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Les débuts à la présidence de l’homme du capital financier
La presse bourgeoise glose sur la fin de l’état de grâce pour Macron, en se référant aux sondages. La cote de popularité d’Emmanuel Macron est en train de s’effondrer à un rythme plus rapide encore que celle de François Hollande en son temps. Cette presse, qui a tant contribué à fabriquer le personnage Macron avant son élection, qui a tant fait aussi pour mettre en scène ses faits et gestes de jeune arriviste, s’étonne que la bulle de savon éclate si vite. Cela participe seulement du rôle de la presse bourgeoise de jeter de la poudre aux yeux.
Le personnage ne mérite ni excès d’honneur ni excès d’indignité. Macron a été élu pour servir la bourgeoisie alors qu’elle est confrontée à la persistance de la crise de l’économie capitaliste et quand elle mène une guerre à mort contre le monde du travail. Macron n’est ni meilleur ni pire que ses prédécesseurs, Sarkozy et Hollande. La bourgeoisie a favorisé son accession au pouvoir pour qu’il prenne le relais des grands partis déconsidérés de l’alternance gauche-droite ; afin qu’il « fasse le job », qu’il prenne toutes les mesures qu’elle exige de l’État dans le domaine économique et social et, pour le reste, qu’il se débrouille avec l’opinion publique.
La politique de Macron procède de la situation économique objective et des intérêts de la bourgeoisie dans cette situation. Il n’y a jamais eu d’état de grâce, il ne pouvait pas y en avoir.
Faire de la démolition du Code du travail le marqueur de son quinquennat, annoncer parallèlement la diminution de 5 euros des APL et la suppression de l’impôt sur la fortune ainsi que son remplacement par un impôt exonérant totalement les patrimoines en actions et en placements financiers, c’est une déclaration de programme. L’équipe Macron/Philippe est décidée à prendre sur le peu qu’ont les plus démunis pour le donner aux plus riches.
D’autres mesures suivront inévitablement et de la même veine. Contrairement aux accès d’emballement périodiques de la presse, l’économie capitaliste n’est pas en train de sortir de la crise. Seule la croissance fiévreuse des titres en Bourse, reflétant ou anticipant la croissance globale des profits financiers, justifie ces accès d’optimisme. Des profits parasitaires qui s’autoalimentent mais qui ne relancent pas l’activité productive.
Le système bancaire, sauvé de l’effondrement il y a dix ans, entre 2007 et 2008, grâce à des injections de capitaux sans précédent par les États, réalise des profits record : 23 milliards d’euros de profits en 2016 pour les six premiers groupes bancaires français ; 27,8 milliards de dollars pour la seule JP Morgan, première banque américaine. Les entreprises du CAC 40 ont, de leur côté, encaissé 75 milliards d’euros de profits en 2016, 32 % de plus qu’en 2015. Rien qu’au premier semestre 2017, elles ont dégagé 52 milliards d’euros de profits (+ 26 %).
Les quelques effets que ces profits financiers ont sur la production de biens matériels ou les services résultent en réalité du va-et-vient de la spéculation.
Pour ne citer que cet exemple : la stagnation antérieure de la production avait conduit à une diminution de la demande de matières premières, faisant s’effondrer leurs prix. Cet effondrement a amené la fermeture d’une quantité de mines, au licenciement de leurs personnels et au retrait des capitaux de ce secteur. L’effondrement a été sans doute excessif pour un certain nombre de matières premières. Les spéculateurs prévoient manifestement le mouvement de balancier inverse, même sans un accroissement de la demande venant de l’industrie. La prévision que les prix des matières premières se mettront à augmenter, après avoir beaucoup baissé, attire les capitaux à la recherche de profits à court terme. En anticipant sur les soubresauts en hausse de la production, la spéculation les amplifie.
Les capitaux qui vont vers les entreprises industrielles le font pour des opérations de fusion-acquisition, c’est-à-dire des rachats d’entreprises par de plus puissantes. Elles entraînent une concentration croissante des capitaux, toujours sans entraîner ni investissements productifs, ni créations d’emplois. Au contraire, les restructurations, conséquences en général de ces fusions-acquisitions, s’accompagnent de suppressions d’emplois.
