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En conclusion
Podemos, tout nouveau, tout beau, n’est pas encore au pouvoir central que déjà les maires issus de ses rangs se sont retrouvés contre des travailleurs en grève à Barcelone ! Et vous avez entendu son explication : « Maintenant, j’ai des responsabilités ! ».
En Catalogne, la Cup (Candidature d’unité populaire), dont les députés ont permis de donner la direction de la Generalitat à la droite bourgeoise catalane, se prétend pourtant anticapitaliste et chante L’Internationale à la fin de ses meetings !
Eh bien, oui, même si ses vieux partis finissent par se déconsidérer, la bourgeoisie n’a aucun mal à trouver de nouveaux serviteurs dans les rangs des forces politiques, y compris parmi ceux qui sont prêts à parler le langage qui plaît à l’électorat de gauche ! Que l’on se souvienne des espoirs suscités en Grèce par Syriza et ce qu’il en est advenu.
Disons-nous bien que ceux qui ne se situent pas dans le camp du prolétariat par leurs idées et par leurs perspectives communistes révolutionnaires, s’ils parviennent au pouvoir, se mettront inévitablement au service de la bourgeoisie.
Il faut bien se mettre dans la tête qu’il y en aura bien d’autres, se présentant aujourd’hui en alternative à la gauche gouvernementale, qui, une fois aux responsabilités, vireront leur cuti. Il ne serait même pas juste de dire qu’ils changeront de camp car ni Tsipras, de Syriza, ni Pablo Iglesias, de Podemos, ne représentent, n’ont jamais représenté, une perspective politique pour la classe ouvrière.
Alors, le plus important pour nous, c’est de tenir sur la base de nos idées et d’être conscients que seuls ceux qui se situent sur le terrain du communisme révolutionnaire peuvent défendre jusqu’au bout les intérêts du prolétariat, plus particulièrement dans cette période de crise.
La crise de l’économie capitaliste de notre époque suit un autre cours que celui pris en 1929. Elle n’a pas commencé dans l’effondrement brutal mais par un enlisement dans le marasme.
Mais on constate depuis plusieurs années comment, même sous cette forme-là, la crise pousse la bourgeoisie à aggraver la guerre de classe qu’elle mène contre la classe ouvrière dans tous les pays et dans tous les domaines. On constate aussi depuis plusieurs années comment la crise déstabilise les relations internationales.
L’année 2015 a montré aussi comment l’aggravation des attaques contre les travailleurs, l’offensive de la bourgeoisie, la dégradation des relations internationales peuvent s’accélérer mais aussi s’inter-influencer.
À l’intérieur, l’année 2015 a été non seulement celle de la continuation des licenciements, de la montée du chômage, des attaques multiformes contre la condition ouvrière, y compris sur le plan légal, mais elle a été aussi l’année des attentats, de la proclamation de l’état d’urgence, de la montée accélérée de l’influence du FN. On a vu aussi comment et avec quelle rapidité des événements qui se déroulent à des milliers de kilomètres d’ici se répercutent sur la situation en France.
Cela nous donne une idée de la rapidité avec laquelle les choses pourraient se passer en cas d’effondrement économique brutal.
Alors, à quoi peut-on s’attendre dans la période à venir ?
D’abord, à l’aggravation de la crise et cela, malheureusement, dans toutes les hypothèses, c’est-à-dire même en l’absence d’une crise financière majeure et d’un effondrement brutal.
Rien que la continuation de la crise actuelle signifie nécessairement son aggravation. Car par exemple, pour un chômeur, être chômeur depuis six mois ou depuis deux, trois ans ou plus n’a pas la même signification.
Pour ce qui est de la situation internationale, rien n’indique une stabilisation dans les régions frappées par la guerre ou par les agissements des bandes armées.
On a vu, au cours des deux ou trois dernières années, comment les guerres locales entre bandes armées, qui avaient pendant quelques années l’air d’être la spécificité de certaines régions d’Afrique, le Congo ex-Zaïre, le Liberia, la Sierra Leone ou la Somalie, comment ces conflits se sont élargis en Afrique même, atteignant des pays tenus auparavant sous la férule d’une dictature, comme la Libye, ou sous un régime autoritaire plus mou, comme le Mali.
Dans certaines régions d’Afrique, il s’agit d’une véritable décomposition des États, dont il ne reste guère qu’une place à l’ONU, à l’Unesco, et dont les gouvernements officiels n’ont aucune autorité sur le pays et ne doivent leur survie, même formelle, qu’au soutien des puissances impérialistes et de leurs armées, du Mali à la Centrafrique, sans parler des situations plus anciennes comme en Somalie et dans une large mesure au Congo ex-Zaïre, où la réalité du pouvoir d’État est assurée par des bandes armées, par ailleurs concurrentes entre elles.
