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Les luttes des lycéens en France - La Ligue Communiste et l'OCI-AJS contre un mouvement autonome de la jeunesse ouvrière
La vaste mobilisation de la jeunesse scolarisée qui a commencé au début du mois de mars est loin, à l'heure où nous écrivons, d'avoir épuisé toutes ses possibilités, bien que la proximité des vacances scolaires de Pâques permette au gouvernement d'espérer au moins une trêve de deux semaines.
Le point de départ de cette mobilisation a été l'application de la loi Debré, votée il y a trois ans, mais ne faisant sentir ses effets que cette année. Cette loi prévoit en effet la suppression du sursis d'incorporation dont bénéficiaient jusque-là les étudiants.
C'est l'arrivée des feuilles de route touchant un certain nombre de lycéens qui mit le feu aux poudres dans un certain nombre d'établissements, dès la première semaine de mars. Et le mouvement fit rapidement tache d'huile, touchant l'immense majorité des lycées.
Mais le mécontentement que ce mouvement exprimait n'était pas dû à la seule loi Debré, et à la seule volonté de lutter pour le rétablissement du privilège du sursis. Il reflétait aussi l'hostilité de très larges couches de la jeunesse à la politique du pouvoir, à l'armée en général, comme le prouvait la participation importante des lycéennes aux grèves et aux manifestations, et l'entrée dans la lutte des Collèges d'Enseignement Technique dont les élèves n'étaient pourtant pas directement concernés, dans leur immense majorité, par la suppression des sursis, puisque la plupart finissent leur scolarité à 17 ou 18 ans.
Mais quelle qu'ait été, de toute manière, la part respective du corporatisme et de l'hostilité au militarisme dans ce mouvement, la position des révolutionnaires se devait d'être claire. Ils ne pouvaient, bien sûr, qu'être solidaires des lycéens en lutte contre l'État bourgeois, fut-ce pour la défense de revendications purement catégorielles, d'un privilège. Mais ils devaient aussi, dans le mouvement, défendre leur propre politique, leurs propres revendications et, en particulier, celles qui défendaient les intérêts de la jeunesse ouvrière.
Les révolutionnaires socialistes ne doivent en effet jamais oublier, même et surtout lorsqu'ils militent dans un milieu social petit-bourgeois, que c'est des intérêts généraux de la classe ouvrière qu'ils sont avant tout les représentants.
Et il ne suffit pas de dire qu'un mouvement corporatiste est «objectivement» dirigé contre l'armée et l'État bourgeois pour qu'il cesse d'être un mouvement corporatiste. Il faut encore que ce mouvement adopte des mots d'ordre, c'est-à-dire des objectifs politiques, explicitement dirigés contre cette armée et cet État. Et le rôle des révolutionnaires, c'est évidemment de défendre de tels mots d'ordre.
Rétablissement des sursis ou suppression du service militaire ?
Que le mouvement lycéen, en tant que tel, n'ait pas été capable de dépasser le problème des sursis n'est pas étonnant. Mais les organisations révolutionnaires qui militent en son sein, et qui assurent de fait la direction du mouvement, se devaient de lutter pour essayer d'ouvrir la perspective d'une mobilisation de l'ensemble de la jeunesse contre l'embrigadement militaire. Et les événements n'ont pas pris ces organisations au dépourvu, puisqu'il y a des années que la Ligue Communiste a fait de sa campagne contre l'armée un de ses thèmes favoris d'agitation, tandis que l'OCI-AJS prétend être, abusivement il est vrai, la deuxième organisation de la jeunesse ouvrière du pays. Or la Ligue Communiste, tout comme l'OCI-AJS, se contentèrent de reprendre à leur compte les revendications catégorielles des lycéens, et se refusèrent à faire quoi que ce soit pour que le mouvement dépasse l'objectif de la lutte contre la loi Debré et pour le rétablissement des sursis.
Si les positions de l'OCI-AJS et de la Ligue Communiste étaient sur le fond identiques, il y avait cependant une nuance dans la manière dont elles les présentaient. Le corporatisme de la première était du genre cynique, alors que la seconde y ajoutait une bonne dose d'hypocrisie.
Considérant le régime des sursis comme un acquis (mais un acquis pour qui ? pour l'ensemble de la jeunesse, y compris la jeunesse ouvrière, ou seulement pour la fraction la plus favorisée de cette jeunesse, celle qui a la possibilité de faire des études) l'OCI-AJS se contentait purement et simplement d'avancer le mot d'ordre de «rétablissement des sursis», sans se poser apparemment le moindre problème sur le caractère purement catégoriel de celui-ci.
