Quand l'opportunisme s'appelle le «Front unique ouvrier» ou le «vote de classe»01/02/19731973Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Quand l'opportunisme s'appelle le «Front unique ouvrier» ou le «vote de classe»

L'un des principaux problèmes qui se pose aux révolutionnaires de ce pays, concerne la politique qu'il leur convient d'avoir envers les deux grands partis de gauche, le PCF et le PS L'un et l'autre ont abandonné depuis longtemps toute politique révolutionnaire et ne défendent plus en rien les intérêts des travailleurs, tous deux se sont placés depuis des années au service de la bourgeoisie. Très directement et ouvertement pour le PS, dont la plupart des dirigeants ont été ministres, sinon chefs de gouvernement, de la Quatrième et même de la Cinquième République. Moins directement pour le PCF, sauf à certaines périodes comme celle de l'après-guerre, où il y eut aussi des ministres. Mais cela a tenu bien plus à la volonté de la bourgeoisie qu'à celle du PCF lui-même. Pourtant l'énorme majorité de la classe ouvrière reste sous l'influence de ces partis, leur accorde ses suffrages et met, malgré certaines réticences et quelque méfiance, une bonne partie de ses espoirs en eux. Et c'est à eux qu'adhèrent la plupart des militants politiques ouvriers.

Pour les révolutionnaires, il s'agit donc de trouver la ligne juste qui tienne compte de deux nécessités quelque peu contradictoires : d'une part celle de dénoncer la nature et la politique de ces partis réformistes ou staliniens, d'autre part celle de partir du niveau de conscience des masses ouvrières elles-mêmes pour les aider à faire leur propre expérience, seule chose capable de les faire progresser, et que, ni les discours, ni les dénonciations des révolutionnaires ne peuvent remplacer.

Entre ces deux exigences la voie est, comme toujours, étroite. N'obéir qu'à la première, se contenter de dénoncer agissements et trahisons du PS et du PCF, revient à renoncer à jouer un rôle politique, à renoncer à participer au combat de la classe ouvrière là où elle le livre et au niveau où elle le livre, à adopter une attitude gauchiste. Par contre ne tenir compte que du niveau de conscience des masses ouvrières, c'est-à-dire essentiellement de leurs illusions, c'est renoncer à combattre celles-ci, ou même contribuer à les renforcer ou les créer, c'est tomber dans l'opportunisme et tourner le dos d'une autre manière à la lutte révolutionnaire.

Sur ce sujet, les périodes électorales, du fait justement que de larges masses d'habitude plus ou moins indifférentes à la vie politique lui prêtent soudain attention et qu'il s'agit alors de s'adresser à elles, sont de celles où la politique de chacune des organisations apparaît avec le plus de clarté.

Et c'est bien ce qui se passe à propos des élections législatives du 4 mars prochain. Le gauchisme ou l'opportunisme de chacune des tendances forcée de prendre position - et l'abstention en est une - apparaissent encore plus nettement que d'habitude.

Et si l'attitude gauchiste des groupes maoïstes prônant purement et simplement l'abstention, en se contentant de stigmatiser les trahisons du PCF et du PS, est mise à nouveau en plaine lumière, l'attitude opportuniste de certaines des organisations trotskystes ne se manifeste pas avec moins d'éclat.

L'OCI et le Front unique ouvrier

Depuis des années, en toutes circonstances, en tous lieux et à tous propos, l'OCI met en avant le mot d'ordre de «Front unique ouvrier». Nul ne s'étonnera donc que ce soit encore son mot d'ordre central pour ces élections.

Dans un appel intitulé «classe contre classe» publié dans le numéro 592 (semaine du 4 au 10 janvier 1973) d'Informations Ouvrières, l'OCI et l'AJS définissent ainsi leur position :

«Au premier et au second tour des élections législatives : pas une voix aux candidats des partis bourgeois (UDR, Républicains indépendants, Réformateurs, Radicaux de droite et de gauche).

Dès le premier tour : votez uniquement pour l'organisation ou le parti ouvrier de votre choix le PS, le PCF, l'OCI-AJS.

Dès le premier tour : là où ils se présentent, votez pour les candidats de l'OCI et de l'AJS.

Au second tour : toutes les voix se reportent sur le candidat du parti ouvrier en tête des candidats des partis ouvriers au premier tour.»