Depuis plus de deux ans, non seulement cette décomposition des États en bandes armées est apparue dans toute son évidence au Moyen-Orient, mais on l’a vue aussi en Europe. Il est vrai que l’Europe était concernée, il y a quelque temps déjà, avec la décomposition de la Yougoslavie. Mais ce qui se passe aux confins de la Russie et de l’Ukraine prend une autre dimension.
Alors, là aussi, il n’est pas difficile de prévoir que, là où cela existe déjà, cela continuera, et que peut-être d’autres foyers d’infection apparaîtront dans l’avenir. L’impérialisme a tant posé de bombes à retardement que cela peut exploser pratiquement n’importe où et de façon brutale et imprévisible.
Pour ne citer que le cas des relations entre l’Inde et le Pakistan, ils sont pratiquement, depuis leur éclatement à la fin de l’ère coloniale, en état de guerre froide, entrecoupée de moments où, de froide, la guerre devient chaude, au Cachemire ou ailleurs. Entre la Libye en décomposition et la Tunisie, c’est déjà en train d’arriver.
Le fait qu’une guerre entre la Russie et la Turquie apparaisse d’un seul coup comme possible, sinon vraisemblable, est un des signes de l’instabilité de la situation internationale. D’autres signes sont les renversements d’alliances entre les États et les bandes armées qu’ils protègent, et les contrecoups de ces guerres locales sur la situation intérieure des grandes puissances impérialistes elles-mêmes.
Alors, par sa seule durée, la crise devient un facteur aggravant de la situation entre États ou à l’intérieur des États. Pour ne prendre, là aussi, qu’un exemple : qui peut deviner jusqu’où iront les conséquences de l’effondrement actuel du prix du pétrole pour des pays comme le Venezuela, l’Algérie, voire même pour la Russie ?
Et l’aggravation des tensions, même éloignées de 5 000 km ou 10 000 km, aura inévitablement des répercussions ici, c’est-à-dire y compris dans les pays impérialistes relativement riches où même les crises sont restées jusqu’à présent plus tolérables pour les masses exploitées elles-mêmes que la situation dite normale dans les pays pauvres.
Là aussi, sans accorder une importance excessive à cette répercussion des guerres au Moyen-Orient ici même, en France, dont les attentats terroristes de 2015 fournissent une illustration sanglante, les événements de l’année dernière ont montré avec quelle rapidité cela peut se produire. L’année dernière a également montré avec quelle rapidité cela change le climat politique à l’intérieur des États des riches démocraties impérialistes, avec quelle rapidité aussi les dirigeants politiques de la bourgeoisie peuvent se saisir de ce type de situations pour promouvoir un climat d’unité nationale, voire pour imposer l’état d’urgence.
Et puis regardez cette autre conséquence des guerres au Moyen-Orient, ce qu’ils appellent la crise des migrants.
Nous ne reviendrons pas sur le fond, sur l’ignominie fondamentale de considérer comme des envahisseurs ces migrants qui fuient les bombardements, les guerres, ces situations dont notre impérialisme, entre autres, est responsable. Pourtant, d’un point de vue objectif, matériel, sans même parler du point de vue humain, trois ou quatre millions de réfugiés sur un continent riche de 550 millions d’habitants ne devraient pas poser problème.
Mais, au-delà de cet aspect-là, regardez les réactions en chaîne que ce flux migrant a entraînées partout en Europe.
Dans les relations entre États d’abord : cette fameuse construction européenne dont on nous rebat les oreilles depuis un demi-siècle est en train de s’effondrer. « Réfugiés : L’Europe se désintègre », voilà le gros titre à la une du Monde il y a quelques jours. Les frontières sont en train de se renforcer pour la bonne raison qu’elles n’ont jamais été vraiment supprimées. Mais vous vous rendez compte : les frontières rétablies entre la Belgique et la France, entre l’Allemagne et l’Autriche, sans même parler des formes plus barbares, comme les barbelés rétablis entre la Hongrie et la Serbie et entre la Slovénie et l’Autriche ! Mais il est vrai que lorsqu’un pays, d’Europe certes, mais sous-développé et ô combien, comme la Macédoine s’entoure de barbelés pour se protéger de réfugiés venus de la Grèce, il peut se revendiquer de l’exemple donné par la plus riche des démocraties bourgeoises, les États-Unis, qui a plongé dans cette barbarie-là bien avant la Macédoine, avec ses quelque 3 000 km de frontières qui la séparent du Mexique voisin.