La Ligue Communiste, par contre, n'avait oublié qu'à moitié que le rôle des révolutionnaires devait être, dans une telle circonstance, d'essayer d'élargir et de politiser la lutte. Elle se sentit donc obligée d'avancer un mot d'ordre «unificateur», et ce fut «l'extension des sursis à toute la jeunesse» et le «libre choix de la date d'incorporation». Mais il est clair que de tels mots d'ordre ne constituaient qu'un alibi destiné à se donner bonne conscience à bon compte, car ils ne pouvaient en aucune manière concerner les jeunes ouvriers, ou les élèves de CET. Pour les jeunes travailleurs, le service militaire constitue en effet une corvée dont, à défaut de pouvoir l'éviter, ils souhaitent se débarrasser le plus rapidement possible, d'autant qu'ils ont généralement le plus grand mal à trouver un emploi avant de l'avoir accompli. Et il est parfaitement stupide de s'imaginer que la possibilité d'obtenir un sursis d'incorporation puisse intéresser ne serait-ce qu'une partie non négligeable de la grande masse de ceux qui n'ont pas la possibilité de poursuivre des études supérieures.
En fait, la seule revendication susceptible de toucher l'ensemble de la jeunesse, et d'intéresser au premier chef la jeunesse ouvrière, c'était celle de la suppression pure et simple du service militaire. Mais ce mot d'ordre, défendu par les militants de Lutte Ouvrière, a réalisé contre lui un véritable front commun de fait de tout ce que le mouvement lycéen et étudiant compte d'opportunistes, des organisations de jeunesse du Parti Communiste Français à la Ligue Communiste et à l'OCI-AJS.
La fausse querelle de l'armée de métier
Il est d'ailleurs curieux de constater à quel point l'argumentation mise en avant par la Ligue Communiste pour critiquer le mot d'ordre de suppression du service militaire, rejoint celle des staliniens. La première prétend pourtant se placer dans une perspective résolument révolutionnaire, alors que les seconds affichent ouvertement des positions démocrates-bourgeoises. Mais c'est que, comme souvent en pareille matière, la Ligue Communiste se contente d'essayer de coller une conclusion «révolutionnaire» aux raisonnements des staliniens.
Pour le PCF, qui a inscrit dans son Programme Commun de Gouvernement la «démocratisation» de l'armée, il est normal de défendre le principe de la conscription contre celui de l'armée de métier. C'est même avec de tels arguments sur «l'armée du peuple» que le Parti Communiste Français au gouvernement a justifié le rétablissement du service militaire obligatoire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui n'a d'ailleurs pas empêché la dite «armée du peuple» de faire au peuple algérien, pendant sept ans, la plus horrible des guerres.
Mais c'est au nom de l'antimilitarisme révolutionnaire (quoique toujours en nous expliquant que la suppression du service militaire entraînerait automatiquement un renforcement de l'armée de métier) que la Ligue Communiste s'oppose à la suppression du service militaire. Elle n'hésite d'ailleurs pas, pour les besoins de sa démonstration, à falsifier l'histoire du contingent, dans les petits événements comme dans les grands. C'est ainsi que Rouge parle dans son numéro 198 des «soldats du contingent qui, lors du putsch des généraux à Alger en 1961, arrêtaient leurs gradés et hissaient le drapeau rouge sur les casernes du Constantinois» (alors que si les soldats du contingent ont effectivement désobéi aux généraux putschistes, ce mouvement de désobéissance n'est jamais sorti du cadre que lui avait assigné de Gaulle). Des tracts de la Ligue Communiste ont également à ce propos affirmé que : «Le contingent a montré... récemment pendant la grève des éboueurs qu'il pouvait être un facteur de résistance au projet de la bourgeoisie», comme si les malheureux bidasses n'avaient pas précisément été contraints de vider les poubelles et de jouer les briseurs de grève.
Ces deux exemples illustrent l'absence de bonne foi avec laquelle la Ligue Communiste défend cette position. Mais le comble est évidemment l'argument «de fond», qui consiste à opposer le devoir, pour un parti révolutionnaire de faire du travail antimilitariste dans l'armée, et le mot d'ordre de suppression du service militaire.