Comme le décrit Le Monde, « les fonds de capital-investissement regorgent d’argent, les banques se battent pour leur offrir des financements abondants et peu chers, et la tentation d’injecter toujours plus de dette est forte ».
Le monde de la finance est de nouveau en surchauffe. La dette atteint de nouveaux sommets aussi bien aux États-Unis qu’en Chine. La dette des États mais aussi la dette des ménages. Ce qui fait écrire au Monde (9-10 juillet 2017) : « Le fardeau de la dette des ménages américains n’a jamais été aussi lourd.[…] C’est 50 milliards de plus que le record enregistré au troisième trimestre de 2008 lors de la faillite de Lehman Brothers », en titrant l’article : « Les germes de la prochaine tempête financière » !
L’homme du capital financier
Macron est et continuera à être l’homme du grand capital, comme ses prédécesseurs. Et, dans le contexte d’un capitalisme de plus en plus financiarisé, il est surtout le serviteur du capital financier. En d’autres termes, il continuera à prendre les mesures qui, par-delà leur diversité et les formes multiples qu’elles prendront, viseront à mettre de plus en plus d’argent à la disposition de la finance.
Voilà le dénominateur commun entre sa volonté de continuer la privatisation, c’est-à-dire soustraire à l’État même le peu d’entreprises qu’il lui reste, et l’abandon des services publics à la prédation des capitaux spéculatifs. Ce n’est évidemment pas le moulin à paroles qu’est le Parlement qui mettra des obstacles devant cette politique.
Pas seulement parce que Macron y a une majorité écrasante. On a vu avec l’opération Macron à quel point les majorités peuvent être changeantes, le personnel politique versatile et recyclable. La seule fidélité qu’ils ont, c’est la fidélité à la bourgeoisie, c’est-à-dire au système capitaliste, à la propriété privée des moyens de production. C’est dans leurs gènes ou, plus exactement, dans la nature de leur sélection. Mais, comme Macron, la majorité parlementaire est soumise aux lois économiques, c’est-à-dire à la loi du grand capital. La grande bourgeoisie elle-même constate, et ses économistes le dénoncent, le frein que constituent l’ampleur du chômage, l’insuffisance de la consommation populaire, les politiques d’austérité, c’est-à-dire de réduction des dépenses de l’État en faveur de la protection sociale. Ils ne peuvent rien contre l’appétit dévorant de la finance.
Le changement de politique ne peut venir que d’un changement de rapport de force entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.
Le rejet de Macron par les travailleurs
Après quatre mois de pouvoir, Macron et son équipe sont vomis par une fraction importante de la classe ouvrière. Macron l’était déjà dans une large mesure avant et pendant son élection, et son recul dans les sondages reflète davantage le changement de l’opinion dans la petite bourgeoisie que parmi les travailleurs.
Le rejet de Macron s’est déjà manifesté au deuxième tour de l’élection présidentielle. Les 10,6 millions de voix obtenues par Marine Le Pen, un record par rapport à ses scores habituels, proviennent en partie de la réaction d’une fraction de l’électorat populaire qui a voté pour elle pour s’opposer à Macron.
Ce rejet parmi les travailleurs ne pouvait qu’être renforcé par les débuts de son quinquennat. La promesse de Macron de renouveler la vie politique s’est concrétisée par l’ouverture à la société civile, ladite société civile étant composée d’ex-banquiers, de chefs du personnel, de dirigeants d’entreprise, et complétée par une armada de jeunes petits bourgeois arrivistes encadrés par de vieux chevaux de retour de la caste politique, affichant tous leur profond mépris du monde du travail.
L’hostilité du monde du travail à l’égard de Macron est instinctive, à fleur de peau, mais n’est pas une conscience politique de ses intérêts de classe. Elle s’exprime politiquement, quand elle s’exprime, en s’emparant de n’importe quel support : la France insoumise de Mélenchon, mais aussi le Front national de Marine Le Pen.