Les réactions en chaîne induites par le flot des réfugiés ne se limitent pas aux rapports entre pays européens. Il y a aussi les répercussions à l’intérieur de chaque pays d’Europe. Partout l’extrême droite s’empare de l’arrivée des réfugiés pour agiter le spectre d’une invasion, pour développer les réflexes les plus réactionnaires du repliement national, voire pour passer de la violence du langage à la violence des actes.
Pour le moment, les agissements de bandes de voyous d’extrême droite à Calais, ou les succès de Pegida en Allemagne, peuvent encore passer pour des épiphénomènes. Mais ces épiphénomènes se produisent en même temps dans plusieurs pays d’Europe, comme l’illustre en Allemagne l’agression de bandes d’extrême droite contre des cars amenant des migrants dans un foyer d’accueil ; comme en témoigne en Finlande, ce pays réputé si paisible, la formation de milices locales pour s’opposer aux migrants qui, pour contourner la Méditerranée et ses dangers, sont passés par la Russie.
Nous évoquons toutes ces évolutions pour constater que, dans les mois à venir, nous aurons à militer dans des conditions plus dures, même dans l’hypothèse où il ne se produirait pas d’effondrement trop brutal de l’économie ; des conditions plus dures sur le plan politique. […]
Il faut également s’attendre à la poursuite de la montée des idées réactionnaires, sous les formes les plus diverses, parmi lesquelles il y a évidemment l’influence de l’extrême droite, y compris sur la classe ouvrière, mais aussi tout ce qui va avec comme préjugés parmi les plus crasses.
Le FN lui-même, au-delà de ses ambitions politiques propres, ou plus exactement des ambitions du personnel politique qui mise sur le succès futur du parti d’extrême droite, fédère en quelque sorte tout un tas de courants réactionnaires extrêmement divers, dont chacun mène sa propre propagande réactionnaire au sein de la société. Les uns sur le terrain moral, d’autres sur le terrain religieux, d’autres encore sur les rêveries d’une grandeur passée, saupoudrée de souvenirs embellis du colonialisme.
Tous propagent l’individualisme, la capacité de s’en sortir des plus méritants, etc. Tous méprisent profondément la classe ouvrière. Cela n’empêche pas certains de ces courants de faire de la démagogie vis-à-vis des pauvres (à condition qu’ils soient français bien sûr) et même vis-à-vis des travailleurs.
L’une des diverses formes du mépris vis-à-vis de la classe ouvrière est d’ignorer, de nier l’idée que la classe ouvrière peut jouer un rôle indépendant et, à infiniment plus forte raison, qu’elle représente l’avenir de la société.
En leur temps, le mépris des maîtres d’esclaves vis-à-vis de leurs esclaves ne se manifestait pas forcément dans le fait qu’ils étaient plus ou moins méchants avec eux, mais dans le fait qu’il était inconcevable pour eux que l’économie, que la société puisse exister autrement qu’avec des esclaves pour travailler et des maîtres pour les commander.
Ce mépris est largement partagé par bien d’autres, la gauche gouvernementale, la gauche caviar bien sûr, jusques et y compris le PCF.
C’est là que l’influence croissante de l’extrême droite, exprimée par les résultats électoraux du FN, est l’aboutissement ultime de toute une évolution. Mais à son tour, cela en devient un facteur aggravant et pèse, ô combien, sur la société.
Sans même que, en tout cas pour l’instant, cette influence se manifeste de façon violente.
La possibilité d’une évolution à la fasciste demeure entière. Mais, nous l’avons dit l’année dernière, cette évolution-là ne dépend pas seulement de ce qu’il y a dans la tête ou dans les projets politiques de Marine Le Pen et de ceux qui l’entourent. La possibilité d’une évolution dans ce sens-là dépend de l’aggravation de la crise et surtout de la mobilisation des différentes catégories sociales.
Il y a des catégories sociales plus ou moins touchées par la crise qui se mobilisent, notamment certaines catégories de la petite bourgeoisie, les paysans par exemple, plus précisément certaines catégories de paysans, en fonction de la conjoncture. Mais cela reste encore limité, ponctuel. Marine Le Pen a certes reçu, au Salon de l’agriculture, l’accueil favorable que l’on sait, aux antipodes de l’accueil réservé à Hollande, Valls ou Le Foll. Mais, à l’étape actuelle de la crise, aucune classe sociale ne cherche encore massivement de solution radicale.
