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Venezuela : le chavisme en faillite confronté aux manœuvres impérialistes
Le chavisme en faillite
L’économie du Venezuela n’a pas été épargnée par le krach mondial de 2008. En 2009, elle recule de près de 4 %. Comme d’autres gouvernants, le gouvernement présidé de 1998 à 2013 par Hugo Chavez (1954-2013), le fondateur du mouvement chaviste, impose que les classes populaires paient la crise. En 2010, le produit intérieur brut recule encore de près de 6 %. Les usines ne produisent qu’à 50 % de leur capacité, la sidérurgie est stagnante et la production de pétrole réduite.
Chavez dénonce alors les « privilèges » des travailleurs, c’est-à-dire leur droit de mettre en avant leurs revendications et de faire grève pour les obtenir. Comme dans le reste du monde, les moyens de l’État servent à sauver les capitalistes. Le « socialiste » Chavez injecte des milliards de dollars pour sauver neuf banques. L’« anti-impérialiste » accorde 1,5 milliard de dollars à General Motors et laisse pénétrer plusieurs multinationales, y compris nord-américaines sur la zone riche en pétrole et en minerais de l’Orénoque.
Contre les classes populaires, Chavez dévalue la monnaie, le bolivar, et augmente le taux de TVA. La valeur du dollar et les prix s’envolent. L’inflation atteint 30 % et les salaires sont gelés. Il y a des coupes budgétaires dans la santé et l’éducation, des secteurs publics où les travailleurs doivent attendre des mois pour toucher leur paye.
À la même époque, la gabegie du système étatique de distribution alimentaire prend de l’ampleur. Les responsables chavistes ont accès à des crédits et des taux de change du dollar avantageux, censés les aider pour leurs achats, mais ils spéculent sur les trois taux de change du dollar existants et détournent les marchandises vers les circuits du marché noir, par exemple en les expédiant en Colombie pour les faire revenir, plus chères, au Venezuela. Les gestionnaires peuvent aussi déclarer périmés des produits, pour obtenir de nouveaux budgets. Ils revendent au secteur privé les denrées presque périmées. La corruption marche si bien qu’ils oublient l’existence de 92 000 tonnes de nourriture avariée réparties dans 15 hangars et plus de 4 000 containers. En mai 2010, on les découvre dans l’État de Carabobo. Cela représente trois mois de nourriture du réseau gouvernemental !
Cette politique antiouvrière amène un premier recul des chavistes aux élections législatives de 2010 et provoque une explosion de colère. En 2011, on recense plus de cinq mille protestations, 70 % de plus que l’année d’avant.
En 2013, Nicolas Maduro succède à Hugo Chavez qui vient de mourir. La situation continue de s’aggraver, alors que le baril de pétrole est encore autour de 100 dollars. La politique d’austérité contre les classes populaires se poursuit. Les élections de 2015 se traduisent par une déroute des chavistes, qui sont mis en minorité à l’Assemblée nationale. Tandis que Maduro manœuvre pour conserver le pouvoir, l’inflation explose. Entre 2014 et 2017, elle grimpe de 68 % à 1 800 % par an. Dès 2014, les pouvoirs publics cessent de mesurer le panier de la ménagère.
Les classes populaires sont soumises à de multiples restrictions, mais le régime continue de payer les intérêts de la dette à ses créanciers. Un décret de Maduro a encore élargi le pillage de la zone de prospection minière de l’Orénoque par les multinationales, qui bénéficient d’un régime d’exemption de taxes, totale ou partielle.
Des pillages de supermarchés éclatent en 2016. On en recense sept cents. La réponse de Maduro est brutale : la répression fait une douzaine de morts et des centaines de condamnations à de la prison. Les manifestations de protestation orchestrées par la droite, auxquelles se mêlent des chavistes déçus, reçoivent la même réponse. Selon une organisation de défense des droits de l’homme, Foro penal, il y aurait aujourd’hui 14 000 prisonniers politiques au terme de cinq ans d’affrontements.
