Discussion sur les textes d’orientation (extraits)09/12/20172017Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2017/12/188.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Discussion sur les textes d’orientation (extraits)

L’ensemble des textes soumis à la discussion, ainsi que les tâches qui en découlent pour notre organisation, trouvent en quelque sorte leur conclusion dans le texte sur la construction d’un parti communiste révolutionnaire.

Contribuer à la renaissance d’un parti communiste révolutionnaire après les faillites successives de la social-démocratie réformiste et du stalinisme est à la base de nos activités depuis toujours. Au-delà de notre petite organisation, c’est même la raison d’être du courant trotskyste depuis qu’il a émergé dans la lutte contre la bureaucratisation de l’État issu de la révolution de 1917. Et cet objectif, le nôtre depuis toujours, s’impose dans la réalité concrète de notre temps.

Quelle est cette réalité ? La crise économique interminable. Des millions de chômeurs, même dans les pays impérialistes les plus riches. La précarité, l’instabilité. La puissance sans entrave des gros possédants. La dégradation des rapports sociaux. La montée des préjugés et la crasse réactionnaire dans tous les domaines de la vie. Des flots de migrants qui fuient la guerre ou la misère, et les barbelés hérissés pour les en empêcher. Les bruits de bottes dans les relations internationales.

Eh bien cette réalité, qui est aujourd’hui celle de la société dans son ensemble, pèse évidemment sur nos activités. Mais elle peut peser dans deux sens contradictoires.

D’un côté, le chômage, la menace de perdre son emploi, pèsent matériellement et ô combien sur notre classe sociale, la classe ouvrière, sur sa combativité, sur sa confiance en elle-même.

Mais d’un autre côté, même dans la fraction privilégiée, riche, de la planète, dont la France fait partie, le capitalisme montre sa faillite. Il ne peut pas représenter l’avenir de l’humanité.

Il fut un temps où l’on enterrait le marxisme révolutionnaire périodiquement. Mais, avec le cours réactionnaire des choses, disons depuis l’écroulement de l’Union soviétique, on l’enterre de moins en moins, pour la simple raison qu’on le considère maintenant comme vraiment mort et enterré.

Au lendemain de la Deuxiè­me Guerre mondiale et bien après, la vie intellectuelle était marquée par une multitude de courants qui se revendiquaient du marxisme. Cette vie intellectuelle dans son ensemble (historiens, sociologues, romanciers) était profondément marquée par des variantes plus ou moins frelatées du marxisme.

La variante dominante était représentée par ceux qui, dans l’intelligentsia, étaient sous l’influence de l’Union soviétique ou du stalinisme. Le marxisme-léninisme que l’on enseignait dans les universités des pays de l’Est et dans les écoles des partis communistes, en France comme ailleurs dans le monde, n’avait rien à voir avec le marxisme révolutionnaire. Cette formulation elle-même est déjà un pléonasme car le marxisme n’est que révolutionnaire. Le marxisme enseigné par le stalinisme était une sorte de liturgie au service de la bureaucratie stalinienne et de ses intérêts, y compris les plus mouvants.

De la lutte « classe contre classe » de la troisième période (1928-1933) de l’Internationale communiste à sa liquidation en 1943, en passant par le pacte germano-soviétique, ce « marxisme-léninisme » officiel a servi à justifier non seulement la bureaucratie et son règne, mais aussi les zigzags de la politique de Staline.

C’est à partir de ce tronc commun que sont nées les multiples variantes et sous-variantes qui se prétendaient marxistes. À commencer par le maoïsme et toutes ses adaptations locales extrêmement diverses.

Déjà à cette époque, le marxisme en tant que théorie révolutionnaire ne survivait que dans le courant trotskyste, qui subissait lui aussi les pressions et les déformations imprimées à la pensée communiste révolutionnaire par le stalinisme triomphant.

Nous n’avons pas l’intention de revenir ici sur les dégâts catastrophiques du stalinisme sur le mouvement ouvrier réel. Des combats majeurs de la classe ouvrière, des révolutions, trahies ou directement écrasées par la bureaucratie, la conscience de classe du prolétariat infectée par le conservatisme social, par le nationalisme : le stalinisme a été au départ des évolutions qui ont conduit à la situation actuelle du mouvement ouvrier.

Le stalinisme avait déjà une responsabilité majeure, décisive, dans le fait que le prolétariat n’a pu se saisir des circonstances créées par la précédente grande crise mondiale du capitalisme, celle des années qui ont suivi 1929.

Ce n’est pas le prolétariat qui n’a pas été à la hauteur. La révolution espagnole et Juin 1936 en France, la grande vague de grèves aux États-Unis comme dans un grand nombre de pays, témoignaient de la vigueur du mouvement ouvrier et de l’aspiration des masses exploitées à s’engager sans cesse sur la voie de la révolution. Mais, comme le résumait Trotsky : « Chaque fois, elles se heurtent à leurs propres appareils bureaucratiques conservateurs. »

Aujourd’hui, le stalinisme a accompli son œuvre destructrice et a quitté la scène politique. C’est une classe ouvrière pratiquement sans traditions et avec une conscience de classe déformée, pervertie, qui est confrontée à la nouvelle crise de l’économie capitaliste mondiale. Elle est désarmée, sur les plans politique et organisationnel.

C’est dans ce contexte que se pose la question du parti pour notre génération.

La crise de l’économie capitaliste

Une question, ainsi résumée, a été discutée : « le texte évoque la perspective d’un effondrement de l’économie capitaliste, et en même temps l’idée que l’effondrement est déjà là ». En effet, l’effondrement est déjà là. Dans les mois qui ont suivi la crise financière, si on la date arbitrairement de l’effondrement de la banque Lehman Brothers, déclarée en faillite le 15 septembre 2008, la production elle-même s’est effondrée. Et depuis, la situation ne s’est pas vraiment rétablie, même si les puissances impérialistes ont réussi à éviter un krach du genre du jeudi noir 24 octobre 1929.