Plus souvent encore, elle ne s’exprime que par l’écœurement à l’égard de la politique en général, assaisonné de reproches à l’égard de ceux qui, en votant pour Macron, l’ont porté à la présidence. Avec un sentiment d’impuissance, « il n’y a rien à y faire », « nous en avons repris pour cinq ans », des propos bien souvent propagés par d’anciens militants démoralisés.
C’est peu dire que la classe ouvrière est aujourd’hui complètement désorientée sur le plan politique. Cette désorientation est surtout le fait des militants politiques déçus, démoralisés, qui abandonnent le combat.
La conscience de classe repose cependant fondamentalement sur les rapports sociaux. Malgré les trahisons des partis qui se posaient en représentants de la classe ouvrière, malgré la couardise et les compromissions des chefs syndicaux, elle ressurgira.
Cela se fera-t-il par une reprise de confiance de cette génération de militants qui n’y croient plus ? Par de nouvelles générations de travailleurs à qui leur condition, leur vie en cette période de crise apprendront l’inanité du réformisme, c’est-à-dire la naïveté de croire que le capitalisme peut leur assurer une existence digne du 21e siècle ?
L’avenir le dira ! Il est entre les mains de la jeunesse de la classe ouvrière, avec son enthousiasme, son courage, sa capacité de rompre avec l’individualisme, le chacun-pour-soi, ces valeurs de la morale bourgeoise qui deviennent un fléau lorsqu’elles infectent les travailleurs, dont la force est collective. De sa curiosité aussi à l’égard du riche passé du mouvement ouvrier, de ses combats pour s’émanciper de l’exploitation et de l’oppression de la classe capitaliste. L’éveil de la jeunesse ouvrière contribuera certainement à la reprise de confiance de la génération plus ancienne. Celle-ci, de son côté, peut et doit jouer son rôle pour transmettre les expériences du passé, les traditions ouvrières qui en sont issues, la conscience d’appartenir à une classe sociale opposée à celle des possédants. Mais à condition de ne pas transmettre en même temps tout ce qui a été déformé au fil du temps, pourri par le réformisme social-démocrate ou stalinien, l’électoralisme, la confiance envers les politiciens de gauche de la bourgeoisie, à la place des combats de classe ; le nationalisme, à la place de l’internationalisme.
Nombre de militants ouvriers, syndicalistes ou associatifs, notamment ceux issus du PCF, se reconnaissent aujourd’hui dans la politique de Mélenchon, si ce n’est en sa personne. Le mélenchonisme contribue à tromper la classe ouvrière, comme l’ont fait les staliniens pendant si longtemps, bien que ce soit à une échelle plus petite et avec moins de moyens et de virulence.
Quant au FN, l’effet le plus dramatique du développement de son influence sur la classe ouvrière est de pousser jusqu’au bout une évolution pour laquelle les réformismes social-démocrate et stalinien ont une responsabilité majeure, jusqu’au rejet de toutes les valeurs du mouvement ouvrier, de toute conscience de classe.
Quelle doit être dans ce contexte la politique des militants communistes révolutionnaires ?
Se saisir de toutes les opportunités pour donner une expression politique à la conscience de classe des travailleurs et renforcer leur confiance en eux-mêmes. Cela implique de participer et, quand les possibilités en sont données, de prendre l’initiative des luttes quotidiennes, fussent-elles en apparence mineures.
Il va de soi qu’il faut participer aux éventuelles initiatives des centrales syndicales, en sachant pertinemment cependant que même les moins timorées d’entre elles, comme la CGT, en prenant des initiatives comme celles du 12 et du 21 septembre, le font en ayant la conviction, juste ou fausse, qu’elles ne seront pas débordées.
Mais il faut en même temps systématiquement expliquer autour de nous le rôle des appareils syndicaux dans la préservation de l’ordre social, même lorsqu’ils se posent en avocats du monde du travail.
Dans l’agitation quotidienne, il faut combattre cette forme de démoralisation qui consiste à affirmer que Macron, avec sa majorité parlementaire élue pour cinq ans, est trop fort pour qu’on s’y frotte. Le PCF, au temps où il était bien plus puissant qu’aujourd’hui, avait comme argument de choc que de Gaulle était un pouvoir fort et qu’on ne pouvait rien contre lui… jusqu’au mois de mai 1968 ! Mais Macron n’est même pas de Gaulle !