Sur ce plan-là, les choses n’ont pas changé par rapport à l’année dernière, ou pas encore. Les multiples catégories petites-bourgeoises mécontentes de la situation expriment encore leur mécontentement, leurs frustrations, principalement sur le terrain électoral, en votant Front national. Il n’y a pas encore de quoi nourrir un courant fasciste qui serait prêt à s’en prendre aux « pourris qui dirigent là-haut » et dont la colère pourrait être orientée par la grande bourgeoisie pour s’attaquer à la classe ouvrière, ou à telle ou telle de ses catégories.
Mais cela peut se produire très vite. Et sans chercher à deviner comment cela pourra se produire concrètement, les violences contre les migrants peuvent constituer l’axe autour duquel se développe une mobilisation de type fasciste.
Encore une fois, pour le moment on n’en est pas là. Le FN, son influence, sont encore des phénomènes essentiellement électoraux. Mais, même en tant que tels, cela pèse sur la société, cela pèse même sur l’état d’esprit de notre classe.
Le repliement communautaire est un autre aspect de cette évolution réactionnaire des choses. Les deux, c’est-à-dire le développement du FN et celui du communautarisme, se nourrissent mutuellement.
Alors, pour ce qui est du contexte politique dans lequel nous allons militer, on peut le résumer grossièrement en disant que le vent ne souffle pas dans le sens des idées collectivistes et communistes révolutionnaires. Nous pourrions avoir l’impression d’être isolés avec nos idées et avec les perspectives que nous proposons, entre ceux, de plus en plus nombreux, qui se tournent vers l’extrême droite, vers le FN, et ceux, ex-militants du Parti socialiste ou du Parti communiste, ex-militants de la gauche au sens générique du terme (associatifs, etc.), pour qui le « combat contre le FN » deviendra le seul marqueur de gauche, pour reprendre une expression à la mode.
Raison de plus pour que nous nous battions de la façon la plus claire possible autour de nos idées et de nos perspectives révolutionnaires. Raison de plus pour que nous militions pour le « camp des travailleurs », qui résume en une formule simple l’idée que nous militons dans la lignée de ces générations d’ouvriers qui avaient pour drapeau l’émancipation sociale et qui se situaient dans la tradition de la Commune de Paris, de la Révolution russe. Dans la lignée de ceux qui se sont donné un parti qui agissait dans la perspective du renversement du pouvoir de la bourgeoisie : le Parti socialiste à ses origines, puis le Parti communiste d’après la révolution prolétarienne en Russie.
L’expression « camp des travailleurs » ne prend sa véritable signification qu’avec l’existence d’un parti communiste révolutionnaire. Dans l’histoire du mouvement ouvrier, même au temps où il avait du poids sur la société, existaient en permanence des courants réformistes et des courants révolutionnaires, en lutte pour la direction du prolétariat.
La longue période de recul du mouvement ouvrier initiée par le stalinisme connaît depuis plusieurs années sa phase ultime. Trotsky parlait dans le Programme de transition de la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières, notamment des organisations politiques, le Parti socialiste et le PCF. À notre époque, on en est arrivé à leur autoliquidation, non pas nécessairement en tant que parti, mais en tout cas en tant que direction du prolétariat. Rôle auquel d’ailleurs ils ne postulent plus. Cela fait longtemps que même le PCF ne parle plus de politique pour la classe ouvrière, mais de politique pour le pays.
La conclusion que l’on doit en tirer est que le mouvement ouvrier doit renaître sur la base du communisme révolutionnaire.
Notre raison d’être, notre ADN spécifique si j’ose m’exprimer ainsi, a toujours été de militer pour la reconstruction d’un parti communiste révolutionnaire. Nous le faisions en tant que trotskystes – et dans le « nous », nous incluons aussi bien sûr ceux qui nous ont précédés, notre propre ancienne génération comme les générations trotskystes qui ont précédé notre organisation. Nous le faisions à l’époque du stalinisme dominant, quand l’idée même qu’on puisse être communiste sans se revendiquer de Staline et de ses sous-fifres locaux, de Thorez à Marchais, passait pour saugrenue. Il a fallu à l’époque se battre pour survivre. Aujourd’hui, le stalinisme est devenu ce qu’il est devenu, après avoir accompli un rôle catastrophique dans la démolition du mouvement ouvrier.
Attention, cela ne signifie absolument pas qu’on ne trouvera pas sur notre chemin les staliniens, au sens que cela avait, sinon au temps de l’URSS, du moins au temps du PCF dominant dans la classe ouvrière.