Tout le monde a tendance à raisonner en comparant avec la crise de 1929, qui elle-même était déjà d’une nature particulièrement profonde et bien plus grave que les crises périodiques antérieures de l’économie capitaliste. Il n’y a cependant aucune raison pour que la crise présente soit une copie de celle de 1929, et même comparable dans son déroulement. Le fait que l’effondrement soit plus étalé que celui de 1929 ne signifie même pas que la menace d’un effondrement financier brutal soit définitivement maîtrisée.

C’est la raison pour laquelle tous les ans, en effet, nous faisons de nouveau le point sur cette menace. Pour le reste, nous ne tirons pas plus de conséquences que ce que nous pouvons en tirer. Nous ne sommes pas dans les secrets du grand capital et nous ne sommes pas des économistes qui suivent au jour le jour tous les bondissements et rebondissements du marché des capitaux. Nous essayons simplement de comprendre, sur la base de nos idées marxistes, les effets de la financiarisation sur le fonctionnement de l’économie capitaliste et les implications qu’ils peuvent avoir dans la lutte des classes pour les nôtres.

Mais nous pourrions pousser le raisonnement plus loin pour poser une question plus générale, qui ne se limite pas à une comparaison de la crise d’aujourd’hui avec celle de 1929, laquelle était déjà largement financière, mais aussi avec les crises périodiques de l’époque du capitalisme montant.

Ces crises périodiques – on disait à l’époque qu’elles comportaient une périodicité grosso modo de dix ans – faisaient partie de la vie même de l’économie capitaliste, de ses pulsations. Avec, à chaque fois, un énorme gâchis pour la société : les usines qui ferment et les ouvriers transformés en chômeurs.

Mais Marx ne défendait pas l’idée que la révolution prolétarienne découlait d’un effondrement de l’économie capitaliste, à la suite d’une crise particulièrement grave et particulièrement profonde. Contrairement à bien des théoriciens qui l’ont caricaturé, Marx n’a pas fondé son socialisme scientifique sur une telle théorie de l’effondrement, mais sur quelque chose de bien plus fondamental.

Pour résumer ce qui donne au socialisme de Marx son caractère scientifique, mieux vaut citer quelqu’une qui s’y connaissait en marxisme, bien plus que nous, et qui était particulièrement familiarisée avec les aspects économiques de la théorie de Marx. Dans une discussion consacrée aux « Arrêts et progrès du marxisme », Rosa Luxemburg affirme : « Le tome iii du Capital est certainement, du point de vue scientifique, le point final de la critique marxiste du capitalisme. Sans le troisième tome, impossible de comprendre la loi décisive du taux de profit, la division de la plus-value en profit, intérêt et rente, non plus que les répercussions de la loi de la valeur sur la concurrence. Mais, et c’est la chose principale, tous ces problèmes, si importants qu’ils soient du point de vue théorique, sont à peu près sans valeur au point de vue pratique de la lutte de classe. De ce point de vue le grand problème théorique, c’était la formation de la plus-value, c’est-à-dire l’explication scientifique de l’exploitation ainsi que de la tendance à la socialisation de la production, autrement dit, l’explication scientifique des bases objectives de la révolution socialiste.

Le tome premier, en donnant « l’expropriation des expropriateurs » comme le résultat inéluctable de la production de la plus-value et de la concentration progressive du capital, répond à ces deux questions. Avec cela, les besoins théoriques du mouvement ouvrier reçoivent en gros satisfaction. La façon dont la plus-value se répartit entre les différents groupes capitalistes, et les vols que la concurrence occasionne dans la production pour cette répartition, tout cela n’a pas un intérêt immédiat pour la lutte de classe du prolétariat. »

En quoi cela nous concerne-t-il aujourd’hui ? D’abord, cela nous rappelle ce qui, dans l’explication scientifique qu’a donnée Marx du développement de la société, fait du prolétariat la seule classe sociale dont les intérêts se confondent avec ceux de la société humaine dans son ensemble. En luttant pour son émancipation en tant que classe sociale, le prolétariat lutte pour la destruction de l’organisation capitaliste de la société. C’est par là que la lutte jusqu’au bout de la classe ouvrière se confond avec la lutte pour changer la société. C’est là que fusionne, dans ses perspectives, le mouvement ouvrier avec le socialisme scientifique, c’est-à-dire avec le courant communiste.

Ce passage de Rosa Luxemburg permet aussi de mettre la financiarisation à sa juste place. Aussi importantes que soient ses conséquences sur le parasitisme du grand capital, aussi catastrophiques que soient les menaces d’effondrement qu’elle recèle, elle ne constitue pas une phase particulière du capitalisme à son stade impérialiste. Elle n’interfère qu’avec la « façon dont la plus-value se répartit entre les différents groupes capitalistes ».

En d’autres termes, contrairement aux divagations de tant de courants réformistes, façon PC ou altermondialiste, essayer de se débarrasser de la financiarisation est à la fois stupide et utopique. Le problème de fond n’est pas dans le degré de financiarisation, mais dans la contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère de plus en plus collectif et social de la production et le caractère privé de l’appropriation et de la direction de l’économie.

Autre chose à souligner : pour Rosa Luxemburg, qui était une importante théoricienne du marxisme, celui-ci constituait pour les travailleurs « les armes intellectuelles nécessaires à [leur] lutte émancipatrice ». Pour elle, comme pour Lénine, Trotsky et tous les communistes révolutionnaires, les idées marxistes n’étaient pas seulement un moyen de comprendre le monde mais l’instrument révolutionnaire pour le transformer.