«On te donne un fusil, prends-le», ne cesse de répéter Rouge... pour justifier le fait de ne pas revendiquer autre chose que «le rétablissement et l'extension des sursis» ! Mais il est bien évident que si nous réclamons la suppression du service militaire, ce n'est pas au nom d'on ne sait trop quel pacifisme bêlant, considérant l'apprentissage du maniement des armes comme un pêché. Nous sommes évidemment pour que les jeunes travailleurs apprennent à se servir des armes. Mais pour cela, il n'est pas besoin de les encaserner, ni de les soumettre à la domination d'une caste militaire professionnelle.
Cela peut se faire sur les lieux de travail ou dans les quartiers, sous le contrôle des organisations ouvrières.
La position que nous avons adoptée dans ces circonstances n'est d'ailleurs pas spécialement originale. C'est au contraire une position classique du mouvement révolutionnaire, et en particulier celle que Trotsky défendait en 1940 dans le mouvement ouvrier américain, alors que la bourgeoisie américaine se préparait à instituer, pour les nécessités de la guerre, la conscription obligatoire.
Les dirigeants de la Ligue Communiste n'ont d'ailleurs même pas la piètre excuse d'ignorer cette position. C'est ainsi que Rouge écrivait, dans son numéro 197 : «Nous sommes aussi pour la réduction du service militaire au temps des classes, et sans l'encasernement loin des lieux d'habitation ou de travail qui a pour unique fonction de favoriser l'embrigadement des jeunes ...». Encore que la revendication de «la réduction du service militaire au temps des classes» paraisse quelque peu contradictoire avec la suite de la phrase (en ce sens qu'elle suppose, précisément, encasernement), il y a au moins dans ce texte l'idée que l'on peut parfaitement apprendre à utiliser les armes autrement que par le service militaire. Mais ce texte était publié le 23 mars, c'est-à-dire juste avant que la coordination des CET [[Le mouvement des CET s'est donné des structures calquées sur celles qui ont été adoptées par le mouvement lycéen. Dans chaque établissement les élèves prennent leurs décisions, soit en assemblées générales, soit par l'intermédiaire de comités de grève ou de comités de lutte élus. La coordination réunit les délégués (deux par établissement) d'une ville donnée. La coordination parisienne des CET réunit ainsi plus de deux cents élèves des CET, représentant près de 120 établissements différents. Les délégués de la coordination parisienne ont élu un collectif d'une vingtaine de membres, chargé de prendre les décisions entre deux réunions de la coordination, et de préparer celles-ci.]] en lutte adopte le mot d'ordre du «remplacement du service militaire actuel par l'apprentissage des armes sur les lieux de travail ou dans les quartiers».
On aurait pu croire que cette convergence entre les mots d'ordre de la coordination des CET, et une position défendue (tout-à-fait incidemment, il est vrai, et non comme un mot d'ordre) par la Ligue, aurait amené celle-ci à redoubler d'efforts en ce sens dans sa propagande. Mais il n'en fut rien, bien au contraire. Et dans le numéro de Technique Rouge, précisément destiné aux élèves des CET, paru le 2 avril, la Ligue Communiste ne parlait plus que de «la réduction du service militaire au temps des classes» (toujours incidemment d'ailleurs), pour finalement proposer aux élèves des CET de se battre pour «l'extension des sursis à toute la jeunesse».
C'est qu'en fait, toutes les arguties de la Ligue sur le problème du service militaire ne visent qu'à une seule chose : justifier son refus de se battre au sein du mouvement pour les revendications des révolutionnaires ; ne rien faire qui risque de la faire se couper de son milieu social petit-bourgeois, et donc se contenter de reprendre purement et simplement les revendications de celui-ci, en les «justifiant» d'un point de vue «marxiste».
L'OCI-AJS ne semble d'ailleurs même pas éprouver le besoin de se donner de telles justifications. Sans vaines discussions, elle se contente de répéter inlassablement son seul mot d'ordre : «rétablissement des sursis». Ce qui n'empêche pas Informations Ouvrières de s'indigner vertueusement dans son numéro du 4 avril de la présence de banderoles antimilitaristes dans les manifestations des élèves de CET du 27 mars, en prétendant d'ailleurs mensongèrement que la coordination des CET n'avait pas adopté de tels mots d'ordre. L'armée bourgeoise a décidément de bien curieux défenseurs ! Mais voilà où mène le corporatisme étudiant.