En juillet-août 2017 survient une accalmie. L’opposition de droite, poussée par les États-Unis, l’Union européenne et le Vatican, cherche à dialoguer avec le pouvoir. Cela offre un sursis à Maduro. Pour Noël 2017, le gouvernement fait des promesses mais elles ne sont pas tenues : la population ne voit venir ni la viande de porc ni les jouets annoncés. Les manifestations reprennent, pour exiger nourriture et hausse des salaires. Le nombre de personnes considérées comme mal nourries grimpe alors de 2,8 à 4,1 millions. La mortalité infantile augmente de 30 %. Il y a toujours plusieurs cours pour le dollar. Le gouvernement l’achète avec 10 bolivars, les entreprises avec 3 000 bolivars mais il en vaut 200 000 au marché noir.
Face aux pénuries de denrées et de médicaments, les réponses du gouvernement prétendu socialiste deviennent dérisoires : élever des lapins dans les logements, pratiquer une agriculture urbaine en pots sur les balcons et terrasses, revenir aux médecines ancestrales… La population répond avec ses pieds, les uns quittent le pays, les autres manifestent.
Chavez : un soutien populaire
Dans ses premières années, le régime chaviste n’avait pas manqué de soutiens populaires. Les travailleurs se sont mobilisés pour le défendre contre deux coups d’État, orchestrés par la bourgeoisie et les États-Unis.
Le chavisme est né en 1998 de l’effondrement du système politique mis en place en 1958, après la chute d’une dictature militaire. Le système Adeco repose pendant quarante ans sur l’alternance de deux équipes gouvernementales, la gauche de l’Acción Democrática (Action démocratique, AD) et la droite du Comité de Organización Política Electoral Independiente (Comité d’organisation politique électorale indépendante, Copei). Le glas sonne pour lui en 1989, quand le gouvernement AD de Carlos Andrés Pérez, lié à la social-démocratie, fait tirer sur la population révoltée par une hausse vertigineuse des prix. Selon les sources, il y a 1 500, 2 200 ou 3 000 morts. Ce massacre ouvre une période incertaine qui voit grandir la figure d’Hugo Chavez, officier qui s’était fait connaître en 1992 lors de l’échec de son putsch, s’était reconverti à la voie électorale et qui remporte l’élection présidentielle de 1998. Il préside le Venezuela de 1999 à sa mort en 2013.
Après le marasme des années 1980, il apparaît comme un sauveur et bénéficie d’un fort soutien populaire. Il défend la souveraineté nationale et un accès des classes populaires à une part des richesses. Son succès ne plaît ni à la bourgeoisie, ni à l’état-major de l’armée, ni à l’Église, ni à la bureaucratie syndicale, ni aux États-Unis. Tous ces ennemis se coalisent pour l’écarter du pouvoir le 11 avril 2002. Le 12, les putschistes fêtent leur victoire. Chavez est leur prisonnier et le président du patronat est nommé chef de l’État avec la bénédiction de Washington. Mais, le 13, Chavez est libéré et reprend toute sa place.
Une impressionnante mobilisation populaire a changé la donne. Des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues de la capitale Caracas et des principales villes, encerclant casernes et bâtiments officiels. Les casernes passent sous le contrôle des officiers et des troupes opposés au coup d’État. Libéré, Chavez prend la parole, un crucifix en main, pour calmer le jeu et laisser à ses opposants le temps de se ressaisir. Les juges, solidaires des putschistes, parlent d’un vide du pouvoir, pas d’un coup d’État. Cinq ans plus tard, c’est l’amnistie générale.
Chavez laisse ainsi ses opposants préparer une seconde tentative. Elle commence en décembre 2002. Les putschistes sont, cette fois, les managers de PDVSA (Pétrole du Venezuela société anonyme), la compagnie nationale gérante du secteur pétrolier, qui contrôle 95 % des ressources du pays. Ils ont participé au putsch d’avril 2002 mais Chavez a accepté qu’ils reprennent la direction, d’où ils organisent le sabotage de la distribution d’essence. Mais ils se heurtent à la résistance des travailleurs, qui restent à leur poste et qui parfois font plus encore. Dans la raffinerie de Puerto La Cruz, les ouvriers décident de faire tourner l’entreprise sous leur contrôle, ce qui n’est ni le programme des putschistes ni celui de Chavez. Les travailleurs élisent en assemblée générale des responsables de secteur et se découvrent capables de gérer une entreprise complexe, sans patron.
