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- Lutte de Classe n°34
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L’URSS : Introduction
Par des votes successifs qui pourraient passer pour historiques, le Parlement soviétique — par un étrange anachronisme, il porte toujours le nom de Soviet suprême — a d'abord chargé Gorbatchev, en septembre, des pleins pouvoirs pour « introduire l'économie de marché en Union Soviétique », puis voté le plan en deux ans que le chef de l'État lui a proposé. Voilà donc les pouvoirs exécutifs et législatifs suprêmes de l'Union Soviétique officiellement en accord pour s'engager dans la transformation de l'économie soviétique dans le sens capitaliste.
Chose étrange cependant, le premier décret économique pris par Gorbatchev en vertu de ses nouveaux pouvoirs annonce des mesures disciplinaires... contre ceux qui ne respectent pas « les liens contractuels entre entreprises d'État » et somme les secteurs où la production est le plus mal en point de « rétablir leurs productions conformément au Plan ».
Il est à peine moins paradoxal que, à peine le théoriquement tout puissant Président de l'URSS-Secrétaire général du Parti s'avise de publier un décret valable dans l'ensemble de l'Union Soviétique, il se trouve tout de suite une République — souvent la République russe elle-même — pour décider d'une loi déniant à la loi de Gorbatchev toute validité sur son territoire. Au point que l'agence Tass parle depuis quelques jours d'une « guerre des lois » entre Moscou et les Républiques.
Le moins que l'on puisse dire c'est que plus les intentions de Gorbatchev se précisent, moins il a le pouvoir de les imposer. Plus il collectionne les titres, moins il est obéi.
Il serait trop long d'énumérer toutes les manifestations d'une véritable implosion de l'appareil d'État. Cet appareil d'État, qui fonctionnait avec la brutale efficacité d'une dictature sanglante sous Staline, avec un méticuleux et pesant bureaucratisme sous Brejnev, semble aujourd'hui éclater en une multitude d'autorités opposées les unes aux autres, et toutes au centre.
Le pouvoir central qu'incarne Gorbatchev est contesté à Moscou même par le bout russe de l'appareil d'État. Les républiques nationales, voire les régions autonomes, sont en voie de sécession virtuelle.
L'appareil du parti a éclaté en épousant les contours des autorités nationales ou locales. Le parti lui-même se vide et ses cadres semblent avoir perdu confiance, en eux-mêmes comme en leur chef suprême, quand ils ne cherchent pas déjà à se reconvertir.
L'armée même, cet immense corps social dont la composition reflète plus ou moins la composition nationale variée de l'Union Soviétique, est manifestement touchée par les tendances centrifuges qui affectent l'ensemble de la société soviétique. Néanmoins, devant la montée du chaos politique et la menace d'anarchie économique, des rumeurs insistantes naissent et renaissent sur l'éventualité d'un coup d'État qui, pour les uns, pourrait accélérer le passage au capitalisme, pour les autres, le retarder au contraire.
C'est précisément cet éclatement de l'État qui révèle les immenses appétits qui se manifestent au sein de la société soviétique au point de la déchirer.
Marx disait déjà que la principale fonction de l'État était de comprimer, d'étouffer les tensions, les contradictions qui, sans cela, déchireraient la société.
On a aujourd'hui la démonstration, en quelque sorte par la négative, de combien la dictature était nécessaire au maintien de la bureaucratie.
Si cette crise de l'État laisse brutalement apparaître au grand jour la puissance des forces centrifuges qui poussent dans le sens de l'éclatement de l'Union Soviétique, elle révèle aussi la voracité des forces sociales, dont les sommets politiques de la bureaucratie apparaissent de plus en plus comme des représentants politiques, qui agissent au sein de la société soviétique pour rétablir la propriété privée des moyens de production, pour privatiser l'économie soviétique, pour supprimer la planification, pour s'approprier les entreprises, afin d'en tirer du profit privé.
C'est au travers de cette multitude d'événements qui s'entrecroisent, qu'est en train de se dérouler une tentative de contre-révolution sociale.
D'où vient-elle ? Quel en sont les acteurs ? Quelles peuvent en être les conséquences ? Quelle devrait être la politique du prolétariat ? Voilà les questions qui se posent aux révolutionnaires.
Trotski a toujours considéré la bureaucratie comme une caste sociale sans avenir propre et la société soviétique comme une société transitoire, susceptible d'évoluer vers une société véritablement socialiste, au cas où le prolétariat reprendrait l'initiative, mais susceptible aussi d'être absorbée par le monde bourgeois, son économie et ses valeurs.
Dans le contexte mondial marqué par le recul du prolétariat, la société soviétique est-elle en train d'arriver à l'ultime étape d'un recul engagé, il y a bien des décennies déjà, par la dégénérescence de l'État soviétique ?
Voilà quelques-unes des questions que nous souhaitons aborder dans les articles qui suivent.
27 octobre 1990