Être marxiste, c’est être révolutionnaire.

La situation internationale

La Chine

La Chine, d’abord. Pourquoi en parlons-nous, et pourquoi maintenant ? Parce que la question est d’actualité, et pas seulement à cause du 19e congrès du Parti dit communiste chinois. La presse est pleine d’informations qui, par moments, dérivent vers la divagation ou le fantasme autour des thèmes « la Chine, deuxième, voire première puissance du monde », « la nouvelle route de la soie », « la mainmise de la Chine sur des usines en Europe, sur des terres en Afrique »… Encore que, question terres, les Chinois rachètent des vignobles dans le Bordelais ou en Bourgogne.

Au-delà de tel ou tel aspect soulevé, il y a en arrière-plan le fantasme d’un impérialisme chinois en train de mettre la main sur le monde. Ce type de débat n’alimente pas seulement le sensationnalisme journalistique, mais touche aussi l’extrême gauche ou, en tout cas, des courants ou des individus qui y ont été en un moment donné mais n’y sont plus aujourd’hui.

Cela nous évoque bien des débats que nous avons eus dans le passé, il y a quarante ou cinquante ans. À l’époque, la Chine passait pour l’espoir d’un communisme revivifié, comparativement à l’Union soviétique de la bureaucratie et au « révisionnisme à la Khrouchtchev ».

Dans les années 1965-1966, les jeunes mobilisés par Mao dans le cadre de la Révolution culturelle, poussés par le régime et encadrés par l’armée, dénonçaient leurs petits bourgeois de pères pour déviationnisme. C’est tout juste si ces jeunes n’étaient pas comparés, par une bonne partie de la presse trotskyste, aux prolétaires russes partis à l’assaut du palais d’Hiver !

Et nous, qui n’avions pas abandonné notre analyse de l’État chinois comme État bourgeois, nous passions pour des Martiens, non seulement aux yeux des maoïstes de l’époque qui brandissaient le Petit livre rouge ici, en France, mais même aux yeux de la plupart des courants du mouvement trotskyste.

Eh bien, aujourd’hui, comme nous le disons dans le texte, « même les plus attardés des pseudo-trotskystes qui en parlaient naguère comme d’un État ouvrier n’osent plus le désigner ainsi ». Mais les mêmes ou leurs petits-cousins parlent d’impérialisme chinois.

Nous tenions à affirmer la cohérence de nos analyses de l’État chinois. Si nous avons toujours refusé de parler d’État ouvrier même déformé ou défiguré, c’était en partant de cette idée simple que seule une révolution prolétarienne victorieuse peut créer un État ouvrier et, par là même, se placer dans la perspective du renversement révolutionnaire de la bourgeoisie à l’échelle du monde. Or, le prolétariat chinois n’a en rien été acteur dans la mise en place de l’appareil d’État par Mao et les siens. Les armées paysannes de Mao sont arrivées en conquérantes dans les grandes villes de Chine et ont imposé leurs ordres à la classe ouvrière. La répression des trotskystes avait une signification de classe.

Nous avons toujours pensé et dit que, dans ces conditions, le seul avenir possible de l’État chinois était de devenir l’instrument de la bourgeoisie chinoise, en tout cas l’instrument de son intégration dans le monde capitaliste.

Nous disions cela même à une époque où il n’y avait pas de milliardaires chinois, si ce n’est dans l’émigration ; à une époque où le régime chinois passait pour un opposant farouche à l’impérialisme américain.

Nous voulions remettre l’histoire passée et présente de la Chine dans cette perspective. Tout en restant un instrument des intérêts présents et futurs de la bourgeoisie chinoise face à la pression impérialiste, l’État chinois est devenu et devient de plus en plus un facteur d’intégration de cette bourgeoisie dans le monde dominé par l’impérialisme. Ces deux aspects apparaissent-ils contradictoires ? Sans doute. Mais cette contradiction est dans la nature de l’État chinois lui-même, et pas dans nos analyses.

Nous indiquons dans le texte que la Chine, malgré ses progrès économiques dus à une grande dose d’étatisme, n’est pas vraiment sortie du sous-développement. Du point de vue du PIB par habitant, la Chine est derrière le Turkménistan, le Botswana, le Monténégro et un bon paquet de pays incontestablement sous-développés. D’après les statistiques du FMI, la Chine se retrouve en 80e position sur quelque 180 pays recensés. Mais, sans doute, la comparaison avec quelques pays impérialistes est plus parlante. Le PIB de la Chine tourne entre 7 000 et 12 000 dollars par tête de pipe suivant la façon de le calculer, entre le PIB nominal par habitant, ou le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA). À comparer avec 45 000 dollars pour l’Allemagne, 44 000 pour la France et 53 000 pour les États-Unis

L’idée politique que nous voulons souligner, c’est que non seulement la révolution sous l’égide de Mao n’a pas ouvert devant les travailleurs, les exploités chinois, la perspective de la révolution prolétarienne – ce que, d’ailleurs, Mao n’a jamais prétendu ouvrir –, mais elle n’a même pas réussi à sortir vraiment la Chine du sous-développement. Cela se traduit par le retard dans la productivité du travail humain mais, aussi, dans le développement inégal des territoires, par le creusement de l’écart entre les villes et les campagnes, par ces millions de migrants de l’intérieur que leurs conditions d’existence chassent des villages pour les transformer en ces sous-prolétaires qui construisent et font tourner des métropoles ultramodernes, à Shanghai ou ailleurs.

