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Chine - États-Unis : une nouvelle étape de la guerre commerciale
Démarrée en janvier 2018 par la hausse des taxes à l’importation sur divers produits chinois, l’acier, l’aluminium ou les machines à laver, la guerre commerciale vise maintenant les produits technologiques, en particulier ceux du secteur des télécommunications.
Depuis le début, Trump souffle le chaud et le froid, les taxes réellement appliquées étant moindres que celles annoncées. Chaque coup est suivi d’une caresse, son objectif étant de peser dans les négociations bilatérales qu’il a engagées, avec la Chine mais aussi d’autres partenaires commerciaux. Avec un certain succès. C’est ainsi qu’en novembre dernier Trump a pu se targuer, au moment des élections de mi-mandat, d’avoir renégocié l’Alena, cet accord de libre-échange avec le Mexique et le Canada, dans un sens favorable à l’industrie automobile et aux agriculteurs américains. Trump profite de la puissance économique des États-Unis et de l’attractivité de son vaste marché, incontournable pour les entreprises étrangères, pour imposer ses conditions. Parallèlement aux nouvelles sanctions, suivies de représailles chinoises, les négociations se poursuivent entre la Chine et les États-Unis, Trump cherchant à faire plier les dirigeants chinois.
La bourgeoisie américaine ne soutient pas unanimement la guerre commerciale de Trump contre la Chine. Les capitalistes qui importent à bas prix les marchandises chinoises, comme Walmart, le géant de la distribution, sont hostiles à l’ajout de taxes. Ceux qui font assembler en Chine leurs productions, comme Apple, n’y sont pas spécialement favorables. 40 % des exportations chinoises sont en réalité le fait d’entreprises étrangères, principalement américaines, pour qui la Chine reste un atelier d’assemblage et qui prélèvent l’essentiel de la valeur ajoutée par les ouvriers chinois. Les consommateurs américains paient les hausses de prix engendrées par les taxes, car les industriels les répercutent sur le prix de leurs produits. Ces hausses sont autant d’entraves au commerce. En 2018, IBM ou General Electric notamment s’étaient opposés à cette politique ; de multiples sociétés avaient demandé des exemptions pour continuer leur joint-venture avec des entreprises chinoises.
Pour autant, l’offensive contre « l’expansionnisme économique de la Chine » ou contre les menaces supposées sur « les infrastructures technologiques de l’information et de la communication aux États-Unis », selon les termes d’un décret du 16 mai dernier, n’est pas une lubie de Trump. Les démocrates, pourtant en concurrence politique directe avec Trump, n’ont pas dénoncé ce décret interdisant aux entreprises américaines de se fournir en équipements auprès de groupes dont les activités sont jugées à risque pour la sécurité nationale américaine. En outre, ces pressions sur la Chine ne sont pas mal vues en Europe. Les uns et les autres semblent convaincus qu’il faut endiguer l’expansion des sociétés chinoises, à commencer par les entreprises de télécommunication.
La guerre dans la technologie des télécommunications
Deux entreprises, ZTE et Huawei, sont les principales cibles de Trump. En décembre dernier, Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei et fille du fondateur de ce groupe de téléphonie, était arrêtée au Canada, à la demande du ministère américain de la Justice qui réclame son extradition. Le département américain du Commerce vient de placer Huawei et ses filiales sur la liste des entreprises suspectes du Bureau de l’industrie et de la sécurité. Les firmes américaines doivent désormais obtenir une autorisation gouvernementale pour commercer avec Huawei. Dans la foulée, Google a annoncé qu’il « se pliait à ce décret et examinait ses implications ». Il va cesser de fournir à Huawei les mises à jour de ses logiciels. Google est d’autant plus enclin à appliquer cet embargo que les 800 millions d’internautes chinois échappent largement à sa mainmise, comme à celle de Facebook ou d’Amazon, puisque Alibaba, Tencent ou Weibo, des fournisseurs chinois, contrôlent ce marché. Visiblement, plusieurs entreprises de la Silicon Valley sont prêtes à emboîter le pas à Trump. Intel, Qualcomm et deux autres fabricants américains de puces ont annoncé qu’ils cesseront de fournir, eux aussi, l’entreprise chinoise jusqu’à nouvel ordre.
Pour Huawei, qui importe pour 11 milliards de dollars de composants américains chaque année, auprès de plus d’une dizaine d’entreprises, une telle mise à l’index a des conséquences importantes. Elle peut entraver sérieusement son développement et lui fermer le marché occidental. Si Huawei peut sans doute, avec l’aide de l’État chinois, remplacer à terme ses fournisseurs américains par des chinois ou d’autres, l’impossibilité pour les utilisateurs de ses smartphones d’utiliser Google ou Facebook pourrait être rédhibitoire. Certains économistes, comme Nouriel Rubini, un des rares qui avaient anticipé la crise de 2008, craignent une nouvelle version de la guerre froide, entre la Chine et les États-Unis, qui entraînerait un découplage de l’économie mondiale en deux blocs aux technologies incompatibles. Une telle forme de démondialisation serait un choc supplémentaire dans une économie déjà malade.
