Mexique : un État complice des cartels19/03/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/03/une_2955-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C0%2C1271%2C1649_crop_detail.jpg

Dans le monde

Mexique : un État complice des cartels

Le 13 mars, un collectif de recherche de disparus annonçait la découverte des vêtements, des chaussures et des restes calcinés d’au moins 200 cadavres, ainsi que des fosses ayant servi de crématoires, dans un ranch près du village de Teuchitlán, dans l’État du Jalisco.

Le « ranch de la terreur », comme l’appellent les médias mexicains, servait de centre de recrutement au cartel Jalisco Nueva Generación. Ses membres attiraient des jeunes à la recherche de travail, pour ensuite les enfermer, forcer certains à en tuer d’autres et, après en avoir fait des bourreaux, les forcer à travailler pour eux. Les corps des victimes étaient brûlés et enterrés sur place. Même si c’est loin d’être le premier charnier découvert par les collectifs de familles de disparus, l’affaire a fait les gros titres de la presse, suscitant l’horreur dans tout le pays, mais aussi la colère.

Samedi 15 mars, à l’appel des différents collectifs de familles de victimes, toujours ignorés et méprisés par les autorités, des rassemblements se sont tenus dans la plupart des villes, dont le plus important au centre de Mexico, face au devant le Palais national. S’adressant à la présidente de la République, Claudia Sheinbaum, les manifestants ont écrit sur le sol en lettres géantes « Présidente, maintenant tu nous vois ? ». Ils entendaient dénoncer la passivité du gouvernement face aux disparitions : plus de 50 000 ont eu lieu durant les six années du dernier mandat présidentiel.

« Un État qui ne réagit que lorsque l’horreur devient manifeste est un État complice », ont écrit plusieurs journalistes, reprenant une idée couramment exprimée. Car au-delà du dégoût qu’elle suscite, l’affaire du ranch de Teuchitlán illustre la complicité des autorités vis-à-vis des cartels. La police locale connaissait depuis longtemps l’existence du site : elle y était intervenue quelques mois auparavant pour y arrêter plusieurs personnes, mais sans aller plus loin dans les investigations et en laissant sur place les traces du massacre sans les révéler. La presse évoque aussi la complicité des autorités de l’État du Jalisco, où plus de 18 000 personnes ont disparu ces six dernières années sans que jamais de vraies recherches ne soient menées. C’est uniquement grâce à des appels anonymes que le collectif de recherche de disparus a commencé les fouilles. Il affirme aujourd’hui disposer de plusieurs témoins des atrocités, qui, craignant pour leur vie, refusent de comparaître devant les autorités de l’État.

Au-delà, il y a complicité de l’État fédéral mexicain lui-même. Depuis 2006, la prétendue « guerre contre les cartels » menée par l’armée n’a conduit qu’à une explosion de violence dans tout le pays, dirigée avant tout contre la population. Récemment, pour répondre à la démagogie de Trump accusant le Mexique d’inonder les États-Unis de fentanyl, et surtout à ses menaces d’augmenter les droits de douane, les annonces d’arrestations de trafiquants se sont opportunément multipliées, sans que cela change quoi que ce soit à cet état de fait.

L’armée, elle-même corrompue et infiltrée par les cartels, est bien incapable de les combattre efficacement. Elle est en revanche formée et qualifiée pour terroriser la population. Son rôle est maintenant largement admis dans l’assassinat en 2014 des 43 étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa, dans le Guerrero. Pourtant, durant le mandat du président de gauche sortant, López Obrador, l’impunité est restée totale et l’enquête n’a pas franchi la porte des casernes.

Claudia Sheinbaum, qui lui a succédé, continue aujourd’hui la même politique : il n’y a pas de véritables enquêtes sur les milliers de disparitions partout dans le pays et le soutien à l’armée est total. L’actuel ministre de la Sécurité publique, choisi par elle, Garcia Harfuch, est à lui tout seul le symbole de cette orientation. Petit- fils d’un des responsables du massacre de 300 étudiants à Mexico en octobre 1968, fils du principal responsable de la répression contre les mouvements de guérilla des années 1970, il était lui-même chef de la police de l’État du Guerrero au moment de la disparition des étudiants en 2014 et il est impliqué dans l’affaire.

L’État mexicain craint en fait sa propre population bien plus que la barbarie des cartels.

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