Mars 1984-1985 : la longue grève des mineurs britanniques27/03/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/03/une_2904.jpg.445x577_q85_box-0%2C132%2C1383%2C1926_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

Mars 1984-1985 : la longue grève des mineurs britanniques

Commencée en mars 1984, la grève des mineurs britanniques allait durer une année entière, jusqu’à leur défaite en mars 1985. Ce combat perdu par un des bataillons les plus combatifs de la classe ouvrière de Grande-Bretagne marqua durablement celle-ci.

La grève, commencée dans le sud du Yorkshire et aussitôt nourrie par l’annonce d’un nouveau plan de 20 000 licenciements, s’étendit vite au reste de la Grande-Bretagne grâce à l’action de dizaines de « piquets (de grève) volants ». Par leur dynamisme et leur résolution, ils entraînèrent en deux semaines 150 000 mineurs. La direction de la Fédération nationale des mineurs, le NUM, et son président Arthur Scargill, qui n’avaient pas cherché à lancer une grève nationale, étaient conscients que le bras de fer serait difficile car le NCB, le National Coal Board, la direction des charbonnages, avait accumulé des stocks de charbon en vue d’un affrontement. Mais, devant le fait accompli, ils en assumèrent la direction. La politique proposée par le NUM aux mineurs, dont il avait la confiance, était d’allure radicale mais recouvrait un corporatisme qui menait à l’impasse.

Le NUM donna pour objectif à la grève de « sauver les puits », par le biais du blocage total de la production de charbon. L’énergie formidable des mineurs fut ainsi canalisée vers deux buts difficiles à atteindre, consistant à empêcher toute sortie de charbon transformé de la gigantesque cokerie d’Orgreave et à paralyser la production dans le Nottinghamshire. Cette dernière région était la seule où les grévistes étaient minoritaires mais, au lieu de chercher à convaincre les non- grévistes, le NUM invita au contraire les piquets à leur faire barrage en les traitant de « jaunes ». Sur ces deux fronts, les batailles rangées avec les policiers furent violentes mais finalement vaines.

Le patronat à l’offensive

Le patronat britannique était alors à l’offensive sur tous les plans, procédant à des réductions d’effectifs, au blocage des salaires et à l’accélération des cadences, et la Première ministre Margaret Thatcher réprima sans pitié ceux qu’elle nommait « l’ennemi intérieur ». Au cours de la grève, il y eut 11 000 arrestations, soit presque un gréviste sur dix, des milliers de blessés, des centaines de licenciements disciplinaires, et les avoirs du NUM furent mis sous séquestre. Il fallait décourager toute résistance ouvrière, et les médias jouèrent leur rôle de chiens de garde dans cette guerre de classe. Dockers et cheminots furent cependant nombreux à refuser de transporter du charbon « jaune ». Et la solidarité, notamment financière, avec les mineurs s’exprima de bout en bout dans les classes populaires.

Après l’été de 1984, malgré les coups et la fatigue, les trois quarts des mineurs étaient encore en grève. Misant sur leur découragement, Thatcher passa du bâton à la carotte, proposant des primes à ceux qui reprendraient le travail. À l’approche de Noël, le nombre de volontaires augmenta, car même les plus motivés se sentaient de plus en plus isolés. Début mars 1985, constatant que le blocage de la production avait échoué, le NUM puis un congrès de délégués des puits décidèrent la reprise du travail. Les mines, nationalisées depuis 1947, allaient fermer les unes après les autres. En 1994 leur privatisation ne fut plus qu’une péripétie dans la catastrophe sociale que subissaient des dizaines de communautés minières.

Une énergie formidable, gâchée par le corporatisme

Scargill, pour expliquer la défaite, accusa les autres syndicats d’avoir « manqué de solidarité » vis-à-vis de la grève des mineurs. Mais en réalité il avait toujours respecté les plates-bandes des autres bureaucrates, et n’avait à aucun moment cherché à entraîner d’autres catégories de travailleurs dans l’action, comme il aurait pu le faire en appelant les mineurs à s’adresser aux électriciens, aux métallurgistes et à d’autres par-dessus la tête de leurs dirigeants syndicaux. Pendant la grève, le NUM avait certes appelé le Parti travailliste et le TUC, organe qui regroupe la plupart des syndicats britanniques, à la solidarité. Mais les uns et les autres n’avaient offert aux mineurs que des phrases et n’avaient à aucun moment cherché à étendre la grève aux autres catégories.

Une autre politique que celle du NUM aurait-elle été possible ? Les mineurs bénéficiaient d’un appui moral très large dans les milieux populaires, à un moment où l’étau se resserrait sur tous les salariés, du public comme du privé. Les mineurs et leurs familles, au premier rang desquelles les femmes, forçaient le respect par leurs capacités d’organisation. Et ils auraient pu être les fers de lance d’une riposte ouvrière générale, si leurs piquets s’étaient déployés à la porte des grandes entreprises et sur les places publiques, et avaient invité les salariés de l’acier, du transport, des services municipaux, etc., à les rejoindre avec leurs propres revendications. Les mineurs pouvaient se battre derrière un autre étendard que celui du sauvetage du charbon britannique, dont la bourgeoisie voulait cesser l’exploitation. Se battre pour que celle-ci paye tous les frais d’une reconversion aurait signifié devenir les militants d’une véritable grève politique qui soit celle de tous les exploités. Mais le corporatisme du NUM – et de l’ensemble des appareils syndicaux – les priva de cette possibilité, tout en cantonnant les autres travailleurs au rôle de spectateurs ou de supporters.

Au cours de la seule année 1984, il y eut plus de journées de grève qu’au cours des trois décennies suivantes. Cela dit l’importance qu’eut la grève des mineurs, mais aussi combien elle fut ressentie comme une défaite par tous les travailleurs britanniques. Récemment, ceux-ci ont relevé la tête face aux attaques patronales et gouvernementales au cours de la vague de grèves de 2022-2023. Si celle-ci n’a permis d’arracher aucune concession significative, c’est aussi parce que les mobilisations dans la santé, le transport, l’éducation, etc., ont été maintenues dans des voies étroitement corporatistes et isolées les unes des autres par les bureaucraties syndicales. Transmettre ces leçons, comme celles de la grève 1984-1985, est vital.

Partager