Les travailleurs se heurtent aussi à la vieille bureaucratie syndicale de la Centrale des travailleurs vénézuéliens, solidaire du management de PDVSA. Cela conduit à la création d’une nouvelle centrale, l’Union nationale des travailleurs (UNT).
Ce nouveau coup avorté renforce la popularité de Chavez, qui dispose maintenant des ressources de PDVSA. Il lance les « missions sociales » vers les habitants des quartiers déshérités. Il renforce son partenariat avec Cuba : en échange de livraisons de pétrole, 40 000 médecins cubains sont envoyés exercer au Venezuela.
Dans les premières années, plusieurs de ces missions sont un succès, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. Près de 3 millions de personnes apprennent à lire et 2,5 millions de patients accèdent à des soins. Mais ces solutions d’urgence ne règlent pas le problème du manque d’argent pour entretenir et moderniser les hôpitaux. Des centaines de grèves du personnel de santé s’accompagnent de dénonciations de la détérioration de leurs conditions de travail et de l’accueil des patients. En revanche, la réforme agraire est un échec. Les grands propriétaires défendent leurs terres en ayant recours à des hommes de main qui tuent des paysans. 1 % de la population, les grands propriétaires, possède toujours 40 % des terres, alors que 70 % des petits propriétaires se partagent 5 % des terres. Le régime ne réussit pas à produire les aliments les plus nécessaires, massivement importés.
Chavez se rapproche de la bourgeoisie
Chavez a distribué des médailles aux travailleurs de la raffinerie de Puerto La Cruz, mais il ne pousse pas son avantage. S’il avait été un nationaliste aussi radical que les dirigeants castristes en 1959-1962, il aurait pu, en s’appuyant sur les travailleurs et la population, qui venaient de se mobiliser avec succès à deux reprises, nationaliser l’appareil économique et prendre l’avantage sur ses opposants à droite. Mais il prend la direction opposée : pour contrebalancer la force des travailleurs, il cherche un compromis avec la bourgeoisie.
En 2003, Chavez accuse : « Il y a un fasciste, un dirigeant du coup d’État. Il possède une chaîne de télévision au Venezuela. Il s’appelle Gustavo Cisneros. […] C’est un grand responsable et je le dénonce devant le peuple et le monde comme putschiste et fasciste. » Mais en juin 2004, il le rencontre en compagnie de l’ex-président américain Jimmy Carter et pactise avec lui. La ligne éditoriale des médias de Cisneros change en faveur de Chavez et son empire audiovisuel est favorisé par l’État contre ses concurrents. Même opération avec d’autres patrons comme Albert Vollmer des distilleries de rhum de Santa Teresa ou Wilmer Rupperti, un ancien de PDVSA, à la tête d’une entreprise de livraison des produits de PDVSA, mais qui n’a pas suivi les putschistes. Ce dernier est si satisfait de ce partenariat qu’il a payé les avocats des neveux de Maduro quand ceux-ci ont été accusés, en 2016, d’avoir transporté 800 kilogrammes de cocaïne aux États-Unis.
