalent du smic, contre 1 589 euros en 2013, soit une baisse de 4,8 %.
Le projet du gouvernement est d’accélérer la baisse des pensions et faire reculer encore l’âge de départ en retraite. Le calcul du salaire de référence, non plus sur les vingt-cinq meilleures années dans le privé ou les six derniers mois dans le public, mais sur l’ensemble de la carrière, représentait la première amputation. L’instauration d’un âge pivot, initialement fixé à 64 ans mais destiné à reculer ultérieurement, représentait une seconde amputation et un recul de l’âge de départ, sous peine de décote et de retraite misérable. L’instauration de la retraite par points laissait enfin les mains libres aux futurs gouvernements d’en baisser la valeur, et donc le montant des pensions. Sous prétexte d’universalité, le gouvernement voulait mettre fin aux régimes spéciaux, visant non seulement les travailleurs du secteur public, mais faisant main basse au passage sur quelque 30 milliards de réserves de plusieurs régimes, notamment de professions libérales ou paramédicales.
Plusieurs éditorialistes ou économistes se sont étonnés de sa précipitation, compte tenu du fait qu’il n’y avait aucune urgence ni de réel déficit des régimes de retraite, résultat de la purge produite par les précédentes réformes. C’était ignorer l’avidité croissante de la classe capitaliste à vouloir mettre la main sur le moindre pécule des travailleurs, des chômeurs, des retraités, tout comme elle exige le dépeçage ou l’abandon des services publics, privés de salariés et de moyens. C’est à cette condition qu’un système qui prend l’eau de toute part, dont les fondations productives vacillent, parvient à verser des dividendes records aux actionnaires et à nourrir l’ogre de la finance. La paupérisation des classes populaires est indispensable au maintien des revenus de la classe capitaliste.
En ce sens, l’affrontement en cours sur les retraites est une bataille dans une véritable guerre sociale qui ne peut que s’intensifier entre les deux camps irréconciliables de la société : le capital et le travail, la bourgeoisie et les travailleurs.
Dès l’annonce du plan Delevoye, le premier secteur à relever le gant fut celui des travailleurs de la RATP. Pendant l’été, nombreux furent ceux qui firent leurs calculs et comprirent qu’ils perdraient plusieurs centaines d’euros par mois si cette réforme était appliquée. L’Unsa, qui a acquis à la RATP un poids électoral et militant non négligeable, appelait à une journée de grève le 13 septembre, bientôt ralliée par les autres syndicats. L’effervescence et la mobilisation à la base qui ont précédé cette journée annonçaient son succès : la grève fut massive ce jour-là, avec déjà une paralysie du métro et d’une grande partie des bus. C’est le même syndicat Unsa RATP qui, boudant l’appel à la journée interprofessionnelle de la CGT, Sud et FO le 24 septembre, appela à une grève reconductible à partir du 5 décembre.
Cet appel fut progressivement rejoint à la RATP par Sud, puis la CGT. À la SNCF, Sud-Rail et l’Unsa ferroviaire appelaient également. La CGT cheminots s’y rallia finalement début novembre, suivie par la CFDT. Entre-temps, plusieurs mouvements, droits de retrait de roulants, grèves locales parties sans préavis dans plusieurs ateliers, montraient une volonté de la base d’en découdre. Dans l’enseignement, les principaux syndicats appelaient également à la grève reconductible.
À ce stade, les préoccupations des appareils syndicaux étaient variables. La CFDT cheminots réclamait, pour les seuls cheminots, la « clause du grand-père », réservant aux seuls nouveaux embauchés les méfaits de la réforme. Mais elle n’avait pas le monopole du corporatisme. Ainsi, interviewé dans Le Parisien du 1er novembre sur la perspective d’une grève reconductible, Laurent Brun, secrétaire de la fédération des cheminots CGT, indiquait : « Pour ce qui est de la suite du 5 décembre, il faudrait que la direction de la SNCF et le gouvernement fassent des concessions importantes. Si, par exemple, il reporte la suppression du statut, ce serait un geste fort. »[1] C’était donc avançant sur une préoccupation purement corporatiste, qu’à ce moment-là, la CGT cheminots entendait participer au mouvement, mais aussi éventuellement le quitter. Elle préconisait aussi à ses militants, dans une première période, de réclamer des « négociations sincères sur les revendications d’entreprise », en les formulant de manière très catégorielle.
