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Les élections législatives : un bilan positif pour les révolutionnaires
Les élections législatives des 4 et 11 mars 1973 n'ont révélé aucun changement notable dans la physionomie électorale française et, a fortiori, n'ont entraîné aucun changement politique.
Le Programme Commun de la Gauche, qui avait reçu la signature du Parti Communiste Français, du Parti Socialiste et des Radicaux de gauche, n'a créé aucune dynamique susceptible de permettre à la «gauche» unie de dépasser ses scores traditionnels. La remontée est nette par rapport aux élections de juin mais ces élections ne peuvent guère servir de référence car, placées sous le signe de la «grande peur de mai» et du «retour à l'ordre» après la tempête, elles avaient favorisé la réaction et, le mode de scrutin aidant, accusé une perte sensible pour la «gauche». En 1973, la gauche unie retrouve ses voix d'avant 1968 sans toutefois égaler en pourcentage les résultats de ses meilleures années.
Dans ces conditions, avec le mode de scrutin en vigueur (uninominal majoritaire à deux tours) et le jeu des désistement il aurait fallu que la gauche ait la majorité absolue au premier tour dans la majorité des circonscriptions pour espérer renverser la situation au Parlement. L'UDR et ses alliés n'avaient pas besoin, eux, d'une telle performance car ils bénéficiaient, en plus d'un découpage électoral sur mesure re qui leur a fourni des députés bon teint au premier tour, du concours, au deuxième tour, des réformateurs et autres divers droite unis dans la «défense sacrée des libertés» contre «le danger communiste».
Au terme du second tour, la majorité reste donc la majorité. Et même si le rapport des forces est modifié au sein même de cette majorité entre l'UDR et les Indépendants, même si les réformateurs - oppositionnels d'hier - voient leur chance de participer au gouvernement par «l'ouverture» s'accroître, la droite dans son ensemble se maintient en voix et en sièges et garde les rênes du pouvoir.
Pour les militants du PCF cela a été incontestablement une déception, mais une déception à la mesure des illusions entretenues. L'enthousiasme qui avait, à la base, salué la signature du Programme Commun de Gouvernement mettant fin à une longue période d'isolement politique du PCF, avait notablement régressé au fur et à mesure que l'on approchait du scrutin. Car il apparaissait au fil des sondages que le Programme Commun avait surtout profité au PS qui dans les prévisions venait en tête de la gauche (de ce point de vue le scrutin du 4 mars devait rétablir la réalité. Le PCF restait à la première place mais de peu).
Cependant, jusqu'au bout, les illusions sur une victoire possible de la gauche unie sont restées bien vivaces chez les militants et sympathisants du PCF.
La politique de changement par voie électorale a donc une fois de plus été mise en échec faisant apparaître plus dérisoires encore les appels du PCF pendant la période pré-électorale pour qu'aucun mouvement social intempestif ne vienne compromettre les chances du Programme Commun.
Mais si certains militants du PCF remâchent aujourd'hui leur désillusion, la classe ouvrière est loin d'être démoralisée. Elle souhaitait la victoire de la gauche, mais, dans l'ensemble, sans trop y croire.
Les travailleurs révolutionnaires, eux, de leur côté, ont toute raison d'être optimistes. D'abord, bien sûr, parce qu'ils n'attendaient rien de ces élections. Ils ont au contraire durant toute la campagne dénoncé les illusions électoralistes, l'escroquerie de la démocratie bourgeoise et du suffrage universel.
Ensuite, parce qu'ils ont voulu, dans celle campagne, être les porte-parole des travailleurs les plus combatifs, de ceux qui ne faisaient pas confiance aux faiseurs de promesses et qui ne comptaient que sur leur classe pour obtenir le changement tant souhaité.
Enfin, parce que les résultats obtenus dans la consultation elle-même sont loin d'être négligeables. Partout dans les circonscriptions où se présentèrent des candidats Lutte Ouvrière, le score de Krivine aux élections présidentielles de 1969 a été doublé.