Dans plusieurs endroits, les camarades ont signalé un regain d’activisme des JC, dans la préparation de la journée du 9 mars. Les étudiants de l’UNEF, de leur côté, ont été plus ou moins en pointe ; or l’UNEF est dirigée par des étudiants proches des frondeurs du PS. Il ne faut pas s’étonner pour ce qui est des JC. Le PC a beau avoir perdu beaucoup de plumes, il lui en reste encore pas mal et le PC, même tel qu’il est, est l’héritier du PC tel qu’il a été il y a vingt ans, trente ans ou plus. C’est-à-dire un véritable parti présent à peu près partout. Et même ses abdications successives ces temps derniers devant la droite ne coupent pas nécessairement la direction du PC de sa base, ou en tout cas ce qu’il en reste.
Rappelons-nous qu’au-delà des discours politiques multiples et changeants adressés aux militants et sympathisants de ce parti, au-delà même des problèmes de fond tels que l’électoralisme, ce qui les sépare de nous c’est leur profonde méfiance à l’égard de la classe ouvrière. Au temps où ils dominaient la CGT, cela se manifestait par leurs réactions épidermiques vis-à-vis de tout ce qui était réunions syndicales et par leur hostilité déclarée vis-à-vis des assemblées de travailleurs qui décident, et vis-à-vis des comités de grève.
Nous n’avons ni le crédit ni le poids numérique pour attirer vers nous les militants et les sympathisants les plus indécrottables de la mouvance stalinienne. Mais nous pouvons au moins nous faire respecter d’eux, ne serait-ce qu’en montrant notre capacité militante et notre capacité à défendre les idées de la lutte de classe parmi les travailleurs.
Alors, on peut philosopher tant qu’on veut pour savoir laquelle était la période la plus défavorable pour le courant communiste révolutionnaire : quand il fallait survivre comme courant très minoritaire, quasi insignifiant, à côté du puissant courant stalinien, ou aujourd’hui, quand le stalinisme est devenu ce qu’il est devenu, c’est-à-dire une resucée, lamentable, du réformisme.
Mais nous ne sommes pas des philosophes et cette question ne nous intéresse pas. Nous militons dans les circonstances que l’histoire nous a données, en essayant de saisir toutes les possibilités, même les moindres, que ces circonstances nous permettent de saisir.
Nous devons être conscients que, petite organisation que nous sommes, quasi insignifiants par notre nombre, non seulement par rapport aux 60 millions de citoyens de ce pays mais même par rapport aux quelque 20 millions de prolétaires, notre capital principal est notre capital politique. Il ne résulte pas de notre propre expérience ni de notre propre capacité – parce que les deux sont liées – mais de celles que nous avons héritées des générations qui nous ont précédés, des générations qui nous relient à Marx à travers Rosa Luxemburg, Lénine, Trotsky et bien d’autres. Qui nous relient aussi à une multitude de combats, de victoires et surtout de défaites qui ont jalonné l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire.
Alors, nous avons à tenir à ces idées et à ce qu’elles représentent, comme à la prunelle de nos yeux.
C’est la raison pour laquelle nous accordons tant d’importance à la transmission de ces idées, à notre petite échelle. […] Le capital politique, c’est avant tout la compréhension marxiste de la société, de ses ressorts et du rôle irremplaçable du prolétariat dans sa transformation, ces idées fondamentales telles qu’elles nous ont été transmises par Lénine et Trotsky. Mais c’est aussi la volonté de donner aux problèmes politiques au jour le jour, aussi bien à l’intérieur qu’à l’échelle internationale, un éclairage qui corresponde aux intérêts de la classe ouvrière.
Il n’y a pas d’analyse objective de la situation, ni en politique intérieure ni à l’international. Il n’y a qu’une analyse de classe ou, plus exactement : seule une analyse qui correspond aux intérêts du prolétariat est objective. Essayez donc de trouver une analyse objective de la crise économique actuelle sous la plume des plus brillants économistes du monde bourgeois !