Heureusement, la pression et la détermination de la base, de bon nombre de grévistes, syndiqués ou non, ont donné un tout autre caractère au mouvement, dénué de corporatisme. Et, en retour, la volonté affichée par le gouvernement de briser la résistance des travailleurs et de dénigrer les syndicats opposés à la réforme a poussé ceux-ci, en particulier le plus influent, la CGT, à adopter une politique et un langage combatifs, tentant de s’appuyer sur leurs militants et sur les grévistes pour essayer de renforcer la grève et de l’élargir à de nouveaux secteurs.
Par la revendication unanime du retrait total de la réforme ainsi que par leurs efforts pour s’adresser aux autres travailleurs, les grévistes ont su gagner et conserver le soutien de l’opinion ouvrière et regrouper derrière eux leur camp, leur classe, alors que le gouvernement tentait de les discréditer auprès des autres travailleurs.
Ce mouvement est sans doute loin d’être fini. Mais, quelle qu’en soit l’issue, outre sa durée, il est déjà remarquable par le niveau de conscience et de détermination de la fraction la plus active des grévistes qu’il a mobilisés.
Le texte qui suit est l’intervention, le 10 janvier, en première partie du Cercle Léon Trotsky à Paris, de Monique Dabat, cheminote et animatrice de la grève à la gare du Nord. Elle évoque les caractéristiques de ce mouvement.
15 janvier 2020
Intervention de Monique Dabat, le 10 janvier à la Mutualité, à Paris
Comme vous le savez tous, avec mes camarades de la SNCF et de la RATP, nous sommes en grève depuis maintenant 37 jours et nous n’avons pas l’intention de nous arrêter là !
Tous ceux qui étaient dans les manifestations hier, à Paris comme en province, ont pu le constater : nous étions de nouveau très nombreux dans la rue, avec nos banderoles, nos pancartes, et toujours la même revendication scandée dans tous les cortèges : le retrait pur et simple de la réforme des retraites !
Dans ces manifestations et dans les assemblées générales du matin, on pouvait sentir la détermination à ne pas lâcher et la fierté d’avoir relevé la tête !
Avec sa réforme des retraites, le gouvernement s’est lancé dans une épreuve de force avec les travailleurs de la SNCF et de la RATP, n’hésitant pas à envoyer sa police contre les manifestants. Hier, plusieurs manifestants ont été frappés et interpellés sans raison et certains même mis en garde à vue.
La direction de la RATP a déjà lancé des procédures disciplinaires contre des grévistes pouvant aller jusqu’au licenciement. Ils voudraient nous intimider, mais ils ne font qu’augmenter la colère. Ils sont loin d’en avoir fini avec nous !
Cette réforme des retraites, c’est une attaque contre tous les travailleurs. Une attaque de plus, qui s’ajoute à de nombreuses autres. En multipliant les attaques, Macron a rendu tangible la lutte de classe, ce combat tantôt visible, tantôt souterrain, mais qui a lieu en permanence entre la classe qui exploite toutes les autres, et les exploités.
Cette classe, c’est celle que défendent Macron et Philippe, celle qui regroupe les véritables décideurs dans la société : la grande bourgeoisie, les propriétaires et les actionnaires des grandes entreprises, des sociétés financières et des banques.
Ce sont eux les véritables bénéficiaires de la réforme des retraites, dont le but est de nous faire travailler plus longtemps et toucher le plus tard possible une pension de retraite la plus faible possible. Passer à la retraite à points, calculée sur toute la vie au lieu de l’être sur les vingt-cinq meilleures années ou sur les six derniers mois, nous ferait perdre à tous plusieurs centaines d’euros sur la pension de retraite.
Le gouvernement a eu le culot de parler de justice et d’égalité, parce que le mode de calcul des retraites deviendrait universel. Mais si nous le laissons faire, ce sera l’égalité dans la misère.
C’est une attaque contre les conditions de vie de l’ensemble des travailleurs, auxquels patronat et gouvernement voudraient faire payer les conséquences de la crise de leur système. Les travailleurs en ressentent tous les jours les résultats catastrophiques et se sentent du côté de ceux qui sont dans la grève, même si tous ne se sentent pas la force d’entrer eux-mêmes en lutte.