Pour un mouvement indépendant du technique
Cette volonté bien arrêtée des organisations petites-bourgeoises que sont la Ligue Communiste et l'OCI-AJS de ne rien faire qui puisse risquer de les couper ne serait-ce que partiellement, de leur base étudiante et lycéenne, ne les a pas seulement rendues incapables d'avancer des mots d'ordre susceptibles de rassembler dans une même lutte toute la jeunesse contre l'État et son armée. Elle les a également amenées, à partir du moment où le mouvement des CET a commencé à s'organiser de façon autonome, pour la défense des revendications propres aux élèves du technique, à tout faire pour essayer de mettre ce mouvement à la remorque de celui des lycées et des facultés.
Notons d'abord que ce n'est pas un hasard si, dans la région parisienne comme en province, les militants de Lutte Ouvrière jouèrent un rôle infiniment plus important que ceux de la Ligue Communiste ou de l'OCI-AJS dans la structuration du mouvement des CET, dans la formation de comités de grève au niveau de chaque établissement, et de comités de coordination au niveau de chaque ville. C'est tout simplement parce que, aussi bien la Ligue Communiste que l'OCI-AJS se désintéressaient purement et simplement de la question. Ces organisations ne mobilisèrent des militants sur ce problème qu'après la création de la coordination parisienne des CET. Et ce ne fut malheureusement pas pour aider le mouvement des CET à se développer et à conquérir son autonomie, mais au contraire pour essayer de le maintenir à la traîne du mouvement lycéen, comme force d'appoint de ce dernier.
Mais comme la grande majorité des jeunes de CET étaient conscients que s'ils avaient eu raison d'entrer en lutte par solidarité avec leurs camarades lycéens, il leur fallait s'organiser de façon indépendante, pour la défense de leurs propres revendications, la Ligue Communiste et l'OCI-AJS ne pouvaient évidemment pas défendre à visage découvert leur politique de liquidation du mouvement autonome des CET. C'est pourquoi leur politique se ramena finalement à de multiples tentatives de falsification des buts du mouvement, et de sabotage des actions décidées.
Rouge publiait par exemple le 30 mars un article présenté comme une interview d'un membre du collectif parisien des CET (choisi au hasard ? ). «Nous sommes aussi solidaires (des lycéens) contre la loi Debré, d'autant plus que les lycéens et les étudiants se battent pour l'extension des sursis aux jeunes travailleurs. Et ça nous intéresse.» affirmait sans rire l'interviewé. Mais on chercherait vainement dans ce texte une référence à la position adoptée par l'assemblée générale de coordination des CET de la région parisienne, à savoir «le remplacement du service militaire actuel par l'apprentissage des armes sur les lieux de travail ou dans les quartiers».
Informations Ouvrières du 4 avril, dans un article intitulé «CET : nous en avons assez», cite de la même manière les revendications adoptées par les élèves des CET dans leurs assemblées générales et leurs coordinations, mais oublie également, comme par hasard, celle qui est relative à la suppression du service militaire.
Mais ces petites malhonnêtetés ont une signification politique. C'est ainsi que lors de la manifestation des élèves de CET de la banlieue sud, à Corbeil, le 27 mars, des militants de l'AJS tentèrent de créer des incidents en refusant de défiler derrière une banderole «A bas l'armée» (c'est que l'OCI-AJS est contre la suppression des sursis, mais pas contre l'armée bourgeoise), en affirmant que ce mot d'ordre n'avait pas été adopté par le collectif de coordination des CET, alors précisément qu'il terminait le tract publié par le collectif à cette occasion (tract daté du 25 mars). Informations Ouvrières du 4 avril, mentant effrontément, maintient d'ailleurs cette version des faits, mais en se gardant bien, et pour cause, de citer le tract en question.
Lors de la manifestation qui le même jour réunissait au carrefour Marcel Sembat, à Billancourt, les élèves de CET de la banlieue sud-ouest, la Ligue Communiste, quant à elle, avait infiltré en tête de la manifestation des militants qui n'avaient rien à voir avec les CET, avec pour mission d'orchestrer des choeurs de slogans sur le thème «Lycéens, jeunes ouvriers, tous unis contre la loi Debré», et d'essayer d'étouffer ceux adoptés par la coordination des CET
Si la Ligue Communiste et l'OCI-AJS peuvent défendre ouvertement dans le milieu lycéen et étudiant leur politique, c'est-à-dire les revendications catégorielles des lycéens et des étudiants, il n'en est évidemment pas de même auprès des élèves de l'enseignement technique, conscients, dans leur grande majorité qu'ils ont, en tant que futurs ouvriers, des intérêts propres à défendre, et qu'il leur faut s'organiser de manière autonome pour les défendre. Les militants de la Ligue Communiste et de l'OCI-AJS sont donc amenés, vis-à-vis des élèves du technique, pour essayer de prendre la direction du mouvement et le remettre à la remorque des lycéens, à changer d'attitude suivant qu'ils sont devant les élèves de l'enseignement technique eux-mêmes, ou dans les organismes de direction du mouvement, c'est-à-dire au collectif. Devant la base, dans les assemblées générales des CET, ou à la coordination, ils ont viré de bord par rapport au début et sont officiellement d'accord avec ce que pense la majorité des jeunes du technique, c'est-à-dire avec la nécessité d'un mouvement indépendant du technique. Mais au collectif, ils essaient de faire prendre des décisions allant dans un sens diamétralement opposé à cette orientation.