Derrière le mirage du « socialisme du 21e siècle »
Tandis qu’il favorise ainsi les capitalistes privés, Chavez radicalise son langage en direction des classes populaires. Le 1er mai 2005, il évoque pour la première fois le « socialisme du 21e siècle » devant une foule de travailleurs à qui il explique que le passage au socialisme vient de commencer. Dommage que ces travailleurs n’aient pas entendu ce qu’il avait déclaré, en novembre 2004, devant des militaires : « Le but à long terme, sur le plan économique, personne ne peut avoir de doute là-dessus, c’est de dépasser le modèle capitaliste. Le modèle économique capitaliste est impossible à réaliser. Est-ce que le communisme est une alternative ? Non ! Ce n’est pas ce que nous mettons en œuvre maintenant ; ici nous avons les grands objectifs de la constitution bolivarienne [une profession de foi nationaliste, NDLR], le modèle d’économie sociale, l’économie humaniste, l’économie égalitaire. Nous ne nous préparons pas à éliminer la propriété privée, ni à mettre en œuvre la planification communiste. Nous n’allons pas aussi loin. »
En 2008, Chavez, as du double langage, organise un Rassemblement socialiste productif, où il n’est pas question de socialisme mais de lever des fonds pour les entreprises. Il vient de dévaluer le bolivar. Le patronat va bénéficier de taux préférentiels tandis que la population subit les effets de la perte de valeur de la monnaie, la hausse des prix. Les capitalistes applaudissent : « Avec ces mesures destinées aux exportateurs, il est plus facile d’affronter la concurrence », déclare l’un d’eux.
Et où est le socialisme dans les partenariats mis en place avec l’assureur de PDVSA Salazar Carreno, le banquier Victor Vargas, dont la Banque de discount prospère sur la dette du Venezuela, ou les importateurs de biens d’équipement Derwick et associés, rois de la surfacturation ? À ceux-là et d’autres, il faut ajouter des membres du gouvernement, des chefs du parti chaviste et de l’armée, une « bolibourgeoisie » qui se développe à côté de la bourgeoisie traditionnelle. Au sommet trônent les militaires. Entre 1999 et 2013, plus de 1 600 d’entre eux ont eu des responsabilités gouvernementales à divers niveaux.
Les militaires sont les seuls fonctionnaires bénéficiant d’augmentations de salaire égales ou supérieures à l’inflation. Leur cohésion derrière le régime chaviste découle de leur implication dans les affaires, notamment les achats d’armes avec la Russie, la Chine, le Brésil, l’Espagne et les États-Unis. En outre, ils contrôlent les frontières et les ports, et donc les échanges économiques, licites ou pas. Dès 2013, Maduro multiplie les entreprises dirigées par des militaires dans tous les secteurs d’activité. Depuis 2016, les militaires supervisent aussi le ravitaillement. Dix-huit produits de première nécessité, du lait aux médicaments en passant par le papier toilette, sont sous le contrôle d’autant de généraux. L’armée est devenue la colonne vertébrale du régime, d’autant plus qu’au fil des ans il perd des soutiens populaires.
L’arrangement du régime avec la bourgeoisie avait été présenté comme une société mixte qui profiterait à tous, mais il a surtout servi la bourgeoisie, qui a vu grandir ses parts du produit national. Le privé contrôle aujourd’hui 70 % du produit intérieur brut contre 30 % au secteur public, chaviste. Le secteur coopératif, mis un temps en avant, ne représente que 1 %. Entre 2002 et 2012, les banques ont triplé leur part du produit national.
Et, malgré les déclarations anti-impérialistes parfois tonitruantes de Chavez, les activités des multinationales n’ont jamais cessé de se renforcer : Chevron, Chrysler, Coca-Cola, General Motors, Halliburton, Kraft Heinz, McDonald’s, Mitsubishi, Pepsi-Cola, Procter & Gamble, Toyota, ainsi que deux mille grandes entreprises européennes. Rien n’est fait pour contrecarrer l’emprise économique de la bourgeoisie. Pire, tout est mis en œuvre pour favoriser et la bourgeoisie nationale et le capital étranger.
Une politique antiouvrière constante
Comment peut-il être question de socialisme ou de communisme sans encourager l’action consciente et organisée de la classe ouvrière elle-même ? Parallèlement à l’orientation économique favorable à la bourgeoisie, Chavez puis Maduro ont mené une guerre sans relâche aux travailleurs en lutte.