Et plus foin elles ajoutent: «Il faut choisir: gouvernement lié aux intérêts du capital ou gouvernement du PS et du PCF sans ministres représentant les partis et les intérêts du capital».

L'OCI fait donc campagne pour que le PCF et le PS, les deux partis ouvriers de ce pays selon elle, rompent avec les radicaux de gauche, leurs alliés au sein de l'Union de la Gauche. Elle fait campagne pour la formation d'un gouvernement PS-PCF, qui serait un gouvernement, ouvrier toujours selon l'OCI.

Et dans un feuilleton polémique que l'OCI soutient depuis plusieurs semaines dans les colonnes d'informations Ouvrières contre la Ligue Communiste, elle justifie sa politique actuelle par des références aux analyses de Trotsky sur la situation française des années 1934-1936, sur la nécessité alors du Front unique PS-PCF et sur la nature du Front populaire.

Ainsi une fois de plus l'OCI, pour justifier ses prises de positions actuelles, emploie une méthode qui lui est habituelle et qui consiste à plaquer mécaniquement sur la situation présente des mots d'ordre et des analyses qui furent dans un passé plus ou moins lointain, et à juste titre alors, ceux du mouvement communiste et du mouvement trotskyste.

Lorsque l'Internationale Communiste, dans les années 1922-1923 mit en avant le mot d'ordre de «Front unique prolétarien» de quoi s'agissait-il ? De permettre à de jeunes partis communistes, bien vivants mais qui avaient en face d'eux des partis sociaux-démocrates qui conservaient une influence sur la majorité du prolétariat, de proposer une perspective à la classe ouvrière tout entière, de répondre au désir d'unité qui se faisait jour parmi elle, de lui permettre de mener les luttes nécessaires. En proposant le front unique aux partis sociaux-démocrates, les partis communistes soit pourraient les entraîner du côté de la révolution dans la lutte (alternative guère probable sinon pour une fraction de ces partis, mais qui méritait d'être offerte), soit feraient la preuve auprès de tous les travailleurs de la responsabilité de chacun des partis dans la division ouvrière.

Lorsque dans les années de la montée nazie en Allemagne l'opposition de gauche militait pour le «Front unique ouvrier» il s'agissait alors d'arracher le Parti Communiste Allemand, que l'opposition de gauche considérait encore comme un parti révolutionnaire, à la funeste et absurde politique dite de la «troisième période» sous la direction stalinienne de l'Internationale Communiste. Il s'agissait de l'inciter à mener la seule politique qui, en unissant les forces de la classe ouvrière allemande, pouvait permettre à celle-ci de résister au fascisme et lui ouvrir la voie de la révolution. Et si après 1933, en France, le mouvement trotskyste continua à défendre le «Front unique ouvrier» c'était contre la même politique sectaire, absurde et criminelle des dirigeants staliniens dont on venait de voir les résultats en Allemagne.

A chaque fois le mot d'ordre de «Front unique ouvrier» était fondé sur la situation et le rapport des forces respectives du parti révolutionnaire et des partis réformistes, de la situation et des problèmes auxquels la classe ouvrière avait à faire face, des aspirations qui se faisaient jour dans ses rangs et de son niveau de conscience.

A quoi pourrait-il correspondre aujourd'hui, en France, en 1973 ?

Dans la masse des travailleurs aucun sentiment n'apparaît concernant l'unité des forces révolutionnaires avec les partis réformistes ou staliniens. Ces forces révolutionnaires semblent bien trop faibles pour que leur séparation d'avec les organisations réformistes ou staliniennes soit ressentie comme une division de la classe ouvrière elle même. En fait les révolutionnaires en sont toujours à combattre pour gagner leur place au sein du mouvement ouvrier. C'est là la première caractéristique de notre période.

D'ailleurs ce n'est pas à cette unité-là que pense l'OCI puisqu'elle rejette elle-même tout le mouvement révolutionnaire hors du mouvement ouvrier. Ainsi, par exemple, quand elle appelle à voter ouvrier aux prochaines élections précise-t-elle bien que - outre l'OCI évidemment, mais elle ne présente qu'une vingtaine de candidats - il ne peut s'agir que du PCF ou du PS, et en aucun cas de Lutte Ouvrière ou de la Ligue Communiste. Et comme la crainte du ridicule l'empêche tout de même de parler d'un gouvernement PS-PCF-OCI, elle se borne donc à militer pour un gouvernement PS-PCF Comme quoi le Front unique en revient tout simplement à militer pour l'unité des staliniens et des réformistes... à l'exclusion des révolutionnaires.