Cela amène les militants de la Ligue Communiste et de l'OCI-AJS à ne pas apparaître en tant que tendance politique se battant sur un programme impossible à défendre dans le technique. Cela les entraîne d'ailleurs à tenter de spéculer sur les préjugés antipolitiques latents. Les militants de la Ligue Communiste et de l'O.CJ.-AJS n'hésitent pas, ainsi, à se parer du douteux manteau de l'apolitisme, et à dénoncer l'intervention des organisations politiques en tant que telles dans le mouvement. L'utilisation de toutes les petites combines pour essayer de faire passer sa politique devient pour eux le fin du fin de la démocratie, tandis que l'apparition d'une tendance politique se présentant à visage découvert, et défendant ouvertement sa politique et ses mots d'ordre, devient synonyme de «manipulations» et de «magouilles».
Informations Ouvrières va même, dans son numéro du 4 avril, jusqu'à reprocher à Lutte Ouvrière d'avoir tiré un tract du collectif des CET, comme s'il n'était pas normal qu'une organisation révolutionnaire apporte son aide technique - avec leur accord - aux organismes de direction que se donnent les jeunes des CET en lutte.
Ces jeunes des CET sont d'ailleurs parfaitement capables de se rendre compte de ce qu'est une intervention politique honnête, à visage découvert,et de ce qu'est une tentative de manipulation. C'est ainsi que, révoltée par le double visage de militants défendant au collectif des positions en contradiction flagrante avec celles qu'ils avaient fait mine d'approuver en coordination, la réunion de la coordination des CET du 3 avril décida de démettre de leurs fonctions, à une écrasante majorité, les membres du collectif qui y défendaient cette politique de la Ligue Communiste, sans avoir eu le courage politique de se présenter aux suffrages des délégués de la coordination sur des bases claires, c'est-à-dire ouvertement sur le programme qu'ils comptaient défendre de fait.
La Ligue Communiste et l'OCI-AJS comme toujours a la remorque de la petite bourgeoisie radicalisée
L'attitude de la LigueCommuniste et de l'OCI-AJS n'est d'ailleurs nullement accidentelle, car ce n'est certes pas la première fois qu'elles se trouvent à la remarque de courants petits-bourgeois plus ou moins radicaux, ni dans ce pays, ni sur le plan international. Mais pour être limité au milieu de la jeunesse scolarisée, le mouvement actuel n'en a pas moins le mérite de mettre en lumière certains traits anti-ouvriers de la politique de ces organisations.
Et quand nous disons anti-ouvrier, nous pesons nos mots. Que la Ligue Communiste et l'OCI-AJS se soient refusé, par opportunisme, à lutter au début du mouvement lycéen pour des reven dications sortant du cadre catégoriel, était déjà une chose politiquement grave. Car vouloir diriger un mouvement social à tout prix, en renonçant pour ce faire à défendre sa propre politique pour ne pas prendre le risque de se couper d'un milieu social petit-bourgeois, c'est prendre le risque de se retrouver à la tête d'un mouvement anti-ouvrier. Le propre d'une organisation révolutionnaire, c'est au contraire d'être capable de défendre son programme, même si cela doit contribuer à la rendre minoritaire. (Le comble, d'ailleurs, dans le cas présent, est que le mouvement lycéen n'était même pas, au départ, hostile à la politisation de sa lutte, comme ont pu le constater les militants de Lutte Ouvrière qui ont défendu le mot d'ordre de suppression du service militaire dans les lycées. L'attitude de la Ligue Communiste et de l'OCI-AJS n'est même pas due à une pression considérable du milieu, mais, pourrait-on dire, à un véritable opportunisme de principe qui les a amené à ne même pas vouloir prendre le moindre risque de se couper des lycéens).