Dès sa création en 2003, la nouvelle centrale syndicale UNT est paralysée par un conflit entre l’aile combative qui a fait capoter le coup de force de PDVSA, dans laquelle on compte des militants ouvriers du courant moréniste – un courant divisé, fondé par le trotskyste argentin Nahuel Moreno, et qui a essaimé dans plusieurs pays d’Amérique latine – et ceux qui souhaitent s’inféoder au régime avec un slogan explicite : « Chavez d’abord ». Cela s’envenime au point que des hommes de main de la mafia syndicale chaviste abattent plusieurs militants ouvriers, parmi lesquels Richard Gallardo, dirigeant syndical influent dans l’État d’Aragua où les travailleurs se sont mobilisés à plusieurs reprises contre les attaques de Chavez. Ce militant moréniste est assassiné en 2008 avec deux de ses camarades. Un crime resté impuni. Le gouvernement s’est attaqué aussi à Orlando Chirino, vétéran moréniste et coordinateur du syndicat UNT. Il est licencié de son emploi chez PDVSA. Cela déclenche une campagne nationale en sa faveur, qui arrache sa réintégration... jamais appliquée.
Pour réduire les droits des travailleurs, le gouvernement et les inspecteurs du travail signent des contrats collectifs avec des syndicats complaisants avec le régime. Quand cela déclenche des réactions, le gouvernement réprime violemment. Ceux qui occupent leur usine sont expulsés par la police. Des mesures juridiques s’ajoutent pour criminaliser les luttes ouvrières, sans toutefois les faire disparaître.
En 2008, l’usine sidérurgique Sidor, appartenant au groupe argentin Techint, est en plein processus de renationalisation. En mars, les ouvriers se mettent en grève pour les salaires, bloqués depuis deux ans. Les militants ouvriers établissent un plan de lutte avec arrêt de la production et manifestations massives. Les grévistes sont traités de putschistes par un ministre qui propose un référendum sur les salaires, rejeté par les ouvriers par 3 338 voix contre 65. Le 9 mars, une centaine de syndicats de tout le pays, mais aussi du Brésil et d’Argentine, se rassemblent en solidarité. Les grévistes exigent la démission d’un ministre et que Chavez s’engage. Ce dernier n’a d’autre choix que de se prononcer pour la nationalisation. Mais, par la suite, les salaires sont à nouveau gelés, les capacités de production réduites et le syndicat combatif muselé. Les travailleurs de Sidor ont continué néanmoins de multiplier les grèves pour défendre leurs droits, au point qu’en 2014 trois ouvriers sont arrêtés et emprisonnés huit mois.
En 2011, le mécontentement ouvrier s’exprime massivement à propos des conventions collectives. Celles de deux millions de travailleurs du secteur public n’ont pas été revalorisées depuis sept ans. Des dizaines de milliers d’ouvriers de la métallurgie travaillent avec un contrat ayant expiré depuis un an. Et cent mille travailleurs du pétrole avec un contrat périmé depuis deux ans.
En 2012, Chavez impose par décret une contre-réforme, la loi organique du travail et des travailleurs, qui réduit le droit de s’organiser et augmente les chicanes du ministère du Travail pour entraver la création de sections syndicales. S’y ajoute une loi « antiterroriste », qui restreint les zones où les travailleurs peuvent faire grève. Toutes ces mesures ont aidé Maduro à imposer une réduction importante des salaires, déjà rongés par l’inflation, et des conditions de travail plus précaires.
L’échec du chavisme n’est pas celui du socialisme ou du communisme, c’est l’échec des chimères réformistes qui veulent faire croire que l’on peut trouver un compromis entre les intérêts des capitalistes et ceux des travailleurs, alors qu’ils sont irrémédiablement opposés. On ne peut servir deux maîtres. Ce qui est accordé à la bourgeoisie diminue les ressources de la classe ouvrière et des opprimés. La fonction remplie par Chavez et son régime n’a pas été de chercher l’équilibre entre bourgeois et prolétaires, comme il le prétendait, mais de calmer les exigences des travailleurs et des opprimés et permettre ainsi au capital de prospérer.