Huawei a grandi dans les années 1980, en produisant du matériel et des réseaux pour les opérateurs téléphoniques et les entreprises chinoises. Depuis, il est devenu le deuxième fabricant mondial de téléphones portables, derrière Samsung mais devant Apple. Comme tous les capitalistes chinois, ses propriétaires ont profité à plein du soutien de l’État. Dans le secteur de la télécommunication, Huawei est devenu un outsider sérieux, que ses concurrents américains veulent écarter. Il semble avoir pris de l’avance dans la prochaine génération de téléphonie, la 5G, capable de transmettre beaucoup plus de données, dix fois plus vite, ce qui ouvre la voie à des progrès dans l’intelligence artificielle. Selon un rapport américain, la Chine disposerait déjà de 350 000 stations 5G, dix fois plus que les États-Unis. Cette avance permet à Huawei de proposer ses services pour installer la 5G dans le monde entier, au grand dam des opérateurs américains.
Quoi qu’en disent les commentateurs de cette guerre commerciale, la Chine et les États-Unis ne jouent pas dans la même division. Les États-Unis restent la première puissance mondiale. Ils disposent avec leur industrie, leur recherche, le rôle central de leur monnaie et plus encore leur armée et leur budget militaire sans équivalent, de multiples moyens de défendre les intérêts de leurs capitalistes. Dans la plupart des domaines, les capitalistes américains dominent leurs concurrents. Si l’État chinois a permis l’émergence de quelques grands groupes, Huawei, Cosco, Tencent et quelques autres, qui visent le vaste monde et plus seulement leur marché intérieur, ils ont dû se contenter jusque-là des investissements moins rentables délaissés par leurs concurrents. C’est le cas de Cosco, qui a racheté le port du Pirée à Athènes, ou de Bluestar, qui exploite en France des usines chimiques revendues par Arkema ou Solvay. Si Apple vend moins de smartphones que Huawei, il réalise bien plus de profits. Pour autant, dans une économie en crise, dans un marché mondial saturé, la concurrence entre capitalistes fait rage et un outsider reste un rival à écarter. Dans la jungle du capitalisme, dans sa période de jeunesse comme dans la phase sénile que nous vivons, la suprématie n’est jamais acquise et doit être sans cesse défendue, sinon reconquise. Cela explique l’offensive américaine contre Huawei.
Une guerre à plusieurs cibles
Trump et son administration invoquent les risques d’espionnage par la Chine et les menaces sur la sûreté nationale. C’est l’hôpital qui se moque de la charité ! Ceux qui ont les moyens d’espionner le monde – y compris les dirigeants politiques amis comme l’avait révélé Wikileaks en 2016 – ce sont quand même les États-Unis, avec les grandes oreilles de la NSA (Agence nationale de sécurité) ou les données personnelles de centaines de millions de personnes collectées par Google, Facebook et autres. Edward Snowden a d’ailleurs révélé en 2016 que la NSA a eu accès pendant des années à des documents internes de Huawei et aux codes secrets de ses produits. La croisade contre Huawei n’a pas d’autre objectif que d’écarter un concurrent gênant.
Depuis l’été dernier, les États-Unis font pression en ce sens sur leurs alliés. L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont écarté Huawei du futur marché de la 5G. En Europe, les tractations se multiplient autour de la participation de Huawei à ce déploiement. Lors de la dernière visite européenne de Xi Jinping, l’Italie et Monaco ont signé ostensiblement un engagement avec Huawei. En Grande-Bretagne, British Telecom a d’abord annoncé le rejet de l’équipementier chinois, avant que Theresa May ne le réintègre, en partie, pour la future 5G. Ce dernier arbitrage a d’ailleurs coûté son poste au ministre de la Défense, pour avoir divulgué à la presse cette information, visiblement sensible.
Comme dans le cas de l’embargo iranien, en visant la Chine, Trump menace aussi les autres pays. En menaçant de lourdes sanctions les entreprises qui poursuivraient les affaires avec l’Iran, Trump a obligé Total et de nombreuses entreprises européennes à quitter ce pays. Ses moyens de pression sont l’accès au système financier du dollar et la fermeture du marché américain. Ces armes, preuves de la puissance maintenue des États-Unis, sont visiblement dissuasives. Les États-Unis peuvent décider d’activer de telles mesures de rétorsion contre les pays ou les entreprises qui décideraient de continuer à faire des affaires avec Huawei. Une telle menace a été mise en œuvre dans un passé récent contre des banques ou des constructeurs automobiles qui avaient poursuivi leurs affaires en Iran ou à Cuba.