Pour des gens qui se prétendent trotskystes, cette simple perspective est en elle même passablement absurde. Aujourd'hui elle l'est d'autant plus que ce front unique staliniens-réformistes est réalisé depuis des mois. Le PCF et le PS ont signé un programme commun de gouvernement. Ils ont entre eux un accord qui prévoit le désistement réciproque au second tour. Ils disent qu'en cas de victoire électorale de la gauche ils gouverneront ensemble. Et, vu la nature de ces deux partis, c'est évidemment là le seul front qu'ils peuvent conclure entre eux.

L'OCI qui a dû se sentir un instant tournée sur sa gauche, a trouvé autre chose : militer pour le Front unique c'est maintenant militer pour la rupture avec les radicaux de gauche.

Mais la présence de ceux-ci ne change rien de fondamental dans la nature de l'alliance entre le PCF et le PS La preuve en est que le programme commun a été signé d'abord par les seuls PS et PCF. Les radicaux de gauche ne sont venus s'y joindre que quelque temps après, nullement gênés d'ailleurs par les termes de cet accord.

«Gouvernement du PS et du PCF sans ministres représentant les partis et les intérêts du capital» réclame l'OCI qui, démarquant une formule de Trotsky, caractérise l'Union de la Gauche comme une alliance des partis ouvriers avec la grande bourgeoisie représentée par le parti radical.

Mais aujourd'hui la grande bourgeoisie ou les intérêts du capital sont représentés directement par les hommes qui sont à la tête du PS, les Mitterrand, Mollet, Defferre, tous gens qui dans le passé ont occupé maintes places de ministres, ont fait leur preuve de serviteurs loyaux de la bourgeoisie française. Si au sein de l'Union de la Gauche, la bourgeoisie peut confier ses intérêts à un homme, c'est sans doute bien plus à François Mitterrand, qui a un autre passé gouvernemental et un autre crédit politique que le leader des radicaux de gauche, qu'à Robert Fabre.

Non seulement les rapports de force ont changé depuis 1936 entre les radicaux et le PS, au point que les premiers apparaissent un peu comme un appendice des seconds. Ainsi ils ont conclu ensemble une alliance dès le premier tour des élections et sur les 473 candidats présentés en Métropole par les partis socialistes et radicaux de gauche réunis, les seconds ne sont que 59. Mais surtout le PS lui-même a changé. Ou plutôt il n'a fait que descendre la pente sur laquelle il était déjà engagé à l'époque.

Si l'on peut encore parler de parti ouvrier à son propos c'est uniquement par l'influence électorale qu'il conserve encore, dans certaines régions tout au moins, sur la classe ouvrière et surtout par la tradition qui veut que les travailleurs, du fait de sa lointaine origine, le considèrent encore comme tel.

Que nous devions tenir compte de cela n'est pas en question. Mais cela ne doit pas masquer non plus que par la quasi-disparition de ses militants ouvriers, par sa composition sociale faite de notables, et surtout par les hommes politiques qui composent sa direction, il s'agit ni plus ni moins que d'un parti bourgeois qui a une teinture de gauche. Exactement comme l'étaient les Radicaux en 1936. D'ailleurs à partir de 1945, et jusqu'à ce que la mainmise complète de l'UDR sur le gouvernement et l'appareil d'État n'écarte rudement les socialistes de la mangeoire gouvernementale, le PS, ou plutôt à l'époque la SFIO, remplit exactement le rôle de pivot de la plupart des gouvernements qui fut celui du parti radical sous la Troisième République.

Quand, il y a quelque temps, la SFIO se transforma en PS par l'adjonction de quelques hommes politiques connus, dont Mitterrand, et décida de mettre celui-ci à sa tête, l'OCI prétendit alors batailler pour empêcher les socialistes de se mettre à la remorque d'un homme politique bourgeois. Passons sur le fait que l'OCI semblait oublier que depuis des années cette même SFIO était déjà dirigée par Guy Mollet ou Gaston Defferre. Constatons tout simplement qu'aujourd'hui la nature bourgeoise de Mitterrand est à nouveau carrément oubliée par l'OCI qui ne retient plus que la nature ouvrière du PS. Alors demain, si Robert Fabre et ses amis radicaux de gauche adhèrent au PS, ou s'ils forment avec celui-ci un parti «socialiste radical», par exemple, - ce qui n'est nullement impossible et même serait l'aboutissement logique de l'opération Mitterrand qui consiste à essayer de mettre sur pied un grand parti de la gauche non communiste - que dira l'OCI ? Fabre deviendra-t-il à son tour un leader ouvrier comme semble l'être devenu Mitterrand ? Qu'une telle question puisse être posée montre toute l'absurdité des schémas de l'OCI.

