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Leur société
Laboratoires pharmaceutiques : les travailleurs scientifiques sacrifiés aux profits
La revue Fierce Biotech, qui couvre le monde de la recherche et développement pharmaceutique, vient de publier son annuel « cimetière des biotechs » : le bilan mondial des vagues de licenciements enregistrées en 2024 dans les centres de recherche du secteur est énorme.
La revue a recensé 192 cycles de licenciements dans les biotechs, un bond de 63 % par rapport aux 118 de 2022. Chaque semaine, une moyenne de quatre entreprises du secteur ont coupé dans les effectifs de leurs laboratoires de recherche et développement (R&D). Dans les 86 sociétés qui ont fourni des chiffres précis, 15 134 chercheurs et techniciens ont perdu leur emploi. Mais 99 autres entreprises n’ont indiqué qu’un pourcentage, et ont réduit en moyenne de 38 % leur personnel. N’étant pas parmi les plus petites, puisqu’elles sont cotées en Bourse, ce sont sans doute au moins 30 000 personnes qui ont été licenciées dans les seules sociétés de biotechnologie. Dans le même temps, le nombre de licenciements dans les centres de R&D des grosses entreprises pharmaceutiques a, lui, augmenté de 281 % en un an. Au total sur un an, 12 000 à 15 000 travailleurs ont sans doute été privés d’emploi et la saignée dans la recherche pharmaceutique avoisine les 50 000 travailleurs. Et il y a peu de chances que les victimes de ce gigantesque plan de licenciements retrouvent un emploi dans leur domaine de compétence ainsi sinistré.
On en a un exemple frappant à Sophia-Antipolis, près d’Antibes. Cette zone, jadis considérée comme un des phares de la biotechnologie en France, s’est désertifiée en quelques années du fait de fermetures en cascade. En 2017, Nestlé y fermait la branche locale de sa filiale Galderma, jetant plus de 400 travailleurs sur le pavé. Galderma n’est pourtant pas en difficulté car sa capitalisation boursière dépassait 16 milliards de dollars en 2024. La multinationale américaine Syneos avait repris une centaine de travailleurs : elle vient de fermer son antenne locale, alors que depuis des années elle affiche 4 à 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires et ne peut invoquer des soucis financiers. De même la filiale française de l’américaine Sangamo jette sur le pavé 90 travailleurs scientifiques alors que la direction californienne se félicite de résultats prometteurs, annonciateurs de substantiels financements.
Il faut ajouter à cela la fermeture définitive du centre de recherche Boiron. Il ne comptait déjà plus que 25 employés à la suite du « plan social » qui en a frappé 500 après 2021, quand Boiron a fait payer à ses salariés ce que risquait de lui faire perdre le déremboursement des produits homéopathiques. Les héritiers des fondateurs de l’entreprise ont, c’est vrai, vu leur fortune reculer de 460 à 430 millions en 2023 et leur classement parmi les très riches passer de la 230e à la 286e place. Mais ils ne risquent pas d’y croiser les travailleurs qu’ils ont privés d’emploi…
Les patrons de biotech ont pris l’habitude de fermer leurs laboratoires de recherche dès que leur personnel y a mis au point un produit pouvant rapporter gros. Le patron commence par les féliciter, puis distribue les médailles d’une main et les lettres de licenciement de l’autre, en ouvrant grand ses poches pour les profits attendus.
La société Inventiva, en banlieue de Dijon, cotée au NASDAQ à New York, a levé 348 millions d’euros en octobre et ses chercheurs ont identifié, après une décennie de travail, un traitement très prometteur contre la stéatose hépatique non alcoolique, le Lanifibranor. Inventiva a vu tout ce que ce médicament peut rapporter, sachant qu’il concerne plus de 200 000 patients en France et plus de dix millions dans le monde. Elle a donc lancé un « plan social » qui réduit de 50 % environ les effectifs, soit plus d’une centaine de travailleurs de la R&D.
Pour louer les « bienfaits » du capitalisme, ses tenants donnent souvent en exemple les succès de la recherche pharmaceutique et les avancées médicales qu’ils permettent, mélangeant intentionnellement ceux qui les obtiennent et les financiers qui les exploitent. À l’heure d’en récolter les profits, finie la fiction : les capitalistes savent se débarrasser des travailleurs qui ont créé ces richesses.