La révolution chinoise a été un des principaux événements révolutionnaires du 20e siècle. Elle n’a pas été une révolution prolétarienne, ni par la classe sociale qui la dirigeait, ni par la perspective politique dans laquelle elle se plaçait. Mais, grâce à cette révolution, la Chine a pu se donner un appareil d’État puissant, rompant avec la pourriture et la corruption de la Chine de Tchang Kaï-chek, avec la loi des seigneurs de guerre, avec nombre d’aspects de l’arriération dans la vie sociale, avec la domination brutale des puissances impérialistes, incarnée en dernier par l’occupation du pays par le Japon, particulièrement féroce. Si, grâce à l’étatisme, la Chine d’aujourd’hui est redevenue une grande puissance, avec des possibilités économiques, militaires, diplomatiques qu’elle n’a jamais eues auparavant (sauf à remonter à des temps très lointains), ce même processus l’intègre dans le système impérialiste mondial.

Le nationalisme en Catalogne et ailleurs

Nous ne revenons pas ici sur le mouvement en Catalogne. Nous en avons déjà discuté, et nos camarades de Voz obrera en parlent dans leur intervention. Nous ne parlons pas non plus du courant indépendantiste en Écosse ou en Flandre, ni des tendances autonomistes en Italie du Nord, si ce n’est pour constater que tous ces morcellements croissants du continent européen font partie de l’évolution réactionnaire des choses. Et par les temps qui courent, il n’est pas inutile de rappeler que notre vision de l’Europe future, ce n’est certainement pas le morcellement croissant de ce continent déjà petit qui est passé de 25 États avant 1914 à 56 aujourd’hui !

Notre vision, c’est une fédération socialiste des peuples d’Europe libres et égaux, faisant partie de la fédération de tous les peuples de la planète. Comme le dit si bien une de nos banderoles à la fête : « Un seul pays, la terre ; un seul peuple, l’humanité ».

Ce sur quoi nous revenons à ce propos porte sur les désaccords politiques profonds qui nous séparent et nous opposent aux autres courants trotskystes, et en particulier avec celui qui a longtemps été représenté par la LCR. Ces désaccords ne portent pas sur l’idée que lorsqu’un peuple s’engage dans une lutte déterminée contre l’oppression, en particulier l’oppression nationale, ce combat recèle une dynamique qui peut déboucher sur la prise de conscience du prolétariat du pays et sur une révolution prolétarienne. Cette analyse, nous l’avons apprise, les uns et les autres, chez Trotsky. Mais, tout en évoquant la révolution permanente, les trotskystes du NPA en tirent comme conclusion, qui est à l’inverse des idées de Trotsky, qu’il s’agit d’une dynamique automatique, une « transcroissance » pour ainsi dire mécanique de la lutte contre l’oppression nationale en révolution prolétarienne. La LCR en avait tiré comme conclusion l’alignement derrière les organisations nationalistes qui, à un moment donné, ont pris la direction de la lutte : Ho Chi Minh au Vietnam, Ben Bella en Algérie, parmi bien d’autres. Ce qui a d’ailleurs conduit Pablo à devenir un conseiller de Ben Bella.

De la dynamique potentielle de la lutte contre l’oppression nationale, nous avons tiré la conclusion inverse, la conclusion révolutionnaire. Oui, le parti prolétarien doit tenter de prendre la direction de la lutte contre l’oppression nationale. Mais cela implique, non pas l’alignement derrière les courants nationalistes, mais au contraire une lutte décidée contre eux, au nom des intérêts de classe du prolétariat ! C’est précisément dans cette lutte que l’indépendance politique et organisationnelle rigoureuse du prolétariat est vitale.

Signe des temps, le NPA, héritier de la LCR, n’a même pas besoin de cette dynamique créée par la lutte d’un peuple qui se bat contre une oppression réelle, il se contente de l’inventer. À commencer par l’assimilation de ce qui se passe en Catalogne à ce qui s’est passé en Algérie et au Vietnam. Mettre sur le même plan la petite bourgeoisie aisée de la région la plus riche d’Espagne avec ses exigences de ne pas payer pour les plus pauvres, et les fellahs de l’Algérie colonisée, c’est ne rien comprendre à la lutte des classes. L’envie d’accrocher son wagon à n’importe quel train qui passe l’amène à dire n’importe quoi, en transformant au passage la théorie révolutionnaire de la révolution permanente en justification de la passivité.

Olivier Besancenot fait même mieux. Il réécrit, un siècle après, l’histoire de la révolution russe elle-même, pour l’adapter à la vision actuelle qu’en a le NPA. Par exemple, il minimise le rôle du Parti bolchevique. Entre juillet et octobre, explique-t-il, c’est la radicalisation naturelle du processus qui amène Octobre, mais nullement Lénine et le parti qui convainquent avec le mot d’ordre de « Tout le pouvoir aux soviets ». Reconnaissons cependant que Besancenot ne se revendique ni de Trotsky ni de Lénine.

Construire un parti communiste révolutionnaire

« Pourquoi faire un texte sur le parti ? » Parce que c’est notre raison d’être. Mais il est vrai que nous sommes tellement profondément d’accord là-dessus que nous n’avons pas besoin de nous prononcer tous les ans sur cette question. La raison immédiate, c’est de nous inciter à en rediscuter. Il nous faut montrer que ce que nous cherchons à recréer n’est pas quelque chose qui surgit de l’actualité politique, de la crise du système d’alternance, de la Ve République bourgeoise, de la décadence ou de la disparition des partis traditionnels. […]

Notre perspective, c’est celle qu’ont donnée au mouvement ouvrier organisé les communistes révolutionnaires, à commencer par Marx et Engels. Cette perspective, c’est le combat politique de la classe ouvrière pour renverser le pouvoir de la bourgeoisie, pour l’exproprier, pour mettre fin à la société basée sur la propriété privée, sur l’exploitation et sur la concurrence.