En fait la présence des radicaux de gauche n'a rien changé à la nature de l'Union de la Gauche. Avant qu'ils ajoutent leur signature au bas du programme commun, l'alliance conclue entre PCF et PS n'avait pas plus à voir avec un quelconque Front unique ouvrier qu'après. Et si Mitterrand a tenu à leur présence, ce n'est pas parce qu'il avait besoin d'eux pour joindre la grande bourgeoisie, nais pour des raisons de tactique électorale, et surtout pour rééquilibrer à droite l'Union de la Gauche et donner un gage supplémentaire à la bourgeoisie qui aurait pu s'inquiéter de voir le PS seul face au PCF.

Pour justifier l'opportunisme

En fait, la politique de l'OCI, quelles que soient ses justifications, recouvre tout simplement, et bien mal d'ailleurs, un opportunisme systématique et quasi congénital envers les bureaucraties réformistes ou staliniennes.

Les appels au Front unique et les appels pour un gouvernement PCF-PS n'ont d'autre but que de tenter de se faire admettre par les directions du PCF et du PS. Car c'est vis-à-vis d'elles que l'OCI milite sur le plan politique, exactement comme sur le plan syndical c'est vis-à-vis de Séguy ou, surtout, de Bergeron.

Et pour cela l'OCI non seulement est prête à baptiser ouvriers des partis ou des politiciens bien bourgeois, mais elle est prête à gommer les faits, à oublier le passé et la nature de ces gens dont elle quête, en vain d'ailleurs, l'alliance.

Ainsi, dans l'appel dont nous avons parlé plus haut, l'OCI s'en prend violemment aux radicaux de gauche : «est-il possible de «changer la vie» en s'alliant à Filipi (ministre de Pétain, banquier), à Lamirault (PDG d'Alfa Roméo), à Maroselli (administrateur de compagnie d'assurance), à Maurice Faure (député réactionnaire, politicien présent dans toutes les combinaisons bourgeoises), à Fabre (digne successeur de Daladier et compagnie) ainsi qu'à toute une bande de politiciens bourgeois corrompus ?»

Mais il n'y a pas un mot contre les Mitterrand, Mollet, Defferre. Il n'y a pas un mot sur le passé des dirigeants socialistes ou communistes. Pas un mot sur la politique que mena au pouvoir le PS et même le PCF Pour l'OCI, tous ces gens n'ont qu'une caractéristique : ils sont les représentants des partis ouvriers. Ainsi les furieuses attaques contre les radicaux de gauche, ces «représentants de la grande bourgeoisie», n'ont d'autre fonction que de présenter PS et PCF comme les représentants des intérêts ouvriers, au mépris de toute vérité.

Bien révélatrice de cette attitude, qui consiste à tenter de gagner les bonnes grâces des dirigeants réformistes, est l'interview «du camarade Michel Gabillon, l'un des secrétaires de la Fédération du Parti Socialiste de Haute-Saône», publiée dans le numéro 591 d'Informations Ouvrières. Dans la deuxième circonscription de Haute-Saône, la direction nationale du PS a décidé de ne pas présenter de candidats socialistes et d'investir un radical de gauche. Marcel Gabillon se plaint amèrement de cette attitude de sa direction nationale. Informations Ouvrières lui ouvre complaisamment ses colonnes, se fait le défenseur des intérêts du PS (ou du moins ce qu'elle estime les intérêts du PS). Gabillon termine son interview par ces mots : «Nous ferons donc campagne pour le programme. commun, nous organiserons des assemblées-débats avec les militants du PCF et essaierons ainsi de pousser à gauche la candidature Maroselli (le radical de gauche présenté - N.D.L.R.)». Cette conclusion devrait faire bondir n'importe quel révolutionnaire trotskyste. Elle devrait faire bondir même un rédacteur de IO puisqu'elle est en contradiction avec ce qu'il écrit et dit par ailleurs. Mais non IO n'a rien à ajouter à l'interview IO voulait prouver qu'elle était prête à se mettre à la disposition des réformistes. Elle est même prête dans sa joie d'être utilisée par eux à cautionner des positions qui sont à l'opposé des siennes. L'opportunisme a une certaine logique qui a mené bien loin des gens, y compris d'une autre envergure que ceux de l'OCI .