Maintenir ce capital politique n’est pas seulement une question de fidélité aux générations précédentes qui ont mené le même combat que nous pour le renversement de l’ordre bourgeois, combat qui ne s’achèvera que lorsque ce renversement sera accompli. Il ne s’agit pas seulement du passé mais aussi du présent et de l’avenir. C’est précisément aujourd’hui, avec l’évolution réactionnaire des choses, qu’il apparaît sans doute le plus clairement que c’est seulement sur la base des idées de la lutte des classes que nous pouvons toucher les nôtres, la classe ouvrière. […]
C’est là qu’il faut réaliser que, aussi importante que soit la perte de repères dans la classe ouvrière, l’abandon, l’oubli des traditions de classe, ces traditions ne sont pas seulement du domaine des idées. Ou plus exactement ces idées, ces valeurs ne sont pas sorties de rien. C’est la réalité elle-même, la réalité des inégalités sociales, la réalité de l’exploitation qui les rappelle aux travailleurs, même les moins conscients.
Rappelez-vous le coup de la chemise déchirée du cadre d’Air France. Des centaines de milliers, sinon des millions de travailleurs se sont réjouis de cet épisode.
Notre camarade de Sinif Mucadelesi en Turquie a montré, lui aussi, avec quelle rapidité les travailleurs ont retrouvé à Bursa la conscience de leurs intérêts collectifs et même la capacité à s’organiser sur cette base.
Alors, si dans la période à venir plus que jamais nous devrons nous présenter au nom de ces idées le plus clairement possible, ce n’est ni par sectarisme ni par simple fidélité au passé, mais c’est parce que, malgré le recul, c’est sur ce terrain que nous pouvons toucher les travailleurs, et que nous avons intérêt à les toucher. […]
Faisons une parenthèse, pour souligner les changements qui sont intervenus dans la classe ouvrière au cours des dernières années, disons au fur et à mesure de l’aggravation de la crise.
Nous savons tous qu’à l’intérieur des entreprises il y a de plus en plus d’intérimaires et de précaires en tout genre. Plus de 80 % des nouveaux embauchés le sont en statut précaire. Bien sûr, il y a des différences considérables entre entreprises et, globalement, même si les patrons embauchent de préférence sous statut précaire dans les entreprises qui n’ont pas licencié massivement, il reste une majorité de travailleurs qui sont en CDI, d’autant plus que l’âge de la retraite est repoussé : cela maintient encore, dans la plupart des entreprises, une majorité de travailleurs en CDI.
Mais l’évolution va dans le sens de la diminution progressive de ces catégories. Et si les anciennes générations gardent leur statut de CDI jusqu’à la retraite, le renouvellement passe par l’intérim, par les CDD.
Il faut qu’on prenne bien conscience du fait que s’accroît progressivement, dans la jeune génération de la classe ouvrière, la catégorie des travailleurs qui n’ont jamais connu d’autre condition que la précarité.
Le système capitaliste d’aujourd’hui est en train de trouver mieux encore que les différentes formes de précarité : le statut d’autoentrepreneur. Oh, que ça sonne bien !
Le vieux capitalisme français réinvente, comble de modernité, ce qui court les rues, au sens propre comme au sens figuré, de toutes les grandes villes des pays sous-développées : au croisement de n’importe quelle rue d’Abidjan, par exemple, ou à un feu rouge, des dizaines et des dizaines de ces autoentrepreneurs entourent votre voiture et essaient de vous vendre, à l’unité, qui des cigarettes ou des kleenex, qui des stylos ou des friandises…
Eh bien, cela permettra peut-être à de savants sociologues d’expliquer qu’il n’y a plus de classe ouvrière, qu’il n’y a plus de prolétariat, que nous vivons dans un monde où il n’y a plus de classe, il n’y a plus que des entrepreneurs plus ou moins bénis des cieux, de Bill Gates au vendeur de pizzas dans sa camionnette au coin de la rue, en passant par Bolloré !
Eh bien, ces prétendus autoentrepreneurs font bel et bien partie du prolétariat et sans doute sous la pire forme qui soit, c’est-à-dire un prolétariat émietté, dispersé, à qui ses conditions imposent la mentalité du chacun pour soi, à qui on essaie de faire oublier jusqu’à la condition de prolétaire.
C’est un retour en arrière dans la condition ouvrière. Ça l’est incontestablement dans quelques riches pays impérialistes dont la bourgeoisie avait éprouvé le besoin de concéder à une partie de sa classe ouvrière une certaine protection sociale et avait les moyens de le faire.
Mais c’est la précarité qui est le propre de la condition ouvrière. Cela a été comme cela au temps de Marx, au temps de Lénine, même dans l’entre-deux-guerres, et cela reste vrai aujourd’hui pour la majorité de la classe ouvrière de la planète.
Nous nous sommes toujours élevés contre les staliniens qui présentaient comme des acquis, voire des conquêtes la législation du travail, la Sécurité sociale, les statuts protégés.