Crise économique et instabilité politique
Sur le plan politique, nous allons inévitablement entrer dans une période d’instabilité. Ce n’est pas tant le caractère hétérogène de la majorité parlementaire qui est en cause, encore que… L’arrivisme cimente aujourd’hui cette majorité faite de bric et de broc. Mais le ciment ne tient que tant que tout se passe bien et qu’aucune catégorie sociale ne manifeste son mécontentement, en tout cas avec suffisamment de colère.
Mais des réactions seront inévitables dans les fractions de la population qui soit souffriront directement des mesures du gouvernement, soit considéreront qu’elles ne sont pas assez soutenues. Il en sera ainsi inévitablement, parce que la finance est insatiable.
Le poids des banques est de plus en plus insupportable pour une multitude de catégories petites-bourgeoises, pour les paysans endettés, pour les artisans, et même pour les entreprises capitalistes petites et moyennes qui accèdent difficilement à du crédit.
Une des aberrations de la financiarisation est que, alors que le monde croule sous les capitaux à la recherche de rentabilité, même la petite bourgeoisie ou les capitalistes de moindre envergure se plaignent des difficultés à obtenir du crédit.
L’explication de l’énigme est simple. Pour ceux qui possèdent les grands capitaux, mieux vaut miser sur la finance, c’est-à-dire soit directement sur la spéculation, soit sur le financement de rachats d’entreprises les unes par les autres, que donner de l’argent aux petites entreprises productives, avec les risques que cela comporte en période de stagnation des marchés.
Le parasitisme du capital financier se manifeste largement par l’intermédiaire de l’État. Plus l’État favorise la finance, moins il a de l’argent même pour certaines catégories de la bourgeoisie.
En période de crise plus qu’en d’autres circonstances, l’État, tout en étant l’instrument politique de la classe bourgeoise dans son ensemble, devient de plus en plus l’instrument économique des seuls sommets de la bourgeoisie, les grands groupes industriels et financiers, la limite entre les deux s’effaçant de plus en plus. Il y aura donc inévitablement des réactions dans les classes populaires faisant partie de la petite bourgeoisie : ceux qui font partie du monde du travail, petits paysans, artisans, petits commerçants, camionneurs ou taxis propriétaires de leur véhicule, comme ceux qui vivent directement ou indirectement de la plus-value extorquée à la classe ouvrière, propriétaires de petites entreprises capitalistes, start-up, notaires, négociants, trafiquants et intermédiaires en tous genres.
Nul ne peut prédire de quelle catégorie sociale viendront les réactions. Et le véritable problème pour les mois à venir, c’est que les intérêts de la classe ouvrière ne disparaissent pas derrière les réactions d’autres catégories sociales.
Si la lutte de telle ou telle catégorie de la petite bourgeoisie est suffisamment déterminée et si elle n’est pas trop nombreuse, l’État lui lâchera quelque chose. Mais ce quelque chose, pour modeste qu’il soit, l’État ne le prendra ni aux banques, ni aux groupes industriels capitalistes pour le donner à telle ou telle catégorie de la petite bourgeoisie. Il le prendra nécessairement aux salariés. Si les travailleurs restent attentistes, timorés devant les coups que leur portent le grand capital et l’État, les luttes de catégories petites-bourgeoises seront retournées contre eux, même là où leurs intérêts respectifs ne sont pas contradictoires. Pour lâcher quelque chose aux paysans écrasés par les capitalistes de la grande distribution, l’État ne s’en prendra pas aux intérêts de ces derniers mais à ceux des consommateurs. L’absorption du régime social des indépendants (RSI) par le régime général de la Sécurité sociale est un mieux pour toute une partie de la petite bourgeoisie : artisans, commerçants, professions libérales. Mais ce cadeau aux « petits », pour reprendre l’expression du journal Les Échos, se fait en puisant dans les cotisations des salariés.
Il ne s’agit pas seulement d’argent. Certains aspects de la réforme du Code du travail en fournissent un exemple.