L’impérialisme ressort ses griffes
La crise du régime chaviste a réveillé les appétits des grandes puissances, et d’abord ceux de l’impérialisme américain. Les immenses réserves de pétrole à quelques heures des États-Unis sont un des enjeux. Mais il y aussi la reconquête politique en cours en Amérique latine, où des hommes de droite, plus à l’unisson de Washington, comme en Argentine et au Brésil, retrouvent le pouvoir.
À partir de 2015 sous Obama, puis avec Trump depuis 2017, les États-Unis ont multiplié les sanctions économiques contre un régime à cours de liquidités, dans un pays dont la population se débat pour survivre. Ils gèlent les avoirs du Venezuela, en devises ou en or, dans différentes banques internationales. La plus emblématique de ces mesures a été la saisie des résultats de Citgo, la filiale de PDVSA opérant aux États-Unis.
Au pouvoir depuis janvier 2017, Donald Trump s’est entouré d’une équipe de faucons qui souhaitent régler son compte au Venezuela : le vice-président Michael Pence ; le chef de la sécurité nationale John Bolton, théoricien de la « guerre préventive » ; Elliott Abrams, associé il y a trente ans aux massacres des populations d’Amérique centrale et architecte de l’invasion de l’Irak en 2003.
Michael Pence a poussé le quasi inconnu député de droite Juan Guaido à se proclamer président en lieu et place de Nicolas Maduro, président élu. La tentative de faire pénétrer un convoi humanitaire, qui aurait assis Guaido au sommet de l’État, a échoué le 24 février. L’objectif des États-Unis n’avait rien d’humanitaire. C’était une torpille contre le régime chaviste. John Bolton parle maintenant de faire tomber le régime des Ortega au Nicaragua. Pour mieux se tourner ensuite vers le Venezuela, car le bras-de-fer n’est pas terminé. Guaido se demande maintenant s’il ne va pas être arrêté à son retour à Caracas.
Avec un bel ensemble, une soixantaine d’États du monde impérialiste, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, soutiennent les manœuvres de Washington et reconnaissent le président autoproclamé Guaido comme légitime. Là encore, le sort de la population du Venezuela, des ouvriers et des paysans pauvres qui paient au prix fort l’incurie du régime, importe peu. Tous ces gouvernements veulent une place dans la curée impérialiste qui suivrait la chute de Maduro.
Commentant en 1938 l’attitude face à l’impérialisme britannique du Mexique de Cardenas – un régime pas moins nationaliste que celui des chavistes, mais qui osa nationaliser les compagnies pétrolières nord-américaines et mettre en œuvre une ample réforme agraire –, Léon Trotsky écrivait : « Sans succomber aux illusions et sans crainte de la calomnie, les ouvriers avancés soutiendront totalement le peuple mexicain dans sa lutte contre les impérialistes. L’expropriation du pétrole, ce n’est ni du socialisme ni du communisme. Mais c’est une mesure hautement progressiste d’autodéfense nationale. […] Le prolétariat international n’a aucune raison d’identifier son programme avec le programme du gouvernement mexicain. Les révolutionnaires n’ont nul besoin de changer de couleur, de s’adapter et de jouer les flatteurs à la manière de […] ces courtisans qui, au moment du danger vont vendre et trahir le camp le plus faible. Sans abandonner sa propre identité, chaque organisation ouvrière honnête dans le monde entier […] a le devoir de prendre une position intransigeante face aux brigands impérialistes, leur diplomatie, leur presse et leurs mercenaires fascistes. La cause du Mexique […] est la cause de la classe ouvrière internationale. La lutte autour du pétrole mexicain n’est qu’une des escarmouches de la ligne avancée des batailles à venir entre les oppresseurs et les opprimés. » On peut aujourd’hui remplacer Mexique par Venezuela.
Mais faire avancer la cause du communisme, aucun nationaliste, aussi radical soit-il, ne peut le faire. Seul le prolétariat révolutionnaire, c’est-à-dire conscient de ses objectifs et organisé dans son parti, prenant la tête de tous les opprimés, peut engager résolument ce combat.
4 mars 2019