Le mouvement aurait été limité aux seuls lycées, que seul cet opportunisme aurait été visible. Mais l'entrée dans la lutte des élèves des CET, c'est-à-dire de la fraction ouvrière de la jeunesse scolarisée a amené, par voie de conséquence, la Ligue Communiste et l'OCI-AJS à mener la pire des politiques pour des gens se disant révolutionnaires, se réclamant du trotskysme : tout faire pour mettre ce courant ouvrier à la remorque du mouvement petit-bourgeois, essayer de l'empêcher de prendre conscience de son appartenance à une classe sociale différente, de ses intérêts différents, et de la nécessité qui en découle de s'organiser de manière indépendante.
C'est au nom de «l'unité» du mouvement que la Ligue Communiste et l'OCI-AJS mènent cette politique. «Tous les secteurs de la jeunesse peuvent être unifiés» écrivait Informations Ouvrières le 28 mars, pendant que la Ligue Communiste affirmait aux élèves des CET (Technique Rouge du 2 avril) : «Notre force, c'est aussi l'unité dans la lutte avec toutes les couches de la jeunesse». Mais depuis quand l'unité à tout prix a-t-elle été la politique des révolutionnaires ? La seule unité que nous connaissions, qui ait pour nous une valeur, c'est celle des travailleurs. Et l'unité de la jeunesse en tant que telle n'a d'intérêt que si elle se fait sur le programme de la classe ouvrière, et sous la direction du prolétariat.
La politique qui consiste à prêcher à la classe ouvrière la renonciation à ses revendications propres, et à son indépendance organisationnelle, au nom de «l'unité» en soi est certes vieille comme le mouvement ouvrier. Mais ce n'est pas la politique des révolutionnaires. C'est celle des démocrates-bourgeois, celle des staliniens, et celle des opportunistes petits-bourgeois. C'est celle qui amena la tragédie du prolétariat chinois en 1927, et l'écrasement du prolétariat espagnol en 1936-39. C'est celle qui rangea le prolétariat européen, au cours de la Seconde Guerre mondiale, au nom de la résistance, derrière les impérialismes «démocrates». C'est malheureusement aussi celle qui amena la tendance aujourd'hui représentée par la Ligue Communiste, pendant la guerre d'Algérie, à un soutien sans réserve de la politique du FLN, pendant que la tendance aujourd'hui représentée par l'OCI-AJS menait exactement la même politique vis-à-vis du MNA, toutes les deux n'ayant, comme aujourd'hui, qu'un point commun : celui d'être opposées à la lutte pour une organisation prolétarienne indépendante.
Et l'exemple actuel, pour limité qu'il soit, montre aussi que les organisations qui adoptent un tel comportement ne peuvent pas se contenter de défendre leur politique de démission devant les travailleurs : elles en arrivent automatiquement à considérer comme légitimes tous les moyens d'empêcher le développement d'un mouvement ouvrier indépendant, exactement comme la Ligue Communiste en est aujourd'hui à falsifier l'histoire de l'extermination des trotskystes indochinois par le Vietminh.
C'est qu'on ne peut pas se trouver politiquement clans le camp de l'ennemi de classe, sans s'y retrouver avec armes et bagages en cas de crise sociale, comme l'a montré l'histoire du menchévisme et de toute la social-démocratie, comme celle du stalinisme.
Nous espérons que les jeunes militants de la Ligue Communiste et de l'OCI-AJS, qui sont venus à ces organisations en croyant pouvoir y militer pour le socialisme, comprendront à temps la leçon de ces événements. On ne peut se battre pour le socialisme que dans une organisation ouvrière, se situant résolument sur le terrain de classe du prolétariat. Ailleurs, on ne peut que le trahir. Le mouvement des CET s'est donné des structures calquées sur celles qui ont été adoptées par le mouvement lycéen. Dans chaque établissement les élèves prennent leurs décisions, soit en assemblées générales, soit par l'intermédiaire de comités de grève ou de comités de lutte élus. La coordination réunit les délégués (deux par établissement) d'une ville donnée. La coordination parisienne des CET réunit ainsi plus de deux cents élèves des CET, représentant près de 120 établissements différents. Les délégués de la coordination parisienne ont élu un collectif d'une vingtaine de membres, chargé de prendre les décisions entre deux réunions de la coordination, et de préparer celles-ci.