Le volet concernant les droits syndicaux, en particulier la fusion de certaines fonctions, telles celles de délégué du personnel, représentant au comité d’entreprise et délégué au comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT), correspond aux desiderata des patrons d’entreprises petites et moyennes.
Quant aux grandes entreprises, elles ont assez d’expérience politique et surtout les moyens financiers pour reconnaître l’utilité des syndicats, surtout lorsqu’ils ne sont pas combatifs et sont complaisants vis-à-vis des patrons. Elles ont les moyens de se payer des chefs du personnel dont c’est le travail. Pas les entreprises petites et moyennes. Pour tout ou partie du patronat, se débarrasser des syndicats, des délégués, de toute la fanfreluche des négociations, c’est autant de gagné en temps et en argent.
Malgré la propagande gouvernementale, complaisamment relayée par les médias, la démolition du Code du travail, en bénéficiant à l’ensemble de la classe capitaliste, profite évidemment avant tout aux plus gros. Certains des aspects de la réforme sont même clairement dédiés aux trusts multinationaux, comme l’autorisation de licencier en France même si leurs bénéfices sont florissants à l’échelle de l’ensemble de la multinationale
Parmi d’autres catégories sociales qui risquent d’entrer en contestation, il faut aussi mentionner la police, dont la protestation, en raison de son rôle dans la répression, peut poser des problèmes au gouvernement.
Les menaces sur les travailleurs sont aussi politiques
Il y a une sorte de course qui est engagée entre la classe ouvrière et ces catégories petites-bourgeoises. La classe ouvrière aura beaucoup à perdre sur le plan non seulement matériel mais aussi moral et politique si ce sont les catégories petites-bourgeoises qui lèvent le drapeau de la contestation.
La contestation venant de la classe petite-bourgeoise, de ses couches attachées à la propriété privée, souvent méprisantes envers les salariés, favoriserait une poussée réactionnaire encore plus affirmée.
Mais il y a une éventualité plus menaçante encore pour la classe ouvrière : le danger que ce soit une partie du prolétariat, de ses catégories frappées par le chômage, enfoncées dans la pauvreté, poussées vers le lumpenprolétariat, qui fournisse les troupes aux démagogues d’extrême droite, venus du Front national ou pas.
La menace n’est plus seulement hypothétique. Dans certaines régions, où le chômage est le plus grave, le plus durable, où l’espoir de trouver du travail s’amenuise, se multiplient déjà des réactions marquées par le racisme, la haine des immigrés, voire l’hostilité à l’égard de tout ce qui vient du mouvement ouvrier. Et il est à peine paradoxal de constater que ce sont les régions comme le Nord, le Pas-de-Calais ou encore la Lorraine, où il y a quelque temps, le Parti communiste ou le Parti socialiste ou les deux ensemble recueillaient leurs voix, où parfois ce sont d’anciens militants du PC ou des syndicalistes qui ont basculé du côté du FN.
Il est difficile de mesurer l’ampleur du phénomène et encore plus difficile d’en prédire l’évolution. Elle dépendra fondamentalement de l’évolution de la crise, de son aggravation, de ses soubresauts, des réactions des différentes couches sociales, c’est-à-dire en dernier ressort de la lutte des classes. Les seules réponses à ces questions concernant l’avenir sont des réponses militantes, c’est-à-dire tenter d’enrayer cette évolution et de redonner à ceux des chômeurs et des travailleurs pauvres qui louchent vers le Front national confiance en leur classe sociale et en ses intérêts. Du moins tant que cela reste possible et avant que l’extrême droite les transforme en hommes de main du grand capital. C’est sur le terrain social, sur le terrain des intérêts de classe, qu’il est indispensable de s’adresser y compris à cette fraction de la classe ouvrière.
Il ne suffit pas de se battre sur le terrain des idées contre le racisme, contre le protectionnisme, contre le chauvinisme dont le FN est porteur. Il s’agit surtout de mener notre propagande et notre agitation sur le fait que le FN, tout comme le parti de Macron, est un parti bourgeois, dirigé par des bourgeois. Non seulement ce parti ne les conduira pas à combattre la racine du mal, l’organisation capitaliste de la société, mais il en fera des mercenaires, les supplétifs des forces de répression pour préserver l’exploitation.