C'est cette logique qui vient d'ailleurs d'amener l'OCI à faire un pas de plus dans le marais en reprenant à son compte les calomnies que l'on avait jusque-là l'habitude d'entendre seulement dans la bouche des staliniens contre le mouvement trotskyste. En laissant Stéphane Just déclarer devant la presse et répéter dans des meetings que les candidats de la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière sont des «crypto-staliniens, propulsés par la bourgeoisie», en faisant répandre par tous leurs militants que c'est la bourgeoisie qui finance notre campagne électorale, il s'agit encore pour les dirigeants de l'OCI de gagner les bonnes grâces des dirigeants du PCF et du PS. Pour cela, s'il le faut, ils sont prêts à porter des coups au mouvement révolutionnaire, à reprendre à leur compte ce qu'ils savent parfaitement être de pures calomnies, pour en avoir été victimes eux-mêmes.

Mais quand on décide de gagner les faveurs par la servilité, il n'y a pas de bassesses auxquelles on ne puisse être amené.

L'ironie de l'histoire, et qui pourrait réjouir fort un observateur qui ne serait pas partie prenante, c'est évidemment que réformistes et staliniens ne tiendront aucun compte ni ne sauront aucun gré à l'OCI de ses platitudes. Il n'en est pour preuve que l'article de Léo Figuères dans le numéro 1420 de France-Nouvelle, l'hebdomadaire central du Parti Communiste Français. Le spécialiste du PCF sur les questions du gauchisme renvoie tout le monde, l'OCI comme la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière sur le même plan. Les pauvres turlupinades de Just ne servent à rien.

L'OCI devrait savoir que la seule chose qui peut compter aux yeux des politiciens réformistes ou staliniens c'est le rapport de force. Et ce n'est pas par sa politique actuelle qu'elle permettra de le changer, bien au contraire.

La Ligue Communiste et l'Union de la Gauche

La Ligue Communiste, elle, a passé un accord politique avec Lutte Ouvrière et devrait présenter environ 130 candidats. Au premier tour, elle appelle à voter dans les autres circonscriptions pour les 170 candidats de Lutte Ouvrière.

Mais d'ores et déjà, elle a annoncé qu'au deuxième tour elle appellerait à voter pour les candidats de l'Union de la Gauche (PCF, PS ou Radicaux de gauche). Un tel appel lancé dès avant le début de la campagne, et surtout sans aucune réserve ni à propos des hommes et des partis qui composent cette Union de la Gauche, ni même en attendant les résultats du premier tour, semble déjà contradictoire avec le fait que les révolutionnaires se présentent nationalement au premier tour face aux candidats de l'Union de la Gauche. En fait, que la Ligue Communiste le veuille ou non, il apparaît bien comme une sorte de ralliement, même s'il est plein de réticences, à l'Union de la Gauche. Et c'est bien ainsi qu'il a été interprété par les observateurs politiques.

Il y a deux ans, lors d'une élection partielle, dans le douzième arrondissement de Paris,la Ligue qui soutenait les candidats présentés par le PSU et Lutte Ouvrière avait absolument refusé d'appeler au deuxième tour à voter pour le candidat du PCF. A l'époque, elle subissait surtout la pression du milieu gauchiste étudiant violemment anti-PCF. Et sa préoccupation était de ne pas heurter ni ce milieu, ni ses préjugés.

Aujourd'hui ce milieu gauchiste a sinon disparu du moins considérablement diminué d'importance. Par contre dans tous les milieux, y compris dans les milieux intellectuels naguère favorables aux gauchistes, l'Union de la Gauche, qui semble offrir un espoir de changement et avoir une chance de remplacer la majorité gaulliste, connaît une brusque faveur. La Ligue a donc changé avec le vent dominant. Le besoin qu'elle a éprouvé de prendre position, si nettement et dès maintenant pour le second tour, répondait à la pression subie en ce sens, à la volonté de s'excuser d'avance en quelque sorte de présenter des candidats révolutionnaires au premier.