Cette attaque est indissociable des attaques contre les chômeurs, dont les allocations baisseront une nouvelle fois au 1er avril, mais aussi du blocage généralisé des salaires, des vagues de licenciements, de l’explosion de la précarité, de même que des coupes dans les budgets du logement social, de l’école ou de l’hôpital, alors que chacun sait à quel point la situation est catastrophique dans les hôpitaux et notamment aux Urgences.
Tout cet argent pris sur les pensions des retraités, sur les conditions de vie de la population, qui se déteriorent au rythme de la dégradation des services publics, permet à l’État de donner encore plus de subventions de toutes sortes à la grande bourgeoisie, afin d’aider les plus riches à s’enrichir encore plus.
Des députés et journalistes à leur service se chargent de justifier ce vol manifeste sur les retraites et dénigrent la grève, qu’ils prétendent corporatiste. Ils vont jusqu’à présenter comme des privilégiés des femmes et des hommes qui gagnent en un mois de travail utile à la société ce que tant de bourgeois gagnent en une heure sans rien faire. La seule justice serait que ce soit à tous ces riches de payer nos retraites !
C’est pour nous défendre contre cette agression que nous nous sommes mis en grève, à la SNCF et à la RATP. Nous n’avions que trop attendu pour réagir et nous opposer aux reculs imposés par le gouvernement. Nous avons fait assez de sacrifices. Cela fait des années que nous supportons les salaires bloqués, les suppressions de postes et l’augmentation de la charge de travail. Il était temps de dire : « Ça suffit ! »
Le gouvernement veut faire la démonstration qu’il est capable de faire passer ses réformes, quelles que soient les réactions des travailleurs et sans avoir besoin de l’aide des directions syndicales.
Mais la détermination des grévistes, tout aussi grande que celle du gouvernement, a déjà fait reculer celui-ci. Il a dû introduire un tas d’exceptions à ce nouveau régime qu’il disait universel.
Nous sommes nombreux à ne pas avoir du tout envie de mettre fin à notre mouvement. Nous sommes nombreux à dire qu’il n’est pas question de faire plus d’un mois de grève pour rien, et c’est justement quand on est convaincu de cela que l’on peut gagner. Le gouvernement n’a pas pu se débarrasser des gilets jaunes, qui continuent à se mobiliser et à manifester. Il est fort possible qu’il ait tout autant de mal à se débarrasser de tous ceux qui sont dans le mouvement aujourd’hui. C’est un caillou dans la chaussure qu’il peut garder encore un moment car, tant que des travailleurs seront en colère et tiendront à l’affirmer, Macron les aura contre lui.
Cette grève, qui par sa durée met en difficulté le gouvernement, est un premier acquis du mouvement. Mais l’acquis le plus important, c’est l’expérience que sont en train de faire les grévistes. Il y a toute une génération de travailleurs pour qui c’est la première grève, et elle laissera forcément des traces importantes dans leur conscience. Ils découvrent que la lutte de classe est une véritable lutte, et ils ne sont pas près de l’oublier.
Ils découvrent qu’il y a deux camps dans la société, le camp des travailleurs d’un côté, le camp des exploiteurs et de tous leurs larbins de l’autre. Ils découvrent que les travailleurs font tourner toute la société et que, lorsqu’ils se mettent en grève dans un secteur, c’est tout le secteur qui est à l’arrêt. Et ce n’est pas un hasard si nos autocollants « La force des travailleurs, c’est la grève ! » s’arrachent comme des petits pains dans les manifestations…
Ces jeunes qui apprennent dans la bagarre compteront pour l’avenir. Ce sont de nouveaux combattants de la lutte sociale qui sont en train de se former aujourd’hui à travers leur grève.
Tous ceux qui sont dans cette grève font aussi l’expérience d’un mouvement qui n’est pas corporatiste, dans lequel on se retrouve à se battre côte à côte avec d’autres secteurs pour défendre nos intérêts communs, nos intérêts de travailleurs. La seule revendication du mouvement est le retrait pur et simple de la réforme, et elle concerne bien tous les travailleurs. Dans toutes les assemblées générales de grévistes, il y a cette fierté de ne pas se battre que pour nous.