La propagande et l’agitation pour contester l’influence politique de Mélenchon sur une partie des travailleurs, ou du moins son influence électorale, doit tourner au fond autour du même axe. Il ne suffit pas de critiquer la superficialité de ses idées, comme la VIe République, ou leur nocivité, comme le chauvinisme antiallemand, ses discours protectionnistes ou teintés de démagogie contre les travailleurs détachés. Il ne suffit pas de critiquer son carriérisme, son jeu en solo, que lui reprochent tant le PCF que les ex-frondeurs du PS.
L’un comme les autres sont en concurrence, mais avec la même perspective politique : reconstituer un nouvel avatar de l’Union de la gauche. Resservir à l’électorat ouvrier les mêmes illusions éculées qu’au temps de Mitterrand, de Jospin ou de Hollande, avec les mêmes conséquences prévisibles. La même tromperie qui ligote la classe ouvrière depuis des décennies et qui, au passage, a laminé le PCF lui-même au profit du Parti socialiste, puis le Parti socialiste au profit de Macron et du Front national.
Il faut s’attaquer à Mélenchon sur le terrain de classe. Mélenchon est peut-être partisan d’une politique plus compréhensive vis-à-vis des salariés, plus soucieuse que d’autres des libertés syndicales. Mais ce n’est, ce ne peut être que des promesses en l’air. S’il était associé au pouvoir, il ferait ce que la bourgeoisie lui dirait de faire car, même dans l’opposition, jamais, au grand jamais, il ne s’attaque au grand capital. Quant à détruire le capitalisme, lui qui prend des poses de poète, il n’en rêve même pas. Rien que cela suffit pour qu’il ne puisse satisfaire aucune exigence sérieuse de la classe ouvrière parce que, pour prendre des mesures qui permettent d’améliorer la situation de la classe ouvrière, mettre fin au chômage et assurer un salaire correct, il faut s’en prendre au grand capital avec une vigueur qui ne fait pas partie de l’univers mental du politicien de la bourgeoisie qu’est Mélenchon.
S’il parvenait au pouvoir, Mélenchon gouvernerait, comme tous ses prédécesseurs de gauche, en fonction de la classe la plus puissante qui dirige la société, la bourgeoisie, plus particulièrement la grande bourgeoisie, forte de ses capitaux et du soutien sans faille de l’appareil d’État qu’elle a mis en place au fil des siècles, sa police, son armée.
Mélenchon ne représente en rien les intérêts de la classe ouvrière. Lui-même ne le prétend même pas. C’est le PCF, qu’il traite pourtant comme moins que rien, qui a usé le peu d’autorité qui lui restait pour s’en faire l’avocat, le griot auprès de l’électorat ouvrier.
La nécessité d’un parti de classe, vitale pour les travailleurs
Cela fait des décennies que les partis réformistes, socialiste comme stalinien, s’acharnent à consacrer leurs efforts politiques à convaincre les travailleurs qui leur font confiance que c’est dans le cadre de la démocratie bourgeoise, par les élections, en votant bien, que les travailleurs peuvent améliorer leur situation.
Depuis plus de trente ans, la classe ouvrière fait et refait l’expérience que c’est un grossier mensonge, et y croire c’est se bercer d’illusions. Aucun homme politique qui place son activité dans le cadre de l’économie et de la société telles quelles sont, c’est-à-dire capitalistes, aucun parti bourgeois ne peut changer fondamentalement le sort des travailleurs, quoi qu’il puisse promettre pour se faire élire. Il faut que la classe ouvrière se donne un parti qui représente ses intérêts matériels, politiques, moraux, un parti qui prenne le contrepied de la politique de la bourgeoisie et qui organise ses luttes quotidiennes. Un parti qui, de la base au sommet, ne soit ligoté par aucun lien qui l’attache à l’ordre bourgeois et à ses institutions. Cela signifie non seulement que ce parti ne doit pas craindre d’ébranler l’ordre bourgeois, mais que la destruction de l’organisation capitaliste de la société soit son objectif fondamental, sa raison d’être. Seul un tel parti, un parti communiste révolutionnaire, peut mener les luttes quotidiennes des travailleurs jusqu’au maximum de leurs possibilités.