Pour les révolutionnaires, les élections n'ont d'autre valeur que de fournir, de façon certes imparfaite et limitée, des indications malgré tout significatives sur la compréhension, l'état d'esprit et la conscience des votants.
Parce qu'elle déborde le cadre trop circonscrit de leur sphère d'activité habituelle, la consultation électorale permet aux révolutionnaires de prendre le pouls de l'ensemble de la classe ouvrière (du moins celle qui vote) et de faire le point. Dans cette campagne Lutte Ouvrière s'était donné pour but, en présentant des candidats, de permettre aux travailleurs d'exprimer leur méfiance vis-à-vis des formations traditionnelles de la gauche et leur volonté de lutte. Aucun autre vote n'offrait cette possibilité. A ce titre les voix qui se sont portées sur Lutte Ouvrière dépassent largement le cadre de ses sympathisants proprement dits, et traduit incontestablement un certain degré de conscience des travailleurs.
Dans les 171 circonscriptions où elle présentait des candidats, Lutte Ouvrière recueille près de 200 000 voix, soit 2,29 % des suffrages exprimés. Ce chiffre faible certes n'est nullement négligeable quand on le compare avec ceux obtenus par le seul PCF et par la gauche unie. 200 000 voix cela représente dans les 171 circonscriptions concernées 10 % des voix recueillies par le PCF, 5 % des voix obtenues par toute la gauche. Cela signifie que pour 10 électeurs qui ont volé PC F., il y en a eu 1 qui a voté révolutionnaire. 1 pour 10 c'est un rapport qui commence à compter surtout quand il s'agit d'une minorité révolutionnaire. Et ce n'est pas par forfanterie que nous disons que ces voix sont des voix de travailleurs. Les résultats par bureau de vote confirment que ce sont dans les quartiers ouvriers que nous avons obtenu les scores les plus importants (8 à 10 % dans certains cas). Quant à l'origine politique de ces voix, une étude comparative des résultats obtenus par Lutte Ouvrière dans les circonscriptions où elle se présentait seule et les circonscriptions où elle se présentait en concurrence avec le PS U. montre que ce n'est pas au PSU que Lutte Ouvrière a pris la majorité de ses voix.
D'ailleurs le PSU perd sensiblement autant de voix là où il se présentait seul que là où il se présentait en concurrence avec Lutte Ouvrière. Un calcul portant sur 42 circonscriptions (10 dans la région parisienne et 32 en province) choisies parmi celles où le PSU présentait des candidats en 1968 et en 1973, et où le 4 mars dernier il se présentait seul, fait apparaître les pertes suivantes :
- province : - 2,44%
- région parisienne : - 2,72%
- moyenne : - 2,50%
Le même calcul portant toujours sur 42 circonscriptions (10 dans la région parisienne et 32 en province) où cette fois le PSU se présentait en concurrence avec Lutte Ouvrière donne les modifications suivantes par rapport à 1968 :
- province :- 2,60%
- région parisienne : - 2,00%
- moyenne : - 2,49%
Comme on le voit, tous ces chiffres se tiennent de très près et la moyenne totale, qu'il y ait ou non un candidat révolutionnaire, est pratiquement identique dans les deux cas : 2,50 % de perte par rapport aux suffrages exprimés. Vers quelles formations se sont porté ces 2,50 % de perte du PSU ? Vraisemblablement en majorité vers le PS qui accuse une nette remontée dans cette campagne, en minorité vers les candidats révolutionnaires. Les voix recueillies par Lutte Ouvrière ne viennent donc pas en majorité du PSU Outre les 1 % de voix comptabilisées comme révolutionnaires lors des élections présidentielles en 1969 (résultats obtenus par Krivine) nous sommes fondés à penser que la plupart des voix de Lutte Ouvrière viennent de l'électorat communiste, hypothèse qui semble confirmée par l'étude des résultats par bureau de vote.