Pour mener ce combat jusqu’au bout, jusqu’à la victoire du prolétariat à l’échelle du monde, la classe ouvrière a besoin d’un parti mondial de la révolution, d’une internationale. En plus d’un siècle et demi de combats, le prolétariat a réussi à plusieurs reprises à se donner cet instrument irremplaçable.

Même si, comme nous le disons dans le texte, « la victoire du prolétariat en octobre 1917 en Russie trancha, dans le feu de la révolution, le débat sur la nature du parti qui lui est nécessaire pour prendre le pouvoir », la révolution russe n’a pas débouché sur la victoire du prolétariat à l’échelle du monde.

La seule conclusion que nous pouvons en tirer, c’est que les échéances de l’histoire sont bien plus longues que ne peut en contenir une vie de révolutionnaire.

Malgré la simplification apportée à la lutte de classe par le développement capitaliste qui a réduit, dans la société moderne, les antagonismes à deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat, cette lutte est bien plus variée, bien plus multiforme et bien plus longue que ce qu’espéraient le jeune Marx et ses compagnons en leur temps.

À plusieurs reprises dans l’histoire sociale, le prolétariat, trahi par ses propres organisations et vaincu par la bourgeoisie, n’a pas pu aller jusqu’au bout de son combat. Au bout d’un siècle et demi, avec ses hauts et ses bas, ses succès et ses défaites, la seule chose qu’on puisse affirmer avec certitude est que ce combat sera un perpétuel recommencement jusqu’à la victoire définitive du prolétariat à l’échelle du monde. Mais l’agonie prolongée du capitalisme et la barbarie qui monte de toutes parts nous rappellent qu’il n’y a pas d’autre alternative pour sauver l’humanité.

Les débuts à la présidence de l’homme du capital financier

Une question qui ne figure pas dans le texte, mais qui travaille, à juste titre, différents camarades, c’est celle de la montée du communautarisme et de l’islamisme dans les milieux populaires. Nous l’avons écrit bien des fois, la montée du Front national (FN) et des idées communautaristes et religieuses sont deux évolutions réactionnaires parallèles, symétriques, qui s’alimentent l’une l’autre et dont les conséquences sont aussi néfastes pour la classe ouvrière l’une que l’autre. Elles divisent les travailleurs, dissolvent la conscience d’appartenir à une seule et même classe sociale. Si nous faisons un petit développement dans le texte sur le FN c’est que le FN est une force politique constituée qui pèse sur la vie politique. Les idées religieuses et intégristes pèsent aussi, mais pour l’instant à un autre niveau.

Cela nous concerne bien sûr parce que ces idées pèsent dans les entreprises et elles pèsent dans les quartiers populaires où les copains des comités sont d’ailleurs bien plus présents que nous-mêmes. Et c’est vrai, de nombreux camarades sont confrontés à des problèmes concrets : des revendications religieuses, des salles de prière dans les entreprises, des gars qui font la prière ostensiblement pour isoler ceux d’origine musulmane qui ne la font pas, la pression pour avoir de la nourriture exclusivement halal, y compris dans les barbecues des syndicats, le port du voile et maintenant des réu­nions non mixtes, interdites aux Blancs y compris dans des syndicats !

Nous avons donc de plus en plus souvent à nous positionner au cas par cas, à trouver la bonne attitude et à discuter.

Ce qui doit nous guider, comme dans la lutte contre l’influence des idées FN, c’est d’opposer une politique de classe au communautarisme. Nous avons fini, au fil des dernières campagnes électorales ou des caravanes, par trouver le ton pour toucher certains travailleurs séduits par le FN, en nous plaçant justement sur ce terrain de classe. Cela ne s’est pas fait tout seul ni immédiatement. Eh bien nous devons apprendre à trouver le ton pour convaincre ou toucher aussi ceux des exploités qui sont d’abord préoccupés par les questions religieuses.

Il ne s’agit pas de chercher des arguments « contre », contre leurs idées, contre leurs croyances, mais de chercher des arguments « pour », des arguments pour exprimer leurs revendications de classe. Il s’agit de trouver des mots pour parler leur langue, pour exprimer positivement une politique dans laquelle ils se reconnaissent en tant qu’exploités. […]

Nous l’avons souvent dit, la nature a horreur du vide et les idées réactionnaires qui ont aujourd’hui le vent en poupe se développent sur le recul du mouvement ouvrier, et aussi parce qu’il y de moins en moins de militants qui se battent sur ce terrain quand il y a, en face, de plus en plus de militants religieux. Eh bien avec nos faibles forces, là où nous sommes, il faut occuper le terrain.

Macron, ni meilleur ni pire

Des camarades ont été surpris par l’expression « Macron n’est ni meilleur ni pire que ses prédécesseurs », parce qu’ils ont fait remarquer qu’il accélère les attaques antiouvrières et fait pire sur le plan des réformes. Cette expression peut effectivement prendre à revers ceux qui mesurent l’ampleur des attaques de Macron et qui se battent contre sa politique. Mais c’est une idée essentielle qui fait toute la différence entre la politique réformiste et électoraliste et nos perspectives révolutionnaires.

Nous ne devons pas nous contenter de nous faire l’écho de la détestation qui s’exprime vis-à-vis de Macron dans le monde du travail. Il faut expliquer qu’il est en service commandé et que sa politique procède de la situation économique objective et des intérêts de la bourgeoisie dans cette situation.

Ce serait un autre président de la République, ce serait la même chose… y compris si cela avait été Mélenchon, dont on peut dire à tous ceux qui ont des illusions que, s’il avait été élu, il accompagnerait lui aussi l’offensive de la bourgeoisie contre le monde du travail. À la façon de Tsipras ? À sa façon à lui, mais sur le fond, à moins qu’il se batte, le monde ouvrier serait acculé à reculer sous les coups de boutoir de la bourgeoisie.