Les cheminots ont trop souvent été enfermés dans des revendications corporatistes par les directions syndicales, qui justement cherchaient à éviter une contagion de nos grèves à d’autres secteurs. Ce fut le cas, par exemple, en 2016 lors de la loi El Khomri. Alors que l’ensemble des travailleurs étaient attaqués par la loi travail, les cheminots ont été enfermés dans des revendications corporatistes, notamment sur la convention collective de la branche ferroviaire. Ce n’est pas le cas dans le mouvement actuel, et c’est tant mieux !
Sortir de ce corporatisme permet de mettre en avant le fait que nous ne formons qu’une seule classe ouvrière et que nous avons les mêmes intérêts à défendre et une seule façon de les défendre : nous retrouver le plus nombreux possible en grève et dans les manifestations.
Cela a aussi rendu plus naturel pour les grévistes de différents secteurs d’aller voir d’autres grévistes sur des piquets de grève ou dans des assemblées générales, mais aussi d’aller à la porte d’entreprises qui n’étaient pas en grève, pour discuter avec les travailleurs.
Tous ces comportements, à l’opposé des attitudes corporatistes, ont également changé le regard des autres travailleurs sur notre grève. Cela s’est vu dans les sondages d’opinion et également dans des discussions. Nombreux sont ceux qui ont pris conscience que nous étions dans le même camp, que notre mouvement était aussi le leur, que nous avions les mêmes intérêts qu’eux et qu’ils avaient tout intérêt à ce que l’on gagne et que l’on obtienne le retrait de la réforme.
Ce sentiment que tous les travailleurs sont dans le même bateau et que l’on a tous les mêmes intérêts à défendre est aussi un acquis de la grève et un point positif pour l’avenir.
Bien sûr, le mouvement a été lancé par les directions syndicales, mais s’il a marché, s’il dure encore aujourd’hui, c’est parce qu’il a rencontré la colère des travailleurs. Ils s’en sont emparés et ils ont appris très vite à fonctionner en assemblées générales. Et, contrairement à bien d’autres situations, les directions syndicales ont été assez tolérantes par rapport à ça.
Les travailleurs en grève ont appris à discuter de leurs problèmes, à organiser leurs actions, à rédiger et imprimer un tract ou confectionner une banderole. C’est un apprentissage très important pour l’avenir.
Nous, communistes révolutionnaires, nous faisons nôtre la devise de Marx « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Nous pensons que les travailleurs seront capables de diriger la société tout entière infiniment mieux que les dirigeants capitalistes… et à plus forte raison de diriger leur propre grève.
Des travailleurs ont découvert cela dans le mouvement. Et dans certains endroits, parfois à l’initiative de nos camarades, ils ont compris que prendre des décisions en assemblée générale ne suffisait pas pour les voir exécutées. Ils ont élu des comités de grève chargés de cela.
Alors oui, nous sommes fiers d’avoir relevé la tête et de nous être lancés dans une lutte que tous les travailleurs seront amenés à engager tôt ou tard pour ne plus subir les attaques répétées du grand patronat.
Il y aura nécessairement d’autres luttes après la nôtre, parce que la bourgeoisie, aiguillonnée par la crise de son économie, se bat bec et ongles pour préserver et accroître ses richesses. Et elle va continuer de le faire, même si cela signifie plonger dans la misère une fraction croissante de salariés, poussés vers la précarité ou le chômage. La bourgeoisie ne nous laissera pas le choix, elle nous obligera à nous défendre si on ne veut pas crever !
Ces bourgeois cyniques, ces parasites de la société qui vivent du travail des prolétaires, sont d’un mépris sans borne pour les travailleurs. Ils ne les imaginent pas autrement que soumis et dociles.
Mais nous, les travailleurs, nous savons nous défendre. C’est cette démonstration que nous faisons aujourd’hui à plusieurs milliers, et nous espérons que les travailleurs la feront à une tout autre échelle demain.
Nous espérons que les millions de femmes et d’hommes qui se reconnaissent dans la contestation actuelle, qui la soutiennent, prendront demain le chemin de la lutte. Nous souhaitons que l’expérience acquise dans ce mouvement par des milliers de travailleurs serve à tous dans les mois et les années à venir. Car le combat est loin d’être terminé.
[1] La fin du recrutement au statut à la SNCF, prévue par la réforme ferroviaire de 2018, était annoncée et a été mise en œuvre au 1er janvier 2020.