La Ligue appuie son attitude sur l'analyse suivante, que l'on trouve sous la plume d'Henri Weber dans le numéro 184 en date du 16 décembre 1972 de Rouge, sous le titre «Qu'est-ce qu'un vote de classe ?» :

«... On ne peut analyser l'Union de la Gauche comme si le PS et Mitterrand y avaient déjà assis leur hégémonie, alors qu'en signant le programme commun et en répudiant publiquement l'alliance centriste, ils sont en fait passés sous les fourches caudines du PC Par delà les considérations journalistiques, il faut analyser la réalité de classe que recouvre l'UG (l'Union de la Gauche - N.D.L.R). Force est de constater que l'UG se différencie des expériences frontistes classiques (Front populaire, Libération) en ce qu'elle ne représente pas une alliance de classes entre le prolétariat et une fraction dirigeante de la grande bourgeoisie, sous direction de cette dernière mais une alternative réformiste globale du mouvement ouvrier traditionnel. Il n'y a pas dans l'UG de partis réellement représentatifs du grand capital, comme le parti radical en 1936 ou le MRP en 1945. Les «radicaux de gauche» et le PS, groupements vestiges et marginaux, ne sont pas des partis de la grande bourgeoisie. Dans l'UG, c'est le PCF, parti ouvrier réformiste, qui est aujourd'hui hégémonique. C'est lui qui a imposé ses conditions. C'est cette hégémonie du PC qui donne à l'ensemble de l'alliance sa nature de classe et non la présence de tel ou tel politicien bourgeois.»

Et dans la résolution politique de son congrès tenu les 7, 8, 9 et 10 décembre dernier, la Ligue affirmait : «en effet, dans le contexte actuel, si une victoire électorale de la gauche demeure improbable, un succès relatif pourrait suffire à accélérer le déclenchement d'une crise politique en encourageant la mobilisation ouvrière et en aggravant les divisions de la bourgeoisie».

Cette idée a depuis été reprise maintes fois dans les réunions publiques ou la presse de la Ligue. Ainsi, si l'on en croit Le Monde du 30 janvier 1973, Alain Krivine, lors d'un meeting tenu à Bordeaux quelques jours auparavant aurait répété que la Ligue appelait à voter pour l'Union de la Gauche au second tour «dont SEULE (souligné par nous N.D.L.R.) la victoire permettra de développer les luttes ouvrières».

Il est sans doute difficile de présenter une vue plus fausse de la situation en si peu de phrases.

Le problème des rapports de force dans l'Union de la Gauche se place sur un tout autre plan que celui de l'importance numérique des différents partis qui la composent. Mais ne serait-ce que sur ce plan, les radicaux de gauche et le PS sont si peu «des groupements vestiges et marginaux» qu'aujourd'hui la question est posée de savoir si leurs candidats, qui se présentent ensemble dès le premier tour, ne vont pas totaliser plus de voix que ceux du PCF. Pour la première fois depuis vingt cinq ans, l'ambition du PS, d'apparaître comme le parti de gauche français le plus important, sur le plan électoral du moins, ne semble plus un simple rêve.

La Ligue nous dira sans doute qu'il ne s'agit là que de résultats électoraux et que du point de vue du nombre de militants, et surtout des militants ouvriers, de l'influence dans les syndicats, de la présence sur les lieux de travail ou les lieux d'habitation de la classe ouvrière, le PCF reste bien, de très loin, le parti le plus important. C'est vrai. Il est même la plupart du temps le seul. Le PS n'a pratiquement aucune activité sur ce terrain. Non seulement il a très peu de militants, même en tenant compte que depuis la création du nouveau PS quelques membres de la CFDT y ont adhéré, mais ils n'apparaissent à peu près jamais en tant que tels.