En disant que Macron n’est ni pire ni meilleur, il ne s’agit pas de dédouaner Macron, il s’agit de ramener ses choix, ses responsabilités et son arrogance à ce qu’ils sont : ceux d’un grand serviteur de la bourgeoisie. Si la situation matérielle du monde du travail empire, ce n’est pas du fait de la petite personne de Macron, mais parce que le capitalisme est englué dans la crise, parce que le grand patronat mène une lutte de classe féroce contre le monde du travail et que ce dernier est sans réaction et politiquement désarmé.

Souvenons-nous des discussions sous Sarkozy, c’était le « tout sauf Sarkozy ». Il était devenu l’homme à abattre. Et puis ensuite, nous sommes passés à Hollande, le « pire » président de la République. Les Sarkozy, les Hollande, les Macron jouent parfaitement leur rôle de fusibles de la bourgeoisie et ils grillent les uns après les autres.

Et c’est à nous d’expliquer que derrière le jeu politicien, il y a la politique, la volonté et les intérêts de la grande bourgeoisie, des capitalistes, il y a la lutte, l’affrontement entre deux classes et que le changement politique ne dépend pas de l’élection d’un tel ou un tel, mais ne peut venir que d’un changement de rapport de force entre le monde du travail et la bourgeoisie.

La raison d’être de ces institutions politiques, du Parlement, du gouvernement, de la présidence de la République est de servir de paravent à la domination de la bourgeoisie et de masquer la lutte de classe. La nôtre est de faire tomber tout cela et, comme dit le texte, de transformer en conscience politique de classe « l’hostilité instinctive du monde du travail à l’égard de Macron ».

Cette idée, il faut non seulement l’avoir en tête mais il faut la défendre et l’expliquer autour de nous.

Une période d’instabilité

Nous écrivons : « Sur le plan politique nous allons inévitablement entrer dans une période d’instabilité » du fait que des réactions sociales en provenance de la petite bourgeoisie autant que du prolétariat sont à prévoir.

Nous parlons bien dans le texte d’instabilité politique et nous n’utilisons pas les mots de « crise politique » parce qu’en effet nous n’y sommes pas. S’il y a une maladresse dans la rédaction du texte, elle est d’abord dans l’utilisation des mots : « nous allons entrer dans une période d’instabilité », parce que nous y sommes en réalité depuis plusieurs années.

La période d’instabilité politique s’est ouverte avec la déconsidération et la décomposition des deux vieux partis politiques sur lesquels la bourgeoisie se repose depuis des décennies. L’élection présidentielle avec ses multiples revirements et l’élimination dès le premier tour des candidats des deux partis classiques de l’alternance l’a encore confirmé.

En apparence l’élection de Macron a fermé cette période d’instabilité. Il a offert à la bourgeoisie une solution de rechange simple et qui lui convient parfaitement. En neutralisant au second tour Le Pen qui apparaissait à un certain moment l’ultime bouée de sauvetage du système de l’alternance politicienne, il a sans doute permis à la bourgeoisie d’éviter une crise politique.

Mais comme nous l’avons écrit dans un article de la Lutte de classe de l’été dernier, « le macronisme n’est qu’un sparadrap sur une démocratie bourgeoise gangrenée »[1]. L’élection de Macron n’a pas supprimé les causes qui sont à l’origine de l’usure et de l’instabilité du système politicien. Il a pris la tête d’un système vermoulu et il va en assumer tout le discrédit. Au contraire de ses prédécesseurs, Macron n’a quasiment pas connu d’état de grâce. Sa base électorale est faible et, s’il a réussi à imposer ses ordonnances sur la loi travail, ce n’est ni parce qu’il a réussi à convaincre du bien-fondé de sa politique, ni parce qu’il incarne un pouvoir fort. C’est tout simplement que le monde du travail ne s’est pas lancé dans le combat.

Il faut tout l’aveuglement d’un Mélenchon pour en être surpris. Mélenchon, qui a fait toute une campagne électoraliste et a expliqué que voter pour lui permettra d’éviter des kilomètres de manifestations, est aujourd’hui surpris que ses 7 millions de voix ne se retrouvent pas dans la rue ! Cela n’a évidemment rien à voir !

Et pour en revenir au texte, nous nous gardons bien de faire des pronostics tranchés. Nous n’annonçons pas de réactions imminentes, nous ne faisons aucune prévision quant à leur profondeur et nous insistons même sur l’hypothèse la pire pour nous : que ce soient non pas les travailleurs mais des couches petites-bourgeoises qui mènent la contestation et qui poussent la société dans un sens plus réactionnaire encore.

Nous utilisons à plusieurs reprises, et peut-être un peu trop, le mot « inévitable » pour souligner malgré les apparences les forces contradictoires qui sont à l’œuvre dans la situation économique objective que nous connaissons : la persistance de la crise économique, le parasitisme croissant de la finance, la concurrence exacerbée entre groupes capitalistes, le risque d’éclatement de bulles spéculatives diverses et variées et la nécessité pour le grand patronat d’en faire baver toujours plus aux travailleurs, aux sous-traitants, car c’est d’eux que vient la plus-value qu’ils se partagent.

Eh oui, dans une telle situation, Macron est condamné à l’impopularité, y compris dans certaines fractions de l’électorat petit-bourgeois qui ont placé leurs espoirs en lui. Car les lois du système capitaliste font que sa politique confortera d’abord et avant tout la fraction dominante de la bourgeoisie, le grand capital, contre la petite bourgeoisie.