Pour ce qui est des acquis, les travailleurs sont en train de constater avec leur peau que les acquis ne le sont pas vraiment. Quant aux conquêtes, si certains avantages ont été arrachés à la bourgeoisie par des luttes ouvrières, les staliniens avaient l’art de transformer verbalement en conquêtes ce que la bourgeoisie avait concédé à la bureaucratie syndicale.
Alors, bien sûr, il faut que nous soyons du côté des travailleurs qui défendent ce qu’ils avaient, quelles que soient les raisons pour lesquelles on veut le leur retirer. Mais il faut réaliser que pour toute une partie de la classe ouvrière, en particulier les plus jeunes, ce n’est plus leur problème. Il faut réaliser qu’on ne peut pas les gagner avec un langage de syndicalistes, quand bien même les syndicats ont abandonné même ce langage-là.
Des camarades ont souligné à quel point, dans leur ville, se constitue un véritable milieu d’intérimaires, qui changent d’entreprise au gré des circonstances, qui se croisent, qui reviennent parfois dans les mêmes entreprises, mais pour qui des expressions du style « Je suis de chez Renault, ou de chez Citroën » n’ont plus de sens.
Alors, bien sûr, si une lutte s’engage dans une entreprise, il faut chercher à les associer à la lutte et il faut militer pour qu’intérimaires et CDI comprennent la nécessité de lutter ensemble.
Par ailleurs, il faut savoir s’adresser aux jeunes prolétaires, qu’ils soient intérimaires ou non, mais pas en exprimant la nostalgie vis-à-vis de ce qui était le statut des travailleurs il y a dix, quinze ou vingt ans. Il faut leur tenir un langage de classe, en essayant de les gagner politiquement, en leur disant que leur avenir c’est comme leur présent : c’est la précarité, c’est d’aller de boîte en boîte à la recherche de travail. Il faut leur dire que la société capitaliste, et surtout la société capitaliste en crise d’aujourd’hui, n’a rien d’autre que cela à leur offrir. Il faut leur donner envie de militer pour l’émancipation de leur classe par la révolution sociale, par le renversement du pouvoir de la bourgeoisie.
Pour paraphraser une phra-se célèbre : les prolétaires qui n’ont pas de patrie, à bien plus forte raison n’ont pas non plus d’entreprise. Ils gagnent leur vie là où ils trouvent du travail, quelle que soit l’entreprise. Et, pour beaucoup d’entre eux, quel que soit le pays. Il ne faut pas les tirer en arrière vers un passé révolu et qui de toute façon n’a pas protégé tant que cela leurs pères et leurs grands-pères. Il faut qu’ils regardent vers l’avenir.
La bourgeoisie et ses porte-plume, quand ils parlent de compétitivité, des intérêts de l’entreprise – ce dont d’ailleurs ils se contrefichent car il n’y a qu’à leurs capitaux qu’ils sont attachés – misent sur ces réflexes que les syndicats et notamment les staliniens ont inculqués au fil des ans aux travailleurs.
Eh bien, la condition ouvrière ne réside pas dans le lieu de l’exploitation, mais c’est l’exploitation elle-même. Si on veut gagner ces jeunes travailleurs, il faut les gagner à la lutte des classes, quelle que soit l’entreprise où ils trouvent un emploi forcément précaire. […]
Nous ne savons évidemment pas si les situations nouvelles seront créées dans le cadre de l’évolution réactionnaire des choses, par la mobilisation de forces sociales hostiles à la classe ouvrière, ou si au contraire la classe ouvrière se mettra en branle.
Ce qui est certain, c’est que la reprise de combativité éventuelle de la classe ouvrière ou de certains de ses secteurs ne résultera pas de la politique des directions syndicales. L’attitude de ces directions syndicales par rapport au projet de loi travail l’a amplement démontré. Nous n’insisterons pas sur le retard à l’allumage pour réagir, même de la part de la CGT. Nous parlons là aussi du cafouillage organisé, des initiatives qui se chevauchaient et qui se contredisaient, entre le 9 et le 31 mars, entre les appels de telle ou telle corporation un jour, les retraités le lendemain. S’il y a quelque chose d’organisé là-dedans, c’est le sabotage.
Malgré tous ces cafouillages, la manifestation du 9 mars a été un succès. Oh ! pas l’explosion sociale, mais cela fait plaisir quand même. Et le plus important n’est évidemment pas notre plaisir, mais la façon dont le restant de la classe ouvrière ressent ces choses, la façon dont une manifestation, un débrayage remue ou pas ceux qui n’étaient pas dans le mouvement.