Seulement l'Union de la Gauche est une alliance de partis qui se placent sur le seul plan des institutions, sur le seul plan électoral. C'est donc sur celui là, et non sur celui de l'influence et de l'audience dans les entreprises qu'il faut juger de l'importance relative de chacun des partis. Et ce seul fait fondamental suffit à rendre absurde l'idée que ce serait le PS qui serait passé sous les fourches caudines du PCF. C'est celui-ci, au contraire, qui en renonçant à placer toute action de l'Union de la Gauche sur les terrains où il pourrait être hégémonique, pour reprendre le langage de la Ligue, a accepté d'avance la prééminence de Mitterrand. Et puis, surtout, tout le monde sait déjà et l'a admis - et le PCF tout comme les autres - que si, par hypothèse, il y avait demain une majorité de gauche au Parlement et finalement un gouvernement de gauche, le chef de ce gouvernement serait Mitterrand lui-même ou à défaut un autre homme du PS, mais en aucun cas un membre du PCF Et cela, quelle que soit l'importance relative dans le prochain scrutin du PS et du PCF Et cela même si les derniers sondages, qui font état de la nouvelle faveur des socialistes auprès de l'électorat, se révèlent absolument faux; Tout le monde connaît dans ses grandes lignes la composition d'un éventuel gouvernement de gauche. Ce serait un gouvernement dans lequel le PS se taillerait la part du lion, les radicaux de gauche auraient une importance proportionnellement bien plus grande que leur influence réelle dans le pays et même sur le seul plan électoral et le PCF au contraire une part réduite. Drôle de manière, vraiment, de faire passer les autres sous les fourches caudines ?

Quant à spéculer sur la crise politique ou la mobilisation ouvrière qu'un succès même relatif de l'Union de la Gauche amènerait automatiquement, c'est avoir des rapports entre la classe ouvrière et les partis qui prétendent la représenter une vue quelque peu simpliste.

Certes, le succès du Front populaire en 1936 déclencha la plus grande et la plus forte vague de grèves que l'on n'ait jamais vue jusque-là dans ce pays. Mais, au contraire, la présence du PCF aux côtés du PS au gouvernement à la libération servit d'éteignoir aux espoirs et à la combativité des travailleurs. Elle permit au contraire à la bourgeoisie française de traverser cette période sans avoir à affronter la classe ouvrière qui fut bel et bien démobilisée par la présence de ministres socialistes et communistes. Même chose - quoique le PCF n'était pas au gouvernement mais assurait seulement le PS de son soutien - avec la victoire, en 1956, du Front républicain, qui permit à Mollet d'envoyer le contingent en Algérie et de préparer la venue de de Gaulle.

Car en fait, l'Union de la Gauche n'est nullement, contrairement à ce qu'affirme la Ligue Communiste, «une alternative réformiste globale». C'est, bien plus simplement, une solution de rechange pour la bourgeoisie française, au cas où la majorité actuelle ou l'alliance de la majorité actuelle avec les réformateurs centristes ou toutes les combinaisons possibles de ces divers partis, se révéleraient impraticables.

Si les mots ont un sens, en effet - et bien que nous devions avouer que cette formule que nous pensons comprendre globalement ne nous ait pas semblé d'une clarté absolue - une «solution réformiste globale» signifierait que l'Union de la Gauche propose un programme qui viserait à une transformation profonde de la société, en faveur des travailleurs, mais sans envisager les moyens révolutionnaires de le faire aboutir et de l'appliquer.

S'il en était ainsi la tâche des révolutionnaires pourrait être de tout faire pour démontrer et faire éclater la contradiction entre les buts avoués des réformistes et leur refus d'employer les seuls moyens qui permettraient de les atteindre. Et pour cela, de tout faire pour mettre ces réformistes au pied du mur, les amener à faire la démonstration pratique de leur programme et de leurs méthodes, les aider s'il le fallait à venir au gouvernement, et donc peut-être même dans ces élections, appeler à voter pour eux non pas seulement au second tour mais dès le premier.

Au moment où le programme commun n'était pas encore ratifié par le PCF et le PS mais toujours en discussion nous avions publié une lettre ouverte aux militants du PCF affirmant que nous étions prêts à voter et faire voter pour les candidats du PS et du PCF si leur programme contenait clairement et sans ambiguïté les principales revendications des travailleurs et s'ils acceptaient de le soumettre à la discussion de l'ensemble des travailleurs. Nous ne pensions évidemment pas, connaissant ces partis, qu'ils accepteraient mais c'était une manière pour nous de démontrer justement ce qu'ils voulaient ou ne voulaient pas. A l'époque, et très curieusement si l'on en juge d'après son attitude aujourd'hui, la Ligue Communiste nous avait reproché de nous déclarer ainsi d'avance prêts à appeler à voter pour les candidats du PCF et du PS Ce n'était pourtant faire rien d'autre que de nous déclarer prêts à le faire pour une «solution réformiste globale»... si l'Union de la Gauche avait réellement été cela.

