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Fédéralisme et fins renards
Flamands et Wallons s'affrontent en Belgique. Plus de 10 000 manifestants flamands furent les maîtres de Bruxelles, dimanche 22, pendant plus de quatre heures. Ils protestaient contre la francisation de la population flamande et surtout bruxelloise.
Il y a quelques mois, André Renard créait le Mouvement Populaire Wallon qui proteste contre « l'hégémonie flamande » conséquence de l'expansion démographique et économique de la Flandre. Vers 1875, la population wallonne était 42 % de la population totale, celle de la Flandre 47 % ; actuellement le rapport est de 33 % pour 52 %, le reste étant la population bruxelloise. Le nombre moyen d'enfants par famille est passé en Flandre de 5 à 6, alors qu'il est descendu en Wallonie de 2 à 1. Sur le plan économique, le déclin de l'économie wallonne, conséquence de ses structures industrielles surannées et de la fermeture des puits du Borinage, fait un contraste éclatant avec la ruée des investissements en Flandre : Dupont de Nemours s'installant à Malines et un combinat pouvant produire 1,5 à 3 millions de tonnes d'acier - Sidémar - étant en projet pour 1965, dans les environs de Gand. Les Wallons ont le sentiment que les Flamands ont bâti leur prospérité sur l'ancienne richesse wallonne.
C'est en tenant compte de ces facteurs que le Mouvement Populaire Wallon, et les socialistes wallons, réunis en Congrès à Charleroi en septembre, réclament un État wallon dans une Belgique fédérale.
C'est André Renard, dirigeant le M.P.W., qui a le plus clairement et le plus largement exprimé ces positions. Il déclarait le 4 janvier 1961 : « le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple, par le peuple ». Renard se sert donc du fait que la Flandre est en majorité « cléricale », et la Wallonie en majorité « socialiste », pour faire croire aux travailleurs que dans une Wallonie « socialiste », ils auront le pouvoir. Mais que feront alors les travailleurs socialistes flamands ? « L'opposition que la minorité socialiste flamande devrait mener dans un État flamand aurait tôt fait de lui conférer un dynamisme qui ne manquerait pas de trouver des résonances dans les masses... »
Qu'apportera cet État belge fédéral, et quels seront les objectifs de l'État wallon ? « A la conception d'un État unitaire basé sur les citoyens, le fédéralisme ajoute un renforcement de la démocratie : en plus des citoyens représentés en tant que tels, les États à leur tour sont représentés en tant que tels dans le cadre de la fédération ». « Les syndicalistes wallons qui ont pris en mains les destinées du peuple wallon sont porteurs d'un ordre venant du peuple : celui d'améliorer la démocratie ».''L'objectif permanent reste l'expansion économique, c'est-à-dire l'orientation des investissements non seulement pour des fins d'intérêt privé, mais aussi et surtout pour des objectifs d'intérêt général ».
On voit que Renard fait du fédéralisme un but en soi. Le fédéralisme apportant le bonheur au peuple wallon dans son ensemble et redressant la Wallonie, grâce à des « réformes de structures »... phraséologie bien connue.
D'ailleurs, quand la revendication du fédéralisme est réapparue l'année dernière, c'était dans le feu de la lutte ouvrière, wallonne surtout, mais aussi flamande, lutte qui, malgré l'absence de mots d'ordre radicaux par son ampleur même menaçait dans ses bases le capitalisme belge. Le 6 janvier dernier, alors qu'une manifestation de masse rendait les ouvriers brabançons maîtres de Bruxelles pendant « trois heures, aux cris de « Au Parlement ! » « Grève générale », alors qu'Anvers - la plus importante des villes flamandes - était paralysée par la grève des dockers, André Renard déclarait à Liège « Wallon je suis, Wallon je resterai. Fédéraliste je suis, fédéraliste je resterai !
Nous ne subirons pas plus longtemps la loi du capitalisme flamingant et des organisations flamandes ». C'est dans le même contexte qu'il faut replacer sa déclaration du 4 janvier : « Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain, le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple, par le peuple ». L'ampleur du mouvement gréviste belge effrayait les socialistes. Certains, ouvertement, essayaient de calmer les ouvriers et de négocier quelques petits avantages avec le Gouvernement.
Alors Renard fit dévier le mouvement sur le terrain de la lutte de la Wallonie contre la Flandre : « C'est une grève de libération nationale que nous faisons ». Il accuse « les flamingants réactionnaires du Nord » (12 janvier, à Mons). Cela lui permit, sans nuire à sa réputation de révolutionnaire auprès des masses, car il poussait à l'extension de la grève en Wallonie, de la restreindre en fait. Car partir en lutte pour la libération du peuple wallon contre l'oppression flamande était un moyen bien plus radical de stopper les grèves à Anvers et Bruxelles, que toutes les parlottes et négociations des autres socialistes. Les ouvriers flamands et brabançons n'avaient plus aucune raison de soutenir les ouvriers wallons qui avaient entamé la lutte contre le Gouvernement, maintenant que cette lutte était dirigée contre eux, et la Wallonie livrée à elle-même, luttant seule dans le cadre de l'État belge, ne pouvait qu'aboutir à un échec.
Une fois lancé sur ce terrain, Renard se devait de continuer. C'est pourquoi, après la reprise du travail en Wallonie, après la disparition de tout danger pour la bourgeoisie belge, Renard continue son agitation fédéraliste. Elle lui permet de continuer à passer pour un révolutionnaire à peu de frais. Le but principal avait été atteint en janvier : détourner les ouvriers belges de leurs intérêts de classe et les diviser en jouant sur la corde nationaliste que les problèmes qui se posent actuellement à la Wallonie ne pouvaient que développer.