Nous ne pouvons évidemment pas deviner le rythme de la mobilisation de la classe ouvrière, ni même si elle continuera. Mais la mobilisation passe souvent d’abord dans les têtes.
Nous devons profiter de la période, avec ses échéances multiples, pour discuter autour de nous dans les entreprises, non pas pour appeler à tout bout de champ à la lutte collective, mais pour en expliquer la nécessité. Nous devons nous entourer et il n’est pas impossible que la tactique des directions syndicales de disperser le mouvement en fonction des dates des corporations se retourne contre elles.
Pour le moment, la fédération de la métallurgie appellerait à se mobiliser en participant aux manifestations du 17 mars au côté des étudiants ; au 24 mars, jour de la présentation du projet au gouvernement ; et au 31 mars, journée interprofessionnelle. Nous oublions certainement d’autres échéances, tant les directions syndicales veulent rester dans le coup tout en dispersant l’action. Ils peuvent encore changer d’avis dix-huit fois. […]
Même les appareils syndicaux les plus ouvertement dévoués aux intérêts du grand patronat peuvent être poussés par des travailleurs qui se battent. Pour le moment, tout le problème est là.
C’est une banalité de dire que redonner confiance à la classe ouvrière, à plus forte raison déclencher des luttes, n’est pas à notre portée. En tout cas, pas au niveau d’une fraction significative de la classe ouvrière. Bien malin d’ailleurs celui qui pourrait deviner laquelle des multiples attaques successives de la bourgeoisie ou du gouvernement sera ressentie par les travailleurs comme le franchissement de la ligne rouge. Nous ne savons pas non plus par quoi, de quoi cela partira.
Rappelons-nous que le grand mouvement de juin 1936 a été précédé par tout un tas de luttes partielles indiquant les étapes de la mobilisation du mouvement ouvrier.
À l’origine de Mai 1968, il y a eu cette revendication ô combien dérisoire des étudiants de Nanterre de pouvoir rendre visite aux étudiantes dans les chambres universitaires.
En conclusion
Pour conclure, nous avons à militer dans une période qui n’est pas facile. Nous ne sommes pas portés par une vague de montée ouvrière, et c’est un euphémisme !
Mais prenons exemple sur les générations qui nous ont précédés et qui parfois l’ont fait dans des conditions bien plus difficiles que celles dans lesquelles nous militons. Nous pouvons citer un extrait d’une lettre datée du 16 février 1917 écrite par Rosa Luxemburg à une amie personnelle, depuis la prison où elle était enfermée, et dans un contexte où la guerre durait encore, ainsi que l’abattement des masses, même si, peu de temps après la rédaction de cette lettre, la révolution allait éclater en Russie :
« Toute ton argumentation contre ma devise : « Je suis là – je ne puis agir autrement » se résume en ces mots : tout cela est bel et bon, mais les gens sont trop lâches et trop faibles pour cet héroïsme-là ; ergo, adaptons notre tactique à leur faiblesse, suivant le principe : chi va piano va sano. Mon petit agneau, c’est là un point de vue historique d’une étroitesse ! Il n’y a rien de moins immuable que la psychologie des hommes. D’autant que la psyché des masses recèle toujours, […] à l’état latent, toutes les virtualités : un calme de mort et la tempête grondante, la lâcheté la plus vile et le plus farouche héroïsme. La masse est toujours ce qu’elle doit nécessairement être en fonction des circonstances et elle est toujours sur le point de devenir quelque chose de tout à fait différent de ce qu’elle paraît être. Ah quel beau capitaine il ferait, le navigateur qui fixerait sa route en se fiant uniquement à l’aspect momentané de la mer et ne saurait pas prévoir l’arrivée de la tempête à partir des signes observés dans le ciel et dans l’océan ! « Être déçu par les masses », ma petite, pour un dirigeant politique, c’est toujours donner la preuve de son incapacité. Un dirigeant de grande envergure ne fonde pas sa tactique sur l’humeur momentanée des masses, mais sur les lois d’airain de l’évolution ; il s’en tient à sa tactique en dépit de toutes les déceptions et, pour le reste, laisse tranquillement l’histoire mener son œuvre à maturité. »
Cette lettre a été écrite à une époque où les prolétaires européens, trahis par leurs propres dirigeants, étaient entraînés dans une guerre sanglante, à s’entretuer les uns les autres. Une époque où les masses exploitées, mobilisées sous l’uniforme, semblaient au fond du désespoir et de la démoralisation. Mais quelques jours plus tard cependant, la révolution prolétarienne éclatait en Russie…