Et bien sûr nous gardons en tête l’éventualité qu’il y ait une évolution fascisante d’une fraction de l’électorat du FN. Toutes ces évolutions, nous le disons et le redisons, dépendront en dernier ressort de la crise, de son intensité et de ses soubresauts… et de la lutte de classe elle-même.

Les effets des ordonnances Macron

Nous faisons la différence entre les petits et grands patrons par rapport à la fusion des institutions représentatives du personnel. La loi Rebsamen d’août 2015 avait déjà introduit la possibilité pour les patrons à la tête d’une d’entreprise de moins de 300 salariés d’imposer une « délégation unique du personnel ». La fusion des délégués syndicaux, avec la suppression des effets de seuil, est en effet une revendication historique pour les PME. Et la distinction que nous faisons dans le texte est légitime.

Il est évident que les grandes entreprises ont davantage de moyens que les petites et peuvent absorber sans difficulté ce que leur coûtent les instances syndicales. Elles ont aussi appris à domestiquer les syndicats, à jouer de leurs divisions et à s’en servir comme amortisseurs…

Pour les petits patrons, c’est bien différent. Parmi le patronat petit et moyen, il y a pléthore de patrons qui ne supportent pas la vue d’un syndicaliste. C’est presque physique, ils prennent l’arrivée d’un syndicat dans leur entreprise comme une agression, comme une violation de leur propriété, c’est leur boîte, ils sont chez eux. Sur différents plans, l’enjeu n’est pas le même pour les petits et les grands patrons.

Mais, même si nous écrivons que « la fusion correspond aux desiderata des patrons d’entreprises petites et moyennes », nous ne disons pas que les grosses boîtes n’utiliseront pas les possibilités données par les ordonnances Macron. D’après ce que l’on sait, certaines semblent vouloir s’en emparer pour réduire drastiquement le nombre des délégués.

Les journalistes économiques des Échos ou du Figaro spéculent déjà sur le gisement d’économies que cela représente à la SNCF, où les délégués syndicaux représenteraient 2 200 emplois à temps plein. Mais pour la bourgeoisie ce n’est pas qu’une question financière, c’est aussi une question politique.

Lors de la grève générale de 1936, la bourgeoisie s’était mordu les doigts d’avoir systématiquement pourchassé et licencié les militants syndicaux les années précédentes. Elle s’était retrouvée sans interlocuteurs dans la classe ouvrière capables d’éteindre l’incendie. Cela avait vacciné pas mal de patrons contre l’antisyndicaliste primaire. Ensuite, il y a eu mai-juin 1968. Cela leur a montré combien les syndicats pouvaient être utiles pour encadrer et museler un mouvement social. Ça a été le dernier rappel vaccinal.

Mais il date de cinquante ans. Et à force de répéter que la lutte de classe n’existe plus et que les grands mouvements sociaux, c’est du passé, la génération de managers qui sont des copies conformes de Macron va peut-être finir par le croire et oublier les leçons du passé !

Ceci dit, encore une fois, dans les grandes entreprises, la bourgeoisie a parfaitement appris à faire avec les syndicats. Comme le disent certains DRH, « dans le cas où le dialogue social est mauvais, le maintien de différentes instances peut permettre de cloisonner les sujets entre les différentes instances représentatives du personnel, voire parfois de préserver une dispersion des forces syndicales ».

Alors comment les patrons vont-ils utiliser le chèque en blanc que Macron leur a signé ? Nous pouvons imaginer une multitude de cas de figure. Là où les syndicats majoritaires leur vont bien, les directions en resteront peut-être au statu quo. Nous pouvons aussi imaginer qu’elles tiennent à conserver des délégations larges pour assurer la présence minoritaire de certains syndicats qui font contrepoids aux plus combatifs.

Elles peuvent aussi réduire drastiquement le nombre de délégués tout en laissant beaucoup d’heures de délégation à ceux qui ne les gênent pas, de façon à avoir des super-délégués coupés de leur base. Et, à l’échelle d’un même groupe, elles peuvent même faire des choix différents selon la situation de chacun des établissements.

En tout cas ce sont elles qui ont les armes en main. Et elles s’en serviront contre les équipes les plus combatives. Quelle que soit son ampleur, le recul des droits syndicaux va nous poser un tas de problèmes. Des problèmes dans les syndicats et des problèmes internes en quelque sorte, en ce qui concerne notre façon de militer politiquement dans les boîtes.

Il est évident que si le nombre de délégués se réduit, s’il est divisé par deux, si ce n’est plus, beaucoup de syndicats vont se transformer, dans les prochains mois, en foires d’empoigne. La constitution des listes de délégués est souvent compliquée, mais là, les tensions seront encore plus fortes parce que, même démoralisés, tous les délégués tiennent à leur siège et à leurs heures.

Beaucoup de camarades de boîte ont connu, dans le passé plus ou moins lointain, des bagarres syndicales, contre les staliniens en particulier qui refusaient de nous mettre sur les listes et qui au besoin nous excluaient du syndicat. […] Eh bien la situation va se tendre à nouveau et nous forcer à nous adapter dans un autre sens. Dans les années qui viennent, beaucoup de nos camarades devront peut-être militer sans mandat et donc sans protection syndicale. Des camarades aujourd’hui largement connus, que la direction rêve de licencier, vont se retrouver avec encore plus de pression. Il faudra donc revoir nos habitudes et nos façons de faire.

Quand nous militons pendant des années dans une situation où il est facile de se réunir, de discuter, quand nous militons dans un syndicat que nous dirigeons nous-mêmes, cela induit des habitudes. C’est pareil quand nous militons avec des chefs qui nous respectent et nous laissent une paix royale.