L'importance de ce fait s'est d'ailleurs trouvée tacitement confirmée par l'attitude du PCF qui rompant avec sa politique d'ostracisme et de calomnie vis-à-vis des révolutionnaires - «alliés de la bourgeoisie et manipulés par la préfecture» - a dans maintes circonscriptions comptabilisé les voix de Lutte Ouvrière avec celles de la gauche dans sa mobilisation pour le deuxième tour. Indéniablement Lutte Ouvrière s'est imposée comme un courant avec lequel, même sur le simple plan électoral, il faudra compter. Même sur le simple plan électoral, car sur celui de la lutte sociale il est évident que le rôle des minorités révolutionnaires peut être beaucoup plus grand que leur taille ne le laisserait supposer.
Enfin, à l'intérieur même de l'extrême gauche, Lutte Ouvrière a remporté un succès. Seules les formations trotskystes présentaient des candidats (les maoistes prônant l'abstention révolutionnaire). Il convient de rappeler que la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière avaient conclu en décembre un accord politique par lequel elles s'engageaient à ne pas se concurrencer au niveau des circonscriptions et à appeler à voter l'une pour l'autre là où elles ne présentaient pas de candidats. L'AJS-OCI n'ayant pas signé l'accord, trouvait, elle, dans chacune des vingt circonscriptions où elle se présentait, un concurrent en la personne d'un candidat de la Ligue ou de Lutte Ouvrière.
Il ressort de l'étude comparée des résultats obtenus par ces trois formations, que c'est Lutte Ouvrière qui obtient le plus de voix. Non seulement en valeur absolue (puisque Lutte Ouvrière présentait 171 candidats, la Ligue 90 et l'OCI. 20) mais également et, c'est le plus remarquable, en pourcentage. La moyenne de LO est de 2,29 %, celle de la Ligue 1,80 % et celle de l'AJS 0,83 %.
Ces chiffres bien entendu ne sont significatifs que par rapport aux élections. Il est vrai que l'AJS se présentant sur une ligne politique fausse, celle du front unique ouvrier PC-PS ne pouvait qu'aller au devant des déboires. Il est vrai que la Ligue, sensible aux pressions abstentionnistes de son milieu menait, sans trop y croire, une campagne trop générale dans ses thèmes et parfois «ultra-gauchiste» dans ses termes. Il est vrai aussi que seule Lutte Ouvrière proposait aux travailleurs un vote ayant la valeur utile d'un avertissement, un vote qui leur permettait de traduire clairement une méfiance légitime vis-à-vis des ténors et des promesses de la gauche unie.
Mais ce n'est précisément pas par hasard si c'est Lutte Ouvrière qui pouvait proposer ce choix aux travailleurs. Et la façon dont nous avons mené campagne, la façon dont nous avons axé nos interventions, a été comme toujours déterminée par notre volonté de servir au mieux les intérêts ouvriers, Les révolutionnaires ne se présentent pas dans le simple but de se compter ou de faire de la propagande pour leurs idées, mais pour permettre aux travailleurs de faire un geste politique qui puisse être important pour eux mêmes.
Vote de méfiance et d'avertissement, le vote pour Lutte Ouvrière ouvrait une perspective qui ne s'arrêtait pas aux élections.
Aujourd'hui, l'épisode électoral est définitivement clos. Les illusions, les promesses, les calculs et les combines sont remisés au second plan par l'évolution de la situation politique et sociale dans le pays. Et quand nous disions que 80 OS en grève au Mans, et a fortiori un million de grévistes dans le pays pouvaient faire plus que onze millions d'électeurs de gauche, nous n'espérions pas que les événements confirmeraient si tôt nos propos. Aujourd'hui des dizaines, des centaines de milliers de jeunes qui n'ont pas le droit de vote mais qui prennent celui de manifester dans la rue et de faire grève dans leurs établissements, quelque 400 OS émigrés - et donc privés eux aussi du droit de vote - en grève illimitée depuis plus de quinze jours chez Renault, font plus, sinon pour changer la vie, du moins pour changer leur sort, que les millions d'électeurs qui ont confié aux urnes, le 4 mars dernier, le soin de déterminer leur avenir. C'est de la conscience des travailleurs et de leur combativité que les révolutionnaires tirent leur force et leur optimisme fondamental.