Une guerre lourde de menaces
C’est bien pourquoi la guerre commerciale contre la Chine est lourde de menaces. Chaque nouvelle annonce de Trump élargissant les taxes contre la Chine se traduit par une chute, plus ou moins temporaire, du cours des actions des entreprises des nouvelles technologies et inquiète les marchés financiers de la planète. Cette guerre prolonge et alimente la crise dont l’économie mondiale ne s’est pas relevée depuis 2008. Elle menace la production industrielle elle-même.
« Guerre commerciale, le spectre de l’escalade » ; « L’escalade qui inquiète » ; « État d’alerte mondial contre la guerre commerciale » ; « Les tensions commerciales font chuter les marchés » : voilà quelques exemples des unes récentes du journal Les Échos, fidèle reflet des préoccupations des milieux patronaux en France. Leur crainte est que la guerre commerciale lancée par Trump entraîne un ralentissement des échanges et des investissements. Et leur crainte est fondée. La Chine exporte moins depuis un an et son taux de croissance, s’il reste officiellement de 6 %, est le plus bas depuis trente ans. D’ores et déjà, le ralentissement des exportations chinoises a des répercussions sur la production à Taïwan, en Thaïlande ou en Corée du Sud, car ces pays fournissent à la Chine de multiples composants. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) vient de revoir à la baisse ses prévisions de la croissance du commerce pour l’année 2019, la passant de 3,9 à 2,6 %, en invoquant « les tensions commerciales entre les deux principales économies de la planète ». Pour l’OMC, « une plus grande incertitude provoque de moindres investissements et une moindre consommation ». Chaque augmentation des droits de douane aux États-Unis donne lieu à des mesures de rétorsion des concurrents. L’économie mondiale étant plus intégrée que jamais, aucun pays ne peut rester neutre et ces mesures protectionnistes affectent le commerce mondial. Le spectre des années 1930, avec ses barrières protectionnistes élevées, un reflux des échanges et au bout du compte la marche à la guerre, est agité par divers économistes.
L’économie mondiale n’en est certes pas encore là. Une confrontation militaire directe entre les États-Unis et la Chine, ou d’autres protagonistes, n’est pas à l’ordre du jour, malgré les coups de menton de Trump et le déploiement récurrent des porte-avions américains en mer de Chine. Mesure du rapport de force entre les deux pays, la Chine ne possède à ce jour que deux porte-avions, dont un acheté d’occasion à l’Ukraine, quand les États-Unis peuvent en déployer simultanément onze sur le globe. Si l’armée chinoise monte en puissance année après année, si la Chine investit dans les missiles balistiques, le spatial, la marine de guerre, le budget militaire américain reste trois fois supérieur à celui de la Chine.
Les travailleurs paient la facture
Si la guerre commerciale demeure pour l’instant pacifique, elle fait pourtant des victimes : les travailleurs en Chine et aux États-Unis. En Chine, la baisse des exportations due aux taxes américaines s’ajoute à la crise économique et à l’endettement massif des entreprises. Elle entraîne des suppressions d’emplois. Des dizaines de milliers de travailleurs précaires, les migrants de l’intérieur, sont mis au chômage et doivent retourner dans leurs régions d’origine. En 2018, la production dans l’automobile et l’électronique a chuté de respectivement 17 et 14 %. Les licenciements touchent aussi des salariés qualifiés d’entreprises américaines installées en Chine, comme le développeur de logiciels Oracle, qui vient de supprimer 900 emplois.
Aux États-Unis, la population paie cette guerre commerciale par un renchérissement des prix à la consommation. Selon une enquête de l’université de Chicago, les tarifs douaniers additionnels imposés sur les machines à laver représentent un surcoût de 1,5 milliard de dollars en un an et renchérissent de 86 dollars le prix de chaque machine et de 92 dollars celui d’un séchoir. Ces taxes ont rajouté 0,3 point de pourcentage sur l’indice de l’inflation en 2018. Contrairement aux mensonges de Trump destinés à capter les voix ouvrières au nom du « produire en Amérique », ces mesures ne protègent pas les emplois aux États-Unis. Elles vont probablement en détruire parmi ceux directement liés aux échanges avec la Chine, dans les docks, le transport et plus généralement le commerce.
Le protectionnisme n’a jamais protégé les travailleurs, qu’il soit mis en œuvre aux États-Unis par Trump ou en Europe par n’importe quel dirigeant souverainiste. La guerre commerciale fournit un nouveau prétexte aux capitalistes pour aggraver l’exploitation des ouvriers et baisser les salaires, au nom de la compétitivité. Elle s’ajoute aux reculs déjà imposés depuis 2008 pour permettre aux grandes entreprises d’accroître leurs profits malgré la stagnation du marché. Elle renforce partout les démagogues xénophobes qui font du repli national leur fonds de commerce. Pour les travailleurs, la seule issue pour enrayer la machine infernale qui se met en place lentement mais sûrement, ce n’est pas de serrer les rangs derrière ses propres capitalistes et leurs représentants politiques, si variés soient-ils, mais de préparer leur expropriation et la révolution sociale.
27 mai 2019