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Russie-Kazakhstan : inondations et incurie du pouvoir
Depuis le début du mois d’avril, la vaste plaine de Sibérie occidentale est la proie d’inondations majeures aux répercussions humaines, économiques et sociales catastrophiques.
Le nord du Kazakhstan, autour notamment de la capitale régionale, Petropavlovsk, est sous les eaux. Le président kazakh a décrété l’état de catastrophe naturelle, « la pire depuis 80 ans ».
En Russie, les régions atteintes sont plus vastes. Elles s’étendent sur 1 500 km depuis le sud de l’Oural, ces montagnes qui marquent la frontière entre l’Europe et l’Asie, jusqu’à la Sibérie occidentale. Des villes comme Orsk, le grand centre industriel Tioumen, Orenbourg et son demi-million d’habitants sont submergées. La fonte des neiges en montagne et la débâcle des glaces couvrant les cours d’eau en hiver ont fait monter leur niveau de 6, parfois 9 mètres. Et cela continue. Plus à l’est, la situation s’aggrave encore. De grands centres comme Omsk et Tobolsk sont envahis par les eaux. À Orsk, 220 000 habitants, la Tobol a noyé même le phare de la ville ! Partout, les ponts ont disparu sous les flots, les digues cèdent ou menacent de rompre, les villes se transforment en lacs, les barrages hydro-électriques ne fonctionnent plus, bloqués par les boues et les troncs d’arbre. Déjà privés d’électricité, de chauffage, de travail, les habitants de bien des villes n’ont plus d’eau potable, les réservoirs ayant été pollués.
Jusqu’à mi-avril, le pouvoir central n’a rien dit sur la catastrophe, puis le ministère des Situations d’urgence a fini par lâcher que 10 000 bâtiments, dont de grands ensembles, sont inhabitables. Un chiffre qui reste bien inférieur à la réalité que décrit la très officielle agence de presse TASS.
Comme d’habitude en pareil cas, le pouvoir se tait et détourne le regard. Il préfère laisser les autorités locales se débrouiller seules, quitte, après coup, à y choisir quelques coupables pour apaiser la colère de la population. Car cette colère est là.
Ainsi, à Orsk, elle a éclaté alors que les sinistrés se trouvent depuis des jours dans un dénuement complet. Des vidéos ont montré des centaines de manifestants se rassemblant devant la mairie pour appeler à la démission du maire, qui se cachait et dont le fils venait, avec sa famille, de fuir le pays pour s’installer dans un appartement de luxe acheté à grands frais à… Dubaï !
Certains manifestants demandaient « Aidez- nous ». Mais d’autres clamaient « Une honte ! », à l’adresse de ce maire qui a attribué en tout et pour tout 20 000 roubles (200 euros) à ceux qui ont tout perdu. L’un d’eux criait même : « Les responsables, on les ramènera au bout de nos fourches ! »
Fidèle chien de garde, le parquet régional avait pourtant menacé de ses foudres, et de prison, quiconque participerait à un rassemblement, illégal du fait de l’état d’urgence.
Poutine n’a toujours pas annoncé si et quand il se rendrait sur place. On imagine pourquoi. Il attend la décrue des eaux, et surtout de la colère des petites gens, pour jouer la comédie dans laquelle il excelle : celle du bon tsar secourant « son » peuple, maltraité par les boyards, les barons russes du Moyen Âge, dont gouverneurs et maires seraient les héritiers dans les régions.
En attendant, il a laissé ses lieutenants prétendre que « la situation est sous contrôle », que « les autorités locales ne se plaignent de rienv» – entendre, ne se sentent pas abandonnées. Après la version russe du « Tout va très bien, Madame la Marquise… », les cantiques : le 11 avril, des gens du ministère des Situations d’urgence ont survolé la région de Kourgan, avec à leur bord une icône de la Vierge et quatre popes bénissant les sinistrés.
Un peu d’eau bénite sur les inondations comme aide venue du ciel : voilà qui illustre le cynisme et l’impéritie d’une bureaucratie russe repue et pillarde. Ses chefs, qui savent à quoi s’en tenir sur le prétendu amour de leur peuple, préfèrent donc attendre avant d’atterrir dans des contrées où les fourches pourraient être de sortie…