Il y a encore autre chose. La classe ouvrière de ce pays ne peut pas s’isoler du reste du monde, contrairement aux grossiers mensonges protectionnistes, qui ne viennent pas seulement du Front national. Croire que les travailleurs de ce pays peuvent préserver leurs dérisoires privilèges, ne serait-ce que celui de manger tous les jours, au milieu de l’océan de pauvreté qui domine les trois quarts de la planète, c’est non seulement abject mais stupide. L’actualité nous le rappelle chaque jour.
Les attentats terroristes qui ont frappé New York, Barcelone, Londres, Paris, Berlin, Bruxelles ou Stockholm rappellent qu’il est impossible de s’isoler du monde.
Comme nous le rappellent, d’une autre manière, les vagues de migrants. Notre solidarité vis-à-vis de ceux que la guerre ou la misère chasse de chez eux ne repose pas seulement sur un sentiment humain élémentaire. Elle s’enracine dans le constat que le monde est un et l’humanité indivisible. On peut bien dresser toutes les barrières matérielles entre les peuples, entre nations riches et nations pauvres, qu’on ne pourrait déchirer le tissu économique et social que l’histoire a tissé entre tous les êtres humains de cette planète.
Notre propre bourgeoisie nous rappelle en ces temps de crise que même nos minuscules privilèges de prolétaires de pays impérialistes, riches par rapport à nos frères de classe de pays pauvres, peuvent être liquidés, et qu’ils sont en train de l’être.
Et même le privilège de la paix relative qu’ont connue la France et la partie occidentale riche de l’Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale peut être remis en cause, et le sera inévitablement si la crise économique se poursuit et s’aggrave. Parler de paix est une vision du monde vue des fenêtres des grandes puissances impérialistes, vue surtout avec les yeux de la bourgeoisie. Pour bien des peuples, la paix impérialiste fut synonyme de guerres, de massacres ici pour le pétrole, là pour l’uranium, ailleurs pour la conquête de marchés et un peu partout lorsqu’un peuple levait la tête pour revendiquer des droits que l’impérialisme n’était pas prêt à lui accorder. Disons-nous bien, en regardant les images que les médias nous rapportent de Mossoul en Irak, d’Alep en Syrie ou d’Aden au Yémen, qu’elles préfigurent peut-être notre avenir à Paris, à Londres ou à New York.
Alors, tant que nous n’aurons pas mis fin au capitalisme et à sa concurrence, à l’impérialisme et à ses rivalités, même la paix est toute relative, fragile, comme l’est à bien plus forte raison le bonheur du genre humain.
Et le prolétariat des pays impérialistes, dont la France fait partie, doit savoir que la racine du mal ne se trouve ni au Moyen-Orient, ni en Afrique ou en Asie, mais dans les grands pays impérialistes.
Malgré l’agitation sanglante de crapules fanatisées du genre de l’État islamique ou d’al-Qaida, même les guerres qui ensanglantent le Moyen-Orient partent d’ici, des pays impérialistes. Elles sont préparées par les états-majors d’ici et se décident en dernier ressort en fonction des intérêts des conseils d’administration de ces grands trusts dont les sièges sont à New York, Paris, Londres ou Francfort. C’est ici le cœur du grand capital, c’est ici qu’on peut le détruire définitivement.
Tout cela semble aujourd’hui hors de portée de la classe ouvrière des pays impérialistes, prostrée, sans confiance en elle-même, privée de conscience de classe par tout le poids de la bourgeoise, avec la collaboration active des grandes organisations qui prétendent représenter les travailleurs.
La classe ouvrière constitue cependant toujours la seule force sociale capable de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. La conscience politique de sa tâche irremplaçable viendra, inévitablement. C’est de cette prise de conscience politique des exploités que dépendent leur avenir et celui de la planète.
13 septembre 2017