Mais le programme commun de la gauche adopté depuis évite soigneusement de reprendre à son compte les revendications des travailleurs et de prendre le moindre engagement de procéder à une réforme profonde de la société. Ce n'est pas un programme réformiste mais un programme parfaitement acceptable pour la bourgeoisie.

Mais Mitterrand et Marchais, qui savent que la bourgeoisie ne leur pardonnerait pas d'agir autrement, font tout pour éviter la moindre mobilisation des travailleurs. Non seulement ils n'ont rien fait pour que le programme devienne celui des travailleurs, non seulement ils ne leur ont demandé aucun autre geste que de voter pour eux, mais ils appliquent tous leurs efforts depuis le début de la campagne électorale à convaincre tout le monde que la victoire de la gauche ne doit en aucune manière amener une crise politique, qu'une majorité de gauche et un gouvernement de gauche sont parfaitement compatibles avec les institutions actuelles de la Cinquième République. En un mot, ils assurent d'avance la bourgeoisie qu'ils seront des garants contre toute mobilisation populaire.

Dans ces conditions les analyses de la Ligue Communiste, concrétisées par la position adoptée dès maintenant à propos du deuxième tour, non seulement vont à l'encontre de la réalité, mais ne peuvent en définitive qu'ajouter à la fumée faite autour de l'Union de la Gauche et contribuer à renforcer les illusions des travailleurs à son propos.

Pour s'adresser tout de même aux travailleurs communistes et socialistes

La tâche des révolutionnaires aujourd'hui est de défendre, face à tous les autres partis de droite ou de gauche, la solution révolutionnaire, de montrer que c'est la seule voie qui ouvre une perspective aux travailleurs, et parallèlement de construire et d'implanter un parti révolutionnaire. C'est en fonction de cette tâche que Lutte Ouvrière, en liaison avec la Ligue Communiste, présente des candidats révolutionnaires dans ces prochaines élections.

Certes nous savons que l'énorme majorité des travailleurs, y compris de ceux qui ont une certaine conscience de classe demeurent sous l'influence du PCF ou du PS Nous savons donc qu'ils mettent un certain espoir dans la victoire de l'Union de la Gauche et que leur désir est certainement de voir celle-ci triompher de l'UDR et de ses alliés lors de ces prochaines élections.

Pour cela, pour signifier par un geste clair et sans ambiguïté que les révolutionnaires sont du côté de ces travailleurs, qu'ils sont prêts donc à respecter leur volonté, Lutte Ouvrière s'est engagée publiquement, et le répétera durant toute sa campagne, à ne pas faire obstacle au second tour à un candidat du PCF ou du PS.

Mais cela ne signifie nullement que nous nous engageons d'avance à faire voter pour tous les candidats de l'Union de la Gauche, quels qu'ils soient, c'est-à-dire quels que soient leur passé, leur appartenance politique ou la manière dont ils vont faire campagne, quels que soient aussi les résultats du premier tour, c'est-à-dire indépendamment de la volonté des travailleurs telle qu'elle se sera exprimée le 4 mars prochain (en tenant compte d'ailleurs que la volonté du prolétariat ne s'exprime que d'une manière déformée dans les urnes d'où beaucoup de travailleurs sont exclus, notamment les jeunes et les immigrés, et où les voix des autres sont mélangées avec celles des autres classes sociales).

Mais si les révolutionnaires ont à démontrer qu'ils sont partie prenante du mouvement ouvrier, ont à prouver aux travailleurs communistes et socialistes qu'ils se rangent à leurs côtés, ils ont aussi à leur dire que l'Union de la Gauche ne leur prépare que des déboires et des désillusions.

Pour répondre à ces exigences dans ces élections nous ferons, peut-être, voter au deuxième tour pour le candidat du PCF ou du PS, s'il est le candidat voulu par la majorité des travailleurs, ou, en tout cas, nous ne lui mettrons pas d'obstacle. Mais en aucun cas nous n'appellerons à voter Union de la Gauche, solution politique de rechange pour la bourgeoisie. Dans l'esprit de beaucoup de travail leurs il n'y a pas de différence entre voter pour le candidat du PS ou du PC F., considéré comme le candidat des travailleurs, ou pour le candidat de l'Union de la Gauche, qui se trouve être le même. Mais c'est justement cette différence que les révolutionnaires doivent par leur tactique au second tour, s'appliquer à démontrer, quelles qu'en soient les difficultés.

Partager