Tout cela est en train de changer. Partout les camarades expliquent d’ailleurs comment les directions serrent la vis, ne laissent plus rien passer, licencient et répriment en allant de plus en plus, comme le montre le cas de PSA, devant la justice[2]. Alors il faut anticiper. Se dire que toutes les directions sont devenues des directions de combat et qu’il faut adapter notre façon de militer à ces nouvelles conditions.

Nous avons déjà dans nos rangs des camarades qui sont intérimaires depuis toujours, ou qui sont embauchés chez des prestataires et qui, s’ils avaient attendu d’être embauchés dans la grosse boîte pour faire de la politique, n’en auraient jamais fait. Le nombre de camarades dans ces situations va augmenter. Eh bien, avec eux, il va nous falloir apprendre ou réapprendre à militer sans mandat, sans protection, et malgré tout publier des bulletins d’entreprise, discuter politique et gagner des travailleurs, recruter.

En même temps, et c’est lié, il faut sans doute réfléchir à notre manière de militer en direction des travailleurs précaires. Dans nombre de grosses entreprises, les camarades racontent la montée en puissance du nombre des intérimaires, des CDD, des prestataires. Parfois ils forment l’essentiel des chaînes de montage et la moitié de l’effectif d’un site.

Marx et Engels ont écrit dans le Manifeste communiste : « Les ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme une autre, ils sont exposés par conséquent à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché ». De plus en plus de travailleurs peuvent se retrouver dans cette description qui montre que la précarité n’est pas une anomalie mais le propre de la condition ouvrière. Dans les pays impérialistes et dans la période de croissance économique de l’après-guerre, une fraction de la classe ouvrière a pu se protéger de cette précarité, aujourd’hui ce n’est plus le cas.

Une grosse fraction de la jeunesse ouvrière est confrontée à la précarité. Il faut chercher les moyens de s’adresser à elle et de s’en rapprocher. Et nous avons intérêt à le faire d’abord et avant tout sur le terrain politique. Le terrain syndical ne s’y prête pas plus et, par certains aspects, il s’y prête moins parce que ces ouvriers se sentent extérieurs à l’entreprise, ils sont tout, sauf mariés à l’entreprise.

Comment la politique industrielle que la CGT défend entreprise par entreprise peut-elle parler à un CDD qui sait qu’une fois son contrat renouvelé deux fois, il sera dehors ? La plupart des intérimaires ne se font aucune illusion, ils savent qu’ils ne seront pas embauchés et ils ne le recherchent pas spécialement.

Nous disons souvent que « les travailleurs n’ont pas de patrie ». Eh bien il faut garder en tête que « les travailleurs n’ont pas d’entreprise ». Cette idée, beaucoup d’intérimaires, de CDD et de salariés de la sous-traitance, qui sont vendus et revendus à chaque appel d’offres, l’ont profondément intégrée. Certains salariés en CDI commencent à le réaliser. Mais, combinée au recul de la combativité, cette idée conduit souvent à l’isolement et au réflexe du « on ne peut rien faire » et à plus de démoralisation.

Eh bien, nous, cela ne doit pas nous démoraliser. C’est une difficulté parce que cela rend nombre de travailleurs insaisissables mais ce constat et cette idée peuvent et doivent nous aider à discuter et à gagner des jeunes aux idées de lutte de classe.

En juin dernier, dans la Lutte de classe, nous avons fait cette longue citation de Lénine : « Tous conviennent que nous devons organiser la lutte de classe du prolétariat. Mais qu’est-ce que la lutte de classe ? Lorsque les ouvriers d’une fabrique, ou d’une profession, affrontent leurs patrons, est-ce là la lutte de classe ? Non, ce n’en est encore qu’un faible embryon.

La lutte des ouvriers ne devient lutte de classe que lorsque tous les représentants d’avant-garde de l’ensemble de la classe ouvrière de tout le pays ont conscience de former une seule classe ouvrière et commencent à agir non pas contre tel ou tel patron, mais contre la classe des capitalistes tout entière et contre le gouvernement qui la soutient. C’est seulement lorsque chaque ouvrier a conscience qu’en luttant quotidiennement, pour des revendications partielles, contre tels patrons et tels fonctionnaires, il se bat contre toute la bourgeoisie et tout le gouvernement, c’est alors seulement que son action devient une lutte de classe. »

En empêchant la jeunesse ouvrière de s’installer, en la faisant tourner de boîte en boîte, en la confrontant à la rapacité non pas d’un mais de cinq ou dix patrons, le système capitaliste apprend aux jeunes ouvriers qu’ils sont membres de la classe ouvrière dans son ensemble et qu’ils sont confrontés non pas aux agissements de tel ou tel patron, mais à une classe capitaliste tout entière et au gouvernement qui la soutient.

C’est à nous de faire l’autre partie du travail, les gagner aux perspectives révolutionnaires qui en découlent : les travailleurs n’ont pas d’entreprise, pas de patrie, mais ils appartiennent à une classe sociale plus prometteuse que n’importe quelle patrie : la classe ouvrière, qui n’a rien à perdre à se battre et à transformer la société.

Ces discussions politiques il faut les avoir partout où nous sommes en contact avec des intérimaires, des CDD, des jeunes travailleurs. Évidemment il est difficile pour nous de garder le contact dans les entreprises avec des jeunes que l’on côtoie quelques mois voire quelques semaines et qui disparaissent. Mais cela doit être une raison de plus pour les approcher politiquement sans perdre de temps. Nous pouvons le faire dans les entreprises, et il faut le faire tout autant dans notre voisinage, dans nos caravanes ou dans nos autres activités.

 

[1]  « Après la déroute des partis de l’alternance gauche-droite, la nouvelle configuration politique », Lutte de classe, no 185, juillet-août 2017.

 

[2]  PSA Poissy : « On est des ouvriers, pas des voyous », Lutte ouvrière, 23 novembre 2017.

 

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